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Date : 20160809


Dossier : T-2025-15

Référence : 2016 CF 906

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

JOHN PRICE

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l’encontre d’une décision datée du 27 octobre 2015 [la décision] par laquelle le ministre du Revenu national [le défendeur ou le ministre] a refusé d’accorder au demandeur un allègement complet d’intérêts et de pénalités de 2005 à 2013 à l’égard de ses comptes personnels d’impôt sur le revenu et de TPS/TVH.

II.                CONTEXTE

[2]               Entre 1990 et 2013, le demandeur, un résident de Mississauga (Ontario), travaillait à son propre compte à titre de consultant.

[3]               Le demandeur a omis de produire sa déclaration de revenus dans les délais pour les années d’imposition 2005, 2006, 2009, 2011, 2012 et 2013.

[4]               Par une lettre datée du 12 décembre 2013, le demandeur a demandé, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) [LIR] et de l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 [LTA], un allègement des intérêts et des pénalités imposés à l’égard du non-respect de ses obligations de 2005 à 2013 à la suite d’une série d’événements extraordinaires [demande au premier palier]. Ces événements comprennent plusieurs problèmes de santé personnels et tragédies familiales :

         2005 : sa belle-mère reçoit un diagnostic de cancer du sein;

         2005 : sa femme subit une appendicectomie et est hospitalisée pendant deux mois;

         2006 : son père reçoit un diagnostic de maladie de Parkinson;

         2007 : son père est admis dans un établissement de santé mentale gériatrique;

         2008 : son père est transféré dans un établissement de soins de longue durée;

         janvier 2009 : son beau-père subit une insuffisance rénale et passe cinq semaines à l’hôpital;

         27 avril 2009 : son fils de 14 ans fait une fugue et est admis dans une aile psychiatrique du service de pédiatrie après que la police a trouvé une note de suicide au domicile du demandeur;

         octobre 2009 : son père meurt de la maladie de Parkinson;

         2010 : sa belle-mère reçoit un diagnostic de cancer des poumons et montre des signes de démence;

         2011 : le demandeur a un taux élevé de cholestérol et un rythme cardiaque irrégulier;

         2012 : le demandeur subit une opération en raison d’une hernie double;

         avril 2013 : sa belle-sœur, et partenaire d’affaires, meurt d’un cancer en phase terminale.

[5]               Le demandeur s’est vu accorder un allègement partiel par l’Agence du revenu du Canada [ARC] pour des événements (notamment les problèmes de son fils) qui auraient pu raisonnablement avoir une incidence sur sa capacité à respecter ses obligations fiscales. Plus précisément, la pénalité imposée à l’égard de la déclaration de revenus pour la période se terminant le 31 mars 2009 qui devait être produite le 30 avril 2009 a été annulée par l’envoi d’une lettre de décision datée du 30 janvier 2015.

[6]               Le 20 mai 2015, le demandeur a présenté sa demande de contrôle judiciaire au deuxième palier [demande au deuxième palier] afin que l’ARC annule tous les intérêts et toutes les pénalités imposés de 2005 à 2013. En plus des circonstances énoncées dans sa demande au premier palier, le demandeur a prétendu que d’autres circonstances extraordinaires l’avaient empêché de respecter ses obligations fiscales :

         2014 : son fils est hospitalisé et reçoit un suivi psychologique dans un établissement de santé mentale pour adultes;

         janvier 2015 : son fils fait une tentative de suicide et s’inflige de graves blessures dont il n’est pas encore remis.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               Jennifer Noftall, une agente des services aux contribuables, a été chargée par l’ARC d’examiner la demande au deuxième palier et a recommandé d’accorder un allègement supplémentaire au demandeur à la suite du décès de sa belle-sœur et de sa belle-mère en avril et en mai 2013, respectivement. Les recommandations de Mme Noftall ont été adoptées par l’ARC, et le demandeur a été avisé par une lettre datée du 27 octobre 2015 que la pénalité pour production tardive de sa déclaration de revenus de l’année d’imposition 2012, les pénalités pour omission de produire une déclaration ainsi que l’arriéré d’intérêts à l’égard des déclarations pour les périodes se terminant le 30 juin 2013 et le 30 septembre 2013 avaient été annulés.

[8]               Cependant, aucun allègement n’a été accordé pour :

         Les intérêts imposés sur le compte personnel du demandeur de 2005 à 2013

         Les intérêts imposés sur le compte de TPS/TVH du demandeur durant les périodes se terminant du 31 mars 2005 au 31 décembre 2013

         Les pénalités imposées sur le compte de TPS/TVH du demandeur pour les périodes se terminant du 31 mars 2005 au 31 décembre 2008, la période se terminant du 30 juin 2009 au 31 mars 2013 et la période se terminant le 31 décembre 2013

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Le demandeur avance que ce qui suit est en litige dans la présente instance :

         Le ministre a-t-il commis une erreur en refusant d’exercer pleinement le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent le paragraphe 220(3.1) de la LIR et l’article 281.1 de la LTA et d’annuler les intérêts et les pénalités imposés sur les comptes personnels et de TPS/TVH du demandeur pour les années ou périodes allant de 2005 à 2013?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[11]           Les parties conviennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de révision des décisions discrétionnaires rendues en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR et de l’article 281.1 de la LTA est celle de la décision raisonnable. Voir les jugements Canada Agence du revenu c. Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 24 [Telfer]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30; ConocoPhillips Canada Resources Corp v. Canada (National Revenue), 2016 FC 98, au paragraphe 24.

[12]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[13]           Les dispositions suivantes de la LIR sont pertinentes en l’espèce :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of Penalty or interest

220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[14]           Les dispositions suivantes de la LTA sont pertinentes en l’espèce :

Renonciation ou annulation – intérêts

Waiving or cancelling penalties

281.1 (1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin d’une période de déclaration d’une personne ou sur demande de la personne présentée au plus tard ce jour-là, annuler les intérêts payables par la personne en application de l’article 280 sur tout montant qu’elle est tenue de verser ou de payer en vertu de la présente partie relativement à la période de déclaration, ou y renoncer.

281.1 (1) The Minister may, on or before the day that is 10 calendar years after the end of a reporting period of a person, or on application by the person on or before that day, waive or cancel interest payable by the person under section 280 on an amount that is required to be remitted or paid by the person under this Part in respect of the reporting period.

Renonciation ou annulation – pénalité pour production tardive

Waiving or cancelling penalties

(2) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin d’une période de déclaration d’une personne ou sur demande de la personne présentée au plus tard ce jour-là, annuler tout ou partie des pénalités ci-après, ou y renoncer :

(2) The Minister may, on or before the day that is 10 calendar years after the end of a reporting period of a per son, or on application by the person on or before that day, waive or cancel all or any portion of any

a) toute pénalité devenue payable par la personne en application de l’article 280 avant le 1er avril 2007 relativement à la période de déclaration;

a) penalty that became payable by the person under section 280 before April 1, 2007, in respect of the reporting period; and

b) toute pénalité payable par la personne en application des articles 280.1, 280.11 ou 284.01 relativement à une déclaration pour la période de déclaration.

b) penalty payable by the person under section 280.1, 280.11 or 284.01 in respect of a return for the reporting period.

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

[15]           Le demandeur soutient que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et que le demandeur a le droit de renvoyer sa demande d’allègement des intérêts et des pénalités au ministre pour réexamen.

[16]           Premièrement, le demandeur allègue que le défendeur n’a pas examiné tous les documents. Par exemple, dans les deux documents d’information sur l’allègement pour les contribuables préparés pour le compte personnel d’impôt sur le revenu et le compte de TPS/TVH, il était indiqué qu’aucun document médical à l’appui n’avait été fourni par le demandeur. Le demandeur affirme avoir fourni les documents suivants avec sa demande d’allègement des intérêts et des pénalités au premier palier, et que les commentaires de l’ARC révèlent qu’ils n’ont pas été examinés :

a)      Documents prouvant que sa belle-mère a été hospitalisée en mai 2013;

b)      Documents prouvant que sa femme a subi une appendicectomie;

c)      Documents prouvant que le demandeur avait un taux élevé de cholestérol et un rythme cardiaque irrégulier;

d)     Documents prouvant que le demandeur a subi une opération en raison d’une hernie double.

[17]           Selon le demandeur, cette erreur n’a pas été corrigée par l’ARC à l’étape de la demande au deuxième palier, car il n’est pas reconnu dans les notes de l’ARC que ces documents ont été fournis par le demandeur.

[18]           Le demandeur soutient qu’il est déraisonnable pour l’ARC d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités imposés sur son compte de TPS/TVH, mais pas sur son compte personnel d’impôt sur le revenu. En outre, aucune explication n’a été donnée dans les documents d’information sur l’allègement pour les contribuables sur la raison pour laquelle un allègement des intérêts a été accordé pour un compte, mais pas l’autre.

[19]           À la suite de la demande au premier palier, l’ARC a accordé au demandeur un allègement des pénalités imposées sur son compte de TPS/TVH pour production tardive pour la période se terminant le 31 mars 2009 en raison de la disparition de son fils durant un certain temps en avril 2009. Le demandeur a également obtenu un allègement des intérêts et des pénalités imposés en raison du décès de sa belle-mère et de sa belle-sœur. Le demandeur affirme que les événements sont tous aussi affligeants et perturbants et qu’il était déraisonnable pour le ministre de ne fournir aucune explication sur les raisons pour lesquelles le décès de la belle-mère et de la belle-sœur du demandeur, mais pas la disparition de son fils, justifiait un allègement. Un allègement des intérêts devrait être accordé pour toute période durant laquelle le ministre juge que le demandeur n’a pas pu, en raison de circonstances hors de son contrôle, respecter ses obligations fiscales.

[20]           Enfin, le demandeur soutient que l’ARC n’a pas accordé l’importance nécessaire aux circonstances extraordinaires du demandeur. Les documents d’information de l’ARC pour les demandes au premier et au deuxième palier révèlent qu’une trop grande importance a été accordée aux antécédents du demandeur en matière d’observation et aux questions de savoir si un équilibre pouvait exister, si des acomptes provisionnels avaient été faits et si les déclarations de revenus avaient été produites dans les délais.

[21]           Dans une affaire similaire, la Cour a conclu que le refus de l’ARC d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités était déraisonnable parce que l’ARC n’avait donné aucune explication quant à la raison pour laquelle on avait accordé plus de poids aux questions d’observation qu’aux circonstances extraordinaires de la demanderesse : Carter-Smith c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1175. De même, en l’espèce, il n’a pas été expliqué pourquoi on avait accordé plus de poids aux questions d’observation qu’aux circonstances du demandeur. Cela était irrationnel et, si les questions avaient été adéquatement pondérées, le demandeur allègue que l’ARC aurait probablement accordé un allègement plus important que celui accordé.

B.                 Défendeur

[22]           Le défendeur affirme que l’ARC a examiné adéquatement les observations du demandeur, y compris les documents fournis. À la suite de la demande au premier palier, l’ARC a examiné les documents du demandeur et a jugé que, mis à part ceux portant sur le fils du demandeur, les documents ne constituaient pas des [TRADUCTION] « renseignements médicaux justificatifs » et qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucun document précis pour étayer les demandes du contribuable ». On ne peut accorder un allègement fiscal uniquement parce que la personne fait face à des circonstances extraordinaires; les circonstances doivent l’empêcher de respecter ses obligations fiscales. Dans la mesure où un événement malheureux se produit, on s’attend à ce que la personne prenne des dispositions appropriées pour s’assurer de produire ses déclarations et d’envoyer ses versements dans les délais prescrits. Selon le défendeur, le demandeur ne tient pas compte du témoignage fait sous serment de Mme Noftall, dans lequel cette dernière a déclaré que son examen était fondé sur un examen des demandes au premier et au deuxième palier, et il fait complètement abstraction du fait que Mme Noftall a précisément demandé au demandeur de lui fournir des renseignements supplémentaires sur les raisons pour lesquelles les événements invoqués l’empêchaient de respecter ses obligations fiscales. Aucune nouvelle information n’a été fournie.

[23]           En outre, le défendeur soutient que l’allègement accordé par l’ARC visait précisément les circonstances du demandeur. Faisant référence aux allégations du demandeur, le défendeur affirme que l’observation de ce dernier selon laquelle l’ARC a commis une erreur en accordant un allègement à l’égard d’un compte et non pas à l’égard du compte correspondant est sans fondement. L’allègement accordé n’était pas incompatible, mais était plutôt soigneusement adapté aux circonstances extraordinaires du demandeur. Par conséquent, un allègement différent a été accordé concernant les différentes omissions du demandeur de respecter ses obligations fiscales en fonction des circonstances de chaque cas.

[24]           Le défendeur affirme que l’allègement reposait sur la décision de l’ARC d’accepter que le fait que d’avoir vécu deux décès (celui de sa belle-mère et de sa belle-sœur) en l’espace d’environ un mois avait peut-être eu une incidence sur la capacité du demandeur de respecter ses obligations fiscales en temps opportun. Aucun allègement n’était justifié concernant l’arriéré d’intérêts de 2012, car le demandeur n’avait pas versé l’impôt approprié avant le décès de sa belle-mère.

[25]           La décision d’annuler la pénalité pour production tardive imposée pour la période se terminant le 31 mars 2009, mais pas l’arriéré d’intérêts correspondant, n’est pas déraisonnable à la lumière de la décision d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités accordés à l’égard des périodes se terminant le 30 juin 2013 et le 30 septembre 2013. Ces événements visent différentes périodes et questions factuelles, et le demandeur n’a rien fourni pour étayer sa position selon laquelle ces périodes et questions devraient être traitées de la même façon. Plus particulièrement, la décision de l’ARC d’annuler la pénalité pour production tardive à l’égard de la période se terminant le 31 mars 2009 était fondée sur la disparition du fils du demandeur, qui est survenue le 27 avril 2009, soit après la fin de la période en cause. Même si la déclaration de revenus pertinente n’était pas due avant le 30 avril 2009, le demandeur aurait déjà eu les fonds de la TVH en sa possession au moment de la disparition, car il s’agissait de fonds fiduciaires. Le traitement des événements qui ont conduit à l’allègement de la TVH de 2013 (durant les périodes en cause) n’est pas incompatible avec le traitement par l’ARC d’un événement qui est survenu après la fin de la période de déclaration en cause.

[26]           Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas intervenir à la légère quant à la décision de l’ARC d’accorder du poids à un facteur en particulier, car cela est « au cœur de ce qui constitue l’exercice du pouvoir discrétionnaire » : Telfer, précité, au paragraphe 33. Le fait que l’ARC a accordé un allègement limité lorsqu’un événement pouvait être lié au non-respect d’un délai fiscal démontre qu’elle a adéquatement tenu compte des circonstances du demandeur.

VIII.       ANALYSE

[27]           L’ARC a accueilli en partie la demande d’allègement présentée par le demandeur le 12 décembre 2013. Elle a convenu que les problèmes qu’a connus le fils du demandeur en avril 2009 pouvaient raisonnablement avoir empêché le demandeur de produire sa déclaration de TPS/TVH pour la période se terminant le 31 mars 2009, qui était due pour le 30 avril 2009.

[28]           L’ARC a également accueilli en partie la demande au deuxième palier présentée par le demandeur le 20 mai 2015, laquelle était fondée sur des renseignements supplémentaires concernant les circonstances extraordinaires de 2013. Mme Noftall a recommandé un allègement supplémentaire en raison du décès de la belle-sœur du demandeur en avril 2013 et de sa belle‑mère en mai 2013. Mme Noftall a convenu que ces décès pouvaient raisonnablement avoir eu une incidence sur la capacité du demandeur de produire ses déclarations de revenus dues pour le 15 juin 2013.

[29]           Le reste de la demande d’allègement du demandeur a été refusé au motif que les événements sur lesquels le demandeur s’est fondé ne permettaient pas à l’ARC de raisonnablement conclure qu’ils auraient pu avoir une incidence sur sa capacité de respecter ses obligations fiscales.

[30]           Le demandeur affirme maintenant que la décision du ministre était déraisonnable pour trois raisons. Je vais aborder chacune de ces raisons séparément.

A.                Défaut d’examiner les documents

[31]           Le demandeur soutient que l’ARC n’a pas examiné tous les documents qu’il a fournis :

[traduction]
14.       Dans le document intitulé « Taxpayer Relief Fact Sheet » (document d’information sur l’allègement pour les contribuables), l’auteur indique que les circonstances du demandeur étaient malheureuses, mais qu’aucun document médical à l’appui n’a été fourni.

15.       Le demandeur a fourni les documents suivants, qui n’ont pas été examinés par l’ARC, en même temps que sa première demande d’allègement des intérêts et des pénalités :

a)    Documents prouvant que sa belle-mère a été hospitalisée en mai 2013;

b)    Documents prouvant que sa femme a subi une appendicectomie;

c)    Documents prouvant que le demandeur avait un taux élevé de cholestérol et un rythme cardiaque irrégulier;

d)   Documents prouvant que le demandeur a subi une opération en raison d’une hernie double.

16.       Les commentaires de l’examinateur de l’ARC selon lesquels aucun document n’a été fourni pour étayer les conditions médicales et la maladie indiquées par le demandeur révèlent que l’ARC n’a pas tenu compte de ces documents lorsqu’elle a examiné la première demande d’allègement fiscal du demandeur.

17.       L’ARC n’a pas corrigé cette erreur en examinant les documents soumis de nouveau par l’entremise de la demande au deuxième palier du demandeur.

18.       Dans le document d’information sur l’allègement pour les contribuables (compte personnel d’impôt sur le revenu et compte de TPS/TVH) préparé pour l’examen « au deuxième palier » du demandeur, l’auteur indique que l’allègement se limitait aux « documents reçus ». Là encore, l’ARC n’a pas accordé d’allègement ni reconnu que les documents avaient été soumis pour prouver l’hospitalisation de la belle-mère du demandeur, l’appendicectomie de sa femme et ses propres problèmes de santé. L’ARC n’aurait pas pu examiner les documents fournis, car ses propres notes ne reconnaissent pas qu’ils ont été remis à l’ARC.

[Notes de bas de page omises]

[32]           Le dossier n’appuie pas les assertions du demandeur à cet égard. Tous les documents soumis par le demandeur ont été examinés à l’étape de la demande au premier palier, et cette décision était fondée sur la conclusion voulant que seuls les documents portant sur le fils du demandeur aient pu appuyer une conclusion raisonnable selon laquelle les problèmes de son fils ont peut-être eu une incidence sur sa capacité de respecter ses obligations fiscales. C’est pour cette raison que l’ARC a conclu à l’étape de la demande au premier palier que les documents soumis, mis à part ceux portant sur le fils du demandeur, ne constituaient pas des [TRADUCTION] « renseignements médicaux justificatifs » et qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucun document précis pour étayer les demandes du contribuable ». Lorsque je passe en revue les documents soumis par le demandeur dans sa demande au premier palier, il est clair qu’on ne peut pas dire que les conclusions de l’ARC sont déraisonnables.

[33]           Il est aussi clair que l’examen de la demande au deuxième palier fait par Mme Noftall était fondé sur son examen tant de la demande au premier palier du demandeur que de la demande au deuxième palier. Elle l’affirme sous serment dans son affidavit, et rien dans le dossier qui m’a été présenté ne me permet de conclure qu’elle a négligé certains documents. Cela veut dire que si un document a été négligé à l’étape de la demande au premier palier, il a certainement été pris en considération à l’étape de la demande au deuxième palier, qui est la décision dont je suis saisi.

[34]           Il est également clair d’après le dossier qu’avant que Mme Noftall ne termine son examen de la demande au deuxième palier, elle a demandé au demandeur de lui fournir des documents supplémentaires pour étayer sa demande d’allègement, mais qu’il ne l’a pas fait. L’examen de sa situation personnelle dans la demande au deuxième palier indique ce qui suit :

[traduction]
Les documents fournis durant le premier examen n’étaient pas suffisants et, par conséquent, n’étayaient pas l’incapacité du contribuable à respecter ses obligations fiscales. Des messages ont été envoyés au contribuable et à son représentant le 10 août 2015 et, en date du 6 octobre 2015, aucune réponse n’avait été reçue.

Il est recommandé d’approuver partiellement la demande d’allègement du contribuable. Le contribuable a présenté une série de circonstances extraordinaires hors de son contrôle dans sa demande. Bien que des circonstances ne relevant pas du contrôle du contribuable aient été présentées, l’approbation des intérêts et des pénalités imposés s’est limitée aux documents reçus. Une demande de renseignements supplémentaires a été envoyée au contribuable et à son représentant le 6 août 2015, mais les renseignements demandés n’ont pas été reçus et, par conséquent, une décision a été prise en fonction des renseignements disponibles et des documents à l’appui.

[…]

Des messages ont été envoyés au contribuable et à son représentant le 10 août 2015 et, en date du 6 octobre 2015, aucune réponse n’avait été reçue. Sans les renseignements demandés, je suis dans l’impossibilité de juger que le contribuable n’était pas en mesure de respecter ses obligations fiscales prévues par la loi en raison de décès ou de maladies graves ou encore d’une détresse mentale ou émotionnelle.

[35]           Des termes semblables sont utilisés dans l’analyse de la situation du demandeur concernant la TPS/TVH.

[36]           Dans la présente demande dont je suis saisi, le demandeur a fait complètement fi de cet aspect de la décision et n’a fourni aucune raison pour expliquer pourquoi il n’aurait pas pu fournir de renseignements supplémentaires pour étayer sa demande. Les assertions du demandeur ne sont appuyées par aucun fait qui laisserait croire qu’un document important a été oublié.

[37]           Comme l’a avoué l’avocat lors de l’audience tenue devant moi, le demandeur soutient, à vrai dire, non pas que des documents ont été oubliés, mais que les documents qu’il a fournis étaient suffisants pour étayer sa demande d’allègement et qu’il était déraisonnable pour l’ARC de ne pas accueillir celle-ci. Un examen des documents en question révèle que le demandeur fait mention de circonstances extraordinaires, mais qu’il n’y a aucun fondement évident ni raisonnable à la prétention que ces circonstances l’empêchaient de respecter ses obligations fiscales. Par exemple, pour appuyer sa demande d’allègement des intérêts et pénalités au premier palier, le demandeur a soumis un article du Brampton Guardian, daté du 28 avril 2009, portant sur son fils qui était porté disparu, ainsi qu’un registre des visites à l’hôpital pour corroborer la disparition, puis l’hospitalisation de son fils. Il a également soumis des registres des visites à l’hôpital pour étayer l’appendicectomie de sa femme en 2005 et sa propre opération pour une double hernie en 2011. Ces documents, bien qu’informatifs en ce qui a trait au temps que lui et les membres de sa famille immédiate ont passé à l’hôpital sur une période de six ans, ne suffisent pas à appuyer la conclusion voulant que le demandeur ne puisse pas respecter ses obligations fiscales. Ils relatent simplement la chronologie des événements et ne décrivent pas le niveau de détresse mentale ou émotionnelle du demandeur.

B.                 Incohérence

[38]           Dans ses observations écrites, le demandeur a soulevé quelques incohérences, mais s’est désisté quant à certaines lors de l’audience et a avoué qu’il s’était trompé. Toutefois, il continue d’affirmer les incohérences suivantes qui, selon lui, rendent la décision déraisonnable :

a)      En ce qui concerne la TPS/TVH, il affirme qu’un allègement a été accordé à l’égard des pénalités en 2009, mais pas à l’égard des intérêts, tandis qu’en 2013, un allègement a été accordé à l’égard des intérêts et des pénalités;

b)      L’ARC a accordé un allègement de la peine pour production tardive à l’égard de son compte personnel pour l’année 2012 et pour les périodes de déclaration de la TPS/TVH se terminant le 30 juin et le 30 septembre 2013, mais aucun allègement n’a été accordé en 2012 ou en 2013 à l’égard des intérêts imposés sur son compte personnel.

[39]           Ces allégations d’incohérence nécessitent un examen des documents d’information. En ce qui concerne les années 2012 et 2013, le demandeur était tenu de payer son solde d’impôt sur le revenu au plus tard le 30 avril 2013, soit avant le décès de sa belle-mère en mai 2013. Par conséquent, aucun allègement n’était justifié concernant les intérêts imposés en 2012, car le demandeur n’avait pas versé l’impôt approprié avant le décès de sa belle-mère. La belle-sœur du demandeur est décédée en avril 2013, de sorte que lorsque le demandeur était tenu de faire un paiement, il devait faire face à un seul décès et non aux deux décès qui servaient de fondement à l’allègement des pénalités imposées.

[40]           La raison pour laquelle seules les pénalités ont été annulées et pas l’intérêt sur la déclaration de TPS/TVH de mars 2009 dans la lettre envoyée par l’ARC le 30 janvier 2015 à Philippe DioGuardi, le représentant du demandeur à ce moment-là, est la suivante :

[traduction]
Comme les fonds retenus en vertu de la LTA sont des fonds fiduciaires, les lois régissant le traitement de ces fonds sont nécessairement strictes. Par conséquent, les taxes sur les produits et services que vous percevez ne peuvent pas être utilisées pour financer les activités quotidiennes de l’entreprise.

J’ai examiné avec soin les faits et les circonstances particulières de l’affaire et j’en suis venu à la conclusion qu’un allègement partiel sera approuvé dans cette situation. D’après les documents fournis concernant [caviardé] la pénalité pour omission de produire une déclaration imposée sur le compte de TPS de votre client pour la période se terminant le 31 mars 2009 sera annulée, car la déclaration devait être produite durant cette période.

Cependant, les documents fournis ne justifient pas l’annulation des pénalités restantes et des intérêts imposés sur les deux comptes.

[41]           Le demandeur n’a pas établi que ces distinctions ne justifiaient pas raisonnablement le traitement différent dont il fait mention. Il s’agissait d’événements complètement différents, chacun ayant ses propres questions factuelles et ses propres délais. Le demandeur ne m’a pas donné de raison pour laquelle ces événements auraient dû être traités de la même manière.

C.                 Défaut d’accorder l’importance nécessaire aux facteurs pertinents

[42]           Le motif ultime sur lequel le demandeur fonde son assertion concernant le caractère déraisonnable de la décision est que l’ARC n’a pas accordé suffisamment d’importance à toutes ses circonstances particulières :

[traduction]
25.       Dans les documents d’information sur l’allègement pour les contribuables de l’ARC, lesquels ont été préparés pour la première demande d’allègement du demandeur ainsi que pour la lettre envoyée à ce dernier en réponse à sa première demande, l’ARC a accordé une trop grande importance aux antécédents du demandeur en matière d’observation (c.-à-d. si un équilibre pouvait exister, si des acomptes provisionnels avaient été faits et si les déclarations de revenus avaient été produites dans les délais).

26.       Les documents d’information sur l’allègement pour les contribuables de l’ARC préparés pour l’examen au « deuxième palier » du dossier du demandeur accordaient eux aussi une grande importance aux questions d’observation.

27.       L’ARC n’a pas expliqué, dans ses rapports internes ou ses lettres au demandeur, pourquoi les questions d’observation l’emportaient sur les circonstances extraordinaires du demandeur. L’ARC n’a pas accordé l’importance nécessaire aux circonstances extraordinaires du demandeur.

28.       Dans la décision Carter-Smith c. Canada (Procureur général), une autre demande de contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire de l’ARC à l’égard d’un allègement des intérêts et des pénalités, le tribunal de révision a conclu que le refus de l’ARC d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités était déraisonnable parce qu’elle n’avait pas expliqué, dans sa réponse, pourquoi les questions d’observation sur lesquelles elle s’était fondée l’emportaient sur les circonstances extraordinaires du demandeur. Le tribunal a écrit que la décision n’était pas étayée par des motifs capables de résister à un « examen assez poussé ».

29.       De même, en l’espèce, le demandeur a fait face à des circonstances extraordinaires (dont certaines n’ont pas été prises en considération par l’ARC parce que cette dernière a cru à tort que le demandeur n’avait pas fourni de document à l’appui), et l’ARC a accordé une trop grande importance aux questions d’observation pour justifier son refus d’accorder un allègement des intérêts et des pénalités, sans expliquer pourquoi les questions d’observation l’emportaient sur les circonstances extraordinaires du demandeur.

30.       Il n’était pas rationnel pour l’ARC de ne pas soupeser les circonstances extraordinaires du demandeur par rapport aux questions d’observation. Si l’ARC avait évalué les questions, elle aurait probablement accordé un allègement plus important.

[Notes de bas de page omises]

[43]           Rien au dossier ne permet d’étayer ces assertions qui sont fondées sur l’hypothèse erronée selon laquelle l’ARC n’a pas examiné les documents à l’appui fournis par le demandeur.

[44]           Dans la demande au deuxième palier, le représentant du demandeur a allégué précisément que les antécédents de celui-ci en matière de non-observation l’avaient emporté sur les circonstances et les documents fournis. L’analyse de la demande au deuxième palier énumère et évalue les facteurs qui, selon le demandeur, auraient dû donner lieu à une issue favorable. Ce sont ces facteurs qui ont entraîné l’approbation partielle de la demande au deuxième palier du demandeur. Le demandeur avait énuméré les circonstances extraordinaires hors de son contrôle, mais le problème était que le demandeur n’avait pas répondu à la demande de renseignements supplémentaires de l’ARC, de sorte que la décision a dû être prise « en fonction des renseignements disponibles et des documents à l’appui ». Étant donné le peu de renseignements et de documents fournis par le demandeur, on ne peut pas dire que les circonstances extraordinaires n’ont pas été prises en compte. De plus, l’ARC a, de toute évidence, pris en considération les circonstances extraordinaires (les problèmes liés au fils du demandeur et les deux décès) lorsqu’elle a accordé un allègement partiel.

[45]           Si les antécédents de non-observation l’avaient emporté sur tout le reste, le demandeur n’aurait pas eu droit à l’allègement partiel qui lui a été accordé.

D.                Conclusions

[46]           Je conclus que le demandeur n’a pas établi que la décision était déraisonnable pour les motifs qu’il a soulevés. Par conséquent, la Cour ne peut intervenir et la demande doit être rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2025-15

 

INTITULÉ :

JOHN PRICE c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Ian Yasko

Pour le demandeur

 

Laurent Bartleman

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dioguardi Tax Law

Mississauga (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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