Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160802


Dossier : T-2006-15

Référence : 2016 CF 891

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 août 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ROBINDER SINGH SIDHU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Robinder Singh Sidhu visant une décision de Mme Brenda Hensler-Hobbs, directrice générale, Sûreté de l’aviation pour Transports Canada [la déléguée du ministre] agissant au nom du ministre des Transports [le ministre] datée du 3 novembre 2015 et annulant la demande d’habilitation de sécurité à l’Aéroport international de Vancouver [l’aéroport] présentée par le demandeur.

[2]               Le demandeur a commencé à travailler à l’aéroport en 1989 pour les Lignes aériennes Canadien International. Il est demeuré au service de l’entreprise après son acquisition par Air Canada, et ce, jusqu’en 2014. Pendant ces années d’emploi, le demandeur détenait une habilitation de sécurité et la carte d’identité de zone réglementée [CIZR] correspondante.

[3]               Le demandeur a été arrêté le 16 juin 2014, dans le cadre d’une vaste enquête visant une opération de contrebande qui se serait produite à l’aéroport. Il a été interrogé par la police et libéré sans que des accusations soient portées. Toutefois, vers le 20 juin 2014, le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport de Transports Canada [Transports Canada] a reçu un rapport de vérification des antécédents criminels, daté du 19 juin 2014 [le rapport de VAC de juin], de la Section du filtrage sécuritaire de la Gendarmerie royale du Canada [SFS de la GRC].

[4]               Le rapport de VAC de juin indiquait ce qui suit :

[traduction]

          le 16 juin 2014, le demandeur a été arrêté et interrogé par la GRC concernant sa participation dans une opération de contrebande;

          la GRC avait recueilli des éléments de preuve démontrant que le 3 septembre 2013 le demandeur a utilisé son accès à l’aéroport, grâce à la CIZR, dans le but de participer à l’importation illégale d’une cargaison de drogue;

          lors de sa déclaration après mise en garde, le demandeur a reconnu sa culpabilité relativement à l’opération de contrebande du 3 septembre 2013, et il a indiqué qu’il croyait que les boîtes contenaient des stéroïdes;

          la GRC a recommandé à la Couronne de porter une accusation en lien avec la contrebande contre le demandeur.

[5]               Le 24 juin 2014, le demandeur a reçu une lettre de Transports Canada l’informant que son habilitation de sécurité avait été suspendue dans l’attente d’un examen, en raison de son arrestation et des aveux faits lors de sa déclaration après mise en garde. À ce moment, le demandeur détenait un poste de chef préposé d’escale s’occupant des cargaisons.

[6]               Le 22 juin 2014, l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport [l’Organisme consultatif] a recommandé de confirmer la suspension de l’habilitation de sécurité de l’appelant, jusqu’à ce que les accusations criminelles en instance soient tranchées par les tribunaux. Le 31 juillet 2014, le demandeur a reçu une lettre confirmant cette recommandation. Le 6 janvier 2015, l’avocat du demandeur a avisé Transports Canada que des accusations ne seraient pas portées contre le demandeur, et il a demandé que la suspension de l’habilitation de sécurité du demandeur soit examinée rapidement.

[7]               Vers le 22 janvier 2015, Transports Canada a reçu un second rapport de VAC [le rapport de VAC du 22 janvier] de la SFS de la GRC qui indiquait ce qui suit :

[traduction]

        en mai 2014, une enquête de 18 mois menée conjointement par la GRC, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), et le service de police de Vancouver s’est conclue par la saisie de 37 kilogrammes d’héroïne, ayant une valeur de revente approximative de neuf millions de dollars;

        la drogue était cachée dans des marchandises expédiées de l’Asie du Sud vers le Canada, en transitant par l’aéroport;

        trois individus ont été arrêtés et accusés de possession en vue du trafic, notamment un employé d’Air Canada, autre que le demandeur, qui avait contourné les mesures de sécurité, faisant de l’opération un complot interne du crime organisé;

        le 16 juin 2014, le demandeur, un employé d’Air Canada Cargo, a été arrêté et interrogé par la GRC concernant sa participation dans l’opération de contrebande;

        la GRC a recueilli des éléments de preuve démontrant que le 3 septembre 2013, le demandeur a utilisé sa CIZR, dans le but de participer à l’importation d’héroïne;

        lors de sa déclaration après mise en garde, le demandeur a reconnu sa culpabilité relativement à l’opération de contrebande, indiquant qu’il croyait que les boîtes qu’il avait déplacées contenaient des stéroïdes.

[8]               Le 25 août 2015, l’Organisme consultatif a recommandé que le ministre annule l’habilitation de sécurité du demandeur. Un examen du dossier du demandeur [traduction] « a mené l’Organisme consultatif à croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être amené ou incité à commettre un acte, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile ». La déléguée du ministre a souscrit à cette recommandation et, le 3 novembre 2015, elle a rendu, au nom du ministre, la décision contestée, laquelle a été communiquée au demandeur au moyen d’une lettre datée du 10 novembre 2015.

[9]               Le dossier en l’espèce ne soulève aucune question de droit particulière et repose sur une pure question de faits ou sur une question mixte de faits et de droit. La jurisprudence établit clairement la grande discrétion dont dispose le ministre pour refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité, prévue à l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A‑2, et aux différentes dispositions pertinentes du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318 [le Règlement] (voir la décision Wu v. Canada (Attorney General), 2016 FC 722).

[10]           La présente demande doit être rejetée. Je conclus que la décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je souscris essentiellement aux arguments présentés par le défendeur dans son mémoire des faits et du droit et qui ont été réaffirmés par son avocat à l’audience.

[11]           Au début de l’audience, l’avocat du demandeur a indiqué à la Cour que la question d’équité procédurale soulevée dans le mémoire des faits et du droit du demandeur devrait maintenant faire partie des motifs de contestation concernant la norme de la décision raisonnable applicable à la décision contestée. Quoi qu’il en soit, il est clair pour la Cour, après un examen approfondi de l’ensemble du dossier, que le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale. Il connaissait la preuve qu’il devait réfuter, et il a eu la possibilité de présenter des observations. En effet, le 7 avril 2015, le demandeur a reçu une lettre de la part de Christopher McQuarrie, directeur, Programmes de filtrage de sécurité, énonçant les préoccupations de Transports Canada, et citant précisément les allégations qui ont mené à l’arrestation du demandeur : notamment qu’il avait, dans l’exercice de ses fonctions, déplacé des boîtes dans le but de faciliter un complot visant l’importation de drogue. La lettre invitait aussi le demandeur à fournir des renseignements ou des explications supplémentaires, notamment toute circonstance atténuante, dans les 20 jours suivant la réception de la lettre. Effectivement, le 28 avril 2015, le demandeur a présenté un affidavit, de même que des documents et des commentaires justificatifs, en réponse aux préoccupations soulevées par Transports Canada.

[12]           Le demandeur prétend que les motifs invoqués pour justifier l’annulation du certificat ne sont pas suffisants. La présente demande n’est pas fondée. La décision doit être lue conjointement avec la preuve et les justifications qui se trouvent dans le dossier, lesquelles étayent la conclusion générale qu’a tirée le ministre. En outre, les motifs menant à l’annulation du certificat d’habilitation de sécurité sont clairs et intelligibles, et la décision présente un fondement rationnel. Quoi qu’il en soit, le demandeur prétend également que la preuve au dossier est contradictoire ou non concluante, et qu’elle ne démontre pas une participation ou une intention de participer délibérée. Il en est ainsi parce que son affidavit contredit clairement des déclarations précédentes qu’il aurait faites à la police. Le demandeur prétend que la déléguée du ministre a commis plusieurs erreurs importantes, notamment le fait de l’avoir associé à trois [traduction] « personnes concernées » (il ne connaissait que l’individu « A », qui était un collègue à l’aéroport) et d’avoir conclu qu’il avait eu une conversation téléphonique avec l’individu « A », après avoir déplacé les boîtes pour [traduction] « rendre service ». Bien qu’il ait admis avoir eu un lien avec l’individu « A », il a expliqué à l’Organisme consultatif qu’il s’agissait seulement de paris de football. En effet, l’individu « A », son beau-père et son beau‑frère participaient tous à ces paris. Le demandeur a expliqué que l’individu « A » ne venait pas souvent chez lui. Selon ses souvenirs, il est venu chez lui que pour lui apporter des crevettes congelées qu’il avait pêchées. Le demandeur a aussi expliqué [traduction] « [q]u’il était assez habituel que [ses] collègues veuillent échanger des quarts », [traduction] « qu’il est usuel que des boîtes et des caisses soient laissées à la porte 31 », et qu’il [traduction] « n’était pas inaccoutumé » que l’individu « A » l’appelle pour [traduction] « [lui] dire que des boîtes se trouvaient à l’extérieur de l’entrepôt, dans la zone appelée la porte 31, et qu’[il] devait les entrer à l’intérieur ».

[13]           J’ai examiné avec une attention particulière les observations présentées par le demandeur sur le fond quant à la décision contestée, et je conclus qu’elles ne sont ni fondées ni importantes.

[14]           Comme le dossier ne justifie pas l’allégation générale présentée par le demandeur selon laquelle le ministre n’a pas tenu compte de l’affidavit du demandeur, elle doit être rejetée. Le compte rendu de décision indiquait que les renseignements concernant la participation du demandeur dans une opération de contrebande de drogue ou l’association de ce dernier avec des individus impliqués dans ladite opération soulèvent des préoccupations concernant son jugement, sa loyauté et sa fiabilité. Il notait également que l’enquête de juin 2014 menée conjointement par le Groupe fédéral des crimes graves et du crime organisé de la GRC, l’ASFC et le service de police de Vancouver s’est conclue par la saisie de 37 kilogrammes d’héroïne, et que la quantité de drogue indiquait que l’opération était liée au crime organisé. Le compte rendu de décision indiquait ensuite que deux individus avec qui le demandeur avait des liens ont été accusés de possession en vue du trafic, alors qu’un autre associé est un criminel reconnu qui a fait de la prison et qui est lié à ce complot en vue d’une importation. Le demandeur a confessé sa culpabilité à la police eu égard à sa participation à l’opération, bien qu’il ait allégué avoir cru que les boîtes contenaient des stéroïdes, lesquels constituent néanmoins une substance illégale. Juste avant et après le jour de la saisie, le demandeur a eu de nombreuses conversations et rencontres avec un individu impliqué dans l’opération de contrebande de drogue, et il a été évasif et non coopératif avec la police alors qu’elle l’interrogeait.

[15]           Toutefois, le demandeur mentionne que la décision contestée laisse entendre qu’il était associé à trois individus, alors qu’il dit que son association se limitait à l’individu « A ». Le demandeur fait valoir qu’une telle association erronée rend l’ensemble de la décision déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis. Il est évident que la déléguée du ministre mentionnait ces associations simplement en raison de leur participation conjointe au stratagème lié à l’importation. En outre, à la lecture des motifs au dossier, il est manifeste que la décision ne reposait pas sur les associations entretenues par le demandeur.

[16]           Le demandeur conteste également l’énoncé selon lequel il avait eu des conversations avec un individu impliqué dans l’opération de contrebande de drogue, après le jour de la saisie. Il soutient [traduction] « qu’aucun élément de preuve ne démontre qu’[il]avait été en contact avec l’individu “A” après avoir déplacé les boîtes ». C’est tout simplement inexact. Le rapport de VAC du 22 janvier cite ce qui suit :

[traduction]
La police vous a demandé si vous deviez appeler l’individu « A » après avoir replacé les boîtes dans la zone sécurisée pour l’informer que les boîtes étaient de nouveau à leur place. Vous avez répondu [traduction] « qu’il vous avait peut-être appelé ».

[17]           J’ajouterais ici que cet examen phrase par phrase de la décision, auquel se livre le demandeur, n’est pas la manière appropriée de procéder à un examen du caractère raisonnable. Il n’appartient pas à la Cour de se substituer au ministre et de réévaluer la totalité de la preuve. La conclusion générale concernant l’application de la Loi et du Règlement tirée par la déléguée du ministre constitue l’élément d’importance capitale pour le contrôle de la décision contestée en l’espèce. Elle n’était pas chargée de trancher en vertu d’une norme si le demandeur avait en effet participé sciemment au stratagème lié à l’importation de drogue. Bien que le demandeur ait nié dans son affidavit s’être confessé à la police, il n’était pas déraisonnable de la part de la déléguée du ministre de retenir, comme rapporté par la police, que le demandeur avait avoué sa participation dans l’opération de contrebande, bien qu’il ait cru que les boîtes contenaient des stéroïdes, lesquels sont également des substances illégales.

[18]           La norme de preuve qui doit être satisfaite pour permettre à Transports Canada d’annuler une habilitation de sécurité est énoncée par la Cour fédérale dans la décision Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 20 :

[...] Aux fins de la révocation d’une HST, la norme de preuve est beaucoup moins exigeante et ne requiert qu’un motif raisonnable de croire, selon la balance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile (ou aider toute autre personne à commettre un tel acte). Cette disposition comporte une appréciation de la réputation d’une personne ou de ses penchants (« sujette ou peut être incitée à ») et n’exige aucune preuve de la perpétration d’un acte d’intervention illicite : voir Fontaine, précitée, aux par. 78, 81 et 83. Ce que le directeur est tenu de faire est d’examiner le comportement d’une personne pour déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il est raisonnable de croire que celle‑ci peut commettre à l’avenir un acte d’intervention illicite touchant à la sécurité aéronautique. […]

[19]           Enfin, je note que la jurisprudence indique clairement que le ministre est en droit de se fonder sur des renseignements qu’il a reçus de la GRC pour déterminer s’il y a lieu d’annuler une habilitation de sécurité (Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, au paragraphe 41, confirmée par 2016 CAF 38). Bien que le demandeur ait fourni une nouvelle explication longue et contradictoire concernant sa participation dans le stratagème lié à l’importation d’héroïne, le compte rendu de la discussion de l’Organisme consultatif qualifie les explications fournies par l’appelant de très commodes et [traduction] « d’histoire inventée ». Ces conclusions et inférences ne sont pas déraisonnables. Il n’en reste pas moins que le demandeur a de fait aidé des criminels à importer de la drogue. Compte tenu de ces faits, lorsque chargée de procéder à l’évaluation prospective du risque, imposée par le régime législatif, la déléguée du ministre a conclu de manière tout à fait raisonnable que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Et à tout le moins, même si nous retenons, aux fins de discussion, que le demandeur ne faisait que [traduction] « rendre service » à un collègue, ce qu’il a effectivement fait était contraire aux politiques en matière de sécurité et justifiait clairement l’annulation de son certificat d’habilitation de sécurité, puisqu’il n’était pas fiable et manquait de jugement. Dans l’ensemble, la décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]           En l’espèce, le demandeur fait valoir que, peu importe le résultat, aucuns dépens ne devraient être adjugés à la partie ayant gain de cause, tandis que le défendeur cherche à obtenir des dépens de 2 000 $ en cas de rejet. Les dépens suivent normalement l’issue de la cause. Je ne vois aucune raison particulière d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens au défendeur. La somme demandée de 2 000 $ est raisonnable dans les circonstances.

[21]           Pour l’ensemble de ces motifs, la présente demande est rejetée avec dépens de 2 000 $ adjugés au défendeur.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens de 2 000 $, adjugés au défendeur.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2006-15

INTITULÉ :

ROBINDER SINGH SIDHU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

Le 2 août 2016

COMPARUTIONS :

Scott R. Wright

Pour le demandeur

Oliver Pulleyblank

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sutherland Jetté

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.