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Date : 20160810


Dossier : IMM-236-16

Référence : 2016 CF 911

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 août 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

KHANSA ABBAS

MUHAMMAD WAQAS SHEIKH

(AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE MUHAMMAD WAQAS SARFRAZ SHEIKH)

MUHAMMAD ANAS WAQAS

MUHAMMAD IBRAHEEM WAQAS

(AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE MUHAMMAD IBRAHE WAQAS)

MUHAMMAD AOUN WAQAS

QANITA WAQAS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, une famille du Pakistan, sollicitent le contrôle judiciaire, aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], de la décision rendue le 4 janvier 2016 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle la SPR a conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]               La question déterminante pour la SPR était la crédibilité des demandeurs. Dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs font valoir que les conclusions relatives à la crédibilité n’étaient pas raisonnables et que la SPR a omis d’examiner le profil des demandeurs et la preuve objective de la persécution des chiites au Pakistan. Pour les motifs exposés ci-après, j’estime que les conclusions relatives à la crédibilité de la SPR appellent la déférence de la Cour et la décision de la SPR est raisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               Les demandeurs demandent l’asile pour des motifs de persécution religieuse. M. Sheikh a été élevé comme musulman sunnite, et son épouse, Mme Abbas a été élevée comme musulmane chiite. M. Sheikh s’est converti à la foi chiite avant d’épouser sa femme.

[4]               Les demandeurs racontent que Mme Abbas et sa famille étaient connues dans leur communauté; elle a prêché le chi’isme, construit des imambargahs, aidé les familles pauvres à organiser leur mariage, et est devenue la secrétaire de la propagande de l’aile des dames de l’imambargah local (les demandeurs expliquent que l’aile des dames aide l’imam et participe aux activités de prédication).

[5]               Les demandeurs allèguent avoir été victimes de plusieurs [traduction] « petits incidents ». Ils soulignent également les incidents majeurs suivants : le meurtre de l’oncle par alliance de Mme Abbas et de son fils en février 2013; le vol apparemment perpétré par des extrémistes sunnites qu’ils ont subi dans leur maison en décembre 2014, suivi de menaces proférées par téléphone; et les tirs d’armes à feu sur M. Sheikh et son fils alors qu’ils se trouvaient à bord de leur voiture, en juillet 2015, scénario similaire au meurtre de l’oncle par alliance de Mme Abbas.

[6]               M. Sheikh a également noté dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA] qu’il possédait des moulins à farine et que, bien que d’autres moulins à farine aient cessé de vendre de la farine aux imambargahs chiites, il a continué de le faire, ce qui lui a valu des menaces.

[7]               Les demandeurs ont fait des demandes de visas pour l’Australie en mars 2015, lesquelles ont été rejetées. Ils ont fait des demandes de visas pour les États-Unis en juin 2015, ont reçu leurs visas en juillet 2015, et ont quitté le Pakistan en août 2015. Ils sont arrivés au Canada en provenance des États-Unis et ont présenté une demande d’asile le 9 septembre 2015.

II.                La décision de la SPR

[8]               La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs et a déterminé, en raison de conclusions relatives à la crédibilité, que les demandeurs n’ont pas établi qu’il y avait une possibilité raisonnable ou sérieuse qu’ils soient persécutés pour l’un des motifs prévus dans la Convention, conformément à l’article 96 de la Loi. La SPR a également conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque au titre du paragraphe 97(1) de la Loi à leur retour au Pakistan.

[9]               La SPR a souligné les principes directeurs régissant l’évaluation de la crédibilité, notamment qu’il existe une présomption voulant que les déclarations d’un demandeur soient véridiques, à moins qu’il y ait une raison de douter de leur véracité, et que l’ensemble de la preuve doit être examiné.

[10]           La SPR a relevé certains échanges qui ont conduit à des conclusions défavorables relatives à la crédibilité en raison des réponses évasives, indirectes et irrecevables et a noté, plus généralement, que le commissaire de la SPR a souvent dû répéter les questions posées à M. Sheikh parce qu’il ne donnait pas de réponse directe.

[11]           La SPR a conclu que les réponses de M. Sheikh aux questions concernant la crainte de persécution des demandeurs en raison de leurs activités de prédication [traduction] « manquaient de cohésion » et que M. Sheikh ne pouvait pas indiquer clairement l’endroit où les activités de prédication avaient eu lieu, à qui ils ont prêché ou pourquoi cela leur causait des problèmes. La SPR a ajouté qu’il s’agissait d’un aspect important de la demande.

[12]           La SPR a également conclu, en se fondant sur l’information du cartable national de documentation [CND], que l’allégation selon laquelle les demandeurs ont tenté de convertir des sunnites n’était pas conforme aux pratiques et au droit pakistanais. La SPR a conclu que cette allégation a été fabriquée pour embellir leurs revendications.

[13]           En ce qui concerne les deux incidents majeurs relatés, la SPR a souligné que rien ne démontrait que l’effraction et le vol qualifié de 2014 avaient été commis par des extrémistes sunnites et a conclu qu’il n’était pas probable que les voleurs cherchaient à tuer les demandeurs en raison de leur prosélytisme religieux, mais, si c’était le cas, les voleurs auraient attaqué les demandeurs alors qu’ils étaient à la maison.

[14]           La SPR a également fait remarquer que l’attaque de la voiture des demandeurs en juillet 2015 a eu lieu l’année suivant le vol et après qu’ils avaient reçu leurs visas américains. La SPR a conclu, vu la chronologie des événements, que cet incident et le vol de 2014 étaient plus susceptibles d’être des crimes perpétrés au hasard que des attaques ciblées en raison de leur prosélytisme religieux.

[15]           La SPR a conclu que l’allégation des demandeurs suivant laquelle ils étaient aussi exposés à un risque parce que l’oncle par alliance de Mme Abbas, un éminent médecin, avait été assassiné en 2013 n’était pas appuyée par la preuve et était un embellissement de leur histoire.

[16]           La SPR a noté que selon l’Agence centrale de renseignement des États-Unis [CIA], en date de juillet 2014, les chiites constituaient de 10 à 15 % de la population musulmane au Pakistan et qu’il y avait de 20 à 30 millions de chiites au Pakistan. La SPR a fait référence à la Réponse à la demande d’information dans le CND, et a souligné que des actes de violence sont perpétrés par des extrémistes sunnites à l’endroit des chiites, mais qu’à part les actes de violence aveugles, les assassinats ciblés au Pakistan sont perpétrés contre des personnes qui ont des profils particuliers qui ne correspondent pas à ceux des demandeurs.

[17]           La SPR a conclu, en se fondant sur ses conclusions relatives à la crédibilité, et au regard de la preuve documentaire, qu’il n’y a pas plus qu’une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés à leur retour. Tel qu’il est indiqué ci-dessus, la SPR a également conclu que les demandeurs n’ont pas établi leur demande fondée sur l’article 97 selon la prépondérance des probabilités.

III.             Questions en litige

[18]           Les demandeurs soulèvent deux questions : que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité sont déraisonnables et que la SPR n’a pas fait une évaluation objective du risque auquel ils étaient exposés.

[19]           En ce qui a trait à la crédibilité, les demandeurs soutiennent que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables en interprétant de façon erronée et sélective le témoignage et la preuve et en faisant une évaluation subjective de la façon dont le témoignage a été livré plutôt que de souligner des contradictions et des incohérences dans la preuve.

[20]           Les demandeurs soutiennent également que la SPR a erré dans son analyse du fondement objectif de la demande parce qu’elle n’a pas précisé le profil des demandeurs selon les éléments de preuve objectifs qui indiquent que la violence contre les chiites s’accroît à Lahore et à Multan, où les demandeurs ont vécu, et que les leaders de la communauté, des personnes occupant des postes importants et d’autres personnes sont ciblés.

IV.             La norme de contrôle

[21]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle des questions de fait, dont les questions relatives à la crédibilité, et des questions mixtes de fait et de droit, est celle de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la SPR si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53 et 55, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

V.                Les principes pertinents en matière de crédibilité

[22]           Il est bien établi que les commissions et les tribunaux administratifs tels que la SPR sont les mieux placés pour évaluer la crédibilité (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL), au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF) [Aguebor]), et leurs conclusions concernant la crédibilité appellent la déférence (Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c.Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, 228 FTR 43 [Lubana]).

[23]           Cependant, les conclusions relatives à la crédibilité ne sont pas à l’abri du contrôle. On peut estimer qu’elles sont déraisonnables, par exemple, lorsque des incohérences ou des omissions sont négligeables ou résultent d’un examen microscopique, lorsque des explications ont déraisonnablement été écartées, ou lorsque de l’information pertinente n’a pas été examinée.

[24]           Dans Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369 (QL) [Rahal], la juge Mary Gleason a résumé les principes clés de la jurisprudence concernant la crédibilité (aux paragraphes 41 à 46). La juge Gleason rappelle le rôle restreint de la Cour dans le cadre d’un examen des conclusions relatives à la crédibilité, au paragraphe 42 :

[42]      Premièrement – et il s’agit probablement du point le plus important – il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. Dans l’arrêt Aguebor, il est écrit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire [...]

(voir également l’arrêt Singh, au paragraphe 3, et l’arrêt He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107, au paragraphe 2).

[25]           Les autres principes clés énumérés par la juge Gleason dans Rahal, aux paragraphes 43 et 36, comprennent :

•          Les contradictions relevées dans la preuve, en particulier dans le témoignage du demandeur d’asile, constituent un motif raisonnable de conclure à la non-crédibilité de ce demandeur, à condition toutefois qu’elles soient réelles, et non pas illusoires ou insignifiantes.

•          Le témoignage sous serment du demandeur d’asile est présumé véridique s’il n’est pas entaché de contradictions, mais la SPR peut raisonnablement le rejeter si elle l’estime invraisemblable. Toute conclusion d’invraisemblance doit être logique, sensible aux différences culturelles et clairement formulée.

•          La Commission peut prendre en considération le comportement du témoin, y compris ses hésitations, le manque de précision de ses propos et le fait qu’il ait modifié ou étoffé sa version, mais il est préférable que d’autres faits, de caractère objectif, viennent aussi justifier la conclusion sur la crédibilité.

•          La Commission doit exposer clairement ses conclusions sur la crédibilité et les motiver de manière suffisamment détaillée.

[26]           Dans Lubana, le juge Luc Martineau avait défini des principes directeurs semblables aux paragraphes 7 à 10, décrivant l’évaluation de la crédibilité comme « l’essentiel » de la compétence de la Commission. Le juge Martineau a mis en garde contre un examen microscopique de la preuve au paragraphe 11, notant que chaque incohérence ou invraisemblance soutiendra une conclusion défavorable et qu’« [i]l ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné “à la loupe” des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur ». Au paragraphe 12 de Lubana, le juge Martineau a déclaré qu’il ne fallait pas s’empresser d’appliquer une logique et un raisonnement nord-américains à la conduite du demandeur, ajoutant qu’il faut tenir compte, entre autres, de l’âge, des antécédents culturels et des expériences sociales du demandeur.

[27]           La jurisprudence souligne également la nécessité de prendre en compte le rôle de l’interprète dans l’évaluation du témoignage d’un demandeur d’asile (p. ex. Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (QL), 99 NR 168 (CAF); Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442 (QL), 98 NR 312 (CAF)).

[28]           En ce qui concerne les conclusions relatives à la vraisemblance, les demandeurs ont souligné l’orientation apportée par le juge Michael Phelan dans Hassan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1136, aux paragraphes 12 et 13, [2010] ACF no 1409 (QL) [Hassan] :

[12]      Cela dit, les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance de la preuve ne peuvent reposer sur des suppositions ou des conjectures et doivent être adéquatement expliquées (voir Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F), [1993] A.C.F. no 732). En l’espèce, les conclusions se rapportent à des questions de vraisemblance, et le critère dès lors applicable est mentionné dans les propos du juge O’Halloran, maintes fois cités, dans l’affaire Faryna c. Chorny, [1951] B.C.J. no 152, au paragraphe 10 :

[traduction]

Si l’acceptation de la crédibilité d’un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion quant à l’apparence de sincérité de chaque personne qui se présente à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l’administration de la justice dépendrait des talents d’acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité (voir l’arrêt Raymond c. Bosanquet (1919), 50 D.L.R. 560, à la page 566, 59 R.C.S. 452, à la page 460, 17 O.W.N. 295. Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances permettent de conclure de façon indubitable qu’il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas somme toute assez peu fréquents où l’on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

[13]      Le facteur de vraisemblance est très subjectif et exige de la Commission qu’elle renvoie aux éléments de preuve susceptibles de réfuter ses conclusions quant à l’invraisemblance et d’expliquer pourquoi ceux-ci n’y parviennent pas (Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de la Citoyenneté), [1994] A.C.F. no 774).

[29]           De même, dans Aguilar Zacarias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, [2012] ACF no 1252 (QL), la juge Mary Gleason a examiné la jurisprudence sur les conclusions de vraisemblance et sur celles relatives à la crédibilité et a souligné ce qui suit :

[11]      Ainsi, la Commission peut conclure qu’une affirmation est invraisemblable si cette affirmation est dénuée de sens à la lumière de la preuve déposée ou si (pour emprunter la formule utilisée par le juge Muldoon dans la décision Valtchev) « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ». De plus, la Cour a déjà statué que la Commission doit invoquer « des éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourraient être appréciés » [sic], sinon la conclusion au sujet de l’invraisemblance pourrait n’être que « de la spéculation non fondée » (voir la décision Gjelaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, [2010] ACF no 31, au paragraphe 4; voir également la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694, [2012] ACF no 885 (la décision Cao), au paragraphe 20).

[30]           C’est au regard de tous ces principes que les conclusions de la SPR ont été examinées. J’ai revu la transcription, le dossier et les arguments des demandeurs et j’ai examiné si les conclusions relatives à la crédibilité étaient fondées sur des contradictions dans le témoignage de questions accessoires, si la SPR s’était livrée à un examen microscopique, et si les conclusions relatives à la crédibilité de la SPR étaient fondées sur autre chose que des réponses évasives et vagues à certaines questions.

VI.             Les conclusions relatives à la crédibilité sont raisonnables

[31]           L’examen de la transcription écrite du témoignage de M. Sheikh ne peut exprimer parfaitement la dynamique de l’audience ou le déroulement de l’échange de questions et de réponses, mais il révèle le genre de témoignage, que la SPR a estimé être vague, évasif et indirect, et au cours duquel le demandeur ne répond pas aux questions directes, dont plusieurs ont dû être répétées et précisées.

[32]           Bien que les conclusions relatives à la crédibilité de la SPR aient été fondées en grande partie sur les réponses vagues et indirectes de M. Sheikh et, dans certains cas, sur le défaut de répondre à la question posée, plutôt que sur les contradictions flagrantes entre le formulaire FDA et le témoignage, la nature cumulative des réponses évasives et indirectes et certaines contradictions internes sur les principaux aspects de la demande constituent, dans ces circonstances, un fondement suffisant pour que la SPR conclue que la demande d’asile des demandeurs, telle que présentée, manquait de crédibilité et ne suffisait pas à établir le risque de persécution. Les demandeurs soutiennent que le témoignage de M. Sheikh ne contredit pas son formulaire FDA; cependant son formulaire FDA n’apporte pas les détails des allégations des demandeurs. La SPR a par conséquent étudié de près les allégations exprimées à l’audience recherchant les détails et a évalué le témoignage de vive voix.

[33]           La SPR a entendu le témoignage directement et a observé M. Sheikh. La SPR lui a donné l’occasion de préciser ses réponses. La SPR a également reformulé et recentré ses questions pour encourager le demandeur à répondre aux questions touchant aux éléments clés de sa demande.

[34]           Le rôle de l’interprète a été pris en compte par la SPR, mais la transcription révèle que M. Sheikh parle en même temps que l’interprète à plusieurs reprises, et que le commissaire de la SPR a dû demander qu’une seule personne parle à la fois. Contrairement à la prétention de M. Sheikh suivant laquelle il a été interrompu, c’est lui qui interrompt souvent l’interprète ou parle en même temps que l’interprète ou le commissaire de la SPR. De plus, malgré les interruptions, M. Sheikh a eu l’occasion de fournir des réponses. Rien n’indique que l’interprète n’ait pas interprété correctement les questions ou les réponses.

[35]           Les demandeurs et le défendeur ont axé leurs arguments sur les détails du témoignage de M. Sheikh à l’égard de questions particulières et d’autres éléments de preuve, tel qu’il est indiqué ci-dessous.

A.                Le témoignage sur la question de savoir si Mme Abbas est soufie

[36]           En ce qui concerne la question relative à la question de savoir si Mme Abbas était une adepte du soufisme et la signification du soufisme, les demandeurs font valoir que le commissaire de la SPR a d’abord demandé quelle était la religion de Mme Abbas, et M. Sheikh a répondu qu’elle était chiite. La SPR a ensuite demandé si elle était soufie, et M. Sheikh a répondu qu’il n’avait pas compris la question. Lorsque la question a été répétée, il a répondu : [traduction] « Non. Elle est une prédicatrice, elle prêche la religion ». Les demandeurs font valoir que les questions subséquentes de la SPR portaient à confusion parce qu’une réponse avait déjà été donnée.

[37]           Un examen de la transcription de cet échange appuie la conclusion de la SPR suivant laquelle les réponses étaient vagues et indirectes. Le témoignage de M. Sheikh selon lequel il n’avait pas compris la question, qu’il ne savait pas ce que signifie [traduction] « soufi » et ensuite que le soufisme est une branche du sunnisme, montre certaines incohérences internes sur un sujet qui est important dans le contexte de la demande d’asile des demandeurs.

B.                 Le témoignage au sujet du saint soufi

[38]           Les demandeurs contestent la conclusion selon laquelle la réponse de M. Sheikh aux questions concernant un saint soufi [traduction] « n’avait guère de sens ». M. Sheikh a déclaré qu’il savait qu’Abul Hassan était un saint soufi parce qu’il était [traduction] « proche de Dieu ». Les demandeurs soutiennent que sa mention sur le temple et son témoignage révélant qu’il visite régulièrement le temple ne portent pas du tout à confusion.

[39]           La SPR a noté que les réponses concernant les soufis et leurs saints étaient pertinentes parce que l’événement le plus effrayant qu’a vécu M. Sheikh fut la fusillade au retour d’un temple dédié à un saint soufi.

[40]           À mon avis, les réponses de M. Sheikh n’ont pas atteint le niveau du non-sens, mais la conclusion défavorable relative à la crédibilité de la SPR est raisonnable, étant donné que le témoignage de M. Sheikh était marqué d’une certaine confusion quant à la signification du soufisme, bien qu’il sache que le saint mentionné fut soufi.

C.                 Le témoignage sur le moulin à farine

[41]           En ce qui concerne le témoignage de M. Sheikh sur le lien entre le fait qu’il soit propriétaire d’un moulin à farine et les allégations de risque, les demandeurs soutiennent que M. Sheikh a tenté d’expliquer ce lien, mais a déclaré que le principal problème était la prédication de sa femme. Les demandeurs soutiennent qu’il n’y avait pas de contradictions dans son témoignage.

[42]           Le défendeur estime que M. Sheikh n’a pas répondu aux questions claires et répétées de la SPR sur le lien entre le fait qu’il soit propriétaire d’un moulin à farine et sa demande d’asile, jusqu’à ce que le commissaire de la SPR lui pose une question suggestive. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la SPR étudie de près cette question parce que le formulaire FDA des demandeurs fait état du fait qu’ils ont été menacés parce qu’ils vendaient de la farine aux imambargahs.

[43]           À mon avis, la SPR n’a tiré aucune conclusion relative à la crédibilité de cette série de questions insistantes sur le moulin à farine. La SPR a seulement souligné que c’était un autre exemple de la manière indirecte de répondre aux questions de M. Sheikh. L’échange, qui s’est terminé par la déclaration de M. Sheikh indiquant que sa femme prêchait et travaillait à l’imambargah, a mené à d’autres questions sur le rôle de sa femme en tant que [traduction] « secrétaire de la propagande ».

D.                Le témoignage sur les activités de prédication auprès de sunnites

[44]           En ce qui concerne les témoignages au sujet des activités de prédication des demandeurs auprès de musulmans sunnites, les demandeurs prétendent que la SPR a demandé à l’interprète de répéter les réponses de M. Sheikh plusieurs fois et qu’il l’a interrompu alors qu’il tentait de donner ses réponses. Les demandeurs soutiennent que ses réponses n’étaient pas incohérentes ou contradictoires.

[45]           Les demandeurs font également valoir que la SPR a commis une erreur en rendant une décision qui n’est pas appuyée par la preuve documentaire. Premièrement, la SPR n’a pas cité les dispositions du droit pakistanais sur lesquelles elle s’est appuyée pour conclure que la conversion des sunnites [traduction] « contrevient au droit pakistanais ». Deuxièmement, M. Sheikh n’a pas déclaré qu’il avait essayé de forcer la conversion de sunnites à la foi chiite. Troisièmement, la preuve documentaire invoquée par la SPR ne fait pas référence à la conversion de sunnites à la foi chiite.

[46]           Les demandeurs soutiennent également qu’il s’agissait d’une conclusion relative à la vraisemblance sans aucune référence claire et précise à la preuve (Hassan, au paragraphe 13).

[47]           De l’avis du défendeur, il s’agissait d’une conclusion relative à la crédibilité fondée sur l’incohérence des réponses données par M. Sheikh concernant l’endroit où prêchaient les demandeurs et sur les personnes auxquelles s’adressait cette prédication. En outre, dans son témoignage, M. Sheikh a indiqué clairement que les demandeurs ont tenté de convertir des sunnites, non pas par la force, mais à divers endroits, et que ce n’était pas limité à ceux qui venaient à eux. En outre, les pièces du CND auxquelles a fait référence la SPR appuient la conclusion suivant laquelle les allégations des demandeurs voulant qu’ils aient essayé de convertir des sunnites étaient contraires à l’attitude des sunnites modérés.

[48]           Bien que la Cour puisse ne pas avoir tiré la même conclusion que la SPR suivant laquelle le témoignage de M. Sheikh à propos des activités de prédication et de la conversion des sunnites n’est pas cohérent avec son témoignage indiquant que ce n’était pas une obligation dictée par leur foi, la conclusion de la SPR, selon laquelle ses réponses sur cette question étaient dans l’ensemble indéfendables, n’est pas déraisonnable et il était loisible à la SPR de la faire. La SPR a conclu que l’allégation des demandeurs suivant laquelle ils prêchaient pour convertir des sunnites a été fabriquée pour embellir leur demande, et va à l’encontre de bon sens pour ceux qui connaissent la situation au Pakistan; il s’agit d’une conclusion de la SPR fondée sur la preuve objective qui était assez volumineuse et qui décrit de nombreux aspects des conflits religieux au Pakistan, y compris les conflits entre sunnites et chiites et entre les sunnites et les adeptes d’autres religions minoritaires en général. À la lecture du volumineux corpus d’information, on peut tirer des conclusions différentes sur la question de savoir si la documentation confirme que les tentatives des chiites pour convertir des sunnites au chi’isme les exposent à un niveau de risque tel que cela peut les dissuader de se livrer à ce genre d’activité, mais l’interprétation de la SPR de la preuve documentaire n’est pas déraisonnable. Que l’on catégorise la conclusion comme une conclusion relative à la vraisemblance ou une conclusion relative à la crédibilité, la SPR a bien souligné la preuve objective invoquée à l’appui de ses conclusions.

E.                 Les deux incidents clés

[49]           En ce qui concerne les principaux incidents que les demandeurs ont invoqués à l’appui de leurs allégations de risque, soit le vol en décembre 2014 et la fusillade en juillet 2015, les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en attribuant ces incidents à de la violence aveugle sans tenir compte du fait que, au moment de ces incidents, les demandeurs ont reçu des menaces d’extrémistes sunnites. Les demandeurs font valoir que des motifs mixtes touchant, par exemple, à la fois le vol qualifié et la persécution religieuse, auraient dû être examinés.

[50]           À mon avis, la décision de la SPR ne suggère pas qu’elle ait écarté la possibilité de motifs mixtes. La SPR a plutôt conclu que rien ne prouvait que les voleurs étaient des extrémistes sunnites ou que les hommes qui ont tiré sur M. Sheikh étaient des extrémistes sunnites. La SPR a fait remarquer que bien qu’il fut possible que les voleurs cherchent à les tuer en raison de leur prosélytisme religieux, ce n’était pas probable.

[51]           La SPR a également noté que le propre témoignage de M. Sheikh indiquait qu’il ne savait pas qui étaient les auteurs du vol dans sa maison en 2014 et de l’attaque de 2015.

F.                  L’évaluation objective des risques

[52]           En ce qui a trait à l’argument des demandeurs selon lequel la SPR n’a pas examiné objectivement leur demande en vertu de l’article 96 en faisant abstraction de l’évaluation défavorable de la crédibilité, j’estime que la SPR a procédé à une telle évaluation, quoique brièvement. La SPR a également conclu que les demandeurs ne correspondaient pas au profil des chiites exposés à un risque de persécution. Les demandeurs soutiennent que leur profil, en tant que famille importante, n’a pas été évalué par la SPR. La SPR n’a cependant tiré aucune conclusion relative au fait qu’ils étaient une famille éminente et a conclu que l’allégation selon laquelle ils étaient les proches d’un éminent médecin qui a été assassiné était un embellissement. La SPR a conclu, en se fondant sur les conclusions relatives à la crédibilité et dans le contexte des décès signalés dans les éléments de preuve objectifs, qu’ils ne seront pas persécutés.

[53]           En conclusion, la question déterminante selon la SPR était la crédibilité des allégations des demandeurs suivant lesquelles ils avaient été exposés à la persécution en raison de leur religion et de leurs activités de prédication au Pakistan et le seraient s’ils devaient y retourner. Les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR doivent faire l’objet d’une grande déférence et ne doivent pas être modifiées à la légère. Le rôle de la Cour n’est pas de se livrer à un nouvel examen de la preuve et de réévaluer la crédibilité du témoin lorsque la SPR a directement entendu ce témoignage de vive voix, a observé le témoin, a étudié les témoignages, et a tiré des conclusions qui appartiennent à la gamme des issues acceptables. Dans les circonstances de l’espèce, les conclusions clés de la SPR relatives à la crédibilité sont raisonnables et, par conséquent, la conclusion générale que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-236-16

INTITULÉ :

KHANSA ABBAS MUHAMMAD WAQAS SHEIKH (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE MUHAMMAD WAQAS SARFRAZ SHEIKH), MUHAMMAD ANAS WAQAS, MUHAMMAD IBRAHEEM WAQAS (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE MUHAMMAD IBRAHE WAQAS), MUHAMMAD AOUN WAQAS, QANITA WAQAS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS :

Le 10 août 2016

COMPARUTIONS:

Krassina Kostadinov

Pour les demandeurs

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corp.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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