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Date : 20160705


Dossier : IMM-5273-15

Référence : 2016 CF 753

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JINDONG HUANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue le 21 octobre 2015 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, confirmant la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

II.                Contexte

[2]               La demanderesse, Jindong Huang, est une citoyenne de la Chine, qui craint d’être persécutée par le gouvernement chinois puisqu’elle ne s’est pas présentée à sa chirurgie de stérilisation, enfreignant ainsi la politique de l’enfant unique en vigueur dans son pays. Elle soutient avoir peur d’être stérilisée contre son gré si elle retourne en Chine.

[3]               La demanderesse a deux enfants. Son fils a reçu un diagnostic du syndrome de Gilles de La Tourette en 2006; Mme Huang et son mari ont eu une fille en 2010, après avoir obtenu la permission d’avoir un deuxième enfant en 2008.

[4]               Le 2 décembre 2014, la demanderesse a appris qu’elle était enceinte lors d’un examen de contrôle trimestriel, et elle a subi un avortement forcé. On lui a ensuite remis un avis de se présenter à une chirurgie de stérilisation, en plus d’une amende pour sa grossesse non planifiée.

[5]               La demanderesse et son mari se sont cachés le 10 décembre 2014, et ils ont été informés par des membres de leur famille que des agents de planification familiale avaient laissé un avis pour qu’ils se présentent tous les deux à une clinique de stérilisation.

[6]               La demanderesse a eu recours aux services d’un passeur pour l’aider à venir au Canada, mais son mari est resté caché puisqu’il n’avait pas de passeport.

[7]               L’audience sur la demande d’asile de la demanderesse a eu lieu au cours de deux séances, soit le 20 mai et le 29 juillet 2015. Dans la décision datée du 31 juillet 2015, la SPR a rejeté cette demande après avoir conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible (la décision de la SPR).

[8]               La SAR a confirmé la décision de la SPR en vertu de l’alinéa 111(1)a) de la Loi et a rejeté l’appel de la demanderesse (la décision). Elle a conclu que, si elle devait retourner en Chine, la demanderesse ne serait pas confrontée à une grave possibilité de persécution, de menace pour sa vie, de torture, de traitements ou de peines cruels et inusités.

[9]               Citant la décision de la Cour fédérale dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, aux paragraphes 54 et 55 [Huruglica (CF)], la SAR a indiqué qu’elle effectuerait une évaluation indépendante de la décision de la SPR pour en  arriver à sa propre conclusion quant à savoir si la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger, tout en faisant preuve de déférence par rapport aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[10]           La SAR a refusé la demande d’audience présentée par la demanderesse en vertu des paragraphes 110(3), (4) et (6) de la Loi puisqu’aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté à l’appui de l’appel.

[11]           La SAR a ensuite abordé l’allégation de la demanderesse selon laquelle la SPR a commis une erreur dans son analyse des services de passeur auxquels elle a eu recours. La demanderesse a témoigné devant la SPR qu’elle avait retenu les services d’un passeur pour se rendre au Canada puisqu’elle n’avait jamais voyagé auparavant. La SPR a souligné que la demanderesse a fourni ses passeports expirés (2006) et en vigueur lorsqu’elle a présenté une demande de visa au Canada, et que son passeport expiré indiquait que la demanderesse avait beaucoup voyagé. La SPR a rendu une conclusion négative quant à la crédibilité pour les motifs que :

a.       la demanderesse a témoigné qu’elle n’avait aucune connaissance du passeport expiré, même s’il contient trois différentes photos d’elle;

b.      la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait fourni qu’une seule photo au passeur, ce qui n’explique aucunement les trois différentes photos figurant dans le passeport, pour ensuite rectifier son témoignage en disant que le passeur a pris une photo d’elle.

[12]           [traduction] « Après son propre examen et sa propre évaluation des éléments de preuve », la SAR s’est dite d’accord avec la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse ne pouvait pas expliquer adéquatement l’existence du passeport expiré et le fait qu’il contenait trois différentes photos.

[13]           Cela accordait peu de poids à l’explication de la demanderesse disant que son passeport expiré n’était pas authentique puisqu’elle n’était pas en mesure de voyager en 2009 à cause de complications liées à sa grossesse. La demanderesse a fourni des dossiers médicaux pour elle et son fils lors de l’audience de la SPR, et la SAR a conclu qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elle puisse fournir des documents corroborant ces complications, à supposer qu’elles aient réellement eu lieu.

[14]           La SAR est d’accord avec la SPR en concluant que la demanderesse n’était pas crédible quant à l’existence du passeport expiré. La SAR a déterminé que le passeport était valide puisqu’il avait été accepté par les autorités canadiennes au bureau des visas en Chine, et par ailleurs justifié par les six visas pour différents pays et les timbres connexes, prouvant que les visas ont été utilisés.

[15]           La SAR n’était pas non plus d’accord avec la demanderesse que l’analyse et le refus par la SPR de ses éléments de preuve concernant sa grossesse, son avortement et sa stérilisation étaient déraisonnables.

[16]           La carte du service de contrôle des naissances de la demanderesse ne contenait aucun renseignement sur son examen du 2 décembre 2014, où elle soutient avoir appris être enceinte avant de subir un avortement forcé. La SPR a rejeté l’explication de la demanderesse comme quoi cette mention n’avait pas été inscrite puisqu’elle a dû subir un avortement immédiatement. De plus, la SAR a souligné que la carte détaille tous les autres examens de la demanderesse et cité des éléments de preuve documentaire pour appuyer le fait que cette carte est un document conçu pour consigner si une femme est enceinte ou non.

[17]           Après avoir mené son propre examen et sa propre évaluation des éléments de preuve, la SAR a conclu qu’il s’avère raisonnable de s’attendre à ce que l’examen de décembre 2014 figure sur la carte du service de contrôle des naissances. De plus, le manque d’information sur son examen vient miner ses allégations stipulant qu’elle s’est présentée à son rendez-vous du 2 décembre 2014, où elle a appris qu’elle était enceinte et, par conséquent, a subi un avortement forcé.

[18]           La SAR n’était pas non plus convaincue par l’argument de la demanderesse selon lequel le traitement d’autres documents par la SPR était déraisonnable.

[19]           À la lumière des conclusions défavorables concernant la crédibilité ci-dessus, la SAR a noté que la validité du certificat d’avortement a également été remise en question, et lui a accordé peu de poids pour les motifs suivants :

a.       La preuve documentaire indique que la falsification de documents est pratique courante en Chine.

b.      Le certificat d’avortement est un simple document ne comportant pas suffisamment de caractéristiques permettant de confirmer son authenticité, à savoir le fait qu’il a été généré à l’aide d’un logiciel de traitement de texte et qu’il ne comporte pas la signature ni le nom d’une personne ou un logo, et qu’il n’a pas été imprimé sur du papier à en-tête.

c.       Bien que la demanderesse ait fourni d’autres documents médicaux, elle n’a pas de certificat médical attestant qu’elle a subi un avortement ayant prétendument occasionné une hémorragie.

d.      La SAR n’était pas convaincue par l’argument de la demanderesse selon lequel le certificat d’avortement n’indiquait pas pourquoi l’avortement avait été effectué, compte tenu de son évidence, car il y a d’autres raisons ne s’incrivant pas dans les violations de la politique de l’enfant unique pour lesquelles une grossesse serait interrompue.

[20]           Selon l’ensemble de la preuve et la prépondérance des probabilités, la SAR a conclu que les allégations de la demanderesse voulant qu’elle soit tombée enceinte et qu’elle ait été forcée de subir un avortement en décembre 2014 n’étaient pas crédibles.

[21]           Pour les mêmes motifs de rejet de l’authenticité du certificat d’avortement, la SAR a aussi souligné le manque de caractéristiques prouvant l’authenticité des avis de stérilisation en leur accordant très peu de poids. Comme la grossesse et l’avortement n’étaient pas crédibles, l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle aurait reçu des avis de stérilisation à la suite de son avortement n’est pas crédible non plus, ni celle selon laquelle elle aurait été pourchassée par des agents de planification familiale. Ainsi, la demanderesse n’est pas à risque de stérilisation pour avoir enfreint la politique de l’enfant unique.

[22]           Enfin, la SAR a conclu que l’allégation de la demanderesse selon laquelle la SPR a manqué à l’équité procédurale en ne l’avisant pas des lacunes dans sa requête, plus précisément le fait qu’elle a omis d’inclure un affidavit de sa famille au sujet de l’avortement, manque de substance et de précision. Même s’il avait été préférable pour la SPR de soulever la question en litige concernant la demanderesse lors de l’audience, la SAR a fait remarquer que la demanderesse est en contact avec sa famille et qu’elle pourrait facilement faire parvenir des documents de la Chine. L’article 11 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, indique clairement que la demanderesse doit fournir des documents ou préciser les efforts déployés en tentant d’obtenir des éléments de preuve pour corroborer les éléments centraux de sa demande. La SAR souligne que l’avortement est un élément central de la demande de la demanderesse, et que les éléments de preuve fournis par la demanderesse à cet égard ont été abordés par la SPR lors de l’audience.

[23]           À la suite de son évaluation indépendante des éléments de preuve, la SAR a conclu qu’il n’y avait aucun manquement en matière d’équité procédurale qui aurait une incidence sur la décision finale puisque les affidavits attestant l’avortement auraient eu peu d’effet sur les résultats de cette décision.

III.             Question en litige

  1. La décision de la SAR était-elle raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[24]           La Cour d’appel fédérale a récemment clarifié dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica (CAF)] que la Cour doit examiner les décisions de la SAR selon la norme de la décision raisonnable.

V.                Analyse

A.                La décision de la SAR était-elle raisonnable?

[25]           La demanderesse soutient que la décision de la SAR, à savoir son analyse de l’authenticité des documents, est déplacée.

[26]           La demanderesse fait valoir que la SAR a essentiellement conclu qu’il est possible d’acheter n’importe quel document en Chine pour appuyer son rejet de tous les documents corroborants de la demanderesse. Elle a cependant ignoré les preuves documentaires de ce même pays lorsqu’elle a conclu que le passeport expiré était authentique et tiré une conclusion défavorable lorsque la demanderesse n’a fourni aucun document pour corroborer certains aspects de sa demande, notamment son incapacité de voyager en 2009 à cause de complications médicales. La demanderesse fait donc valoir que cette approche « ponctuelle » de picorage quant à l’analyse de documents est déraisonnable.

[27]           Au cœur de la décision de la SAR se trouve la conclusion que la demanderesse manquait de crédibilité en ce qui a trait aux nombreux documents et faits liés à sa grossesse, à son avortement et à sa stérilisation. En menant son analyse, la SAR s’est fondée sur la décision dans Huruglica (CF), précité. Cette décision a depuis été supplantée par Huruglica (CAF), précité, lorsque la Cour d’appel fédérale a déterminé que la SAR doit passer en revue les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte, en examinant attentivement la décision de la SPR avant de mener sa propre analyse du dossier pour déterminer si la SPR a commis une erreur (Huruglica (FCA), précité, aux paragraphes 78 et 103).

[28]           Nonobstant le renvoi par la SAR à Huruglica (CF), il est évident que la SAR a entrepris, comme il se doit, un examen selon la norme de la décision correcte, c’est-à-dire qu’elle a mené une évaluation indépendante et exhaustive de la décision de la SPR, en plus de prendre en considération l’ensemble de la preuve en évaluant les arguments de la demanderesse.

[29]           Même si la demanderesse est en désaccord avec l’évaluation par la SAR de la preuve documentaire, je suis d’avis qu’elle n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans son analyse ou son évaluation de la preuve.

[30]           La SAR a mené une évaluation détaillée des documents individuels déposés comme preuve. Il est donc raisonnable qu’elle soit arrivée à différentes conclusions concernant leur légitimité, compte tenu de leurs caractéristiques variées.

[31]           Elle a fourni des raisons transparentes et justifiables expliquant pourquoi le certificat d’avortement et les avis de stérilisation ont été rejetés parce qu’ils n’étaient pas authentiques. La SAR a d’abord cité la preuve documentaire du pays, établissant la prévalence et la disponibilité de documents frauduleux en Chine. Bien que cela ne signifie certainement pas que tous les documents provenant de la Chine seront frauduleux ou qu’ils devraient être présumés frauduleux, la SAR a également souligné qu’en plus des problèmes de crédibilité remettant en question l’avortement, à savoir s’il avait même eu lieu, le certificat d’avortement et les avis de stérilisation comportaient des caractéristiques qui pouvaient facilement être reproduites, c’est-à-dire que ces « documents très simples » sont générés à l’aide d’un logiciel de traitement de texte et ne comportent pas la signature ni le nom d’une personne ou un logo, et qu’ils n’ont pas été imprimés sur du papier à en-tête.

[32]           En évaluant le passeport expiré de la demanderesse, la SAR a fourni des motifs convaincants justifiant pourquoi elle considère ce document comme étant authentique. Non seulement les diverses caractéristiques du passeport appuyaient cette conclusion, notamment les trois différentes photos de la demanderesse et les six visas et les timbres des pays en question, mais il avait aussi déjà été accepté par les agents d’immigration canadiens comme étant authentique.

[33]           De plus, il n’est pas anormal pour la SAR de tirer des conclusions défavorables de l’incapacité de la demanderesse à fournir certains documents corroborants qui, selon la prépondérance des probabilités, sont considérés par la SAR comme étant déraisonnables, étant donné les autres éléments de preuve. La demanderesse a fourni des dossiers médicaux pour elle et son fils, démontrant ainsi sa capacité d’obtenir ces documents. Elle n’a pourtant pas fourni de preuves médicales qu’elle ne pouvait pas voyager en 2009 à cause de complications liées à sa grossesse, ni qu’elle a subi un avortement ayant prétendument occasionné une hémorragie.

[34]           Il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande. Il n’était pas déraisonnable que la SAR s’attende à ce que la demanderesse fournisse des éléments de preuve crédibles corroborant les allégations sur lesquelles repose sa crainte de persécution et sa demande d’asile.

[35]           Je ne vois aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. L’évaluation par la SAR des éléments de preuve est intelligible, transparente et justifiable, et que sa décision s’inscrit dans la gamme des issues raisonnables.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5273-15

 

INTITULÉ :

JINDONG HUANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Leonard Borenstein

Pour la demanderesse

Amy King

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leonard H. Borenstein

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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