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Date : 20160708


Dossiers : IMM-5478-15

IMM-5479-15

Référence : 2016 CF 786

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

JUNIO ALLISON LOVERA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Des demandes de contrôle judiciaire ont été faites dans les deux dossiers auxquelles il est référé en exergue. Dans les deux cas, il s’agit des mêmes parties et les contrôles judiciaires requièrent des remèdes face à deux décisions administratives bien distinctes. Comme le veut la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, les demandes de contrôles judiciaires distinctes étaient requises. Quoi qu’il en soit, les demandes procèdent des mêmes faits et un même argument est fait à l’égard des deux. Ainsi, jugement sera rendu sur les deux demandes de contrôle judiciaire et une copie du présent jugement et de ses motifs seront versés à chacun des dossiers.

[2]               Les demandes de contrôle judiciaire sont faites en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (L.C. 2001, ch. 27) (la Loi). L’une touche une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (IMM-5479-15) tandis que l’autre s’attaque à la décision négative relative à la demande de résidence permanente pour considération d’ordre humanitaire (IMM-5478-15).

I.                   Les faits

[3]               Le demandeur est né le 31 janvier 1982. Il est natif de la République dominicaine dont il est citoyen. Sa langue maternelle est l’espagnol. Il arrive au Canada le 11 novembre 1995, alors qu’il est âgé de 13 ans. Sa mère était parrainée par son conjoint de l’époque qui est le père biologique de la sœur du demandeur. La mère et le beau-père du demandeur se séparent en 1997. De plus, le demandeur ne terminera pas ses études secondaires. Il occupera des emplois dans l’industrie de la construction.

[4]               Le 2 mars 2004, le demandeur est trouvé coupable d’introduction par infraction dans un dessein criminel. Pour ces infractions prévues à l’article 348 du code criminel, le demandeur a été condamné à période de probation de deux ans et une amende de $600.00.

[5]               Il est à nouveau arrêté et trouvé coupable le 18 novembre 2013. Cette fois, ce sont des accusations en relation avec la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, (L.C. 1996, ch. 19) pour lesquelles il sera condamné. Selon la preuve au dossier, il avait quitté son emploi en 2008 pour s’occuper d’une plantation de cannabis. Cette « occupation » aura duré trois ans avant qu’il ne soit intercepté par les autorités policières. Outre des accusations en matière de drogues et autres substances, il était aussi accusé de vol d’une valeur supérieure à $5,000.00 puisqu’il avait détourné la source d’électricité nécessaire à la plantation. Il devait éventuellement être condamné le 7 janvier 2014 à une peine de 9 mois d’emprisonnement; une ordonnance de probation pour deux années à la suite de la période d’incarcération a été prononcée. Cette ordonnance de probation devait échoir le 6 octobre 2016.

[6]               Ayant bénéficié d’une libération conditionnelle après avoir purgé une partie de sa peine, le demandeur aurait habité avec celle qu’il désignait comme étant sa conjointe et avec qui il aurait maintenu des relations depuis août 2014. Cette conjointe est la mère de quatre enfants au sujet desquels existe une garde partagée avec leur père.

[7]               Quant au frère et à la sœur du demandeur, ils habitent au Canada. Rien n’est connu de la relation entre le demandeur et son frère alors que la preuve au dossier tend à démontrer une relation plus proche avec sa sœur et la fille de celle-ci.

[8]               On apprend que le demandeur a quitté le Canada le 15 janvier 2016. Cela fait suite à un deuxième rapport d’interdiction de territoire qui a été émis contre lui le 17 février 2014, quelques semaines après la condamnation d’emprisonnement enregistrée le 7 janvier 2014. Un premier rapport avait été émis le 11 janvier 2006 quant aux accusations d’introduction par infraction pour lesquelles le demandeur avait été condamné.

II.                Demande d’examen de risque avant renvoi

[9]               La demande ERAR a été rejetée le 26 octobre 2015. De fait, c’est la même agente d’immigration principale qui a traité des deux dossiers dont la cour est saisie. Plusieurs allégations ont été faites et ont été rejetées dans le cadre de la demande ERAR. La demande de contrôle judiciaire ne questionne que la décision de l’agente principale de rejeter la prétention du demandeur relativement au traitement qu’il recevrait s’il devait retourner en République dominicaine.

[10]           L’argument selon lequel les criminels déportés en République dominicaine font face à un risque accru a en effet été rejeté. Notant la documentation produite par le demandeur dans sa demande de résidence permanente en raison de considérations humanitaires selon laquelle les États-Unis procèdent à des déportations de masse qui sont médiatisées, souvent d’ailleurs sur un même vol, l’agente d’immigration y a opposé la façon différente selon laquelle les déportations sont faites par le Canada.

[11]           Ainsi, le demandeur, grâce à cette documentation, notait que ces déportations par les États-Unis résultaient souvent en des prises en photos par les médias et en des inscriptions sur des listes auxquelles les employeurs potentiels ont accès. Une discrimination importante au niveau de l’emploi en résulterait et la population en général serait prévenue de l’arrivée de ces concitoyens plus ou moins indésirables à leurs yeux.

[12]           Pour contrer cette prétention, l’agente principale écrivait :

Les déportations à partir du Canada sont différentes. En effet, le Canda n’a pas de pratique de déportation de masse des Dominicains. Ceux-ci sont déportés dans des vols réguliers, et dans la plupart des cas ils ne sont même pas escortés. De plus, le Canada aune (sic) politique de ne pas dévoiler les raisons pour lesquelles une personne a été déportée. Donc, les déportations peuvent se faire pour plusieurs raisons telles qu’une demande d’asile refugiée, ou le simple fait d’être demeuré illégalement au Canada. Par conséquent, je ne puis conclure que la situation des déportés Dominicains du Canada s’apparente à celle de ceux déportés des États-Unis.

III.             Position des parties relativement à la demande de contrôle judiciaire de la décision ERAR

[13]           Le demandeur plaide que la preuve utilisée par le défendeur n’est pas au dossier. Il s’agit de preuve extrinsèque. Or, cette preuve n’a pas été transmise au demandeur, de sorte que sa participation au dossier en a été affectée. Ne connaissant pas cette preuve et n’ayant donc pu la commenter, la contester ou même s’y opposer, c’est à l’équité procédurale qu’il a été portée atteinte.

[14]           Le demandeur s’appuie sur une seule décision. Dans Dasent c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1995] 1 F.C. 720, le juge Rothstein, alors de notre cour, déclarait à la page 731 :

À mon sens, la question qu’il faut se poser est celle de savoir si la requérante a eu connaissance des renseignements de façon à pouvoir corriger les malentendus ou les déclarations inexactes susceptibles de nuire à sa cause. La source des renseignements ne constitue pas un élément distinctif en soi, pour autant que les renseignements ne sont pas connus de la partie requérante. Ce qu’il faut savoir, c’est si celle-ci a eu la possibilité de répondre à la preuve. C’est ce que les règles d’équité sur le plan de la procédure exigent, selon une jurisprudence établie depuis longtemps. Pour reprendre les commentaires bien connus que lord Loreburn L.C. a formulés dans l’affaire Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.), à la page 182:

Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu’ils jugent la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion.

De toute évidence, le demandeur prétend ne pas avoir eu l’occasion de contredire la preuve sur laquelle l’agente principale d’immigration se fondait pour rejeter sa prétention quant aux déportés en République dominicaine provenant des États-Unis.

[15]           Le défendeur, quant à lui, n’a pas défendu dans ce dossier la prétention du demandeur aux mérites. Il s’est contenté de plaider l’aspect théorique du recours étant donné que le demandeur a quitté le pays il y a déjà six mois. Ici encore, on s’appuie sur une jurisprudence sans équivoque de la cour d’appel fédérale qui, dans Solis Perez c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, 2009 CAF 171, se déclarait d’accord avec le juge d’instance qui avait déclaré que :

[…] le législateur voulait que la demande d’ERAR soit jugée avant que la personne demandant l’ERAR soit renvoyée du Canada, dans le but d’éviter de la placer à risque dans son pays d’origine. Ainsi, si la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu’une décision n’ait été prise sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d’origine, l’objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint, ce qui explique pourquoi l’article 112 de la Loi précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada ».

[16]           Par ailleurs, le Ministre s’est défendu sur le fond de l’affaire, y inclus l’argument fait relativement à la demande ERAR, comme on le verra, dans le cadre de la demande pour résidence permanente à partir du Canada pour des considérations humanitaires.

IV.             Décision visant la demande de résidence permanente à partir du Canada pour considération d’ordre humanitaire (la demande CH)

[17]           La décision relative à cette demande a été rendue le 28 octobre 2015. L’agente principale d’immigration est satisfaite de la qualité des liens du demandeur avec le Canada. Mais la commission d’infractions graves qu’on considère portant atteinte à la sécurité des Canadiens est retenue et constitue un facteur négatif en lien avec l’établissement au Canada.

[18]           Le lien du demandeur avec sa sœur, et sa nièce, est considéré. Il est noté que le demandeur ne semble plus habiter avec eux. De fait, la sœur du demandeur ne dépend plus de lui pour subvenir à ses besoins. On reconnaît l’intérêt de la nièce à ce que le demandeur soit présent dans la vie de celle-ci, mais cet attachement ne constitue pas en soi un facteur suffisant pour justifier une dispense.

[19]           La décision est au même effet quant aux enfants de celle qui était au moment de la décision la compagne du demandeur depuis quelques mois à peine. Selon l’affidavit de cette personne, bien que le demandeur prétendait habiter avec elle, leur relation ne serait pas officielle. La décision note qu’ils se sont rencontrés grâce à un site internet en août 2014. L’époux de cette personne aurait la garde partagée des enfants et les époux auraient été au moment de la décision en instance de divorce. Étant donné le caractère récent de la relation que selon la compagne n’avait pas progressé en cohabitation, il serait difficile au dire de l’agente principale d’immigration de conclure que l’intérêt supérieur de l’enfant requiert que le demandeur reste au pays afin de faire une demande de résidence permanente. L’agente note d’ailleurs que la relation récente du demandeur survient malgré qu’il soit sujet à une mesure de renvoi étant donné son inadmissibilité.

[20]           La question des risques dans l’éventualité où le demandeur devrait quitter pour la République dominicaine reçoit un traitement quasi-identique à celui donné dans la décision ERAR. L’agente ajoute que le demandeur parle le français, ce qui constitue un atout pour du travail dans le secteur du tourisme en République dominicaine. Sa langue maternelle est l’espagnol et il peut donc se ré-acclimater plus facilement à son pays d’origine.

[21]           En conclusion, la demande faite en relation avec des considérations humanitaires est rejetée.

V.                Position des parties relativement à la demande fondée sur des considérations humanitaires

[22]           Le demandeur s’attaque à la décision de l’agente d’immigration sous plusieurs titres :

(a)    L’agente n’aurait pas raisonnablement évalué la réhabilitation du demandeur;

(b)   L’agente n’aurait pas utilisé le bon test pour trancher la demande CH;

(c)    L’agente a utilisé une preuve extrinsèque sans la divulguer au demandeur;

(d)   L’agente n’a pas donné le poids adéquat à l’intérêt supérieur des enfants directement touchés.

[23]           Le demandeur prétend que sa réhabilitation aurait dû être mieux reçue. Ainsi, celle-ci devrait remonter à 2011, soit au moment où le demandeur a été arrêté pour ses activités illégales qui avaient alors duré trois ans relativement à la production commerciale de cannabis. Il dit se repentir et vouloir prendre la responsabilité des actes qu’il a commis. Ce commentaire est en relation avec l’observation faite par l’agente d’immigration selon laquelle le demandeur cherchait à minimiser sa responsabilité en prétendant avoir eu une participation accessoire aux introductions par infractions et avoir choisi de prendre la charge d’un plantation de cannabis parce qu’il manquait d’argent.

[24]           Quant à l’application de l’article 25 de la Loi, essentiellement le demandeur prétend que l’agente d’immigration n’a pas suivi la décision de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 (Kanthasamy). De l’avis du demandeur, l’agente d’immigration n’a fait qu’appliquer le test dit de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » qui, selon la décision de la Cour suprême, n’a qu’une vocation descriptive et ne crée pas de nouveaux seuils autres que celui des considérations d’ordre humanitaires prévues à l’article 25.

[25]           Au titre de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, encore ici le demandeur prétend que l’agente d’immigration a minimisé les conséquences du départ du demandeur sur les enfants. Ainsi, le demandeur prétend que déjà il occupe le rôle de figure paternelle auprès de ceux-ci. Le demandeur ne commente pas sur le fait qu’il serait entré tout récemment dans leurs vies. De plus, les exemples de la nécessité de la présence du demandeur sont plutôt minces.

[26]           Enfin, l’argument sur l’utilisation de la preuve extrinsèque est le même que pour la demande ERAR.

[27]           Quant au défendeur, il met en exergue que le demandeur a un schème de valeur laxiste qui lui fait minimiser la gravité des gestes qu’il a posés et leur incidence sociale. Ainsi, le demandeur a porté atteinte à la sécurité des Canadiens et sont historique criminelle démontre une absence de respect des lois canadiennes.

[28]           Pour ce qui est de l’intérêt supérieur des enfants directement affectés, le défendeur note que l’agente ne s’est pas contentée de mentionner prendre cet intérêt en compte. C’est tout simplement que l’agente a aussi noté que l’arrivée du demandeur dans la vie des enfants de sa conjointe était toute récente. Au moment de la décision, cette présence était à peine vieille d’un an. De l’avis de demandeur, la différence d’opinion de l’agente face à la preuve qui lui était soumise ne constitue pas une évaluation déraisonnable. Pour ce qui est de l’intérêt de la nièce du demandeur, le rôle de celui-ci dans sa vie est au mieux secondaire. Ils n’habitent pas ensemble, le demandeur ne fournit pas d’aide financière à sa sœur et, de fait, le meilleur intérêt de l’enfant est assuré par ses parents.

[29]           Le défendeur consacre plusieurs paragraphes à discuter de l’argument du demandeur selon lequel le mauvais test aurait été utilisé pas l’agente principale d’immigration dans l’examen de la demande CH. Selon le défendeur, l’agente principale d’immigration a respecté la décision de la Cour suprême dans Kanthasamy. Bien que l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » ait été utilisée en cours de décision, celle-ci ne l’a été qu’à des fins descriptives et instructives. Il ne s’agissait pas là de seuils à atteindre, mais plutôt l’agente d’immigration a examiné et soupesé toutes les considérations d’ordre humanitaires pertinentes. De l’avis du défendeur, l’analyse faite par l’agente démontre que son attention était portée sur l’article 25 de la Loi et non sur les trois qualificatifs qui, de toute manière, ne sont certes pas prohibés aux termes de la décision de la Cour suprême.

[30]           Pour ce qui est de l’utilisation de preuve extrinsèque, le défendeur plaide un manque de précision sur ce que le demandeur aurait voulu faire valoir quant à la différence entre les pratiques américaines et la façon canadienne de faire les choses. Le défendeur ne prétend pas que la preuve utilisée ait été connue d’office par le décideur, mais il prétend plutôt que l’avocat du demandeur devait être connaissant au sujet de la manière dont les déportations sont effectuées puisqu’il s’agirait de renseignements généraux connus de tout avocat spécialisé en immigration. On prétend aussi que cette information figure dans des guides dits d’immigration qui sont accessibles au public sur internet. De toute façon, dit le défendeur, cette information était de nature à rassurer le demandeur puisqu’on y distinguait son cas de celui d’autres citoyens dominicains déportés des États-Unis.

VI.             Analyse

[31]           La première question dont il faut traiter est de la norme de contrôle applicable en ces matières. Le demandeur n’a présenté aucune observation à cet égard. Le défendeur prétend que, outre la question de la preuve extrinsèque, la norme de contrôle d’une décision relative à des considérations humanitaires est celle de la décision raisonnable. Je partage cet avis (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 (Khosa); Kanthasamy, précité, au paragraphe 44). En ce a trait à l’utilisation de preuve extrinsèque, cette question participe de l’équité procédurale et la norme de contrôle en est celle de la décision correcte (Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502 au paragraphe 79).

[32]           Il ne me semble pas inopportun de rappeler que la détermination de ce en quoi consistent les considérations d’ordre humanitaire qui mènent à l’octroi du statut de résidant permanent et celles qui justifient de lever tout ou une partie des critères et obligations applicables restent l’apanage du tribunal administratif. Telle est la décision du Parlement. L’intervention d’une cour de révision n’est justifiée que si la décision du tribunal administratif est déraisonnable. Il s’agit du fardeau auquel un demandeur est convié (Khosa, précité, au paragraphe 57).

[33]           Ce que la décision de la Cour suprême dans Kanthasamy cherche à réprimer est que le décideur administratif se confine à un test comme « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », substituant ainsi un test qui peut être restrictif par rapport à ce que la Loi prévoit : des considérations d’ordre humanitaires relatives à l’étranger, tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Le paragraphe 25(1) de la Loi est ainsi rédigé :

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

La Cour s’exprime ainsi au paragraphe 33 de la décision pour expliquer en quoi consiste la relation entre le texte de Loi et l’expression tirée de lignes directrices émises par le Ministre :

33        L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous-tendent.

[34]           Je n’ai pas vu dans la décision sous étude que le tribunal administratif soit tombé dans le piège. On fait bien sûr référence aux difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, mais cela n’est pas fait à l’exclusion d’un examen complet des considérations humanitaires, en créant des seuils élevés.

[35]           Les prétentions quant à la réhabilitation du demandeur n’ont pas été retenues par le décideur. Les arguments du demandeur sont à mon avis bien insuffisants pour se plaindre valablement de la décision à cet égard. D’abord, une possible réhabilitation n’est qu’un élément parmi d’autres au poids relatif mitigé. Le demandeur semble mettre en exergue que ce demandeur n’a pas commis d’autres infractions depuis 2011. Mais on comprend mal en quoi la possible réhabilitation du demandeur pourrait avoir un poids important lorsque l’on considère des considérations d’ordre humanitaires, étant donné que le décideur devait aussi mettre dans la balance la gravité des infractions et le fait que le demandeur avait quitté un emploi pour opérer une plantation pendant trois ans : nous sommes loin d’infractions ponctuelles et mineures. J’ajoute que le dossier révèle un condamné impatient en prison se plaignant des conditions de détention. Relaxé, il ne paiera que partiellement ses créanciers puisqu’il choisit de faire faillite. Peut-être était-il sur la voie de la réhabilitation au sens où il n’a pas été condamné pour d’autres infractions, mais celle-ci n’était pas acquise et on n’a pas établi qu’il avait fait son chemin de Damas au cours duquel il aurait tout mis en œuvre pour racheter les erreurs du passé. Il était loisible à l’agente d’immigration principale de tenir en compte le fait que le demandeur aurait cherché minimiser sa responsabilité en disant, dans un cas, qu’il n’était pas entré sur les lieux des effractions mais qu’il avait participé à la commission des infractions et que, dans l’autre cas, les problèmes d’argent auraient entraînés une opération illégale durant une période de trois ans, jusqu’au jour où les autorités policières y mettaient un terme. Les infractions commises étaient objectivement très graves. Qui plus est, l’agent de probation a conclu que le risque de récidive pour ce demandeur était au mieux moyen. À mon sens, le caractère déraisonnable de l’évaluation faite par l’agente n’a pas été démontré.

[36]           Comme c’est souvent le cas, la décision relative aux intérêts supérieurs de l’enfant n’est pas facile. La Cour dans Kanthasamy réitère les principes qui doivent gouverner en l’espèce :

39        Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9 à 12).

[37]           Essentiellement, l’analyse de l’agente principale d’immigration consiste en le fait qu’elle note l’âge des enfants, entre 15 et 9 ans, et leurs problèmes de santé. On note que le demandeur aide dans les déplacements qui doivent être effectués pour les traitements qui sont requis; alors que l’assistance du père en ces matières ne serait pas à la satisfaction de la mère, mais concluant à la présence d’une figure paternelle et à la courte relation entre la mère des enfants et le demandeur, l’intérêt supérieur des enfants n’est pas suffisant pour que le demandeur doive demeurer au Canada selon l’agente d’immigration.

[38]           Dans Baker c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 RCS 817, on peut lire :

75        La question certifiée demande s’il faut considérer l’intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement.  Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.  Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants.  Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

Ici, la preuve présentée au soutien des intérêts des enfants est elle-même très mince. L’agente principale d’immigration n’a pas que mentionné l’intérêt supérieur et elle ne pourrait faire mieux que d’examiner ce qui aura été identifié et défini par le demandeur. À cet effet, la partie demanderesse a un fardeau. En fonction de ce qui aura été porté à l’attention de l’agente principale d’immigration, le décideur a été réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Ce qui ne doit pas être fait est de minimiser cet intérêt supérieur; en l’espèce, la preuve était loin d’être dominante et l’attitude de l’agente principale d’immigration ne saurait être critiquée. La minimisation est toujours fonction de la preuve faite. Il n’y a pas eu de minimisation en l’espèce étant donné la minceur de la preuve.

[39]           Reste la question d’utilisation de la preuve extrinsèque. À mon avis, la norme de la décision correcte fait en sorte qu’il faut conclure que la demande de contrôle judiciaire doit être accordée à cet égard seulement. Pour contrecarrer ce que pourrait être un argument fallacieux, le tribunal administratif a choisi de faire appel à des connaissances qui n’étaient pas devant ce tribunal. Il s’agissait, en l’espèce, de preuve extrinsèque qui mettait directement en doute la preuve présentée par le demandeur.

[40]           La décision aura pu conclure que la situation américaine est moins qu’hautement pertinente. L’agente principale aurait pu en considérer l’importance relative et telle décision aurait alors été sujette à contrôle judiciaire. On peut penser que la qualité de la preuve américaine aurait pu être contestée. Au lieu de cela, l’agente a choisi de comparer la situation américaine telle que décrite à la situation canadienne au sujet de laquelle il ne semble pas qu’une preuve ait été faite ou même que ces considérations aient été communiquées au demandeur.

[41]           On peut lire dans Judicial Review of Administration Act In Canada, Brown & Evans, Carswell (feuilles mobiles) sous le numéro 10.8320 intitulé « Specialized Knowledge and Disclosure » :

…of course, the courts have often stated that official notice cannot be a basis for fact-finding without disclosure to the parties, although the fact that the decision-maker is merely aware of extraneous evidence will not, without more, be a breach of procedural fairness. While specialized knowledge may be used to assist the decision-maker to assess the evidence that has been given on a certain fact, it cannot be a substitute for evidence when none has been introduced.

Accordingly, where a tribunal can identify facts or information on which it intends to rely in making its decision and where there is doubt as to whether that information is known to the parties, a tribunal should disclose it to the parties as a matter both of prudence and fairness, in order to ensure that the parties are provided with an opportunity to respond.

[42]           En l’espèce, la seule réponse offerte par le gouvernement est de dire qu’un avocat spécialisé en immigration saurait au sujet des pratiques du Canada lorsqu’il déporte des Dominicains dans leur pays d’origine. À mon avis, cette réponse est insatisfaisante.

[43]           En effet, il n’est pas contesté que l’on ne connaît pas la source de l’information qui est utilisée par l’agente d’immigration pour contrecarrer l’argument du demandeur. Le fait que l’information puisse être connue d’experts dans le domaine, ce qui n’est pas démontré, ne règle en rien la situation. En fait, la preuve doit être faite pour donner l’occasion à la personne de s’en satisfaire ou non. Ce qui importe, c’est que la preuve utilisée soit rendue disponible pour permettre observations, contradictions ou oppositions. On ne peut même pas chercher inspiration dans la jurisprudence récente de cette cour relative à l’accès aux documents sur l’internet (nous ne savons tout simplement pas d’où l’information provient). Brown & Evans parlent de prudence et d’équité. À mon sens, c’est particulièrement le cas lorsque l’information utilisée provient d’une source inconnue.

[44]           Ce qu’on nous décrit être la pratique canadienne n’est rien d’autre que de la preuve extrinsèque. La pratique canadienne n’est ni prouvée, ni même évoquée avant que la décision ne s’appuie dessus pour contrer un écrit, dont la valeur n’est d’ailleurs pas établie non plus, émanant de la Northern Manhattan Coalition for Immigrant Rights. Le dilemme est le suivant. Pour contrer un document dont la valeur est incertaine, l’agente d’immigration a choisi de se fonder sur ce qu’elle considère être la pratique canadienne et qui n’est aucunement en preuve. Faudrait‑il donc passer sous silence une violation de l’équité procédurale parce que la raison de la violation est une tentative de contrer une preuve elle-même sujette à caution? Parce que telle décision est soumise à la norme de la décision correcte, qui n’appelle en rien quelque forme de déférence, la Cour doit conclure à erreur menant à violation de l’équité procédurale.

[45]           Dans la 6e édition de son Droit Administratif (Éditions Yvon Blais), le Professeur Patrice Garant présente les choses de façon concise et décisive :

Sous réserve de la connaissance d’office, la jurisprudence ne permet pas à un tribunal de recueillir sa propre preuve sans en aviser les parties au dossier et sans les inviter à faire valoir leurs prétentions à l’encontre de celle-ci avant de rendre sa décision.

(Page 642)

[46]           Le défendeur a voulu prétendre à l’audience que la pratique canadienne telle que présentée n’est pas une preuve extrinsèque. Aucun argument n’a appuyé cette prétention. À mon avis, ce genre de preuve ne sera pas extrinsèque si les faits sont de notoriété publique. Ne connaissant aucunement la source de l’information qu’invoque l’agente principale, il est difficile de conclure à la notoriété. J’admets certes qu’un tribunal spécialisé peut avoir une connaissance d’office vaste. Mais encore faut-il qu’il y dit notoriété publique, ce que l’agente d’immigration n’a pas établi.

[47]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accordée. Cependant, puisque les autres motifs avancés au soutien de la demande de contrôle judiciaire ont été rejetés, et qu’il n’y a pas lieu de déclarer qu’ils comportent une question sérieuse d’importance générale, la seule détermination qui doit être faite est relative au traitement réservé aux personnes retournées en République dominicaine.

[48]           La demande de contrôle judiciaire relativement à la demande ERAR a fait l’objet d’une opposition de la part du gouvernement parce qu’elle est devenue théorique avec le départ du Canada du demandeur vers la République dominicaine il y a maintenant six mois.

[49]           À mon avis, il y a lieu d’exercer la discrétion en faveur de considérer cette question malgré son caractère théorique (Solis c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (précité)) quant à la demande ERAR. Les trois facteurs présentés dans l’arrêt de principe en la matière (Borowski c Canada, [1989] 1 RCS 342, aux pages 358 à 363), me semblent tous militer dans la même direction. D’abord, il est clair que l’affaire peut être tranchée dans le cadre d’un débat contradictoire puisque les mêmes arguments ont été débattus dans le cadre de la demande CH. Celle-ci n’est certes pas caduque (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 au para 52, [2010] 2 RCF 311). Ainsi le 2e critère est satisfait puisqu’il n’y a pas de souci d’économiser les ressources judiciaires. Enfin, le rôle de la Cour de dire le droit est le même dans les deux affaires. De fait, on serait en droit de se demander en l’espèce pourquoi le même argument peut être décidé dans un cas et non dans l’autre. La Cour conclut donc que les deux demandes de contrôle judicaire doivent être traitées de la même manière.

[50]           Le demandeur prétend, sur la base d’une certaine documentation, que le traitement réservé aux personnes retournées en République dominicaine est discriminatoire. Cette documentation, à sa face même, vise des personnes déportées des États-Unis en République dominicaine. En l’espèce, l’agente principale d’immigration a contré cette prétention en indiquant que la pratique canadienne est différente de la pratique américaine. Lorsque les affaires seront retournées à un autre agent d’immigration, c’est uniquement cette question qui devra être revue de nouveau. Le demandeur pourra soumettre cette documentation ou d’autre documentation, alors que le défendeur sera à même de faire une preuve au contraire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM-5478-15 et IMM-5479-15 sont accordées dans la seule mesure où l’agente principale d’immigration aura utilisé dans les deux de la preuve extrinsèque en rapport avec le traitement qui pourrait être appliqué aux personnes déportées en République dominicaine. Il s’agira de la seule question à faire l’objet d’une redétermination devant un décideur différent.

Copie de la présente décision sera versée dans les deux dossiers.

Il n’y a pas de question sérieuse d’importance générale.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5478-15

IMM-5479-15

 

INTITULÉ :

JUNIO ALLISON LOVERA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ, ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 juin 2016

 

JUGEMENT ET Motifs :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Éric Taillefer

Pour la demandeur

 

Me Zoé Richard

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Éric Taillefer

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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