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Date : 20160819


Dossier : IMM-573-16

Référence : 2016 CF 952

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 19 août 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

IMAN DANDACHI

ABDULRAZAK EZEDEEN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs, Mme Iman Dandachi et son fils, M. Abdulrazak Ezedeen, sont des citoyens de la Syrie. Puisqu’ils ne se sont pas acquittés de leur obligation de résidence des résidents permanents en vertu de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), le représentant du ministre a prononcé des mesures d’interdiction de séjour contre eux en juillet 2013, de même que contre la fille de Mme Dandachi, Mme Tala Ezeddin. Le 19 janvier 2016, la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur appel des mesures d’interdiction de séjour. La SAI a conclu que Mme Dandachi et son fils n’avaient pas présenter suffisamment de motifs d’ordre humanitaire aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR pour surmonter leur interdiction de territoire au Canada pour défaut de se conformer aux exigences en matière de résidence (la décision). Dans la décision, la SAI a cependant conclu que Mme Ezeddin avait présenté des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales à son égard.

[2]               La SAI a reconnu les difficultés que Mme Dandachi et son fils rencontreraient si leur appel était rejeté et a indiqué la suspension temporaire des expulsions vers la Syrie depuis mars 2012. Cependant, la SAI a déterminé que Mme Dandachi et ses enfants n’étaient pas venus directement de la Syrie et qu’ils avaient vécu au Qatar pendant 14 ans depuis 1999. En plus de son examen des divers motifs d’ordre humanitaire établis par Mme Dandachi et son fils, et des circonstances de leur affaire, la SAI a conclu que les facteurs négatifs l’emportaient sur les facteurs positifs.

[3]               Mme Dandachi et son fils présentent une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Ils prétendent que, dans sa décision, la SAI n’a pas dûment examiné la question des difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils étaient déportés du Canada, et que cela suffit pour rendre la décision déraisonnable. Ils demandent à la Cour d’annuler la décision de la SAI et d’ordonner le réexamen par un autre tribunal de leur appel des mesures d’interdiction de séjour prononcées contre eux.

[4]               La seule question à trancher consiste à déterminer si la décision de la SAI est raisonnable. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAI n’appartient pas aux issues possibles acceptables en regard des faits et du droit puisque, dans son évaluation et son appréciation des divers facteurs en cause, la SAI a clairement négligé d’examiner dûment les difficultés que Mme Dandachi et son fils rencontreraient s’ils étaient renvoyés du Canada. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie.

II.                Décision de la SAI

[5]               Dans sa décision, la SAI a présenté le cadre analytique de sa fonction en matière d’appel en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, et a expressément énoncé les divers critères élaborés par les tribunaux pour guider la SAI dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lors des appels sur l’obligation de résidence. La SAI a déterminé que ces critères étaient l’importance de l’obstacle juridique, la durée et le degré d’établissement de Mme Dandachi et de ses enfants au Canada, l’incidence du rejet des appels sur la famille, les motifs pour quitter le Canada et la possibilité de revenir à la première occasion raisonnable, l’intérêt supérieur des enfants touchés, leur intégration à la société canadienne, et les difficultés que Mme Dandachi et ses enfants rencontreraient s’ils étaient déportés dans leur pays d’origine.

[6]               Je m’arrête un instant pour souligner que ces facteurs sont connus sous le nom de facteurs de Ribic, d’abord énumérés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL), et adoptés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [Chieu], aux paragraphes 40, 41 et 77 (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Wright, 2015 CF 3, aux paragraphes 75 à 78).

[7]               La SAI a ensuite examiné les éléments de preuve relativement à chacun de ces facteurs. Puisque Mme Dandachi et son fils soulèvent des questions uniquement à l’égard du traitement par la SAI des difficultés auxquelles ils pourraient faire face, seulement ce facteur sera examiné.

[8]               En ce qui concerne les difficultés, la SAI a reconnu les difficultés que Mme Dandachi et son fils rencontreraient si leur appel était rejeté, constatant que la suspension temporaire des expulsions vers la Syrie était [traduction] « un signe que la situation en Syrie est extrêmement difficile et que cela constituerait une difficulté excessive si les demandeurs étaient renvoyés en Syrie ». Cependant, la SAI a conclu que [traduction] « la preuve est à l’effet que les trois demandeurs n’arrivaient pas de Syrie », et qu’ils avaient vécu au Qatar pendant 14 ans, soit de 1999 à 2013.

[9]               La SAI a noté que, selon la documentation du Qatar, [traduction] « le mari ou le père peut parrainer sa fille non mariée, sa femme et son fils âgé de 25 ans ou moins ». Ainsi, Mme Dandachi et ses enfants pourraient profiter du travail du père pour obtenir des visas pour habiter au Qatar avec lui. Par conséquent, la SAI a conclu que si Mme Dandachi et ses enfants étaient renvoyés du Canada, il est probable qu’ils obtiendraient des visas temporaires pour le Qatar, même si, dans le cas de M. Ezedeen, le visa temporaire ne serait plus valide lorsqu’il aura 26 ans.

[10]           Concernant les « difficultés excessives », la SAI a affirmé que selon elle, il était improbable que Mme Dandachi et ses enfants [traduction] « retournent en Syrie en ce moment », et a ajouté que [traduction] « l’incertitude est importante, mais elle n’est pas équivalente aux difficultés excessives associées à un retour en Syrie ». La SAI a poursuivi et indiqué que ce facteur [traduction] « est un facteur positif, mais il n’est pas aussi important qu’il le serait si les demandeurs devaient retourner en Syrie ».

[11]           Dans ses conclusions, la SAI s’est ensuite fondée sur les éléments suivants pour appuyer sa conclusion selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire sont insuffisants et pour refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Dandachi et de ses enfants. Voici les facteurs jugés positifs : la présence de membres de famille éloignés au Canada, la croissance de leur établissement et de leur intégration à la société canadienne depuis 2013, un effet positif très limité sur l’intérêt supérieur de la petite fille que Mme Dandachi garde depuis sa naissance, et leur résidence continuelle au Canada depuis 2013. À l’inverse, voici les facteurs négatifs, ou contre Mme Dandachi et ses enfants : l’importance de l’obstacle juridique, le fait qu’ils n’avaient pas de motifs impérieux pour quitter le Canada, le fait de ne pas être retournés au Canada à la première occasion et le fait que le rejet de l’appel n’entraînerait pas la séparation de la famille puisque le père vivait séparé de la mère et des enfants depuis 2013.

[12]           La SAI a conclu que les facteurs négatifs l’emportaient sur les facteurs positifs dans le cas de Mme Dandachi et de son fils.

III.             Norme de contrôle

[13]           Il est établi dans la jurisprudence que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], la Cour suprême a expressément déterminé que la norme de contrôle des décisions de la SAI fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire équitable aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est la norme de la décision raisonnable (Khosa, aux paragraphes 57 à 59, 64 et 67). J’ajoute que la détermination de l’obligation de résidence en vertu de la LIPR touche à l’interprétation par la SAI de sa loi constitutive dont elle a une connaissance approfondie. Depuis l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], la Cour suprême a maintes fois réitéré « qu’il existe une présomption voulant que la décision d’un tribunal administratif interprétant ou appliquant sa loi habilitante est assujettie au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable » (Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, au paragraphe 32). Or, c’est le cas en l’espèce.

[14]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], aux paragraphes 16 et 17).

IV.             Analyse

[15]           Mme Dandachi et son fils contestent la décision de la SAI seulement à l’égard du traitement des difficultés. Ils allèguent que bien que la SAI ait examiné le risque auquel ils étaient exposés en Syrie, elle n’a pas abordé le risque posé au Qatar relativement au contexte politique et à leur situation incertaine. Mme Dandachi et son fils soutiennent également qu’en affirmant qu’ils pouvaient obtenir un statut au Qatar, la SAI a avancé une hypothèse et a tiré des conclusions sans correctement tenir compte du dossier. Ils font valoir que la SAI a omis d’analyser la probabilité qu’ils pouvaient obtenir un statut semi-permanent au Qatar. En outre, Mme Dandachi et son fils prétendent que la SAI a omis de tenir compte de sa propre admission selon laquelle ils connaîtraient des difficultés excessives s’ils étaient renvoyés en Syrie. En conséquence, ils allèguent que la SAI a conclu à tort que les difficultés qu’ils rencontreraient en retournant d’abord au Qatar et en ne retournant pas en Syrie [traduction] « en ce moment » ne peuvent être [traduction] « aussi importantes qu’elles le seraient » s’ils devaient retourner directement en Syrie. Plus précisément, ils font valoir que le fils, M. Ezedeen, ne pourrait plus rester au Qatar grâce au parrainage de son père lorsqu’il aura 26 ans. De même, en tenant compte du fait que son mari est sur le point de prendre sa retraite, Mme Dandachi prétend qu’elle pourrait elle-même se retrouver sans visa au Qatar dans un court délai.

[16]           Il est vrai que la SAI a reconnu la preuve documentaire voulant que le parrainage de M. Ezedeen prenne fin lorsqu’il aurait 26 ans. Cependant, je ne suis pas convaincu que la SAI a tenu compte de ce qui pourrait se passer si Mme Dandachi et son fils étaient déportés au Qatar, ni de la réaction en chaîne possible liée à leur renvoi. Compte tenu du fait que M. Ezedeen risquerait l’expulsion vers la Syrie dès 2019 en raison de son âge et compte tenu du départ à la retraite possible du mari de Mme Dandachi, sans preuve que la situation en Syrie est sur le point de changer, la SAI devait non seulement évaluer l’incertitude, mais également les répercussions liées au renvoi possible en Syrie à la suite du retour de Mme Dandachi et de son fils au Qatar. Je suis d’accord avec Mme Dandachi et son fils que dans ces circonstances, le fait de conclure à une absence de probabilité de renvoi en Syrie (et de difficulté excessive à cet égard) ne paraît pas raisonnable. Dans le contexte des lois canadiennes sur l’immigration et la citoyenneté, l’évaluation des difficultés est un exercice prospectif. Par conséquent, la SAI ne pouvait raisonnablement limiter son analyse aux difficultés que Mme Dandachi et son fils pourraient rencontrer actuellement. Elle devait tenir compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, soit qu’un renvoi éventuel du Qatar vers la Syrie était probable. Je ne suis pas convaincu que, dans les circonstances en l’espèce et à la lumière des éléments de preuve qui ont été soumis à la SAI, le fait de conclure que le renvoi en Syrie n’entraînerait aucune difficulté excessive [traduction] « en ce moment », et de reconnaître seulement qu’il y a une [traduction] « incertitude », appartient aux issues possibles acceptables.

[17]           Cependant, la décision de la SAI pose un problème plus fondamental.

[18]           Dans la décision, après avoir discuté des divers facteurs et des éléments de preuve concernant chacun des facteurs, notamment celui des difficultés, la SAI a, dans la partie [traduction] « Conclusion » des motifs invoqués, effectué l’évaluation et l’appréciation des divers facteurs, indiquant s’il s’agit d’un facteur positif ou négatif. Elle a ensuite déterminé que les facteurs négatifs l’emportaient sur les positifs.

[19]           Le problème est qu’à aucun endroit dans la [traduction] « Conclusion » de la SAI il n’est fait référence aux [traduction] « difficultés », même si cet élément a été clairement établi plus tôt dans la décision comme étant un [traduction] « facteur positif » en faveur de Mme Dandachi et de son fils. De plus, rien n’indique qu’un quelconque poids ait été accordé à ce facteur dans l’évaluation de la SAI de [traduction] « tous les facteurs combinés », malgré le fait que [traduction] l’« incertitude » ait été précisément déterminée par la SAI comme étant un facteur positif. Même si l’on a indiqué que ce facteur n’était [traduction] « pas aussi important » que les [traduction] « difficultés excessives associées à un retour en Syrie », il ne fait aucun doute que l’incertitude a été considérée comme un facteur en soi à examiner dans l’affaire de Mme Dandachi et de son fils.

[20]           Lors de l’audience, l’avocat du ministre a reconnu qu’il n’y avait aucune référence au facteur des [traduction] « difficultés » dans la [traduction] « Conclusion » de la décision de la SAI, dans laquelle la SAI a réalisé son appréciation des motifs d’ordre humanitaire. Je suis donc devant une décision dans laquelle la SAI ne semble même pas avoir tenu compte de sa propre conclusion relative aux difficultés lorsqu’elle a examiné les facteurs. Cette omission suffit pour rendre la décision déraisonnable et faire en sorte qu’elle n’appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Comme l’a réaffirmé la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 25, l’agent de l’immigration appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire « doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids ».

[21]           Je reconnais que le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les détails qui étayent sa conclusion. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier, pour déterminer s’ils possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité (Dunsmuir, au paragraphe 47; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 51 à 53). De même, il n’appartient pas à la Cour d’examiner à nouveau la preuve ou le poids accordé à un élément particulier par un décideur exerçant son pouvoir discrétionnaire.

[22]           La SAI est même libre de n’accorder aucun poids à aucun des facteurs de Ribic. Cependant, si elle a établi qu’un facteur est pertinent, comme elle l’a fait en l’espèce à l’égard des difficultés, elle ne peut en faire fi dans son appréciation.

[23]           Selon la norme de la décision raisonnable, le rôle de la Cour doit se limiter à « rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire tel que sa compétence, reposant sur la primauté du droit, est engagée », comme la présence du caractère illogique ou irrationnel du processus de recherche des faits ou de l’analyse, ou l’absence de tout fondement acceptable à la conclusion de fait tirée (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CFA 113, au paragraphe 99). Toutefois, la norme de la décision raisonnable nécessite que les conclusions et la conclusion générale d’un décideur résistent à un examen assez poussé. Si des parties de la preuve ne sont pas prises en compte ou qu’elles sont mal interprétées, et si les conclusions ne suivent pas la preuve, la décision ne résistera pas à un examen assez poussé. Or, c’est le cas en l’espèce.

[24]           La SAI a précisément reconnu que le facteur de [traduction] l’« incertitude » [traduction] « n’est pas aussi important qu’il le serait si les demandeurs devaient retourner en Syrie ». Et pourtant, elle n’a même pas tenu compte de ce facteur moins important dans son analyse des facteurs positifs et négatifs. La SAI devait évaluer le degré de difficulté auquel Mme Dandachi et son fils seraient confrontés s’ils retournaient dans leur pays d’origine, ou le pays de renvoi, et devait tenir compte de ce degré de difficulté. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Chieu, la SAI « doit d’abord déterminer s’il y a un pays de destination probable et, dans l’affirmative, déterminer si les difficultés auxquelles l’appelant pourrait faire face dans ce pays suffisent pour modifier l’équilibre antérieur des facteurs pertinents et permettre ainsi à l’appelant de demeurer au Canada » (Chieu, au paragraphe 91). Elle ne l’a pas fait.

[25]           Les conclusions de la SAI ne permettent pas aux parties ou à la Cour de savoir de quelle manière le facteur des difficultés a été examiné, ni d’évaluer la raison pour laquelle cette décision a été prise. En fait, les conclusions de la SAI indiquent plutôt que ce facteur, qui était loin d’être un point secondaire dans l’analyse de la SAI et se trouvait au centre de l’examen qu’elle devait réaliser, a été totalement ignoré par le décideur lors de l’appréciation des facteurs positifs et négatifs visant à déterminer si des mesures spéciales devaient être accordées à Mme Dandachi et à ses enfants. Peu importe les difficultés en jeu, qu’il s’agisse de l’incertitude ou des difficultés excessives associées à un renvoi possible en Syrie, il n’y a aucune mention de ce facteur dans les conclusions de la SAI.

[26]           Je ne suis pas d’accord avec le ministre qu’il s’agit simplement d’un désaccord relatif au poids accordé à la preuve. Il s’agit plutôt d’un cas dans lequel le décideur a complètement fait fi d’un facteur qu’il avait déterminé comme étant pertinent et qui a soudainement disparu de la dernière analyse donnant lieu à la conclusion que Mme Dandachi et son fils n’avaient pas présenté des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Une telle analyse erronée nécessite l’intervention de la Cour.

[27]           Il a été suggéré que depuis l’arrêt Newfoundland Nurses, les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard des motifs d’un décideur, et qu’une insuffisance alléguée de motifs n’est pas un motif en soi pour accueillir une demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’arrêt Newfoundland Nurses, et les décisions qui ont été rendues dans sa foulée, ne donne pas aux tribunaux toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne les autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le décideur a pu penser (Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11). Le fait de faire preuve de déférence à l’égard des motifs invoqués pour appuyer une décision d’un tribunal administratif et d’accorder une attention respectueuse à ces motifs ne confère pas à la cour de justice le « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » (Alberta Teachers, au paragraphe 54, citant Petro-Canada c. British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2009 BCCA 396, au paragraphe 56).

[28]           Dans les circonstances en l’espèce, je ne suis pas convaincu que les motifs de la SAI possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité. Après avoir lu les conclusions de la SAI, je n’ai aucun moyen de savoir si, en incluant le facteur [traduction] « positif » des difficultés (même le facteur moins important de [traduction] l’« incertitude »), la SAI avait examiné les facteurs positifs et négatifs de façon différente, ou si l’inclusion des difficultés avait altéré le reste des facteurs pertinents et les avait faits pencher en faveur de Mme Dandachi et de son fils.

[29]           Je suis conscient qu’en renvoyant cette affaire à la SAI, le résultat de l’appréciation pourrait être le même après la réalisation du nouvel examen en tenant compte des difficultés que Mme Dandachi et son fils pourraient rencontrer s’ils étaient renvoyés du Canada. Cependant, il s’agit d’un examen que la SAI, et non la Cour, doit effectuer, et auquel Mme Dandachi et son fils ont droit dans la décision concernant leur appel des mesures d’interdiction de séjour. Appuyé par les motifs de l’erreur commise par la SAI et l’obligation d’examiner dûment la question des difficultés, un autre tribunal pourrait en venir à une conclusion différente. Je ne saurais affirmer que le dossier va tellement à l’encontre l’accueil des appels de Mme Dandachi et de son fils qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire devant la SAI (Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CFA 114, au paragraphe 38). Bien au contraire. Le facteur des difficultés pourrait très bien jouer un rôle crucial dans l’analyse de la SAI en l’espèce.

V.                Conclusion

[30]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire remplie par Mme Dandachi et son fils doit être accueillie, puisque la décision de la SAI est déraisonnable et ne représente pas une issue possible acceptable en regard du droit et des éléments de preuve présentés à la SAI.

[31]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.
  2. La décision du 19 janvier 2016 de la Section d’appel de l’immigration rejetant les appels de Mme Iman Dandachi et de M. Abdulrazak Ezedeen est annulée.
  3. L’affaire est renvoyée devant la Section d’appel de l’immigration pour une nouvelle décision sur le fond par un tribunal constitué différemment.
  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-573-16

INTITULÉ :

IMAN DANDACHI, ABDULRAZAK EZEDEEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 19 août 2016

COMPARUTIONS :

Mitchell Goldberg

Pour les demandeurs

Simone Truong

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mitchell Goldberg

Avocat

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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