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Date : 20160810


Dossier : IMM-209-16

Référence : 2016 CF 910

Montréal (Québec), le 10 août 2016

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JERRY BELFOND
SCHMADYNE DURANDIS

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR]. La SPR a conclu que le demandeur principal et son épouse n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

II.                Faits

[2]               Le demandeur principal, M. Jerry Belfond, et son épouse, Mme Schmadyne Durandis, sont citoyens d’Haïti. Ils allèguent avoir fait l’objet de menaces séparément, par deux groupes distincts, entre juillet et septembre 2015. Avant leur départ d’Haïti, les demandeurs résidaient à Port-au-Prince.

[3]               Le 10 juillet 2015, le demandeur principal a été attaqué à la sortie du bureau par deux individus armés qui lui ont dérobé tous ses biens de valeur.

[4]               Le 5 août 2015, la demanderesse s’est rendue à un terrain, dont elle était propriétaire à l’extérieur de Port-au-Prince, afin d’en vérifier l’état et de le nettoyer. Un groupe d’individus l’a abordée afin de lui demander s’il était possible de louer le terrain pour y installer un bureau pour un parti politique. La demanderesse a refusé.

[5]               Le 8 août 2015, la demanderesse est retournée à son terrain pour continuer ses travaux. Le même groupe d’individus l’y attendait. Quand elle leur a demandé de quitter les lieux, ces individus l’ont menacée.

[6]               Le 16 août 2015, la demanderesse est de nouveau retournée à son terrain, cette fois accompagnée par son mari. Ils ont découvert que la maisonnette située sur le terrain avait été vandalisée. Comme le groupe d’individus qui avait menacé la demanderesse bloquait le chemin, les demandeurs ont eu recours à l’aide des voisins afin de quitter les lieux en sécurité. Ils ont porté plainte auprès du Tribunal de paix de Pétionville.

[7]               Pendant la nuit du 16 au 17 août 2015, les demandeurs ont reçu des menaces téléphoniques sur leur cellulaire commun.

[8]               Le 6 septembre 2015, ils ont été avisés par un voisin que des individus bizarres rôdaient près de leur domicile de Port-au-Prince et posaient des questions à leur sujet. Ils se sont alors réfugiés à Léogane et ont engagé un policier pour une semaine afin de les protéger dans leurs déplacements.

[9]               Le 14 septembre 2015, le demandeur principal a de nouveau été attaqué par des voleurs à la sortie d’une banque. Il a reconnu l’un des voleurs qui l’avait attaqué en juillet 2015. Voyant qu’il avait été reconnu, le voleur a menacé de le tuer, mais en a été empêché par son complice. Le voleur a néanmoins promis au demandeur principal de le tuer un jour.

[10]           Le 29 septembre 2015, les demandeurs ont quitté Haïti pour les États-Unis, faute d’avoir pu obtenir un visa canadien. Ils ont demandé l’asile au Canada le 3 octobre 2015.

[11]           Par la suite, les menaces téléphoniques au sujet du terrain ont recommencé.

III.             Décision

[12]           La SPR a conclu que la question déterminante en l’espèce était la possibilité d’un refuge interne [PRI]. Elle était satisfaite de l’identité des demandeurs et a trouvé leurs témoignages généralement crédibles, malgré quelques omissions et contradictions relevées au cours de l’audience.

[13]           La SPR a accepté les arguments des demandeurs à l’effet que le département de l’Artibonite ne constituait pas un refuge acceptable étant donné l’épidémie de choléra qui y sévissait. Elle leur donc a proposé Jacmel comme alternative.

[14]           En ce qui a trait au premier volet du test de PRI, la SPR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer par la prépondérance des probabilités qu’ils seraient persécutés à Jacmel. La SPR a noté qu’il était spéculatif pour le demandeur d’affirmer que les voleurs qui l’avaient attaqué à deux reprises pourraient le retrouver à Jacmel, ou le rencontrer de nouveau lors de visites occasionnelles à Port-au-Prince, à moins d’une rencontre fortuite. La SPR a constaté que le demandeur lui-même avait affirmé ne pas savoir pour qui ces gens travaillaient, ou connaître l’ampleur de leurs opérations.

[15]           De même, la demanderesse n’a pas réussi à établir que les individus qui la menaçaient au sujet de son terrain à l’extérieur de Port-au-Prince seraient en mesure de la retrouver à Jacmel.

[16]           Quant au second volet du test, la SPR a estimé que les demandeurs n’avaient pas établi selon une prépondérance des probabilités un empêchement quelconque à leur établissement à Jacmel. La SPR a jugé que la possibilité de se faire attaquer par des bandits à Jacmel était spéculative et s’appliquait à tous les résidents de Jacmel. Elle a également noté que les demandeurs n’avaient pas fait la preuve qu’ils ne seraient pas capables de se trouver un emploi dans cette ville malgré leurs diplômes universitaires et leurs historiques d’emploi.

IV.             Questions en litige

[17]           Il y a deux questions en litige :

  1. La SPR a-t-elle erré en concluant qu’il existait une PRI à Jacmel?
  2. La SPR a-t-elle erré en n’analysant pas la crainte de la demanderesse fondée sur son appartenance au groupe social particulier des femmes?

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle

[18]           Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle applicable à la PRI est celle de la décision raisonnable.

B.                 La SPR a-t-elle erré en concluant qu'il existait une PRI à Jacmel?

[19]           Les demandeurs acceptent le test légal applicable à une PRI tel que décrit par la SPR.

[20]           Après avoir considéré les arguments des demandeurs au sujet de la PRI, je ne suis pas convaincu que la SPR a erré. Les conclusions de la SPR de l’insuffisance de la preuve pour démontrer que (i) les voleurs à Port-au-Prince, ou (ii) les individus qui voulaient s’installer sur le terrain à l’extérieur de Port-au-Prince auraient le désir et la capacité de retrouver les demandeurs à Jacmel, étaient raisonnables.

[21]           Le fait que la SPR se soit focalisée sur les individus sur le terrain au lieu de leur parti politique n’était pas erroné; les commentaires de la SPR sur ces individus s’appliquent également à leur parti politique. Les menaces communiquées par téléphone ne démontrent non plus la capacité de retrouver les demandeurs à Jacmel. Les demandeurs n’avaient pas changé de numéro, donc aucune recherche supplémentaire n’était nécessaire pour leur retrouver par téléphone.

C.                 La SPR a-t-elle erré en n'analysant pas la crainte de la demanderesse fondée sur son appartenance au groupe social particulier des femmes?

[22]           Je suis en accord avec l’argument du défendeur que, lors de l’audience, la demanderesse n’a pas explicitement fait mention de sa crainte basée sur le fait d’appartenir au groupe social des femmes d’Haïti. Sa crainte était plutôt liée aux individus qui l’ont menacée sur son terrain à l’extérieur de Port-au-Prince. Cette crainte a été analysée de façon raisonnable par la SPR. C’est le procureur des demandeurs qui a soulevé la question du groupe social des femmes d’Haïti.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande est rejetée.

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-209-16

 

INTITULÉ :

JERRY BELFOND, SCHMADYNE DURANDIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Claude Whalen

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Pavol Janura

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claude Whelan

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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