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Date : 20160808


Dossier : IMM-2748-15

Référence : 2016 CF 902

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

PELLUMB MIKELAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision rendue le 29 mai 2015 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui a confirmé la décision rendue le 29 janvier 2015 par la Section de la protection des réfugiés (SPR). La décision rendue a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur pour le motif que ce dernier est exclu de la protection des réfugiés en vertu de l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention).

[2]               Je détermine que la demande doit être rejetée pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de l’Albanie qui a déménagé en Italie avec sa famille en 1996. En 2001, il a obtenu un statut temporaire en Italie et en 2010, il a obtenu le statut de résident permanent. En janvier 2013, le demandeur est retourné en Albanie pour visiter ses parents âgés. Après une série d’incidents liés au clan Babaj voisin en février 2013, le clan Babaj a déclaré une vendetta contre le demandeur et sa famille. Devant l’incapacité des autorités, des aînés et de la commune à régler la vendetta, le demandeur s’est enfui au Canada. Il est arrivé le 14 septembre 2013. Le demandeur n’est pas retourné en Italie, craignant pour sa sécurité en raison de la présence d’une grande collectivité albanaise en Italie; il ne pensait pas qu’il recevrait la protection de l’État.

[4]               Le ministre a informé par écrit la SPR que le 4 novembre 2013, le Rome Visa Post a confirmé la déclaration des autorités italiennes selon laquelle le demandeur est un résident permanent de l’Italie dont le permis est encore valide et n’expirera pas.

[5]               La SPR a confirmé la nationalité albanaise du demandeur. La SPR a conclu que les questions déterminantes étaient la crédibilité et l’exclusion, conformément à l’article 1E de la Convention. Parmi les réserves quant à la crédibilité, on retrouve le fait que lorsqu’il a soumis sa première demande d’asile, il n’a pas indiqué qu’il était un résident permanent de l’Italie. Environ un an après, il a présenté une déclaration modifiée indiquant sa résidence en Italie et qu’à son avis, il court un risque de préjudices graves en Italie. De plus, il n’a pas indiqué dans sa première demande qu’il est retourné en Albanie en janvier 2013 à partir de l’Italie. Le demandeur a blâmé les mauvais conseils d’un passeur. Même si la SPR a tiré une conclusion défavorable de sa crédibilité en raison de ces omissions, le demandeur soutient devant la SAR que la seule conclusion à laquelle la SPR est arrivée était qu’il est exclu en vertu de l’article 1E.

[6]               Selon la prépondérance des probabilités, la SPR a conclu que le demandeur était résident permanent de l’Italie au moment de l’audience et que ce statut était sensiblement semblable à celui des ressortissants italiens. À titre subsidiaire, la SPR a conclu que s’il avait perdu son statut en Italie, la perte aurait été volontaire, puisqu’il a séjourné à l’extérieur de l’Italie pendant une période de plus de 12 mois.

[7]               La SPR n’a pas mis en doute la crédibilité de la vendetta en Albanie. Cependant, elle a conclu que le demandeur a été exclu aux termes de l’article 1E de la Convention, en raison de son statut de résident permanent en Italie. La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État en Italie.

II.                Décision de la SAR

[8]               La SAR a examiné deux questions : (1) La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle est parvenue à la conclusion que le demandeur était exclu de la protection des réfugiés aux ternes de l’article 1E de la Convention? (2) La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle est parvenue à la conclusion que la protection de l’État disponible est adéquate en Italie?

[9]               La SAR a conclu que le demandeur a été exclu aux termes de l’article 1E de la Convention et il n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État en Italie. Pour tirer la conclusion de l’exclusion, la SAR s’est appuyée sur de nombreux documents, y compris le courriel datant du 4 novembre 2013 du Rome Visa Post, une réponse à la demande d’information récente, le document « Staying in Italy Legally » publié par le ministère de l’Intérieur et les renseignements sur le site Web de la police d’État de l’Italie. Après un examen attentif et une nouvelle analyse, la décision de la SPR a été confirmée.

[10]           Pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique pour la décision de la SPR, la SAR a suivi les indications dans l’affaire Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799. La SAR a indiqué qu’elle allait passer en revue tous les aspects de la décision de la SPR et arriver à sa propre conclusion sur la demande du demandeur. Pour les conclusions du SPR sur lesquelles elle n’est pas d’accord, la SAR substituera ses propres conclusions.

[11]           Après avoir décrit le contexte entourant la décision de la SPR, la SAR reconnaît que le demandeur a présenté différentes erreurs commises par la SPR, y compris l’omission de tenir compte de la meilleure preuve concernant son statut de résident permanent en Italie. La SAR a ensuite examiné les éléments de preuve, tiré ses conclusions et confirmé la décision de la SPR.

III.             Norme de contrôle

[12]           Le demandeur soutient que la bonne norme de contrôle des conclusions de la SAR est la norme de la décision correcte, étant donné qu’il n’y a pas d’audience orale. Cependant, puisque l’audience de cette affaire, au paragraphe 35 de l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel a confirmé que la norme de contrôle de la décision de la SAR est celle de la raisonnabilité. J’appliquerai cette norme.

IV.             Argumentation, analyse et conclusion

[13]           L’article 98 de la LIPR prévoit que la personne visée à l’article 1E de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. L’article 1E prévoit ce qui suit :

1E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

1E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

[14]           Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng], la Cour d’appel a tenu compte de l’article 1E. Elle a conclu que la date pertinente pour déterminer le statut aux termes de la Convention est la date de l’audience.

[15]           Dans l’affaire Zeng, la Cour a mentionné que l’article 1E vise à exclure les personnes qui n’ont pas besoin de protection. Il vise aussi à éviter la recherche du meilleur pays d’asile. Elle a également énoncé un critère à multiples volets que doit appliquer un tribunal comme la SPR pour déterminer si l’article 1E s’applique. La première partie du critère consiste à déterminer si le statut du demandeur est sensiblement semblable à celui des ressortissants du pays tiers. La SPR et la SAR ont conclu que le demandeur était un résident permanent de l’Italie à la date de l’audience. Par conséquent, elles ont déterminé que le demandeur est exclu aux termes de l’article 1E, en vertu de l’article 98 de la LIPR.

[16]            Le litige entre les parties est une question de fait, soit si, à la date de l’audience, le demandeur possédait le statut de résident permanent de l’Italie. La question de la disponibilité de la protection de l’État pour le demandeur en Italie fait également l’objet du litige.

[17]           Le demandeur a fui l’Albanie en janvier 2013. À la date de l’audience en octobre 2014, il avait quitté l’Italie depuis plus d’un an. Il y a eu beaucoup de confusion à l’égard de l’audience de la SPR sur le type de carte de résident du demandeur. Il a finalement convenu posséder un permis pour les résidents à long terme de la Commission européenne (CE). Selon le demandeur, la carte expire après son absence du pays pendant une période d’au moins 12 mois. À l’appui de cette allégation, il a présenté une lettre d’opinion rédigée par un avocat de Varèse, en Italie, à ce sujet.

[18]           Le demandeur affirme que la SAR n’aurait pas dû accorder davantage foi au courriel du 4 novembre 2013 de Rome Visa Post qu’à la lettre d’avis juridique qu’il a présenté. L’avis juridique constituait la meilleure preuve; l’opinion a été jointe au texte législatif et a été traduite en anglais. L’avis juridique était indiqué sur l’en-tête de la lettre de l’avocat, accompagné de ses renseignements personnels et de sa carte de membre du barreau. Le demandeur fait valoir qu’une erreur de droit a été commise lorsque la SAR a considéré l’avis juridique ni plus ni moins comme une opinion personnelle.

[19]           Le demandeur soutient que même si l’avis juridique n’était pas convaincant, il aurait dû au moins être suffisant pour réfuter la preuve prima facie soumise par le ministre dans le courriel daté du 4 novembre 2013. Pour ce qui est du courriel, le demandeur affirme qu’au moment de sa rédaction, son absence ne s’étendait qu’à une période de 10 mois; par conséquent, son statut n’avait pas expiré.

[20]           Le défendeur répond qu’il n’est pas surprenant que la SAR soit arrivée à la même conclusion que la SPR, étant donné que le demandeur n’a présenté aucune preuve à la SAR. Il souligne que lorsque la preuve prima facie de l’exclusion a été établie, le fardeau est inversé et le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau. Il affirme également qu’entre la date de l’audience de la SPR et la décision de la SAR, le demandeur aurait pu recueillir des éléments de preuve supplémentaires auprès des autorités pour confirmer l’expiration de son statut, mais il ne l’a pas fait.

[21]           À l’égard de l’avis juridique, le défendeur souligne que la lettre est très courte. Une petite partie seulement du texte législatif a été traduite et elle ne donne pas de contexte. La lettre ne donne pas de contexte non plus. L’opinion en soi se référait essentiellement au libellé du texte de loi; elle n’a donné aucun commentaire ou explication au sujet du processus ou de la référence à la jurisprudence. Il affirme qu’était donné l’ensemble de la preuve, y compris la réponse à la demande d’information qui indique que le statut pourrait être retiré et les renseignements sur le site Web de la police, la SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a penché pour les renseignements de la réponse à la demande d’information. Ces renseignements sont présumés fiables.

[22]           Le défendeur ajoute que l’Italie est un pays où la démocratie multipartite règne et que le demandeur a été incapable de prouver qu’il n’y serait pas protégé. Le demandeur prétend que les travailleurs étrangers sont victimes de discrimination et de harcèlement; cependant, il a habité en Italie depuis 1996 sans incident. Les conclusions relativement à la protection de l’État étaient raisonnables, puisque le demandeur n’a pas établi que la famille Bajaj habitait en Italie ou qu’elle y représentait une menace.

[23]           Le demandeur s’est appuyé sur le paragraphe 25 de l’affaire Qi-Xiao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 195 [Qi-Xiao] pour proposer que les déclarations des représentants, en l’espèce le site Web de la police, sont inacceptables étant donné qu’elles ne sont pas étayées par la preuve d’expert. Cependant, au paragraphe 28 de l’affaire Qi-Xiao, on reconnaît que [traduction] « la valeur accordée à la preuve d’expert est déterminée par le juge des faits et une conclusion d’un expert qui n’est pas expliquée et étayée de façon pertinente pourrait être jugée sans valeur ».

[24]           L’avis juridique est inadéquat. Il présente une conclusion, mais aucune analyse. Aucun raisonnement juridique et aucune jurisprudence ne sont mentionnés. Dans l’affaire Qi-Xiao, l’avis est qualifié de simple opinion pouvant être jugée sans valeur. Lorsque la SPR, puis la SAR, ont étudié la lettre de l’avocat par rapport aux documents et aux autres éléments de preuve liés aux cartes de résidence, elles ont raisonnablement préféré les autres éléments de preuve.

[25]           Quant à savoir si l’État offre une protection au demandeur en Italie, la SAR a conclu qu’aucune preuve ne réfute la présomption selon laquelle l’Italie est à même de protéger ses résidents. Le demandeur a reconnu devant la SPR qu’il n’a pas communiqué avec l’ambassade ou les autorités italiennes depuis son arrivée au Canada, car il craignait de retourner en Italie, et qu’il n’est pas retourné en Italie depuis le début de la vendetta, puisqu’il s’est dirigé directement vers le Canada. De plus, il ne savait pas s’il pouvait rétablir son statut de résident permanent en cas de perte. Les Albanais peuvent dorénavant entrer en Italie s’ils possèdent un passeport de l’Union européenne et le demandeur craignait que la famille Bajaj le localise et l’assassine. Sa femme et ses fils habitent en Albanie.

[26]           En fin de compte, le fardeau de prouver le bien-fondé de la cause selon la prépondérance des probabilités revient au demandeur. Le demandeur n’a pas réfuté la preuve prima facie de l’exclusion aux termes de l’article 1E de façon convaincante.

[27]           La SAR a analysé la preuve de façon détaillée, exhaustive et réfléchie. Elle est arrivée à une conclusion raisonnable. La SAR a même indiqué que si le ministre n’a pas prouvé la preuve prima facie de l’exclusion, la question du départ volontaire du demandeur de l’Italie pour retourner en Albanie, un facteur dans l’affaire Zeng, pose toujours un problème.

[28]           Malgré les arguments solides présentés par l’avocat du demandeur à la SPR, à la SAR et dans sa demande, le problème du demandeur réside dans le fait que ses preuves sont, au mieux, équivoques. Même si le demandeur n’est pas d’accord avec les conclusions de la SAR, le raisonnement et les résultats sont justifiables au regard des faits et du droit. Les motifs fournis permettent au demandeur de comprendre comment la SAR a tiré ses conclusions.

[29]           Il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la SAR et je ne réévaluerai pas les éléments de preuve pour prendre une décision en faveur du demandeur. La demande est en conséquence rejetée.

[30]           Aucune question sérieuse d’importance générale ne ressort de ces faits.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2748-15

 

INTITULÉ :

PELLUMB MIKELAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Howard C. Gilbert

 

Pour le demandeur

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard C. Gilbert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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