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Date : 20160721


Dossier : IMM-257-16

Référence : 2016 CF 849

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JEAN FRANÇOIS ROBESPIERRE LAMOTHE

MARIE JOSETTE BOURGUIGNON

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               L’un des objets de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] est de veiller à la réunification des familles au Canada (voir alinéa 3(1)d)). Quant au régime législatif du parrainage d’un étranger, l’article 12 de la LIPR traite de l’admissibilité au parrainage d’un étranger dans la catégorie du regroupement familial; alors que l’article 13 de la LIPR traite du droit d’un citoyen canadien, résident permanent ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial, sous réserve de règlements, de parrainer un étranger.

[2]               L’article 87.3 de la LIPR donne un large pouvoir règlementaire au ministre en ce qui concerne la mise en place d’instructions sur le traitement du parrainage. Ce faisant, le traitement des demandes doit se faire de la manière, qui selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral (voir le paragraphe 87.3(2) de la LIPR). Le ministre peut donc donner des instructions prévoyant les conditions à remplir en vue du traitement des demandes ou lors du traitement de celles-ci (alinéa 87.3(3)a.1) de la LIPR) (voir les décisions Lukaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 8 [Lukaj] et Esensoy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1343 [Esensoy] pour un excellent survol du régime législatif en matière de parrainage).

II.                Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, à l’encontre d’une décision d’un représentant du ministre du Centre de traitement des demandes à Mississauga [CTD-M] refusant la réception de la demande de parrainage du demandeur ainsi que de traiter sa demande.

III.             Faits

[4]               Le demandeur, Jean François Robespierre Lamothe (73 ans), est citoyen d’Haïti et y résidait au moment du dépôt de cette demande d’autorisation et de contrôle judicaire.

[5]               Le 4 janvier 2016, le demandeur, par l’entremise d’un huissier de justice, a tenté de délivrer sa demande de résidence permanente sous le programme de parrainage des parents et des grands-parents.

[6]               Il appert de la lettre d’explication envoyée par le représentant du ministre, qui est gestionnaire de soutien des opérations au CTD-M, que la demande de parrainage du demandeur a été retournée au destinataire puisque l’huissier a refusé d’attendre en ligne, contrairement aux instructions ministérielles, afin qu’un accusé de réception soit fourni par un agent ou un officier du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.

[7]               L’huissier, préférant ne pas attendre en ligne, n’a fait que signifier la demande de parrainage au représentant du ministre au CTD-M. Conséquemment, la demande de parrainage a été renvoyée à son destinataire.

[8]               En contrôle judiciaire, le demandeur plaide que le représentant du ministre a arbitrairement refusé la demande de parrainage puisqu’il a fait une interprétation erronée de la LIPR et des directives. Subsidiairement, même si la demande n’avait pas été livrée en conformité aux instructions du représentant du ministre, la demande de parrainage aurait tout de même pu être ajoutée, à la fermeture des bureaux cette journée-là, aux autres demandes.

IV.             Point en litige

[9]               La Cour est d’avis que la seule question faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est de déterminer si le représentant du ministre a erré en refusant d’accepter la livraison de la demande de parrainage du demandeur.

V.                Analyse

[10]           Les parties sont en accord que la norme de la décision raisonnable est applicable au cas en l’espèce. La Cour note cependant que la jurisprudence n’est pas claire en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à l’interprétation ou à l’application par un représentant du ministre de la LIPR ou des règlements.

[11]           Dans Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 131 au para 13, le juge Alan S. Diner a résumé les différents courants jurisprudentiels :

[13]      Dans Qin, la juge Gleason a déterminé qu’elle était liée par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 339 [Khan] et Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 187 [Patel]), selon laquelle la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation du Règlement par un agent des visas. La juge Gleason a reconnu que la jurisprudence récente de la Cour suprême laisse entendre que la retenue judiciaire est de mise lorsque les décideurs administratifs interprètent leur propre loi constitutive. Néanmoins, elle a déterminé que les décisions Khan et Patel portaient directement sur la question et étaient, par conséquent, exécutoires

[12]           Néanmoins, comme c’était le cas dans Lukaj, ci-dessus, étant donné que la Cour peut rendre une décision sans avoir à trancher cette question, la Cour va s’abstenir de le faire. En l’espèce, peu importe si la norme de contrôle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable est applicable, l’interprétation et l’application du Guide par le représentant du ministre étaient bonnes en droit.

[13]           L’un des objets de la LIPR est de veiller à la réunification des familles au Canada (voir alinéa 3(1)d)). Quant au régime législatif du parrainage d’un étranger, l’article 12 de la LIPR traite de l’admissibilité au parrainage d’un étranger dans la catégorie du regroupement familial; alors que l’article 13 de la LIPR traite du droit d’un citoyen canadien, résident permanent ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial, sous réserve de règlements, de parrainer un étranger.

[14]           L’alinéa 14(2)e) de la LIPR permet la mise en place de règlements portant sur le parrainage. Ainsi, le cadre règlementaire du régime de parrainage est, notamment, discuté dans la Section 3 de la Partie 7 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] – voir spécifiquement les articles 130 à 137 du RIPR.

[15]           L’article 87.3 de la LIPR donne un large pouvoir règlementaire au ministre en ce qui concerne la mise en place d’instructions sur le traitement du parrainage. Ce faisant, le traitement des demandes doit se faire de la manière, qui selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral (voir le paragraphe 87.3(2) de la LIPR). Le ministre peut donc donner des instructions prévoyant les conditions à remplir en vue du traitement des demandes ou lors du traitement de celles-ci (alinéa 87.3(3)a.1) de la LIPR) (voir les décisions Lukaj et Esensoy, ci-dessus, pour un excellent survol du régime législatif en matière de parrainage).

[16]           En l’espèce, c’est ce que le ministre a fait avec la mise en place du Guide 5772 – Demande de parrainage pour parents et grands-parents [Guide 5772] qui prévoit des instructions quant à la procédure à suivre afin de présenter une demande de parrainage d’un parent ou d’un grand-parent. De plus, tel qu’il est expliqué dans l’affidavit du représentant du ministre, le Guide 5772 renvoie à une section intitulée « Centre d’aide » qui fournit davantage d’instructions quant au service de messagerie pouvant être utilisé ainsi que les modalités de livraison des demandes au CTD-M :

Les services de messagerie doivent détenir une lettre de transport et exiger la signature d’un employé du CTD-M afin de prouver que le colis a été livré et accepté, et ainsi fournir la date de livraison (pour que les clients puissent en faire le suivi).

Le CTD-M n’accepte pas les enveloppes ou les colis qui ne proviennent pas de services de messagerie, par exemple des entreprises de taxi qui tenteraient d’effectuer une livraison au centre.

[17]           Étant donné que le Guide crée un cadre procédural clair, net et explicite pour la réception des demandes de parrainage d’un parent ou d’un grand-parent au CTD-M, le demandeur pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la réception de sa demande soit traitée en conformité avec le processus prévu dans le Guide (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 RCS 559, 2013 CSC 36 au para 98 [Agraira]).

[18]           En l’espèce, il s’avère, selon la preuve non contredite, que le représentant du ministre au CTD-M a demandé au huissier engagé par le demandeur d’attendre en ligne afin de produire la lettre de transport et d’exiger la signature par un employé du CTD-M – tel que cela est prévu au Guide 5772. L’huissier, ne pouvant ou préférant ne pas attendre en ligne, a signifié la demande au représentant du ministre et a quitté les lieux sans obtenir la signature d’un employé du CTD-M.

[19]           Il appert aussi de l’affidavit du représentant du ministre, ainsi que de la preuve au dossier, que les instructions quant aux modalités de livraison des demandes de parrainage sont en place étant donné le quota de 5 000 demandes de parrainage acceptées – quota qui, par après, a été haussé à 10 000 demandes. Les instructions en place servent donc à assurer un traitement équitable des demandes afin que seules les dix mille premières demandes pouvant être acceptées, soient acceptées.

[20]           Malheureusement, pour le demandeur, bien qu’il ait pris les mesures nécessaires afin que sa demande de parrainage soit délivrée au CTD-M la première journée de la réouverture du programme de parrainage des parents et grands-parents, l’huissier a refusé de suivre les directives du représentant du ministre. Le représentant du ministre a donc refusé la réception de la demande de parrainage du demandeur. La Cour se voit donc obligée de comprendre les arguments du défendeur, mais elle considère que les conséquences d’un refus pareil devraient être considérées à cause des répercussions très graves pour un homme de 73 ans, qui aurait pu être accepté dans un programme spécial si les exigences purement techniques avaient été suivies, telles que demandées par le demandeur, à l’égard de la livraison des documents par un huissier.

[21]           Selon la discrétion du ministre, le résultat aurait pu être le contraire, où un homme de 73 ans aurait pu être considéré pour un parrainage des parents et grands-parents. La raisonnabilité nécessite un deuxième regard de la matière.

VI.             Conclusion

[22]           Sachant que ceci est un cas d’espèce selon les circonstances exceptionnelles, pour les raisons énoncées précédemment, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire du demandeur (Agraira, ci-dessus aux para 31, 51, 52 et 60).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit retourné pour une décision à la discrétion du ministre par laquelle la juridiction dans cette matière est tenue, étant donné les circonstances exceptionnelles dans ce cas d’espèce. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-257-16

 

INTITULÉ :

JEAN FRANÇOIS ROBESPIERRE LAMOTHE, MARIE JOSETTE BOURGUIGNON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Jean Robert Cadet

 

Pour la partie demanderesse

 

Lynne Lazaroff

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BBCHM, Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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