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Date : 20160721


Dossier : IMM-559-16

Référence : 2016 CF 848

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

ALEXIS MUKANYA KABUNDA

ANNIE BUBUANGA MAKITA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La détermination de l’identité d’un demandeur d’asile est primordiale à une demande d’asile étant donné la raison d’être du régime international de protection des réfugiés : la responsabilité d’un autre État n’est engagée que si la protection ne pouvait être fournie par le ou les pays de nationalité d’un demandeur d’asile. Voir à cet effet la décision Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward] au para 18 :

Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée. C'est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [TRADUCTION] "protection auxiliaire ou supplétive" fournie uniquement en l'absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135.

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], datée du 10 juin 2014, par laquelle ont été accueillies les demandes d’asile des défendeurs.

III.             Faits

[3]               Les défendeurs, Alexis Mukanya Kabunda [défendeur principal] et Annie Bubuanga Makita [défenderesse], ont déclaré être des citoyens de la République démocratique du Congo [RDC]. Le défendeur principal aurait été persécuté en RDC à cause de son implication politique auprès du parti congolais, l’Union pour la démocratie et le progrès social. La défenderesse, bien qu’elle ne soit pas membre de ce parti politique, aurait supporté le défendeur principal dans ses activités politiques. Les défendeurs ont fui vers l’Angola. Ils sont retournés en RDC après avoir été identifiés par les autorités angolaises. De retour en RDC, ils auraient été persécutés de nouveau. Les défendeurs ont alors fui la RDC pour les États-Unis.

[4]               Après un séjour de deux mois aux États-Unis, les défendeurs ont fait une demande d’asile, au poste frontalier de Saint-Armand, le 14 mai 2013, en raison de persécution subie sur la base de leurs opinions politiques. Ils se sont présentés au Canada avec des passeports angolais obtenus frauduleusement.

[5]               Dans une décision datée du 10 juin 2014, la SPR a trouvé que les défendeurs avaient témoigné « en général de manière fluide et spontanée, et sans contradictions ou incohérences importantes, quant à l’obtention de ces [passeports angolais obtenus illégalement] et des visas à l’intérieur de ceux-ci ». Suite à la première audience tenue devant la SPR le 12 juillet 2013, la représentante du ministre a déposé un avis d’intervention, signé le 5 septembre 2013, indiquant que l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] n’était pas satisfaite de l’identité des défendeurs. Une deuxième audience a donc eu lieu le 11 septembre 2013. Les défendeurs ont transmis à la SPR de nouveaux éléments de preuve pour corroborer leur identité ainsi que des soumissions additionnelles. Le 31 octobre 2013, la représentante du ministre a fait une demande auprès de la SPR pour qu’elle attende les résultats des vérifications effectuées par l’ASFC quant à l’identité des défendeurs avant de rendre sa décision. La SPR a rejeté cette demande et a rendu sa décision le 10 juin 2014.

[6]               Dans sa décision, la SPR a conclu que les défendeurs avaient présenté plusieurs documents (cartes d’électeur de la RDC, permis de conduire, attestations de naissance, attestation de résidence, attestation de composition familiale, acte de notoriété supplétif à un acte de mariage et autres documents scolaires) pour démontrer leur identité, et donc, qu’ils avaient démontré de manière satisfaisante leur identité en tant que citoyens de la RDC.

[7]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans une décision datée du 20 avril 2015, la SAR a confirmé la décision de la SPR.

[8]               Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Dans une décision datée du 27 octobre 2015 (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kabunda, 2015 CF 1213), la Cour a accordé la demande de contrôle judiciaire et ordonné que le dossier soit retourné pour une étude de nouveau par un autre panel. Cependant, fait non soulevé par les parties à l’affaire et inconnu de la Cour alors, la SAR n’avait pas compétence pour entendre l’appel en vertu de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR. Dans une décision datée du 19 février 2016, la SAR a rejeté l’appel pour défaut de compétence.

[9]               Le 5 février 2016, le demandeur a déposé, dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, une requête en prorogation de délai en vertu de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR. Le 3 mai 2016, par ordonnance, le juge Yvan Roy a autorisé la demande de contrôle judiciaire.

IV.             Analyse

[10]           Il est reconnu que la détermination de l’identité d’un demandeur d’asile est au cœur même de l’expertise de la SPR (Toure c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1189 au para 32 [Toure], citant Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 48).

[11]           La détermination de l’identité d’un demandeur d’asile est primordiale à une demande d’asile étant donné la raison d’être du régime international de protection des réfugiés : la responsabilité d’un autre État n’est engagée que si la protection ne pouvait être fournie par le ou les pays de nationalité d’un demandeur d’asile. Voir à cet effet la décision Ward, ci-dessus au para 18 :

Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée. C'est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [TRADUCTION] "protection auxiliaire ou supplétive" fournie uniquement en l'absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135.

[12]           Suivant ce principe, il est du devoir d’un demandeur d’asile, possédant la citoyenneté de plusieurs pays, de démontrer qu’il a une crainte raisonnable de persécution dans chacun des pays dont il a la citoyenneté ou peut obtenir la citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Williams, [2005] 3 RCF 429, 2005 CAF 126).

[13]           En l’espèce, le représentant du ministre a informé la SPR qu’il avait des doutes quant à l’identité des défendeurs, et a déposé une requête auprès de cette dernière pour qu’elle attende les résultats des rapports d’analyse de l’ASFC sur l’identité des défendeurs avant de rendre une décision. Cette demande a été refusée par la SPR puisque cette dernière trouvait que le représentant du ministre était vague quant aux vérifications et au délai demandé.

[14]           La jurisprudence spécifie à maintes reprises que la Cour doit faire preuve d’un niveau élevé de déférence envers les conclusions de la SPR quant aux préoccupations ou l’acceptation à l’égard de l’identité d’un demandeur d’asile; ceci est dans la mesure où la SPR donne des raisons suffisantes pour soutenir ces propos en fonction des renseignements pertinents qui ont été ou auraient dû être examinés pour résoudre la question primordiale de l’identité des demandeurs d’asile (Barry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 8 au para 19; Toure, ci-dessus).

[15]           Dans le présent cas, il appert que l’ASFC jouit d’une expertise et des moyens nécessaires afin de déterminer si des documents sont authentiques ou s’ils ont été altérés. Il appert aussi que le demandeur aurait pu agir avec davantage de diligence et informer la SPR des raisons de la nécessité des vérifications ainsi que du délai nécessaire afin de compléter le rapport.

[16]           La Cour, reconnaissant le devoir élevé de déférence envers la SPR et le rôle essentiel de l’identité d’un demandeur d’asile, arrive à la conclusion qu’il n’était pas raisonnable pour la SPR de refuser la requête du représentant du ministre d’attendre le dépôt du rapport sans, à tout le moins, obliger le représentant du ministre à un délai pour la remise du rapport. Reconnaissant le rôle essentiel de l’identité dans une demande d’asile, la SPR se devait donc de faire un examen en profondeur de l’identité des défendeurs.

[17]           Comme spécifié par la juge Judith A. Snider dans le jugement Shuaib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 596 au para 11 :

[11]      En résumé, au vu des faits en l’espèce, la Commission pouvait soit : a) expliquer pourquoi les documents déposés tardivement ne seraient pas acceptés, ou soit b) pourquoi les documents déposés après l’audience ne changeraient en rien sa conclusion. La Commission ne pouvait toutefois pas faire fi des documents déposés après l’audience comme l’a fait.

V.                Conclusion

[18]           La Cour conclut que la décision de la SPR n’était pas raisonnable. Conséquemment, la demande est accueillie; et l’affaire est annulée et renvoyée à la SPR pour qu’un tribunal nouvellement constitué rende une nouvelle décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que l’affaire soit annulée et renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour qu’un tribunal nouvellement constitué rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-559-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c ALEXIS MUKANYA KABUNDA, ANNIE BUBUANGA MAKITA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Geneviève Bourbonnais

 

Pour le demandeur

 

Stéphanie Valois

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Me Stéphanie Valois, avocate

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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