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Date : 20160804


Dossier : IMM-517-16

Référence : 2016 CF 897

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ERIKA SOFIA AYALA ESCALANTE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   Introduction

[1]                Erika Sofia Ayala Escalante est une citoyenne de la République du Salvador âgée de 30 ans. Elle a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’exécution (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L’agent a rejeté sa demande de sursis de la mesure de renvoi du Canada. Mme Escalante soutient que le risque auquel elle serait exposée à son retour au Salvador n’a jamais été pleinement évalué par un organisme compétent, et que l’agent aurait donc dû surseoir à la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) soit réalisée.

[2]               Pour les raisons qui suivent, j’ai conclu que la décision de l’agent était raisonnable et conforme au pouvoir discrétionnaire restreint conféré aux agents d’exécution par la Loi sur la protection des réfugiés et l’immigration, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Contexte

[3]               Mme Escalante et sa sœur ont quitté le Salvador le 24 juin 2012. Elles ont affirmé craindre pour leur vie parce qu’elles avaient reçu des menaces d’une femme nommée Martha Vasquez. Mme Vasquez avait acheté la maison de la famille Escalante en 2010, mais n’avait payé que le dépôt. Le père de Mme Escalante a engagé une procédure judiciaire contre Mme Vasquez pour récupérer le solde impayé. Selon Mme Escalante, Mme Vasquez était impliquée dans le trafic de drogue et le crime organisé, et a envoyé des hommes non identifiés et armés menacer la famille de Mme Escalante en représailles pour avoir fait des démarches pour intenter des poursuites en justice contre elle. Mme Escalante affirme qu’elle a échappé de justesse à une attaque armée dans une automobile en mai 2012.

[4]               Le 24 juin 2012, Mme Escalante et sa sœur ont fui vers les États-Unis dans l’intention de demander l’asile dans ce pays. Les autorités frontalières des États-Unis ont mis en détention Mme Escalante et sa sœur à leur arrivée. Après leur libération, le 13 juillet 2012, Mme Escalante et sa sœur sont venues au Canada. Elles ont présenté une demande d’asile le 26 juillet 2012.

[5]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a entendu les demandes d’asile de Mme Escalante et de sa sœur en mai 2015. Dans une décision rendue le 13 août 2015, la SPR a déterminé qu’elles n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. La décision de la SPR repose sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Plus précisément, la SPR a conclu qu’il y avait de nombreuses contradictions entre les allégations qu’elles ont faites aux États-Unis et celles qu’elles ont faites au Canada. La SPR a également souligné de nombreuses incohérences et invraisemblances dans leur témoignage.

[6]               Notre Cour a rejeté la demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la SPR de Mme Escalante le 2 décembre 2015.

[7]               Le 26 janvier 2016, l’ASFC a informé Mme Escalante que son renvoi du Canada était prévu pour le 6 février 2016.

[8]               Le 27 janvier 2016, la sœur de Mme Escalante a obtenu un report de son renvoi du Canada pour permettre le traitement d’une demande de parrainage conjugal présentée par son mari.

[9]               Le 29 janvier 2016, Mme Escalante a demandé que son expulsion soit reportée pour une période de six mois pour lui permettre de présenter une demande d’ERAR et une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[10]           À l’appui de sa demande de report, Mme Escalante a présenté des documents décrivant la forte incidence de la violence subie par les femmes au Salvador. Elle a dit qu’en tant que jeune femme non accompagnée retournant au Salvador, elle pourrait devenir une victime de « féminicide », un terme utilisé pour décrire la mise à mort de femmes simplement parce qu’elles sont des femmes. Mme Escalante a affirmé qu’elle avait perdu contact avec ses parents, et qu’il n’y avait pas de membres de sa famille immédiate qui pourraient lui offrir leur protection au Salvador.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[11]           L’agent a rejeté la demande de report du renvoi du Canada de Mme Escalante dans une décision datée du 2 février 2016. L’agent a examiné les documents présentés par Mme Escalante, mais a constaté qu’aucune information divulguée dans ces documents ne faisait état d’une menace précise à l’égard de Mme Escalante. En outre, l’agent a souligné que la SPR avait précédemment évalué tout risque auquel Mme Escalante pouvait être exposée en tant que femme revenant au Salvador. L’agent n’était pas convaincu qu’un manque de soutien au Salvador justifiait un report du renvoi de Mme Escalante. L’agent a fait remarquer que Mme Escalante était libre de prendre les dispositions nécessaires pour assurer sa sécurité et a également souligné que les membres de sa famille au Canada pourraient lui offrir un soutien financier afin de l’aider dans sa réinstallation.

IV.             Question en litige

[12]           La seule question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

V.                Analyse

[13]           Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de l’agent d’exécution de reporter le renvoi ou non et cette décision est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable (Tovar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 490, au paragraphe 14; Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25). Notre Cour ne doit intervenir que si la décision de l’agent d’exécution n’est pas justifiable, manque de transparence et d’intelligibilité, ou n’appartient à la gamme des issues possibles acceptables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[14]           Le paragraphe 48(2) de la LIPR stipule qu’un ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada. Les agents ont l’obligation d’exécuter la mesure de renvoi « dès que possible ». La mesure de renvoi peut être exécutée avant l’expiration de la période de douze mois de « l’interdiction relative à l’ERAR » décrite au sous-alinéa 112(2)(b.1) de la LIPR.

[15]           Un agent d’exécution n’a qu’un pouvoir restreint d’examen des demandes de report. Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, au paragraphe 48, [2001] 3 CF 682 [Wang], le juge Pelletier a conclu que « l’exercice de ce pouvoir doit être réservé aux affaires où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain... ». Tel qu’expliqué dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286, au paragraphe 45 [Shpati], « Les agents d’exécution disposent de peu de latitude et les reports sont censés être temporaires.... [ils] ne sont pas censés se prononcer sur les demandes d’ERAR ou de CH ».

[16]           Plus récemment, dans Wong c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 966, le juge Shore a établi que ce n’est pas le « devoir de l’agent d’exécution d’effectuer d’importantes évaluations du risque » lorsqu’il traite une demande de report de renvoi. Il a cependant fait remarquer que « de nouvelles situations qui comportent un risque accru ou lorsque les demandeurs pourraient être exposés à une menace à la sécurité personnelle, un risque de décès, des sanctions excessives ou un traitement inhumain justifieraient un report de renvoi dans des circonstances exceptionnelles » (au paragraphe 18, citant Toth c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1051, au paragraphe 23).

[17]           Mme Escalante soutient que les agents d’exécution doivent reporter le renvoi « lorsqu’il y a une nouvelle allégation de risque qui n’a pas déjà été évaluée », et lorsque le risque nouveau expose le demandeur à un risque de mort, de sanction extrême ou de traitements inhumains (citant Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774 [Atawnah]). Mme Escalante affirme que son incapacité à entrer en contact avec ses parents accroît le risque de persécution auquel elle est exposée et constitue un « changement important de sa situation ». Elle soutient qu’elle est maintenant une femme non accompagnée retournant au Salvador, et que ce nouveau risque n’a jamais été évalué.

[18]           Comme la juge Mactavish l’a observé dans Atawnah, la preuve sera difficile à apporter pour la plupart des demandeurs cherchant à faire reporter leur renvoi, car les risques qu’ils invoqueront auront déjà été examinés d’une manière approfondie par la SPR, ou par un agent d’ERAR, ou les deux. La preuve d’une importante évolution de la situation ou de l’apparition d’un risque entièrement nouveau sera donc en général requise pour que soit établie la nécessité d’un examen complet des risques. Toutefois, ceux dont les risques allégués n’ont jamais été examinés n’auront pas autant de difficulté à démontrer que les faits qu’ils invoquent constituent un risque nouveau. Lorsqu’un examen des risques n’a pas déjà été effectué, quasiment tout risque allégué par un tel demandeur pourrait être considéré comme « nouveau » (Atawnah, aux paragraphes 84 et 85).

[19]           Mme Escalante s’appuie sur la décision du juge Zinn dans Etienne c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2015 CF 415, au paragraphe 54 [Etienne] comme suit :

Le risque que l’agent d’exécution devait examiner ne se limitait pas à un « nouveau » risque, c’est-à-dire un risque soulevé après une décision relative à la demande d’asile ou après une autre instance. Les risques que l’agent d’exécution est également tenu de prendre en compte comprennent les risques qui n’ont jamais été examinés par un organe compétent.

[20]           Dans ce cas, l’agent a conclu que les documents présentés par Mme Escalante n’ont pas démontré qu’elle était exposée à une menace précise à son retour au Salvador. De plus, l’agent a constaté que la SPR avait déjà examiné le risque de violence envers les femmes au Salvador, selon l’extrait suivant de la décision de la SPR :

[traduction] Le tribunal a également examiné les trois rapports (ou lettres) présentés concernant les problèmes physiques et psychologiques des demanderesses ... L’un de ces documents fait également référence à une situation à laquelle les demanderesses pourraient être exposées si elles devaient retourner au Salvador, soit la violence envers les femmes, un élément pour lequel aucune allégation précise n’a été faite. Après avoir analysé tous les éléments de preuve, le tribunal estime que les demanderesses n’ont pas établi une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour au Salvador ou un risque pour leur vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités, selon la prépondérance des probabilités, si elles devaient retourner dans leur pays d’origine.

[21]           Mme Escalante soutient que cet extrait, en particulier les mots « un élément pour lequel aucune allégation précise n’a été faite », confirme que le risque auquel elle serait exposée, en tant que femme non accompagnée retournant au Salvador, n’a jamais été pleinement évalué par la SPR. Elle soutient que la SPR était tenue d’examiner tout motif de risque soulevé par la preuve, même si elle ne l’a pas expressément mentionné dans sa demande d’asile initiale (citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Nwobi, 2014 CF 520).

[22]           La demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR de Mme Escalante a été rejetée par notre Cour. La décision de la SPR n’est pas devant la Cour, et ne peut pas être attaquée indirectement dans la présente procédure. La décision de la SPR était définitive, et commande la déférence de l’agent (Shpati, aux paragraphes 41 à 45). L’agent n’a pas omis d’évaluer un « nouveau risque qui n’a pas été préalablement évalué par un organe compétent ». Au contraire, l’agent a fait preuve de déférence à l’égard de l’évaluation des risques précédemment menée par la SPR, comme il était tenu de le faire.

[23]           La jurisprudence sur laquelle s’appuie Mme Escalante peut être distinguée. Dans Atawnah, le bien-fondé des demandes d’asile des demandeurs n’a jamais été évalué par la SPR parce que leurs demandes avaient été réputées abandonnées. Dans Etienne, les risques initialement avancés par les demandeurs dans leurs demandes d’asile n’ont jamais été évalués parce qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur. À la fois dans Atawnah et dans Etienne, le bien-fondé des allégations de risque des requérants n’avait jamais été évalué du tout. Cela peut être mis en contraste avec le cas présent, où la SPR a examiné le bien-fondé des allégations formulées par Mme Escalante et sa sœur.

[24]           La SPR a explicitement reconnu le risque de violence envers les femmes au Salvador, un risque qui existait clairement au moment de l’audience de demande d’asile de Mme Escalante. Même si la demande de report de Mme Escalante avait été accordée, il est loin d’être évident que l’agent d’ERAR aurait eu compétence pour réévaluer ce risque, cette fois en gardant à l’esprit que Mme Escalante se retrouverait livrée à elle-même. Comme l’a fait observer le juge Rennie dans Narany c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 155, au paragraphe 7 :

Il est bien établi que l’ERAR n’est pas un appel ou un réexamen de la décision de la SPR. Vu l’alinéa 113a) de la LIPR, la décision concernant les conclusions tirées en rapport avec les articles 96 et 97 est définitive, sauf si des éléments de preuve montrent l’existence de risques nouveaux, différents ou supplémentaires que le demandeur n’aurait pas pu prévoir au moment de l’audience de la SPR [renvoi omis].

[souligné dans l’original]

[25]           Je suis convaincu que l’agent a examiné les risques formulés par Mme Escalante à l’appui de sa demande de report de renvoi du Canada, et raisonnablement conclu que les documents confirmant les taux élevés de violence et de « féminicides » au Salvador n’indiquaient pas que Mme Escalante était exposée à une menace précise. L’affirmation de Mme Escalante selon laquelle elle n’était plus en contact avec ses parents a également été examinée par l’agent, et a été jugée insuffisante pour justifier un report du renvoi. À mon avis, la conclusion de l’agent n’a rien de déraisonnable qui n’appartiendrait pas aux issues possibles acceptables.

VI.             Conclusion

[26]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-517-16

 

INTITULÉ :

ERIKA SOFIA AYALA ESCALANTE c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Jacques Despatis

 

Pour la demanderesse

 

Helene Robertson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacques Despatis

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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