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Date : 20160722


Dossier : IMM-4340-15

Référence : 2016 CF 860

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2016

EN PRÉSENCE DE monsieur le juge Diner

ENTRE :

YUSSUF ABDIKADIR YUSSUF

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision rendue le 4 septembre 2015 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Dans cette décision, la SAR a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR concluant que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de la Loi. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est citoyen de la Somalie. Il a affirmé, devant la SPR, être natif de Mogadiscio. Il a également affirmé qu’il était un membre du clan Majerteen, une branche du clan Darod qui domine le territoire nord de la Somalie.

[3]               À Mogadiscio, le clan Hawiye est dominant. Le demandeur allègue qu’il était persécuté à la fois par le clan Hawiye et le groupe radical islamique militant Al-Shabaab. En 1995, il s’est enfui au Kenya avec son épouse et leurs enfants. Le demandeur a réussi à quitter le Kenya et s’est rendu aux États-Unis, où il a présenté une demande d’alise. Lorsque sa demande a été rejetée, il s’est déplacé au Canada et a présenté une nouvelle demande.

[4]               Le demandeur craint qu’il soit victime de persécutions de la part du clan Hawiye et du groupe Al-Shabaab s’il retourne en Somalie.

[5]               La SPR a entendu la demande du demandeur le 30 septembre 2013. La SPR a conclu, dans une décision rendue le 20 janvier 2014, que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Bosaso. Bosaso est une ville du Puntland, une région autonome dans le nord de la Somalie dont l’administration est principalement dirigée par le clan Majerteen.

[6]               Devant la SAR, le demandeur a soutenu que Bosaso ne constituait pas une possibilité de refuge intérieur viable, car, étant natif du sud de la Somalie, il ne serait jamais accepté dans le nord du pays. Le 30 mai 2014, la SAR a rejeté cet appel.

[7]               Le demandeur a alors demandé un contrôle judiciaire et, le 26 mai 2015, dans une décision non publiée – Yussuf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-5042-14 –, le juge Hughes a renvoyé le dossier à la SAR pour un nouvel examen en invoquant l’aspect déraisonnable des conclusions relatives à la possibilité de refuge intérieur. Plus particulièrement, en renvoyant le dossier pour un nouvel examen, le juge Hughes a formulé la question litigieuse comme étant celle de savoir [traduction] « si une personne qui est née et qui a grandi à Mogadiscio peut, même si elle fait partie du clan dominant à Bosaso, vivre en sécurité et poursuivre sa vie à Bosaso ou si le fait d’être native du sud du pays la condamne à être considérée comme une étrangère peu importe son appartenance au clan ».

[8]               Dans le nouvel examen qui s’ensuivit, la SAR s’est penchée exclusivement sur cette question. Ce nouvel examen fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.             Décision

[9]               La SAR a d’abord affirmé qu’elle effectuera un examen indépendant de la demande du demandeur, conformément aux directives du juge Phelan dans l’arrêt Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica], et qu’elle s’en rapportera à la SPR uniquement pour les questions de crédibilité ou lorsque la SPR jouissait d’un avantage semblable pour tirer ses conclusions (dossier du demandeur, page 9).

[10]           La SAR a ensuite décrit le critère pour déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur qui est tiré de l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 à la page 710 (C.A.F.) :

1)         La Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge intérieur et/ou que le demandeur d’asile n’y serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture.

2)         En outre, les conditions dans cette partie du pays envisagée comme PRI doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont propres au demandeur d’asile, d’y chercher refuge. (dossier du demandeur, pages 9 et 10)

[11]           La SAR a noté que le demandeur soutient qu’il ne serait ni accepté à Bosaso ni expulsé de la ville s’il tentait d’y trouver refuge.

[12]           La SAR a ensuite examiné les éléments de preuve documentaire et a constaté que, même si les autorités du Puntland avaient expulsé des Somalis venus du sud, rien n’indiquait que les expulsés comprenaient des membres du clan Darod. La SAR a également noté que certaines des personnes déplacées à l’intérieur du Puntland étaient des membres du clan Darod, mais que celles-ci avaient accès à une protection en vertu d’un xeer, un système de droit coutumier fondé sur l’appartenance à un clan.

[13]           Le demandeur soutient aussi qu’il ne serait même pas en mesure de se réinstaller au Puntland, car, selon les éléments de preuve documentaire, Puntland permet uniquement à ceux qui sont à la fois membres d’un clan local et anciens résidants de se réinstaller. Pour appuyer son argument, le demandeur a cité un passage du cartable national de documentation de la SPR sur la Somalie qui se lit comme suit : [traduction] « le Somaliland et le Puntland en général ne reprennent que les personnes qui étaient d’anciens résidents de ces régions et étaient membres des clans ou des sous-clans locaux » (dossier du demandeur, page 12).

[14]           La SAR a cependant noté deux autres passages du cartable national de documentation :

[traduction]

[...] la question de savoir si une possibilité de refuge intérieur existe au Puntland ou au Somaliland dépendra des circonstances du cas individuel, y compris la question de savoir si la personne appartient à un clan dominant ou minoritaire et si elle est native du territoire dans lequel elle souhaite se réinstaller.

[...]

[...] les autorités du Somaliland admettront uniquement les demandeurs d’asile déboutés retournant de pays européens qui sont natifs de leur territoire ou qui ont un lien étroit avec le territoire en raison de leur appartenance à un clan. (dossier du demandeur, pages 12 et 13)

[15]           À la lumière de ces passages, la SAR a conclu qu’il n’était pas nécessaire que les deux critères soient satisfaits pour qu’une personne se réinstalle au Puntland, mais que ces deux critères pouvaient être examinés.

[16]           Le demandeur a également fait savoir à la SAR qu’il avait entendu dans les médias et de la part d’autres réfugiés au Kenya que certains membres du clan Majerteen étaient expulsés du Puntland en raison de leur accent du Sud et que, n’étant pas natif du Puntland, il pourrait facilement être pris pour un migrant économique ou un agent d’infiltration du groupe Al-Shabaab. La SAR a cependant accordé peu de poids à ce témoignage, car il n’était pas corroboré par [traduction] « une grande quantité de documents [...] provenant de sources très réputées qui abordent la situation des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et l’expulsion des gens par les autorités du Puntland » (dossier de demande, page 13).

[17]           En ce qui concerne la crainte du demandeur d’être persécuté par le clan Hawiye et le groupe Al-Shabaab, la SAR a conclu que Bosaso était un lieu sans danger. Les éléments de preuve documentaire laissent entendre que le clan Hawiye et le groupe Al-Shabaab se trouvent tous les deux dans le sud et le centre de la Somalie et qu’ils n’ont aucune autorité ni aucun contrôle à l’intérieur du Puntland. La SAR a néanmoins reconnu qu’il y avait des informations faisant état d’actes de violence commis au Puntland par le groupe Al-Shabaab, mais le demandeur ne cadre pas avec le profil des cibles du groupe, à savoir les hommes d’affaires, les aînés, les agents d’exécution de la loi et les chefs religieux.

[18]           Le demandeur a aussi affirmé devant la SAR qu’il serait exposé à un risque dans les camps pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) au Puntland. Il a prétendu que de nombreuses PDIP appartiennent au clan Darod et, même avec la protection dont elles jouissent en vertu du xeer, elles vivent dans des conditions déplorables dans les camps pour PDIP – des conditions qui touchent toutes les PDIP, peu importe le clan.

[19]           La SAR n’était cependant pas convaincue, et a fait savoir que les éléments de preuve documentaire indiquaient que les PDIP étaient exposées à un risque de violations des droits de la personne [traduction] « en l’absence de protection et de soutien d’un clan ». Les camps ne sont peut-être pas une solution idéale, mais le demandeur n’a pas pu démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il fasse face à des persécutions si, comme l’a dit la SAR, il « retournait au Puntland » (dossier du demandeur, page 17).

[20]           Enfin, le demandeur fait valoir que, sans famille ni réseau de soutien au Puntland, il ne pourrait jamais s’établir dans la région. La SAR a reconnu ce défi, mais a précisé que les difficultés liées au déménagement ne sont pas des difficultés qui rendent nulle une possibilité de refuge intérieur dans toutes les circonstances. La SAR a également évoqué un élément de preuve documentaire portant sur la stabilité relative du nord de la Somalie et le fait que le demandeur appartient au clan dominant au Puntland.

[21]           La SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi qu’il serait exposé à un risque sérieux de persécution s’il se réinstallait au Puntland et que la possibilité de refuge intérieur à Bosaso était raisonnable. La SAR a donc rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR.

IV.             Norme de contrôle

[22]           Comme il a été mentionné précédemment, la SAR a décidé, conformément à l’arrêt Huruglica, de mener son propre examen des éléments de preuve produits devant la SPR. Ni l’une ni l’autre des parties n’a évoqué cet arrêt (sur la norme de contrôle) comme étant une question litigieuse avant ou pendant l’audience. En effet, les avocats des parties ont demandé un suivi auprès de la Cour au sujet de la publication après l’audience de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93. Encore une fois, les parties ont convenu que la sélection d’une norme de contrôle par la SAR ne posait aucun problème eu égard à la décision de la Cour d’appel fédérale, et je souscris à cet examen.

[23]           Par conséquent, les objections du demandeur portent uniquement sur le fond de l’examen de la SAR : plus particulièrement, l’examen des faits de la SAR et les conséquences juridiques de ceux-ci pour établir s’il existe une possibilité de refuge intérieur.

[24]           L’examen de l’évaluation de la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur menée par la SAR commande l’application de la norme de la décision raisonnable (Pidhorna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1, au paragraphe 20; Kurtzmalaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1072, au paragraphe 18). Notre Cour doit donc adopter une approche déférente et établir si la décision représente une solution acceptable et rationnelle qui est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.                Analyse

[25]           Le demandeur allègue que la SAR a commis de nombreuses erreurs dans son analyse de la possibilité de refuge intérieur. Toutefois, aucune de ces erreurs ne constitue une erreur susceptible de révision.

[26]           En premier lieu, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une [traduction] « grave méprise » en affirmant que le demandeur pouvait [traduction] « retourner » au Puntland alors qu’il n’y avait jamais habité (dossier de demande, page 85). Toutefois, comme le défendeur l’indique à juste titre, la SAR, dans son analyse, s’est fondée uniquement sur le fait que le demandeur est natif du sud de la Somalie et qu’il y avait habité. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une erreur importante et, quoi qu’il en soit, l’usage du mot [traduction] « retourner » par la SAR peut ne renvoyer qu’à la possibilité de [traduction] « retourner » en Somalie de façon plus générale.

[27]           En deuxième lieu, le demandeur fait valoir que la SAR a omis d’aborder le caractère [traduction] « réellement accessible » de la possibilité de refuge intérieur compte tenu des éléments de preuve démontrant clairement que les déplacements à l’intérieur de la Somalie sont limités par des forces armées, comme le groupe Al-Shabaab et autres, qui représentent un danger pour le demandeur. À ce stade, le demandeur cite l’arrêt Tahlil c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 817, dans lequel le juge Zinn a remis en cause la conclusion de la SPR selon laquelle un citoyen de la Somalie membre du clan Majerteen pourrait se rendre sans danger par avion au Puntland à partir de Mogadishu.

[28]           L’arrêt Tahlil se révèle cependant problématique pour le demandeur, car monsieur le juge Zinn a finalement maintenu la décision de la SPR, constatant qu’un transporteur aérien de Dubaï offre des vols internationaux vers Bosaso, ce qui fait en sorte que la possibilité de refuge intérieur soit raisonnable.

[29]           La même logique s’applique en l’espèce : tant que le demandeur peut se rendre à Bosaso sans devoir passer par Mogadishu, la possibilité de refuge intérieur est réellement accessible et, par ce motif, je conclus que la conclusion de la SAR est raisonnable.

[30]           En troisième lieu, le demandeur fait valoir qu’il est clair que seuls les anciens habitants sont autorisés à se réinstaller à Puntland, renvoyant à un document du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans le cartable national de documentation :

[traduction]

En ce qui concerne les demandeurs d’asile originaires de la région du nord de Galkayo (dans le Puntland), les lignes directrices de 2010 sur l’admissibilité des ressortissants somaliens (2010 Somalia Eligibility Guidelines) recommandent que les États fassent preuve de prudence au moment de décider du retour de personnes originaires du Puntland ou du Somaliland pour qui il n’a pas été déterminé qu’elles ont besoin de protection internationale. Le Puntland et le Somaliland ne recueilleront pas les Somalis qui ne sont pas en mesure de démontrer qu’ils sont originaires de ces territoires. Par conséquent, les personnes qui prétendent être originaires du Puntland ou du Somaliland et qui ne sont pas en mesure de le démontrer ne devraient pas être renvoyées dans ces régions.

[...]

Il y a un certain nombre de facteurs qui, pris ensemble, indiquent qu’une possibilité de refuge intérieur ou de réinstallation interne au Puntland ou au Somaliland n’est généralement pas disponible pour les personnes originaires du sud et du centre de la Somalie. Ceux-ci comprennent non seulement généralement des conditions de vie déplorables pour les personnes déplacées à l’intérieur de ces régions, mais, peut-être plus important encore, le fait que le Puntland et le Somaliland ne recueilleront pas les Somalis qui ne sont pas en mesure de démontrer qu’ils sont originaires de ces territoires. (dossier du demandeur, page 85)

[31]           Le demandeur précise que cette information provient d’un rapport qui n’est jamais directement mentionné dans la décision de la SAR malgré le fait qu’il se trouvait dans le cartable national de documentation. Selon le demandeur, ce type de référence sélective constitue une erreur susceptible de révision lorsque des éléments de preuve contraires ne sont pas abordés (arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425).

[32]           Ce que le demandeur a omis de prendre en considération, c’est que ce document s’intitule « Addendum 2010 UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Somalia, Relating Specifically the City of Galkacyo » [addenda aux lignes directrices de 2010 du HCR concernant l’admissibilité pour l’évaluation des besoins de protection internationale des réfugiés en provenance de la Somalie, plus précisément de la ville de Galkacyo] [non souligné dans l’original]. Cet addenda ne fait aucune mention de Bosaso. De plus, le passage cité par la SAR dans sa décision aborde directement les lignes directrices de 2010 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur l’admissibilité des ressortissants comme suit :

[traduction]

Dans les lignes directrices de 2010 sur l’admissibilité des ressortissants, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a considéré que les conditions généralement déplorables des personnes déplacées au Puntland et au Somaliland indiquent que la réinstallation à l’intérieur du pays n’est habituellement pas disponible pour les personnes du sud ou du centre de la Somalie. Il a également affirmé, toutefois, que la question de savoir si une possibilité de refuge intérieur existe au Puntland ou au Somaliland dépendra des circonstances du cas individuel, y compris la question de savoir si la personne appartient à un clan dominant ou minoritaire et si elle est native du territoire dans lequel elle souhaite se réinstaller. (dossier certifié du tribunal, p. 39).

[33]           La SAR s’est ensuite appuyée sur des éléments de preuve plus récents pour souligner le besoin d’un examen individualisé et n’a pas omis des renseignements contradictoires existants dans son analyse. L’analyse de la SAR a bel et bien comporté un examen individualisé. Le fait qu’un autre décideur n’est peut-être pas d’accord avec l’examen ou est parvenu à des conclusions divergentes ne signifie pas que le membre de la SAR a rendu une décision déraisonnable.

[34]           En quatrième lieu, le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur en concluant que le système du xeer pourrait offrir une protection suffisante contre les persécutions. Il ne s’agit pas d’un organisme d’application de la loi et le Puntland, en tant qu’entité infranationale, n’a aucune obligation internationale de protéger le demandeur. Autrement dit, il n’y a aucune protection de l’État pour le demandeur et le xeer ne satisfait pas aux normes requises d’une protection d’État. Le demandeur soutient en outre que la SAR n’a pas tenu compte de son observation selon laquelle le xeer ne s’applique pas aux personnes du sud.

[35]           Cet argument n’est pas convaincant. La SAR n’a jamais conclu que le système du xeer était suffisant pour remplacer une protection de l’État. Elle a plutôt affirmé que le système du xeer était un facteur pertinent dans l’évaluation des conditions auxquelles le demandeur ferait face à Bosaso.

[36]           En dernier lieu, le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la possibilité de refuge intérieur était raisonnable dans toutes les circonstances, citant l’arrêt Omar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 637, au paragraphe 10 :

Il existe plusieurs décisions récentes de la Cour fédérale qui remettent en question le caractère raisonnable d’une PRI lorsqu’une personne : vient d’un clan minoritaire ou ne peut établir son appartenance à un clan, et serait donc très visible; n’a jamais vécu dans la région qui offre une PRI et n’a pas non plus de famille là-bas; ne parle pas la langue; n’a pas vécu en Somalie pendant des années et n’a aucune expérience en tant qu’adulte là-bas; n’a aucune perspective d’emploi ou de résidence et a vécu pendant 10 ans en Amérique du Nord (voir les décisions Abdulla Farah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1149, 223 ACWS (3d) 183; Abubakar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 887, 67 FTR 313; Yahya, précitée). L’agent a ignoré en grande partie ces facteurs.

[37]           Bien entendu, il n’y a pas de jugement exécutoire, mais des indices d’une possibilité de refuge intérieur déraisonnable, la plupart desquels n’ont rien à voir avec la question litigieuse. De plus, la jurisprudence indique clairement que le seuil pour le critère du caractère déraisonnable pour une possibilité de refuge intérieur est élevé et exige que le demandeur produise « une preuve réelle et concrète [sic] » de l’existence de conditions dans la possibilité de refuge intérieur qui « mettraient en péril la vie et la sécurité [...] tentant de se relocaliser [sic] » dans cette région (arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 RCF 164, au paragraphe 15 (CAF)).

[38]           Lorsque le demandeur affirme, par exemple, que les conditions dans les camps de réfugiés pouvant être réétablis sont déplorables et, par conséquent, qu’il ne serait pas raisonnable de l’exiger à se réinstaller dans un tel camp, il ne tient pas compte de la conclusion de la SAR indiquant que [traduction] « [l]es éléments de preuve documentaire ne corroborent pas son assertion selon laquelle le clan dominant fait face à un risque de privation des droits de la personne » dans les camps de réfugiés. Cette objection, comme les autres soulevées par le demandeur, équivaut à une demande à notre Cour de réexaminer les éléments de preuve, ce que notre Cour ne peut pas faire dans le contexte d’un contrôle du caractère raisonnable. Il ne revient pas non plus à notre Cour de substituer sa propre conclusion ou celle d’un autre membre de la SAR ayant été tirée de façon raisonnable lorsque les mêmes faits lui sont présentés de nouveau.

[39]           Le juge Hughes a une autre fois renvoyé l’affaire pour un nouvel examen, en donnant à la SAR la directive d’examiner si le demandeur pouvait vivre en sécurité et poursuivre sa vie à Bosaso ou si le fait d’être natif du sud du pays le condamnerait à un sort différent. La SAR a tenu compte de cette directive et a examiné la question à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait. Je ne puis dire que la SAR a procédé d’une façon qui maquait d’intelligibilité, de transparence ou de bien-fondé ou que sa conclusion n’appartenait pas aux issues possibles acceptables.

VI.             Conclusion

[40]           Malgré les efforts concertés de l’avocat du demandeur, et ce n’est pas par manque de volonté de remuer ciel et terre dans cette décision, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.                   L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4340-15

 

INTITULÉ :

YUSSUF ABDIKADIR YUSSUF c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

Pour le demandeur

Sybil Thompson

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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