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Date : 20160620


Dossier : T-1627-15

Référence : 2016 CF 695

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

PATRICK DANIEL FISCHER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, détenu dans un pénitencier fédéral, de la décision de troisième palier rendue sur le grief par la sous-commissaire principale (commissaire) du Service correctionnel du Canada, Division des recours des délinquants (SCC), datée du 12 décembre 2014, laquelle rejette le grief du demandeur concernant sa demande visant à obtenir l’autorisation d’avoir, dans sa cellule, de nombreux cédéroms contenant des textes juridiques.

I.                   Contexte

[2]               Le demandeur, Patrick Fischer, purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré, est détenu dans un pénitencier fédéral. Bien que la demande d’autorisation d’interjeter appel de sa condamnation ait été rejetée par la Cour suprême du Canada le 15 décembre 2005 (R c. Fischer, [2005] CSC no 308), le demandeur informe qu’il travaille en collaboration avec l’Association in Defence of the Wrongly Convicted dans le but d’obtenir l’annulation de sa condamnation.

[3]               Les biens personnels du demandeur comptent de nombreux cédéroms, dont certains contiennent des textes juridiques concernant la condamnation pour laquelle il est incarcéré. Lors de son transfèrement de l’Établissement à sécurité maximale de Kent à l’Établissement à sécurité moyenne de Stony Mountain, les cédéroms ont été confisqués et il a été informé qu’ils n’étaient pas permis dans sa cellule.

[4]               Les griefs des délinquants relatifs aux actions ou aux décisions du personnel du SCC sont régis par la procédure établie à l’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC). Le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (RSCMLC) édicte, aux articles 74 à 82, les quatre étapes suivantes de la procédure : 1) une première demande; 2) un grief par écrit au directeur du pénitencier (grief au premier palier); 3) un appel présenté au directeur de district (grief au deuxième palier); et 4) un dernier appel auprès du commissaire (grief au troisième palier).

[5]               Le demandeur a déposé un grief au premier palier le 4 juin 2012, un grief au deuxième palier le 13 août 2012 et un grief au troisième palier le 5 juin 2013. Les décisions de deuxième et de troisième palier rendues sur le grief ont établi que les cédéroms étaient considérés comme « gravés », ce qui est contraire à la politique. Les décideurs des deux paliers ont conclu que l’arrangement permettant au demandeur de consulter ses documents sur un ordinateur du SCC se trouvant dans le centre des opérations constituait un accès raisonnable à ses textes juridiques, comme l’exige le paragraphe 97(3) du RSCMLC.

[6]               Au grief de troisième palier, le demandeur a fait valoir les prétentions suivantes :

  1. il ne s’agit pas de cédéroms maison puisque le transfert du contenu a été effectué par des professionnels, et ils portent l’étiquette d’une société spécialisée dans la vidéo;
  2. les cédéroms lui avaient été remis alors qu’il était incarcéré à l’Établissement de Kent, depuis au moins 2003 il avait obtenu l’autorisation de les avoir en sa possession et, par conséquent, ils devraient être permis à l’Établissement de Stony Mountain;
  3. le fait de restreindre sa possession des cédéroms a enfreint ses droits garantis par la Charte et était également contraire aux principes guidant le SCC, prescrits à l’alinéa 4d) de la LSCMLC;
  4. l’accès aux cédéroms qui lui était offert ne constituait pas un « accès raisonnable » puisqu’il compromettait sa sécurité du fait que les autres détenus le considéreraient comme un « informateur »; et
  5. le logiciel lui permettant d’avoir accès au contenu des cédéroms n’était pas installé sur l’ordinateur mis à sa disposition.

[7]               La décision de troisième palier rendue sur le grief le 4 septembre 2013 a rejeté la demande du demandeur pour le motif que le contenu des cédéroms – comportant des vidéos et des photographies illustrant des scènes de crime – n’était pas approprié pour visionnement dans un environnement institutionnel et que, conformément au paragraphe 96(1) du RSCMLC, le personnel de l’établissement correctionnel pouvait interdire les CD (la décision précédente). Cette dernière mentionne également que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il lui était permis de conserver les CD à l’Établissement de Kent.

[8]               Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision précédente le 7 mai 2014 (T-1140-14). Vu la requête du procureur général reconnaissant que la décision était erronée, le 14 août 2014, la Cour a ordonné, sur consentement, que la décision précédente soit renvoyée pour réexamen. La Cour n’a pas fourni de motifs (le contrôle judiciaire précédent).

[9]               Le 17 septembre 2014, avant le réexamen de la décision de troisième palier rendue sur le grief, le demandeur a fait l’objet d’un transfèrement d’office d’urgence de l’Établissement de Stony Mountain à l’Établissement de Kent. Il lui est permis d’avoir accès aux cédéroms dans une aire désignée, mais il ne peut les avoir dans sa cellule.

[10]           Le 12 décembre 2014, la décision de troisième palier rendue sur le grief, faisant l’objet d’un contrôle, a rejeté la demande du demandeur (la décision). La commissaire a examiné le grief du demandeur en tenant compte de ses prétentions précédentes, des dispositions législatives et des politiques pertinentes, du dossier correctionnel du demandeur et du contrôle judiciaire précédent.

[11]           La commissaire a souscrit à la conclusion des griefs au premier et au deuxième palier selon laquelle l’arrangement offrant au demandeur l’accès à ses textes juridiques était raisonnable.

[12]           La décision explique que le paragraphe 14 de la Directive du commissaire 566-12, Effets personnels des délinquants (DC 566-12), énumère les effets que les détenus peuvent généralement conserver, « pourvu qu’ils figurent sur les listes nationales des effets personnels accordés aux détenus » et qu’ils ne présentent pas de risque pour la sécurité. Les effets personnels autorisés comprennent :

(a) [les] effets qui étaient en la possession légitime des détenus au moment de leur admission ou réadmission à l’établissement de placement ou au moment de leur transfèrement, sauf indications contraires pour des raisons de sécurité ou de santé et à cause du niveau de sécurité de l’établissement[.]

[13]           L’Annexe B de la DC 566-12, la Liste nationale des effets personnels accordés aux détenus de sexe masculin, indique qu’il est permis aux détenus de sexe masculin de conserver 40 cassettes audio, CD ou CD-ROM, mais elle déclare que « [l]es CD-RW, CD réinscriptibles [...] et CD gravés sont interdits » (à l’exception des enregistrements numériques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC).

[14]           De même, les paragraphes 9 et 10 de l’Annexe D de la DC 566-12, faisant référence au matériel informatique permis dans le cas des ordinateurs autorisés appartenant à des détenus (ce qui n’est pas le cas du demandeur), interdisent les CD « gravés » ou « maison ». La décision explique que les évaluations de la menace et des risques effectuées par les fonctions de sécurité du SCC ont établi qu’il est difficile de déterminer le contenu véritable des CD.

[15]           Pour répondre spécifiquement aux prétentions du demandeur, la décision mentionne ce qui suit :

  1. bien que les CD puissent avoir été reproduits de manière professionnelle, ils ne proviennent pas d’un fournisseur approuvé et ils sont donc considérés comme des CD « gravés » ou « maison », lesquels sont interdits aux termes de la DC 566-12;
  2. le demandeur n’a fourni aucune documentation confirmant qu’il lui était permis de garder les cédéroms dans sa cellule à l’Établissement de Kent, et ces effets ne figuraient pas sur le Relevé des effets personnels du détenu du demandeur au moment où la décision a été rendue;
  3. Rien n’indique que la sécurité du demandeur soit compromise par l’arrangement; et
  4. l’Établissement doit s’assurer que l’ordinateur mis à la disposition du demandeur pour qu’il puisse avoir accès aux documents dispose du même logiciel que celui installé sur les ordinateurs autorisés appartenant à des détenus. Il a d’ailleurs été confirmé que c’était le cas pour l’ordinateur fourni au demandeur, afin de lui permettre d’accéder à ses textes juridiques.

[16]           Par conséquent, la commissaire a conclu que le demandeur se voyait accorder l’occasion d’examiner les textes juridiques dans un environnement sécuritaire et contrôlé et que, compte tenu de la nécessité de veiller à la sécurité de l’Établissement, les mesures prises pour permettre l’accès du demandeur aux textes juridiques étaient raisonnables.

[17]           Enfin, la décision note que le demandeur a été transféré à l’Établissement de Kent, et elle énonce la procédure à laquelle le demandeur doit se soumettre à cet établissement afin d’avoir accès à ses cédéroms.

II.                Questions en litige

[18]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision rejetant la demande du demandeur en vue d’obtenir l’autorisation de conserver des cédéroms contenant des textes juridiques dans sa cellule est-elle raisonnable?
  2. La conclusion de la décision selon laquelle le demandeur dispose d’un accès raisonnable aux cédéroms, en application de l’alinéa 97(3)a) du RSCMLC, est-elle raisonnable?

III.             Norme de contrôle

[19]           Le bien-fondé de la décision de troisième palier rendue sur le grief doit être contrôlé selon la norme de la décision raisonnable. Il s’agit d’une décision mixte de fait et de droit, « et le personnel du SCC est mieux placé que la Cour pour rendre et examiner les décisions relatives au milieu carcéral ». (Spidel c. Canada (Procureur Général), 2011 CF 999, au paragraphe 31, confirmée par 2012 CAF 26; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 à 50).

[20]           J’ai également réfléchi à la question de savoir si la commissaire avait entravé son pouvoir discrétionnaire (un argument que les parties n’ont pas soulevé, mais qui doit être pris en compte, au vu de la décision), lequel doit également être contrôlé selon la norme de la décision raisonnable : une décision qui est fondée sur l’exercice d’un pouvoir entravé est en soi une décision déraisonnable (Stemijon Investments Ltd c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 22 à 25).

IV.             Analyse

A.                Question préliminaire

[21]           Le demandeur prétend que la décision est la même que celle qui a été renvoyée aux fins de réexamen par notre Cour, dans le dossier numéro T-1140-14. Il allègue que la nouvelle décision est pratiquement identique aux conclusions et aux motifs énoncés dans la décision précédente, reconnue comme erronée par le défendeur. Aucune nouvelle question ou justification ne sont fournies dans la décision, et le demandeur affirme que l’entraîner à remettre en litige la même question constitue de la mauvaise foi.

[22]           Il explique qu’après avoir parlé à l’avocat du défendeur, lors du précédent contrôle judiciaire, il avait compris que le défendeur ne contestait plus l’exactitude de ses prétentions et qu’il présenterait une requête en jugement sur consentement afin que la demande soit accueillie. En conséquence, il affirme que la décision en l’espèce a été rendue selon des conclusions contraires aux faits reconnus dans le contrôle judiciaire précédent.

[23]           Toutefois, le contrôle judiciaire précédent ne fournit aucun motif expliquant pourquoi il a été accueilli. Il peut avoir été accueilli pour des motifs de fond, mais il peut également avoir été accueilli pour des motifs de procédure. Les motifs à l’appui de la requête en jugement sur consentement du défendeur visant à accueillir le contrôle judiciaire ne sont pas fournis, et la Cour en l’espèce ne peut présumer ou tirer des conclusions, sans appui au vu du dossier, quant à ce qui a été reconnu par le défendeur ou pour quelle raison la décision a été renvoyée pour réexamen. Il n’existe aucune preuve de mauvaise foi ou de fin illégitime.

[24]           Je note cependant que le demandeur a raison de souligner que la décision précédente est très similaire à la décision faisant actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire.

B.                 La décision rejetant la demande du demandeur en vue d’obtenir l’autorisation de conserver des cédéroms contenant des textes juridiques dans sa cellule est-elle raisonnable?

[25]           Le défendeur soutient que la décision était raisonnable. Conformément au paragraphe 96(1) du RSCMLC, le directeur du pénitencier ou un membre du personnel peut interdire la circulation à l’intérieur du pénitencier d’enregistrements vidéo et audio ou de programmes informatiques lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que ces derniers compromettraient la sécurité du pénitencier ou de quiconque.

[26]           L’Annexe B de la DC 566-12 énonce expressément que les CD « gravés » sont interdits dans les cellules. La documentation présentée au SCC a confirmé que les CD en l’espèce sont des cédéroms réinscriptibles (de type CD-R ou CD-RW), et le personnel les considère comme des CD « gravés » contenant des vidéos et des photographies de scènes de crime.

[27]           La commissaire a établi que les cédéroms n’étaient pas permis dans la cellule du demandeur, car bien qu’ils aient pu être produits de manière professionnelle, ils sont considérés comme « maison », puisqu’ils ne proviennent pas d’un fournisseur approuvé. La décision mentionne que, conformément au paragraphe 14, à l’Annexe B et à l’Annexe D de la DC 566-12, les CD gravés ou maison sont interdits.

[28]           Je conclus que la décision rejetant la demande du demandeur en vue d’obtenir l’autorisation de conserver ses cédéroms contenant des textes juridiques dans sa cellule n’est pas justifiée par des motifs transparents et intelligibles.

[29]           D’abord, le fait que la décision qualifie tous les CD ne provenant pas d’un fournisseur autorisé comme des CD « maison » est déraisonnable. La DC 566-12, la LSCMLC, le RSCMLC ou une considération du sens ordinaire du terme « maison » ne proposent ni n’appuient une telle interprétation.

[30]           De plus, la décision mentionne que les CD gravés ou maison sont interdits parce [TRADUCTION] « qu’il est difficile d’en déterminer le contenu exact ». Or, dans la décision faisant l’objet du contrôle, il n’est pas question du contenu des cédéroms, ou de la possibilité qu’ils compromettent la sécurité du pénitencier ou de quiconque, conformément au paragraphe 96(1) du RSCMLC.

[31]           Enfin, la décision est déraisonnable parce je conclus que la commissaire, en déterminant si les cédéroms étaient permis dans la cellule du demandeur, a entravé son pouvoir discrétionnaire, prévu dans la LSCMLC et le RSCMLC.

[32]           L’alinéa 96p) de la LSCMLC prescrit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements autorisant le directeur ou l’agent que celui-ci désigne à contrôler l’usage par les détenus de publications, de matériel vidéo et audio, de films et de programmes informatiques.

[33]           Le paragraphe 96(1) du RSCMLC confère au directeur du pénitencier ou à un membre du personnel désigné le pouvoir discrétionnaire « d’interdire l’introduction dans le pénitencier, ou la circulation à l’intérieur du pénitencier, de publications, d’enregistrements vidéo et audio, de films ou de programmes informatiques lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que ceux-ci compromettraient la sécurité du pénitencier ou de quiconque ».

[34]           La DC 566-12 établit la procédure relative à l’autorisation, à la possession, au contrôle et à la protection des effets personnels des détenus. Il est bien établi que de tels manuels de politiques ou de directives ne constituent pas le droit et ne lient pas le décideur.

[35]           Les directives et le « droit indicatif » formulés par les organismes administratifs sont importants pour assurer l’uniformité et l’efficacité du processus décisionnel. Toutefois, les décideurs administratifs doivent examiner les faits propres à chaque affaire, et ils ne peuvent pas appliquer des directives et des énoncés de politique comme s’ils constituaient le droit (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, au paragraphe 71; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Thamotharem, 2007 CAF 198, au paragraphe 62 [Thamotharem]; Lussier c. Canada (Revenu national), 2015 CF 10, aux paragraphes 25 à 29 [Lussier]).

[36]           Dans l’arrêt Thamotharem précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[62] [...] si les organismes sont libres de donner des directives ou de formuler des énoncés de politique visant à coordonner l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi afin de favoriser la cohérence, les décideurs administratifs ne peuvent pas appliquer ces directives et politiques comme si elles constituaient le droit. Aussi une décision fondée uniquement sur les consignes impératives d’une directive malgré une demande pour qu’il y soit fait exception en raison d’une situation particulière, pourratelle être annulée au motif que le décideur a illicitement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : voir, par exemple, l’arrêt Maple Lodge Farms [c. Gouvernement du Canada (1982), [1982] 2 SCR 2] à la page 7.

[Non souligné dans l’original.]

[37]           En ne tenant compte que de la consigne impérative de la DC 566-12 pour conclure que les cédéroms constituaient des effets interdits, la commissaire a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu du RSCMLC. Et ce, malgré la demande du demandeur pour qu’il soit fait exception à la consigne en raison de la situation particulière selon laquelle les cédéroms avaient été produits de manière professionnelle et contenaient des textes juridiques qu’il a le droit de consulter, les décisions de la CLCC font l’objet d’une exception et que, par conséquent, ces cédéroms à contenu juridique devraient également faire l’objet d’une exception.

[38]           La commissaire ne tient pas compte de la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire accordé en vertu du RSCMLC permettant de faire exception à la DC 566-12 dans cette situation particulière, et la décision ne prend pas en compte les principes établis à l’article 3.1 et aux alinéas 4c), 4d) et 4f) de la LSCMLC qui sont expressément décrits dans la DC 566-12 comme des principes directeurs pour une telle prise de décision.

[39]           C’est seulement après avoir déterminé que les cédéroms étaient interdits que la commissaire fait référence au paragraphe 97(3) du RSCMLC pour déterminer s’il a été fourni au demandeur un [traduction] « accès raisonnable aux textes juridiques ».

[40]           La décision mentionne qu’un [traduction] « équilibre doit être établi entre la nécessité de veiller à la sécurité de l’Établissement et le droit du demandeur d’avoir accès à ses textes juridiques ». Or, la décision n’indique nullement de quelle manière l’accès du demandeur aux cédéroms contenant des textes juridiques compromet la sécurité de l’Établissement, pas plus qu’elle n’examine si le retrait des cédéroms constituait une mesure nécessaire et proportionnée, conformément aux principes directeurs établis en vertu de la LSCMLC.

[41]           En ne référant qu’à la directive et en l’appliquant comme si elle constituait le droit, la commissaire a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et la décision est par conséquent déraisonnable (Thamotharem, précité, au paragraphe 62; Lussier, précitée, aux paragraphes 25 à 29).

C.                 La conclusion de la décision selon laquelle le demandeur dispose d’un accès raisonnable aux cédéroms, en application de l’alinéa 97(3)a) du RSCMLC, est-elle raisonnable?

[42]           Le demandeur reconnaît qu’il lui a été offert un accès dans un « environnement sécuritaire et contrôlé »; cependant, il soutient que ce sont les répercussions et les suites d’un tel accès qui compromettent sa sécurité. Il prétend que le SCC sait que le fait d’être soupçonné « d’informateur » constitue une question de sécurité sérieuse.

[43]           Les éléments de preuve sont contradictoires quant à la question de savoir si l’accès offert au demandeur était raisonnable :

  1. le dossier laisse entendre que le demandeur n’était effectivement pas en mesure d’accéder aux documents contenus sur les cédéroms, au moyen de l’ordinateur portable fourni;
  2. le « contre-interrogatoire » par le demandeur de Roger Sehra, gestionnaire correctionnel des Opérations à l’Établissement de Stony Mountain, a révélé que l’ordinateur portable fourni au demandeur disposait du logiciel requis depuis le 2 octobre 2013, soit après la tentative du demandeur de consulter ses documents;
  3. toutefois, le dossier présenté à la commissaire indique également que [traduction] « l’ordinateur portable était un ordinateur du SCC non relié à un réseau, qui ne permettait pas un accès raisonnable, puisque le logiciel était caractéristique de celui contenu dans les ordinateurs usuels des détenus se trouvant en quantité dans les unités résidentielles ».

[44]           À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question litigieuse, vu la conclusion précitée quant au caractère déraisonnable. En outre, la décision concernant l’accès raisonnable est sans conteste une question théorique : le demandeur a depuis été transféré à l’Établissement de Kent et les éléments de preuve présentés à la Cour concernant l’accès raisonnable à cet Établissement sont insuffisants pour rendre une décision qui aurait un effet concret sur les droits actuels du demandeur.

[45]           Il n’existe aucune preuve de mauvaise foi ou de conduite vexatoire ou volontairement nuisible, tel qu’il est allégué par le demandeur. Ainsi, aucuns dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ne sont adjugés en fonction des faits présentés à la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie;
  2. la décision de troisième palier rendue sur le grief le 12 décembre 2014, rejetant la demande du demandeur visant à obtenir que les cédéroms contenant des textes juridiques lui soient remis pour utilisation dans sa cellule au sein de l’Établissement, est annulée;
  3. la décision de troisième palier rendue sur le grief par la sous-commissaire principale intérimaire est renvoyée pour réexamen, selon les présents motifs;
  4. les dépens sont adjugés en faveur du demandeur.

« Michael D. Manson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1627-15

 

INTITULÉ :

PATRICK DANIEL FISCHER c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Patrick Fisher

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

Cindy Mah

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patrick Fisher

Agassiz (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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