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Date : 20160809


Dossier : IMM-773-16

Référence : 2016 CF 904

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

HARNEK SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de la décision datée du 2 février 2016 (la décision) par laquelle l’agent d’immigration (l’agent) du Haut-commissariat du Canada en Inde a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 45 ans. Il travaille en tant qu’agriculteur depuis plusieurs décennies en Inde, cultive des légumes, du blé et élève des bovins laitiers sur une ferme de 30 acres.

[3]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que membre de la catégorie de l’immigration économique, division des gens d’affaires, comme travailleur autonome, avec l’intention d’établir une bleuetière dans la région de la vallée du Fraser en Colombie-Britannique.

[4]               Le demandeur a été reçu en entrevue par l’agent des visas le 1er février 2016. L’entrevue s’est déroulée en pendjabi.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               Par une lettre datée du 2 février 2016, l’agent des visas a informé le demandeur qu’il ne remplissait pas les conditions nécessaires pour immigrer au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes.

[6]               L’agent des visas a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 100(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement) puisqu’il ne remplissait pas les conditions d’application de la définition du « travailleur autonome » énoncées au paragraphe 88(1). L’agent des visas n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention d’apporter une contribution significative à l’une des activités économiques énoncées dans la définition d’» activités économiques déterminées » du paragraphe. À l’entrevue, l’agent des visas estime que le demandeur ne connaissait rien des pratiques agricoles canadiennes et n’avait fait aucune recherche sur son projet d’entreprise agricole au Canada. De plus, le demandeur ne connaissait rien de sa destination et ne pouvait pas expliquer son plan d’affaires. L’agent des visas n’a pas été convaincu que le demandeur avait l’intention et la capacité d’acheter et de gérer une ferme au Canada.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[7]               Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1.      Dans les circonstances de l’espèce, l’agent des visas qui a rejeté la demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs autonomes a-t-il contrevenu au principe de l’équité en :

a.       ne notifiant pas le demandeur avant l’entrevue des allégations de fraude et d’appartenance à une organisation terroriste contenues dans les lettres reçues par Citoyenneté et Immigration Canada en 2011 et 2013 (lettres anonymes de dénonciation), et en ne lui donnant pas l’occasion de répondre à ces allégations;

b.      n’abordant pas à l’entrevue les allégations de fraude et de terrorisme des lettres anonymes de dénonciation, et en ne laissant pas le demandeur y répondre;

c.       ne prenant pas en compte que le consulat du Canada à Chandigarh n’avait pas permis au demandeur d’aller au Canada en visite exploratoire;

d.      n’acceptant pas les documents proposés par le demandeur à l’entrevue malgré le fait que c’était l’agent des visas qui avait demandé ces mêmes documents;

e.       utilisant les mots anglais [traduction] « stratégie de promotion » et en demandant au demandeur de les expliquer lors de l’entrevue menée en punjabi.

f.       ne tenant pas compte du fait que, dans l’impossibilité d’effectuer une visite exploratoire, le demandeur avait fait la meilleure chose possible en embauchant un expert agricole pour le guider dans son entreprise agricole au Canada;

g.      ne tenant pas compte du fait que, en dépit de ne pas avoir effectué une visite exploratoire au Canada, le demandeur avait entrepris une recherche suffisante pour lancer un projet agricole particulier fournissant de bons revenus et de bons emplois à des Canadiens et avait embauché un expert agricole pour s’assurer du bon fonctionnement de la ferme.

2.      Au vu des circonstances de l’affaire, sur le fond, la décision de l’agent des visas est-elle déraisonnable étant donné que l’agent des visas n’a pas examiné toute la preuve et le droit pertinents?

3.      Dans son argumentation, le demandeur soulève également des préoccupations relatives à la partialité.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[8]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[9]               Les deux premières sous-questions (1a et 1b) soulevées par le demandeur portent sur le fait de savoir si le demandeur aurait dû être informé des lettres versées à son dossier et avoir la possibilité d’y répondre. La sous-question 1e porte sur l’utilisation d’un terme anglais au cours de l’entrevue. Ce sont toutes des questions relatives à l’équité procédurale qui commandent l’application de la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Majdalani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, au paragraphe 15. La norme de la décision correcte sera donc utilisée pour analyser la première série de questions. Les questions soulevées aux paragraphes 1c, 1d, 1f et 1g portent sur le fait de savoir si l’agent des visas a négligé ou a fait fi des faits, et ne constituent pas des questions relatives à l’équité procédurale. Elles seront évaluées en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[10]           En ce qui a trait à la deuxième question, l’évaluation par un agent des visas d’une demande de résidence permanente est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Young, 2016 CAF 183, au paragraphe 7; Odunsi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 208, au paragraphe 13.

[11]           En tant que question relative à l’équité procédurale, les allégations de partialité seront examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43[Khosa]).

[12]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[13]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Cas de la demande parrainée

If sponsor does not meet requirements

(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.

(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.

Immigration économique

Economic immigration

12 (2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique « se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

12 (2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

[14]           Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes en l’espèce :

Définitions

Definitions

88 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

88 (1) The definitions in this subsection apply in this Division.

travailleur autonome Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

self-employed person means a foreign national who has relevant experience and has the intention and ability to be self-employed in Canada and to make a significant contribution to specified economic activities in Canada.

Travailleurs autonomes

Self-employed Persons

Qualité

Members of the class

100 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

100 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the self-employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self-employed persons within the meaning of subsection 88(1).

Exiges minimales

Minimal requirements

(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

(2) If a foreign national who applies as a member of the self-employed persons class is not a self-employed person within the meaning of subsection 88(1), the application shall be refused and no further assessment is required.

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

[15]           Le demandeur soutient que la décision de l’agent des visas était à la fois déraisonnable et injuste sur le plan procédural.

[16]           La conclusion de l’agent des visas selon laquelle le demandeur, qui a connu du succès pendant des années comme agriculteur, n’avait pas l’intention ou la capacité d’acheter et de gérer une exploitation agricole au Canada ne constitue rien de plus qu’une hypothèse. Le demandeur a démontré son intention et sa capacité à mener des activités agricoles au Canada de plusieurs façons : en travaillant sur sa demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs autonomes au cours des six dernières années; en fournissant de la preuve de son expérience et des capitaux disponibles, et par ses demandes de visa de visiteur, à deux reprises, pour faire une visite exploratoire; par l’embauche d’un expert agricole étant donné qu’il n’avait pas été autorisé à faire un voyage exploratoire; en acquérant la meilleure connaissance possible des activités agricoles dans la vallée du Fraser; et en apportant la preuve de son avoir net de plus de 800 000 $. Malgré le fait de s’être vu refuser une visite exploratoire au Canada, le demandeur avait fait ce qu’un travailleur autonome doit faire.

[17]           Le demandeur affirme que le bureau des visas avec lequel il a fait affaire à New Delhi avait refusé 95 % des demandes de la catégorie des travailleurs autonomes reçues, démontrant de la partialité à l’égard de ce type de demandes.

[18]           Notant que, dans l’affidavit de l’agent des visas, l’agent indique qu’il ne se souvient pas s’il a traduit les mots « stratégie de promotion » en anglais, le demandeur affirme que l’entrevue a pu être réalisée dans un mélange d’anglais et de pendjabi, ce qui lui a rendu plus difficile la tâche de répondre aux questions.

[19]           Le demandeur affirme qu’un agent des visas raisonnable aurait préalablement notifié le demandeur des allégations contenues dans les lettres de dénonciation anonymes et lui aurait donné l’occasion d’y répondre. Bien que l’agent des visas puisse avoir dit que ces allégations n’ont pas influencé sa décision, le demandeur prétend que l’agent des visas a gardé à l’esprit ces allégations, ce qui l’a empêché de prendre une décision raisonnable.

B.                 Défendeur

Le défendeur affirme que la décision de l’agent des visas et ses motifs détaillés dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) correspondent parfaitement à la norme requise de justification, de transparence et d’intelligibilité. L’agent des visas a raisonnablement conclu de l’entrevue que le demandeur connaissait peu de choses sur l’agriculture au Canada et avait fait peu de recherche sur le sujet ou sur l’emplacement prévu de sa nouvelle ferme.En ce qui concerne les lettres de « dénonciation anonymes », le défendeur affirme que ces lettres reçues par Citoyenneté et Immigration Canada en 2011 et 2013 contenaient des allégations de fraude et de fausses déclarations, et indiquaient que le demandeur faisait partie d’une organisation terroriste, qu’il avait déjà été en prison, et que ses documents d’emploi et d’éducation étaient frauduleux. Le défendeur fait valoir que rien n’indique que ces lettres aient eu quelque incidence que ce soit sur les questions de préoccupation de l’agent des visas dans sa décision ou l’aient influencé dans ses conclusions, lesquelles ont été tirées d’une entrevue en personne. Les compétences du demandeur comme agriculteur ont été acceptées et rien n’indique que l’agent des visas ait considéré le demandeur comme un terroriste, un ancien criminel ou quelqu’un soupçonné de fraude ou de fausses déclarations.

[20]           Le défendeur soutient que les lettres sont sans importance et n’ont eu aucune incidence sur les questions portées à l’attention de l’agent des visas. Il n’avait donc aucune obligation de les soulever avec le demandeur à titre de preuve extrinsèque : Karakulak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1996] A.C.F. no 1227, aux paragraphes 7 à 11; Tareen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1260, aux paragraphes 45 et 46 [Tareen]. L’argument du demandeur voulant qu’il ait été traité injustement dans ce processus n’a aucun fondement.

VIII.       ANALYSE

[21]           Le demandeur soutient que l’iniquité de la procédure, et son caractère partial et déraisonnable, constituent des questions susceptibles de révision. Je vais aborder chacun de ces arguments.

A.                L’iniquité de la procédure – Lettres anonymes de dénonciation

[22]           Le demandeur soutient que l’agent des visas ne lui a pas révélé l’existence au dossier de lettres anonymes de dénonciation et ne lui a encore moins donné la possibilité d’y répondre. Il affirme que [traduction] « tout être humain est susceptible de se laisser influencer par des allégations aussi draconiennes » et que « l’agent des visas n’a peut-être pas été consciemment (sic) influencé, mais cela l’a peut-être poussé à tirer une décision défavorable en trouvant ‘d’autres motifs’ ».

[23]           Comme en font état le dossier et l’affidavit de l’agent des visas, ce dernier n’était pas au courant des lettres anonymes de dénonciation au moment de l’entrevue ni plus tard, lorsqu’il a pris la décision de rejeter la demande. L’agent des visas n’a découvert l’existence de cette correspondance que lorsqu’il a préparé le dossier certifié du tribunal de cette demande de contrôle judiciaire, de sorte qu’il est clair que cette correspondance n’a pas, et n’aurait pas pu influer sur sa décision en aucune façon.

[24]           Le demandeur tente de trouver des contradictions dans l’affidavit de l’agent des visas, mais il n’y en a aucune. Le demandeur ne comprend tout simplement pas ce que l’affidavit énonce.

[25]           Si les lettres anonymes de dénonciation ne pouvaient avoir aucune incidence sur la décision, alors il ne peut y avoir eu iniquité procédurale du fait que l’agent des visas n’a pas porté la correspondance en question à l’attention du demandeur pour qu’il puisse la commenter. Voir Tareen, précité, aux paragraphes 45 et 46.

[26]           Agissant sagement, le demandeur a retiré ses allégations d’iniquité de la procédure à l’audience devant moi le 20 juillet 2016.

B.                 Impartialité

[27]           Le demandeur allègue que le bureau des visas de New Delhi fait preuve de partialité et affirme qu’il [traduction] « a refusé 95 % des demandes de la catégorie des travailleurs autonomes qui lui ont été présentées ». Il affirme en outre que :

[traduction] Ce pourcentage élevé de rejet indique le niveau de partialité à l’égard des demandes de la catégorie des travailleurs autonomes à New Delhi. Cet état de fait est particulièrement bien illustré par la présente demande où le demandeur avait le capital nécessaire, l’expérience nécessaire et avait fait le travail nécessaire en embauchant un expert de l’agriculture. Toute décision entachée de partialité ne peut être raisonnable et est en fait illégale.

[28]           Une décision défavorable n’est pas une preuve de partialité. Comme je l’expliquerai plus tard, la décision est tout à fait raisonnable eu égard à la preuve dont disposait l’agent des visas.

[29]           En ce qui concerne l’allégation relative au taux de rejet de 95 %, le demandeur affirme dans ses observations écrites que son [traduction] « information provient de statistiques du ministère de l’Immigration ». Des arguments et des affirmations ne sont pas de la preuve. Dans son affidavit, au paragraphe 10, le demandeur exprime son avis comme suit :

[traduction] Je crois fermement que j’ai eu l’impression que le Haut-commissariat du Canada à New Delhi était prédisposé à rejeter la demande de résidence permanente de la catégorie des travailleurs autonomes que je présentais. Par la suite, j’ai fait quelques recherches et découvert que ce bureau du Haut-commissariat du Canada à New Delhi en particulier refuse 95 % des demandes de la catégorie des travailleurs autonomes. Il s’agit d’un pourcentage astronomique qui révèle une partialité systémique, peut-être fondée sur des orientations stratégiques dictées par l’ancien gouvernement.

[30]           Aucun élément de preuve ne cite la source de ces renseignements statistiques, ou la nature de la recherche. Cette preuve est insuffisante pour étayer quelque allégation de partialité que ce soit. Voir Mohitian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1393, au paragraphe 13; Arthur c. Canada (Procureur Général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8.

[31]           Même si ces statistiques étaient fondées, elles ne constituent pas, en soi, une preuve de partialité ni même d’une crainte raisonnable de partialité. Nous ne connaissons pas le taux de rejet des autres bureaux des visas pour ce type de demande, et le taux élevé pourrait aussi bien tenir de la mauvaise qualité des demandes reçues, ce qui pourrait être interprété comme une prédisposition de la part de l’agent des visas impliqué dans le traitement de ces demandes.

[32]           Le demandeur n’a pas établi la partialité, ni même une crainte raisonnable de partialité.

[33]           Encore une fois, le demandeur a retiré ses allégations de partialité fondées sur un prétendu taux de 95 % de rejet à l’audience devant moi le 20 juillet 2016.

[34]           L’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent des visas n’a jamais accepté ni examiné la documentation mise à jour qu’il a apportée à l’entrevue est liée aux allégations de partialité. Ces allégations sont démenties par l’affidavit de l’agent des visas indiquant qu’il a bien accepté et examiné la documentation et par le fait que l’agent des visas a inclus les documents dans le dossier certifié du tribunal. Ainsi, une fois de plus, l’allégation du demandeur constitue une accusation sans fondement qui n’est pas étayée par le dossier qui m’a été soumis. Le demandeur a retiré ses allégations voulant que l’agent des visas n’ait pas accepté sa documentation, mais affirme que l’agent des visas ne lui a posé aucune question à ce sujet, de sorte que cela fait maintenant partie de son argumentaire sur la décision manifestement déraisonnable.

C.                 Caractère raisonnable

[35]           Le demandeur avance plusieurs arguments (certains d’entre eux, dans son affidavit, sont irrecevables) pour tenter de persuader la Cour que la décision est déraisonnable. Certains des arguments, comme le fait qu’il n’ait pas pu faire de visite exploratoire au Canada, ne sont tout simplement pas pertinents à la décision que l’agent des visas avait à rendre en vertu de la Loi et des paragraphes 88(1), 100(1) et 100(2) du Règlement.

[36]           À d’autres moments, le demandeur conteste certaines parties du résumé de l’agent des visas relatant le déroulement de l’entrevue. La version de l’agent des visas de ce qui a été dit et fait figure cependant dans les notes du SMGC qui ont été consignées dans le système peu après l’entrevue. La Cour a toujours dit que les notes du SMGC doivent être préférées à des affidavits qui ont été assermentés à une date ultérieure. Cela s’explique du fait que les notes sont contemporaines – ou presque – et que les agents n’ont aucun intérêt personnel à consigner des entrées inexactes. Voir Oei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CF 1re inst. 466, au paragraphe 43.

[37]           Le demandeur soutient également que l’agent des visas lui a posé des questions non pertinentes, mais là encore, le demandeur ne présente que des opinions. La lecture des notes du SMGC révèle que toutes les questions soulevées par le demandeur sont liées à son désir de s’établir comme agriculteur à Chilliwack et à l’expérience et aux fonds nécessaires pour ce faire. L’agent des visas a à raison conclu que le plan d’affaires était inexplicable et vague. Le demandeur semble reconnaître qu’il a peu d’expérience ou de connaissance de l’agriculture en Colombie-Britannique, mais semble penser que cela ne lui causera aucun préjudice parce qu’il sera en mesure de compter sur les autres. Le plan d’affaires qu’il a présenté ne révèle toutefois que des stratégies vagues, et le demandeur n’a rien fait pour les préciser ou les compléter lors de l’entrevue.

[38]           Même l’affirmation du demandeur voulant qu’il ait présenté [traduction] « une preuve concrète de son avoir net de plus de 800 000 $, ce qui était plus que suffisant pour acheter une ferme de seulement 500 000 $ » ne tient pas compte du fait que la somme de 500 000 $ ne constituerait qu’une mise de fonds, et non pas le prix total de la ferme, et que son relevé de la valeur nette n’indiquait qu’une valeur d’environ 35 000 $ en biens mobiliers sans aucune indication qu’il avait l’intention de vendre ses propriétés agricoles en Inde pour acheter une ferme au Canada.

[39]           Que l’agent des visas ait utilisé l’expression anglaise [traduction] « stratégie de promotion » – tel que cela apparaît sur le plan d’affaires – au lieu de le traduire en punjabi, n’est pas important. Au vu de toutes les questions posées, il était manifeste que le demandeur ne connaissait pas ou ne comprenait pas son propre plan d’affaires. Par ailleurs, le demandeur a démontré un degré zéro d’efficacité dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada.

[40]           Il ressort également des notes du SMGC que l’agent des visas a effectivement posé des questions au demandeur sur la documentation mise à jour qu’il a apportée à la réunion.

[41]           En bref, les motifs trouvés dans les notes du SMGC répondent aux normes requises de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. L’agent des visas n’était tout simplement pas convaincu que le demandeur avait l’expérience, les moyens, ou même l’intention, de s’engager de façon significative dans l’agriculture au Canada. On ne peut prétendre que la décision n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[42]           Dans la décision Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 856, la Cour a déclaré ce qui suit à ce propos :

[10]      L’agente des visas n’était pas convaincue que M. Sahota avait l’intention et la capacité d’être un travailleur autonome au Canada. Même s’il avait ce qu’elle a considéré comme un plan d’affaires exhaustif, il ne savait pas ce que cela voulait dire. Selon les notes de l’entretien, il ignorait quelles étaient les cultures que l’on pouvait exploiter en Ontario et où il avait l’intention de s’installer, et il n’était pas au courant de la géographie et des conditions climatiques. En outre, il avait acquis son expérience dans la culture du blé et du riz, et il avait maintenant l’intention de cultiver des fruits et des légumes. Sa seule expérience à cet égard était la culture de légumes destinés à sa propre consommation. Certains extraits de la lettre de décision - et des notes – de l’agente des visas sont douteux. M. Sahota semblait avoir des éléments d’actif suffisants, mais l’agente s’est souciée du fait que la plupart de ces éléments étaient de nature fixe, comme la ferme qu’il possédait en Inde, qu’il allait falloir vendre. Elle s’est souciée aussi du fait que M. Sahota n’était pas venu auparavant au Canada pour évaluer lui-même la situation.

...

[12]      Certes, le fait que M. Sahota ne soit pas venu auparavant au Canada n’a pas été fatal à sa demande, et je n’interprète pas de cette façon la décision de l’agente des visas. (Cheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2001] A.C.F. no 45 (QL), juge Dawson).

[13]      Dans Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2000] A.C.F. no 296 (QL), la juge Reed, notamment aux paragraphes 25 et 26, a statué qu’il n’est pas déraisonnable qu’un agent des visas analyse un plan d’affaires afin d’évaluer la connaissance qu’a le demandeur du milieu des affaires et de ce qu’il en coûte pour faire des affaires. Ces questions sont pertinentes pour évaluer le sérieux des intentions du demandeur ainsi que sa capacité de concrétiser ces dernières. Si le plan n’est pas réaliste ou s’il est excessivement vague, le demandeur ne répond probablement pas aux exigences auxquelles doit remplir un immigrant entrepreneur. Je ne fais pas de distinction simplement parce que M. Sahota se propose d’être un travailleur autonome. Il ferait quand même partie du groupe des gens d’affaires.

14        Dans la décision Shehada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 11, [2004] A.C.F. no 12 (QL), le juge Pinard, s’appuyant sur une jurisprudence antérieure, a fait remarquer qu’un manque de recherches au sujet de l’entreprise proposée pourrait justifier une conclusion que le plan n’était pas viable. Dans cette affaire-là, le demandeur avait eu la possibilité d’expliquer sa proposition d’affaires, mais il avait été incapable de le faire. La situation est la même en l’espèce.

[43]           La situation est la même en l’espèce.

[44]           Les procureurs conviennent qu’aucune question à certifier n’est soulevée par cette demande et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-773-16

 

INTITULÉ :

HARNEK SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Mir Huculak

 

Pour le demandeur

 

Mark E.W. East

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mir Huculak

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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