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Date : 20160719


Dossier : IMM-5724-15

Référence : 2016 CF 819

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

LEELADEVI MURUGESU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Leeladevi Murugesu est une citoyenne du Sri Lanka d’origine tamoule. Elle a demandé l’asile au Canada en raison de son orientation sexuelle et parce qu’elle était soupçonnée par les autorités sri-lankaises d’appuyer les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[2]               La Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle Mme Murugesu n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Elle a donc déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la SAR a raisonnablement conclu que Mme Murugesu n’avait fourni aucun élément de preuve crédible démontrant qu’elle était effectivement soupçonnée par les autorités ski-lankaises d’appuyer les TLET. Comme Mme Murugesu n’a fait mention à la SAR d’aucun risque auquel elle aurait été exposée en fonction de son profil cumulatif, on ne peut reprocher à la SAR de ne pas en avoir tenu compte. De plus, la SAR a raisonnablement conclu que Mme Murugesu n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve corroborant son orientation sexuelle. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Contexte

[4]               Mme Murugesu, d’origine tamoule, est une chrétienne pratiquante. Âgée de 50 ans, elle s’identifie comme lesbienne. Le 27 mai 2015, elle a demandé l’asile au Canada en s’appuyant sur les allégations qui suivent.

[5]               En 1986, l’armée sri-lankaise a arrêté Mme Murugesu parce qu’elle était soupçonnée d’appuyer les TLET. En 1987, Mme Murugesu a déménagé au Liban où elle a travaillé comme soignante durant environ 16 ans. Durant cette période, elle a entretenu une relation intime avec une femme nommée Patma. Cette relation a duré 11 ans. En 2003, le contrat de travail de Mme Murugesu au Liban a pris fin. Elle est retournée au Sri Lanka où elle a ouvert une épicerie. Elle n’a pas entretenu de relations intimes avec des femmes au Sri Lanka; l’homosexualité étant illégale dans ce pays, elle craignait pour sa vie.

[6]               En avril 2009, la police a arrêté Mme Murugesu, alléguant qu’elle avait participé à des activités de recrutement et de financement pour le compte des TLET pendant qu’elle travaillait à l’étranger. Elle a été détenue durant plusieurs jours et elle a été agressée sexuellement. La police l’a ensuite relâchée en l’avertissant qu’elle serait de nouveau arrêtée si elle ne coopérait pas. Craignant pour sa sécurité, Mme Murugesu a alors demandé un visa pour voyager en Israël.

[7]               En 2010, Mme Murugesu est déménagée en Israël, où elle a travaillé durant trois ans. Peu après son départ, la police sri-lankaise a informé la famille de Mme Murugesu que cette dernière devait prendre contact avec la police dès son retour. Mme Murugesu a fait part de ses craintes quant à un éventuel retour au Sri Lanka à son employeur en Israël, lequel lui a conseillé de demander l’asile dans un autre pays. Son employeur l’a donc aidée à obtenir un permis de travail au Canada.

[8]               Mme Murugesu est arrivée au Canada en septembre 2013 munie d’un visa de travailleur étranger temporaire valide pour un an. Une fois son visa expiré, elle a demandé et s’est vu accorder un permis de visiteur d’une durée de trois ans, dont l’échéance a été reportée de décembre 2014 à mars 2015. Durant son séjour au Canada, Mme Murugesu a entretenu une relation intime avec une femme nommée Rubica. Leur relation a duré huit mois, mais elles ont ensuite perdu contact. En mai 2015, deux mois après l’expiration de son visa de visiteur, Mme Murugesu a demandé l’asile au Canada.

III.             Décision de la SPR

[9]               La SPR a conclu que Mme Murugesu n’était pas crédible. La SPR a donc rejeté la demande pour les motifs suivants :

a)      La SPR a tiré une conclusion défavorable relativement à l’orientation sexuelle de Mme Murugesu parce que cette dernière n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve corroborant ses relations avec deux de ses anciennes partenaires – Patma au Liban et Rubica au Canada – et qu’elle n’a pas fourni de motif raisonnable pour expliquer pourquoi elle ne l’a pas fait.

b)      La SPR a jugé invraisemblable que Mme Murugesu ait omis de se renseigner sur la position de son Église canadienne relativement à l’homosexualité.

c)      La SPR a tiré une conclusion défavorable relativement à la crainte subjective de persécution de Mme Murugesu du fait que celle-ci ne s’est pas renseignée sur la possibilité de présenter une demande d’asile en Israël et qu’elle n’a pas présenté une telle demande au Canada plus tôt.

d)     La SPR a déterminé qu’aucun des profils de risque figurant dans les principes directeurs de 2009 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) relativement à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka (les principes directeurs de l’UNHCR) ne s’appliquait à Mme Murugesu. Plus précisément, la SPR a déterminé que Mme Murugesu n’était pas exposée à un risque en tant que demandeuse d’asile déboutée et qu’elle n’était pas soupçonnée d’appuyer les TLET. La SPR a souligné que Mme Murugesu avait été en mesure de quitter le Sri Lanka en utilisant son propre passeport à la suite de sa prétendue détention en 2009.

[10]           Bref, la SPR n’était pas convaincue que Mme Murugesu avait bel et bien établi son orientation sexuelle ni qu’elle avait de bonnes raisons de craindre d’être persécutée au Sri Lanka en tant que prétendue sympathisante des TLET. Mme Murugesu a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR.

IV.             Décision faisant l’objet du contrôle

[11]           La SAR a reconnu sa responsabilité quant à la réalisation d’une évaluation indépendante des éléments de preuve, en citant la jurisprudence applicable au moment de la décision (Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, inf. 2016 CAF 93). La SAR a rejeté l’appel de Mme Murugesu pour les motifs suivants :

a)      La SAR a partagé la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour corroborer l’orientation sexuelle alléguée de Mme Murugesu.

b)      La SAR a déterminé que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable relativement à la crainte subjective de persécution de Mme Murugesu parce qu’elle n’avait pas présenté de demande d’asile en Israël. Cependant, la SAR a convenu qu’il y avait lieu de tirer une conclusion défavorable du retard à demander l’asile au Canada.

c)      La SAR a déterminé que la SPR avait omis de tirer des conclusions explicites concernant l’allégation de Mme Murugesu selon laquelle elle avait été détenue en 2009 de même que concernant l’allégation selon laquelle les autorités s’étaient présentées chez elle en 2010. Néanmoins, la SAR a conclu qu’aucun élément de preuve crédible ne démontrait que Mme Murugesu était toujours exposée à un risque en tant que prétendue sympathisante des TLET. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la capacité de Mme Murugesu à entrer au Sri Lanka et à en sortir en utilisant son propre passeport est un élément non négligeable.

d)     À l’instar de la SPR, la SAR a conclu qu’aucun des profils de risque figurant dans les principes directeurs de l’UNHCR ne s’appliquait à Mme Murugesu. La SAR a convenu que les personnes soupçonnées de faire partie des TLET pouvaient risquer d’être arrêtées par les autorités. Cependant, elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que Mme Murugesu était effectivement soupçonnée d’appuyer les TLET.

e)      La SAR a rejeté l’argument de Mme Murugesu selon lequel la SPR avait omis d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la LIPR.

V.                Questions en litige

[12]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.       La SAR a-t-elle omis d’évaluer le profil de risque cumulatif de Mme Murugesu?

B.       La conclusion de la SAR selon laquelle Mme Murugesu n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve corroborant son orientation sexuelle était-elle raisonnable?

C.       La SAR a-t-elle commis une erreur dans son analyse en vertu de l’article 97 de la LIPR?

VI.             Norme de contrôle

[13]           Après que la SAR eut rendu sa décision, la Cour d’appel fédérale a rendu son jugement dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica]. Au paragraphe 78 de cet arrêt, la juge Gauthier a indiqué que « la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit », et que « cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte ».

[14]           Si la SAR a effectué, en substance, le type d’examen approuvé subséquemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica, la décision de la SAR peut donc être confirmée (Ketchen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 388, au paragraphe 29). En l’espèce, Mme Murugesu reconnaît que la SAR a correctement énoncé la nature de son rôle.

[15]           Les parties conviennent que la décision de la SAR est susceptible de révision par la Cour en fonction de la norme de la décision raisonnable (Huruglica, au paragraphe 35). La Cour doit adopter une approche empreinte de retenue et résister à l’envie d’imposer sa propre analyse. Si la décision est justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles et acceptables, elle ne devrait pas être modifiée (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.          Analyse

A.                La SAR a-t-elle omis d’évaluer le profil de risque cumulatif de Mme Murugesu?

[16]           Mme Murugesu affirme que la SAR a omis d’évaluer son profil de risque cumulatif en tant que femme célibataire d’origine tamoule ayant déjà été détenue comme prétendue sympathisante des TLET et en tant que demandeuse d’asile déboutée en provenance du Canada. Selon Mme Murugesu, le Canada est reconnu au Sri Lanka comme une plaque tournante du financement des TLET à l’étranger, et son absence prolongée la rendrait vraisemblablement encore plus suspecte aux yeux des autorités sri-lankaises.

[17]           Mme Murugesu soutient que la SAR a invalidé les deux conclusions importantes suivantes tirées par la SPR : 1) une conclusion défavorable pouvait être tirée du fait qu’elle n’avait pas présenté de demande d’asile en Israël; 2) elle n’avait pas été détenue par les autorités sri-lankaises en 2009 en tant que prétendue sympathisante des TLET. Elle affirme donc que la SAR était tenue d’évaluer en quoi le rejet de ces deux importantes conclusions de la SPR modifiait son profil de risque.

[18]           De l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), dans le contexte de la décision dans son ensemble, le refus de la SAR de tirer une conclusion défavorable du fait que Mme Murugesu n’avait pas demandé l’asile en Israël n’a que peu d’incidence. La SAR était prête à tirer une conclusion semblable du fait que Mme Murugesu n’avait pas présenté de demande d’asile au Canada plus tôt. Le ministre conteste également l’allégation selon laquelle la SAR aurait reconnu que Mme Murugesu avait bel et bien été détenue au Sri Lanka en 2009 en tant que prétendue sympathisante des TLET. Quoi qu’il en soit, le ministre souligne que la SAR a conclu que Mme Murugesu n’était pas, à l’heure actuelle, soupçonnée d’être une sympathisante des TLET :

traduction [51] Que les allégations de la demanderesse concernant son arrestation et sa détention en 2009 soient vraies ou non, la SAR détermine qu’il était loisible au tribunal de conclure qu’aucun élément de preuve crédible n’avait été présenté par la demanderesse pour démontrer que les autorités sri-lankaises étaient à ses trousses. La SAR détermine également que la capacité de la demanderesse de voyager librement au Sri Lanka et de quitter le pays en utilisant son propre passeport en disait long.

[19]           La SPR et la SAR ont toutes deux fait référence aux principes directeurs de l’UNHCR, lesquels confirment que les femmes et les enfants qui présentent certains profils ont besoin d’une protection continue. Parmi ces personnes, on compte les femmes qui vivent dans des ménages dirigés par une femme ainsi que les anciens militants des TLET, qui sont particulièrement vulnérables dans la région hautement militarisée du nord du Sri Lanka.

[20]           La SAR a souligné le passage dans les principes directeurs de l’UNHCR selon lequel des mesures de protection générales ne sont plus nécessaires pour les Sri-Lankais d’origine tamoule provenant du nord. La SAR a convenu que les demandeurs d’asile déboutés pouvaient courir un risque à leur retour, mais elle a ensuite déterminé que le seul profil de risque qui pouvait s’appliquer à Mme Murugesu était celui d’une demandeuse d’asile déboutée soupçonnée d’entretenir des liens avec les TLET.

[21]           La conclusion de la SAR selon laquelle Mme Murugesu n’a fourni aucun élément de preuve crédible démontrant que les autorités sri-lankaises s’intéressaient effectivement à elle était fondée sur ce qui suit : 1) Mme Murugesu a certifié qu’elle n’avait aucun lien avec les TLET; 2) elle a été en mesure de passer les points de contrôle de sûreté au Sri Lanka et elle a pu quitter le pays en utilisant son propre passeport; 3) elle n’a quitté le Sri Lanka que huit mois après sa prétendue détention, laissant ainsi aux autorités tout le temps voulu pour l’arrêter si elle était bel et bien soupçonnée d’appuyer les TLET; 4) elle n’a demandé l’asile au Canada qu’une fois son visa expiré.

[22]           Je suis d’avis que la conclusion de la SAR selon laquelle Mme Murugesu n’est pas recherchée par les autorités sri-lankaises à l’heure actuelle était raisonnablement étayée par les éléments de preuve. Bien que cette conclusion ne soit pas déterminante, il est loisible à la Commission de tirer une conclusion du fait qu’un demandeur ait été en mesure de quitter son pays en utilisant son propre passeport (Mahalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 470, au paragraphe 12; Nadesan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 104, au paragraphe 10).

[23]           De plus, un retard dans la présentation d’une demande d’asile constitue une considération valable dans l’évaluation de la crédibilité et de la crainte subjective d’un demandeur (Ortiz Garzon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 299, au paragraphe 30; Goltsberg c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886, au paragraphe 28). Bien que le retard ne soit pas déterminant en lui-même, il « peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande » (Duarte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, au paragraphe 14).

[24]           Mme Murugesu savait qu’elle pouvait présenter une demande d’asile au Canada, mais elle ne l’a fait qu’une fois son visa expiré. En l’espèce, il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable et de déterminer que Mme Murugesu n’éprouvait pas de crainte subjective de persécution (Jeune c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 835, au paragraphe 15; Peti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 82, au paragraphe 42).

[25]           En outre, le ministre souligne que Mme Murugesu n’a fait mention à la SAR d’aucun risque auquel elle aurait été exposée en fonction de son profil cumulatif et qu’elle n’a pas fondé son appel sur l’omission, par la SPR, d’évaluer les risques auxquels elle pourrait être exposée à son retour au Sri Lanka en tant que femme célibataire vivant, à ce titre, dans un ménage dirigé par une femme. Le ministre affirme qu’on ne peut reprocher à la SAR de ne pas avoir explicitement examiné une erreur alléguée de la SPR qui n’a jamais été relevée par l’avocat.

[26]           Selon l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, il incombait à la demanderesse d’indiquer, dans son mémoire à la SAR, les erreurs commises qui constituent le motif de l’appel ainsi que l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la SPR.

[27]           Dans le jugement Ghauri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 [Ghauri], le juge Gleeson a fait remarquer, à titre incident, qu’il est de la responsabilité de l’appelant, et non pas de la SAR, d’établir que la SPR a commis une erreur de sorte que l’intervention de la SAR est justifiée. La SAR n’a pas pour rôle de combler les lacunes d’un appel (Ghauri, au paragraphe 33, citant Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321, aux paragraphes 18 à 20 et Huruglica, au paragraphe 103). Le juge Gleeson a conclu que « des appelants qui, devant la SAR, ne précisent pas où et en quoi la SPR a commis une erreur le font à leurs risques et périls » (Ghauri, au paragraphe 34). Je souscris à sa thèse.

B.                 La conclusion de la SAR selon laquelle Mme Murugesu n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve corroborant son orientation sexuelle était-elle raisonnable?

[28]           Mme Murugesu soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable du manque d’éléments de preuve corroborant son orientation sexuelle. Elle souligne que la SAR n’a avancé aucun autre motif, comme des omissions ou des contradictions dans son témoignage, pour mettre en doute sa crédibilité relativement à cette question.

[29]           Le témoignage d’un demandeur d’asile est réputé vrai, sauf s’il y a des motifs valables de douter de sa véracité (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration),(1979), [1980] 2 CF 302, au paragraphe 2, [1979] ACF no 248 (CAF)). Comme l’a déclaré le juge Mosley dans le jugement Sadeghi-Pari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282, au paragraphe 38, « l’absence de preuve corroborante de l’orientation sexuelle d’une personne ne suffit pas en soi, en l’absence de conclusions négatives et rationnelles quant à la crédibilité ou à la plausibilité, pour réfuter le principe énoncé dans Maldonado concernant la véracité ».

[30]           Cependant, la Cour a reconnu une exception au principe énoncé dans Maldonado. Le tribunal peut tirer une conclusion défavorable concernant le témoignage d’un demandeur si ce dernier omet de produire des éléments de preuve dont le tribunal s’attendrait raisonnablement à ce qu’ils soient disponibles dans la situation du demandeur et qu’il ne fournit pas d’explication raisonnable pour justifier cette omission (Radics c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110, aux paragraphes 30 à 32 (Radics)).

[31]           En l’espèce, il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable de l’incapacité de Mme Murugesu à fournir des documents justificatifs concernant un élément central de sa demande, comme l’exige l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256. Selon l’article 11, un demandeur qui ne fournit pas de documents acceptables doit expliquer pourquoi il ne peut pas le faire et indiquer quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents. La question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits de chaque affaire (Dayebga c. Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CF 842, au paragraphe 30).

[32]           La SAR a reconnu qu’il peut être difficile pour les demandeurs de fournir des éléments de preuve corroborant leur orientation sexuelle. Toutefois, la SAR a souligné que Mme Murugesu avait certifié qu’elle était toujours en contact avec Patma, avec qui elle avait entretenu une relation durant plus de dix ans, mais qu’elle n’avait jamais cherché à obtenir une lettre de soutien. Lorsqu’elle s’est vu demander si elle disposait d’autres éléments de preuve corroborant leur relation, Mme Murugesu a mentionné qu’elle possédait des photographies, mais qu’elles se trouvaient au Sri Lanka. Lorsqu’elle s’est vu demander pourquoi elle n’avait pas demandé à sa famille de les lui envoyer, elle a répondu qu’elle ne pensait pas en avoir besoin. Dans ces circonstances, il était loisible à la SAR de conclure que les documents auraient raisonnablement dû être disponibles et de tirer une conclusion défavorable du fait que Mme Murugesu n’a déployé aucun effort pour les obtenir.

[33]           Lorsque la SAR lui a demandé si elle avait tenté de communiquer avec Rubica, Mme Murugesu a mentionné qu’elles s’étaient perdues de vue après que Rubica eut changé de numéro de téléphone. La SAR a jugé cette explication insatisfaisante compte tenu des nombreux moyens de communication qu’offre la technologie moderne. Il était raisonnablement loisible à la SAR de rejeter l’explication de Mme Murugesu quant au fait qu’elle n’avait pas pu fournir d’éléments de preuve corroborant sa relation avec Rubica (Radics, au paragraphe 32).

[34]           Mme Murugesu soutient également que la SAR a déraisonnablement tiré une conclusion défavorable du fait qu’elle a omis de se renseigner sur la position de son Église sur l’homosexualité. La SAR est en droit de conclure à l’invraisemblance d’un témoignage, mais elle doit se montrer rationnelle et tenir compte des différences culturelles (Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 44). La conclusion de la SAR selon laquelle il était invraisemblable que Mme Murugesu ne se soit pas renseignée sur la position de son Église sur l’homosexualité n’était ni rationnelle ni fondé sur aucun élément de preuve. L’avocat du ministre n’a pas tenté de défendre cette allégation. Toutefois, cette erreur ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’intervention de la Cour.

C.                 La SAR a-t-elle commis une erreur dans son analyse en vertu de l’article 97 de la LIPR?

[35]           Selon le paragraphe 97(1) de la LIPR, a qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité, exposée à un risque d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Mme Murugesu affirme que le rejet de sa demande par la SAR en vertu de l’article 97 de la LIPR était déraisonnable.

[36]           La SAR a déterminé que les allégations de Mme Murugesu concernant son orientation sexuelle et le fait que les autorités sri-lankaises étaient toujours à ses trousses n’étaient pas crédibles. La SAR a conclu que Mme Murugesu n’avait produit aucun élément de preuve convaincant pour établir qu’il existait une réelle possibilité qu’elle soit exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La SAR a donc déterminé qu’une analyse distincte en vertu de l’article 97 n’était pas requise, et elle a confirmé le rejet de la demande par la SPR en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Étant donné les conclusions défavorables tirées par la SAR quant à la crédibilité de la demanderesse, l’analyse était raisonnable [Lopez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 102, au paragraphe 46; Dawoud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1110, au paragraphe 44).

VIII.       Conclusion

[37]           Pour les motifs précités, j’estime que la SAR a raisonnablement conclu que Mme Murugesu n’avait fourni aucun élément de preuve crédible démontrant qu’elle était toujours recherchée par les autorités ski-lankaises en tant que prétendue sympathisante des TLET. Mme Murugesu n’a fait mention à la SAR d’aucun risque auquel elle aurait été exposée en fonction de son profil cumulatif, on ne peut donc reprocher à la SAR de ne pas en avoir tenu compte. De plus, la SAR a raisonnablement conclu que Mme Murugesu n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve corroborant son orientation sexuelle. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[38]           Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5724-15

 

INTITULÉ :

LEELADEVI MURUGESU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Meghan Wilson

 

Pour la demanderesse

 

David Joseph

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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