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Date : 20160818


Dossier : T-95-16

Référence : 2016 CF 946

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 août 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

PATRICK IMHOUDU ILUEBBEY

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, interjette appel de la décision d’un juge de la citoyenneté datée du 8 décembre 2015 qui a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le défendeur, M. Iluebbey, remplissait les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C., 1985, ch. C-29, telle que modifiée (la Loi).

[2]               Le juge de la citoyenneté a appliqué le critère qualitatif établi dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 (CFPI) [Papadogiorgakis]. Il a pris en considération les préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté, a interrogé M. Iluebbey à ce sujet et a jugé que ses explications étaient crédibles. Le juge de la citoyenneté a conclu que le témoignage de M. Iluebbey, ajouté aux renseignements supplémentaires qu’il a fournis, était suffisant pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait établi et conservé une résidence au Canada; autrement dit, qu’il avait [traduction] « centralisé son mode de vie au Canada » et qu’il répondait au critère de résidence.

[3]               Pour les motifs qui suivent, les motifs du juge de la citoyenneté, conjointement avec le dossier, me permettent de conclure que la décision est raisonnable.

I.                   Contexte

[4]               M. Iluebbey, un citoyen du Nigéria, est arrivé au Canada le 29 août 2006, date à laquelle il obtenu le statut de résident permanent. Cependant, il n’est pas demeuré au Canada à son arrivée et a passé une bonne partie de son temps à l’extérieur du Canada avant le début de la période pertinente pour l’évaluation de la résidence aux fins de l’obtention de sa citoyenneté. Il a demandé la citoyenneté le 14 janvier 2012. Par conséquent, la période pertinente pour déterminer s’il satisfait aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi s’étend du 14 janvier 2008 au 14 janvier 2012.

[5]               Dans sa demande de citoyenneté, M. Iluebbey a déclaré qu’il avait été effectivement présent au Canada pendant 1 120 jours et qu’il avait été absent pendant 340 jours au cours de la période pertinente. Dans son Questionnaire sur la résidence (QR), il a déclaré qu’il avait été absent pendant 424 jours. Au bout du compte, il a été conclu qu’il lui manquait 59 jours de présence effective pendant la période pertinente.

[6]               Un agent de la citoyenneté a examiné la demande et a soulevé plusieurs préoccupations :

         M. Iluebbey avait dix timbres de retour au Canada, mais onze absences déclarées.

         Aucune résidence au Canada n’avait été indiquée dans sa demande de citoyenneté pour les périodes de janvier 2008 à décembre 2008, et de décembre 2010 à octobre 2011.

         Il y avait des contradictions entre les adresses indiquées dans sa demande de citoyenneté et les adresses indiquées dans son QR.

         Une incohérence a aussi été relevée parce que M. Iluebbey aurait prétendument quitté son emploi au Nigéria en 2008, mais aurait tout de même indiqué qu’il s’était rendu au Nigéria entre 2009 et 2011 pour des raisons [traduction] « professionnelles ».

         M. Iluebbey n’a déclaré aucun revenu provenant de son employeur ou de son entreprise, Afromedia, en 2008 et en 2009.

         M. Iluebbey n’a déposé aucune preuve financière relative à sa vie personnelle et à son emploi.

         Il y avait peu d’indicateurs actifs de sa résidence.

[7]               L’agent de la citoyenneté a renvoyé la demande de M. Iluebbey pour audience devant un juge de la citoyenneté.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Le juge de la citoyenneté a conclu que, même s’il lui manquait 59 jours de présence effective pendant la période pertinente, M. Iluebbey remplissait les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. À la fin des motifs, le juge de la citoyenneté a déclaré qu’il avait adopté la méthode [traduction] « d’analyse » établie dans la décision Papadogiorgakis, il a cité un passage pertinent de cette décision, et il a conclu que M. Iluebbey [traduction] « avait centralisé son mode de vie avec son cortège de relations sociales au Canada et avait produit une preuve suffisante pour prouver que sa famille et lui avaient établi une résidence au Canada ».

[9]               Le juge de la citoyenneté a noté les préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté et les explications fournies par M. Iluebbey et a conclu que M. Iluebbey avait répondu à la plupart des préoccupations de manière crédible. Il a également demandé des documents supplémentaires pour répondre à certaines des préoccupations notées.

[10]           En ce qui concerne l’élément de preuve relatif aux onze absences déclarées alors que le passeport comptait seulement dix timbres de retour au Canada, le juge de la citoyenneté s’est fondé sur le timbre de sortie du Nigéria daté du 18 décembre 2010 et sur un achat effectué au Canada à la fin du mois de décembre 2010 qui figurait sur le relevé de compte bancaire conjoint de M. Iluebbey pour établir que ce dernier était retourné au Canada. Le juge de la citoyenneté a aussi remarqué que les absences de M. Iluebbey démontraient une certaine habitude : il quittait le Canada en avril, en septembre et en décembre de chaque année.

[11]           En ce qui concerne la préoccupation relative au fait que M. Iluebbey n’avait pas déclaré d’adresse au Canada en 2008 ou pour les dix premiers mois de 2011 et les contradictions relevées dans les adresses indiquées dans sa demande de citoyenneté et son QR, le juge de la citoyenneté a souligné que M. Iluebbey se rendait souvent au Nigéria pour trouver du contenu pour son émission télévisée, mais qu’il [traduction] « a toujours indiqué son adresse de Toronto dans sa demande ».

[12]           En ce qui concerne l’absence de revenu provenant d’Afromedia et le fait que le seul revenu déclaré dans les déclarations de revenus de 2008 et de 2009 de M. Iluebbey provenait de la Prestation universelle pour la garde d’enfants, le juge de la citoyenneté a noté l’explication de M. Iluebbey selon laquelle Afromedia n’avait fait aucun profit au cours de ses premières années d’opération. Le juge de la citoyenneté a ajouté que les documents envoyés après l’audience démontraient qu’Afromedia menait de nombreuses activités et répondait ainsi aux exigences juridiques obligatoires du milieu canadien de la télédiffusion. En se fondant sur sa propre expérience de télédiffuseur, le juge de la citoyenneté a déclaré que cela [traduction] « nécessitait une présence effective considérable et un véritable engagement envers la vie ethno-culturelle canadienne ».

[13]           Le juge de la citoyenneté a fait référence aux dossiers scolaires et aux certificats de baptême et de première communion des enfants de M. Iluebbey que ce dernier a transmis après l’audience en soulignant que même si certains de ces documents ne s’inscrivaient pas dans la période pertinente, ils [traduction] « confirmaient que le demandeur avait établi sa résidence au pays ».

[14]           Le juge de la citoyenneté a souligné que les documents relatifs à la résidence de M. Iluebbey au Canada n’étaient pas exhaustifs, mais qu’ils [traduction] « sont suffisants pour confirmer que le demandeur vit encore au même endroit qu’il a déclaré lorsqu’il a présenté sa demande ».

[15]           Le juge de la citoyenneté a ajouté que même si la demande ne [traduction] « répondait pas à la norme habituelle », il y avait suffisamment d’éléments pour le convaincre que M. Iluebbey avait établi sa résidence au Canada.

III.             Les questions en litige

[16]           Le ministre soutient que la décision est déraisonnable parce que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère établi dans la décision Papadogiorgakis, et en omettant de déterminer d’abord si M. Iluebbey avait établi une résidence au Canada et en tirant des conclusions au sujet de sa résidence au Canada qui étaient incompatibles avec les éléments de preuve au dossier. Le ministre soutient également que les motifs du juge de la citoyenneté sont insuffisants, de sorte qu’il est impossible de déterminer si la décision est raisonnable.

IV.             La norme de contrôle applicable

[17]           La jurisprudence a établi que les principes de droit administratif qui régissent la norme de contrôle s’appliquent aux appels des décisions d’un juge de la citoyenneté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Rahman, 2013 CF 1274, aux paragraphes 11 à 14, [2013] ACF no 1394 (QL); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2013 CF 270, aux paragraphes 15 à 17, [2013] ACF no 311 (QL)).

[18]           Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision du juge de la citoyenneté, qui comprend l’application du critère choisi par le juge aux faits. Le rôle de la Cour est de considérer la question de savoir si la décision tient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[19]           Il est bien établi que les commissions, les tribunaux et les autres tribunaux de première instance qui entendent le témoignage de témoins sont les mieux placés pour évaluer leur crédibilité (Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), [1993] ACF no 732 (QL), au paragraphe 4, 160 NR 315 (CF)). Les conclusions de l’instance décisionnelle quant à la crédibilité devraient être traitées avec grande déférence (Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; Lubana c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, 228 FTR 43). Les mêmes principes s’appliquent aux conclusions des juges de la citoyenneté quant à la crédibilité (Martinez-Caro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640, au paragraphe 46, [2011] ACF no 881 (QL).

[20]           L’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif indépendant pour accueillir une demande de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a donné des détails sur les exigences stipulées dans l’arrêt Dunsmuir en déclarant au paragraphe 14 que les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». De plus, au besoin, la cour peut examiner le dossier « pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (au paragraphe 15). Le principe fondamental résume, au paragraphe 16, que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ».

V.                Les observations du demandeur

[21]           Le ministre souligne que, peu importe le critère de résidence appliqué, les personnes qui demandent la citoyenneté doivent démontrer qu’elles avaient établi leur lieu de résidence au Canada avant la période pertinente et qu’elles avaient conservé une résidence au Canada pendant toute la période pertinente (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Italia, [1999] ACF no 876 (QL), au paragraphe 14, 89 ACWS (3d) 22 (CFPI) [Italia]).

[22]           Le ministre reconnaît que la décision Papadogiorgakis établit que le nombre de jours d’absence du Canada d’une personne qui demande la citoyenneté pendant la période pertinente peut être compté dans la durée requise pour que soit remplie la condition de résidence si ces absences sont temporaires et que la personne peut démontrer son intention d’établir une résidence permanente au Canada.

[23]           Le ministre affirme que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère établi dans la décision Papadogiorgakis, qui prévoit que la résidence doit d’abord être établie. Rien ne démontrait que M. Iluebbey avait établi une résidence au Canada au début de la période pertinente. Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne tenant pas compte de ce fait ou en concluant implicitement que cette condition avait été remplie.

[24]           La décision Papadogiorgakis indique également qu’une personne qui demande la citoyenneté doit avoir [traduction] « centralisé son mode de vie au Canada ». La « preuve témoignant d’attaches, sur le plan qualitatif, ou d’un mode centralisé d’existence doit être particulièrement solide » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Gentile, 2015 CF 1029, au paragraphe 52, [2015] ACF no 1030 (QL)). Le ministre soutient qu’aucun des éléments de preuve, et encore moins une preuve solide, ne peut raisonnablement étayer cette affirmation.

[25]           Le ministre affirme que le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte des lacunes dans les éléments de preuve dont il disposait, dont les absences de M. Iluebbey du Canada, son absence de revenu d’emploi en 2008 et en 2009, son emploi au Nigéria pendant une partie de l’année 2008, et les contradictions relatives aux lieux de résidence déclarés.

[26]           Le ministre affirme également que les motifs du juge de la citoyenneté sont insuffisants dans la mesure où ils ne permettent pas à la Cour de déterminer si la décision est raisonnable au vu du dossier. Les motifs n’indiquent pas sur quels documents le juge de la citoyenneté s’est fondé pour s’assurer que le critère qualitatif de résidence avait été satisfait. Le dossier met plutôt en lumière des renseignements qui n’étayent pas la conclusion selon laquelle le critère de résidence a été satisfait.

VI.             Les observations du défendeur

[27]           Le défendeur, M. Iluebbey, fait remarquer que le juge de la citoyenneté a entendu son témoignage à l’audience et a jugé que ses explications étaient crédibles, et qu’il y a lieu de traiter les conclusions du juge de la citoyenneté avec déférence. De plus, il a fourni des documents supplémentaires accompagnés d’une lettre de présentation expliquant leur contenu pour répondre aux autres préoccupations relevées à l’audience. Le juge de la citoyenneté a estimé que ces documents, ainsi que les documents déjà fournis, constituaient une preuve suffisante pour démontrer que M. Iluebbey avait satisfait au critère qualitatif de résidence.

[28]           M. Iluebbey reconnaît qu’il était à l’extérieur du Canada au début de la période pertinente et qu’il s’est absenté pendant des périodes prolongées en 2008. Il reconnaît également qu’il y avait quelques contradictions dans les adresses qu’il a indiquées sur son QR et sa demande de citoyenneté et dans les dates correspondantes, mais il a expliqué dans les documents supplémentaires qu’il avait occupé successivement deux appartements en location avec sa famille à partir de 2006 et qu’il avait ensuite acheté une maison en 2010.

[29]           Il fait remarquer que le juge de la citoyenneté a accepté son explication selon laquelle son emploi au Canada exigeait qu’il se rende en Afrique pour trouver du contenu pour Afromedia. Il n’y a rien d’illogique dans le fait qu’il ait décrit ses voyages comme des voyages d’affaires même s’il n’a pas touché de revenu d’emploi d’Afromedia en 2008 et en 2009.

[30]           M. Iluebbey conteste le fait que le juge de la citoyenneté a ignoré ou écarté la faiblesse de la preuve et les contradictions dans la preuve.

[31]           M. Iluebbey affirme également que les éléments de preuve démontrent qu’il participait aux activités de l’entreprise Afromedia; la preuve établissait effectivement qu’il avait participé à des réunions et à des discussions au sujet de questions réglementaires, de l’élargissement du champ d’activités de l’entreprise et du recrutement de multiartistes. D’autres éléments de preuve documentaire, y compris la licence du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et les documents de constitution en société, décrivent le mandat d’Afromedia, qui cadre avec le rôle de M. Iluebbey dans la société et qui justifie qu’il ait besoin de se rendre fréquemment en Afrique.

[32]           En ce qui concerne les indices passifs de résidence, M. Iluebbey soutient que les motifs montrent que les préoccupations initiales du juge de la citoyenneté ont été abordées après l’examen de la preuve déposée, qui comprenait une lettre expliquant l’absence de bail pour les appartements indiqués, les dossiers scolaires de ses enfants, un certificat de baptême et un certificat de première communion, en reconnaissant que certains éléments de preuve ne s’inscrivaient pas dans la période pertinente.

VII.          Le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en appliquant le critère établi dans la décision Papadogiorgakis

[33]           La jurisprudence a établi qu’un juge de la citoyenneté peut appliquer un des trois critères établis pour déterminer si les conditions de résidence de la Loi ont été satisfaites. Le juge de la citoyenneté ne peut pas fusionner les critères (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Purvis, 2015 CF 368, [2015] ACF no 360 (QL), au paragraphe 28) et doit indiquer clairement quel critère a été appliqué (Canada (Citoyenneté Et Immigration) c. Bani-Ahmad, 2014 CF 898, aux paragraphes 18 et 19). Le critère choisi doit être appliqué correctement (Boland c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 376, [2015] ACF no 340 (QL), aux paragraphes 17 et 19).

[34]           Le juge de la citoyenneté a déclaré qu’il a utilisé la [traduction] « méthode d’analyse » établie dans la décision Papadogiorgakis. La question est de savoir s’il a procédé à l’analyse nécessaire conformément au critère et s’il a tiré une conclusion raisonnable en se fondant sur les éléments de preuve au dossier.

[35]           Le juge de la citoyenneté a cité le passage suivant de la décision Papadogiorgakis :

[traduction] Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d’y être résidente lorsqu’elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter pendant son absence peut appuyer la conclusion qu’elle n’a pas cessé d’y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l’absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d’autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l’occasion se présente.

Ainsi que l’a dit le juge Rand dans l’extrait que j’ai lu, cela dépend [traduction] « essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question ».

[36]           Ce critère est soumis à la méthode à deux volets qui s’applique à tous les critères de résidence : la résidence doit être établie dès le début de la période et doit ensuite être maintenue (Sud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 180 FTR 3, 92 ACWS (3d) 379).

[37]           Le ministre a cité la décision Italia pour affirmer que le lieu de résidence doit être établi avant de s’absenter du Canada :

[15]      Lorsqu’un demandeur a omis d’établir en premier lieu sa résidence au Canada avant de s’absenter du pays au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté, il ne s’est pas conformé aux exigences de la Loi sur la citoyenneté.

[38]           De même, comme l’a souligné le juge O’Reilly dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, [2003] ACF no 841 (QL) :

[24]      Comme je l’ai dit, la Loi sur la citoyenneté prévoit qu’un demandeur de citoyenneté doit justifier d’une période de résidence au Canada correspondant à un total d’au moins trois années sur les quatre années antérieures. Pour qu’un demandeur réponde à la condition de résidence, il doit d’abord prouver qu’il a établi sa résidence au Canada, puis qu’il l’y a maintenue pendant la durée requise. La Cour a rendu de nombreuses décisions en ce sens : voir par exemple Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 270; [2002] A.C.F. no 376 (QL) (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xu, 2002 CFPI 111; [2002] A.C.F. no 1493 (QL) (1re inst.).

[39]           L’analyse en deux étapes des conditions de résidence est clairement expliquée dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Roberts, 2009 CF 927, [2009] ACF no 1141 (QL) :

[14]      Comme il est mentionné, une analyse en deux étapes s’impose à l’égard de l’exigence de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. La jurisprudence enseigne que les personnes qui demandent la citoyenneté doivent démontrer en premier lieu qu’elles ont établi une résidence au Canada : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Italia, 89 A.C.W.S. (3d) 22, [1999] A.C.F. no 876 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 14 à 16. L’examen de cette question constitue la première étape d’une démarche à deux volets visant à établir si le demandeur s’est conformé à l’exigence énoncée à la Loi en matière de résidence : voir Zhao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1536, 306 F.T.R. 206, au paragraphe 49. En effet, l’établissement d’une résidence au Canada est une condition préalable à l’obtention de la citoyenneté. Lorsque la preuve révèle que le demandeur n’a pas établi sa résidence au Canada, la question de savoir si la résidence a été maintenue et la preuve indiquant si le demandeur a centralisé son mode de vie au Canada perdent toute pertinence : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tarfi, 2009 CF 188, [2009] A.C.F. no 244 (1re inst.) (QL), au paragraphe 35. (la décision, au paragraphe 35).

[Non souligné dans l’original.]

[40]           Les deux volets de l’analyse du critère établi dans la décision Papadogiorgakis ont aussi été mentionnés dans d’autres décisions. Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Camorlinga-Posch, 2009 CF 613, 347 FTR 37, la Cour a déclaré ce qui suit :

[18]      Selon la deuxième catégorie, les absences prolongées du Canada ne seront pas fatales à une demande de citoyenneté si le demandeur peut démontrer qu’il a établi sa résidence au Canada avant de quitter et si le Canada est le pays dans lequel il a centralisé son mode d’existence (Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, 234 F.T.R. 245).

[Non souligné dans l’original.]

[41]           La logique du critère de la décision Papadogiorgakis est qu’une personne ne cesse pas de résider au Canada lorsqu’elle quitte le pays de façon temporaire (décision Papadogiorgakis, au paragraphe 16) même si son absence est assez longue. Cependant, cette logique ne s’applique pas si la personne n’a pas d’abord établi un lieu de résidence au Canada où elle peut retourner et n’a pas maintenu cette résidence comme l’endroit où elle a [traduction] « centralisé son mode de vie ».

[42]           En l’espèce, la Cour doit, premièrement, déterminer si le juge de la citoyenneté avait compris que l’établissement d’une résidence avant la période pertinente ou au début de celle-ci était requis avant d’excuser toute absence temporaire pendant la période pertinente. Deuxièmement, la Cour doit déterminer si le juge a conclu qu’une telle résidence avait été établie. Troisièmement, si tel est le cas, la Cour doit déterminer si cette conclusion est raisonnable à la lumière des éléments de preuve au dossier. Quatrièmement, s’il a été conclu que cette condition préalable a raisonnablement été respectée, la Cour doit déterminer si la preuve appuie la conclusion selon laquelle M. Iluebbey a aussi respecté l’exigence de maintenir sa résidence ou de centraliser son mode de vie au Canada.

[43]           Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Du, 2016 CF 420, [2016] ACF no 435 (QL), la juge Strickland a examiné l’approche établie dans la décision Koo (Re), (1992) 59 FTR 27, qui est une approche qualitative similaire pour déterminer la résidence, et a conclu que l’analyse visant à déterminer si la résidence a été établie au début de la période n’a pas besoin d’être explicite :

[10]      À mon avis, le demandeur a raison de dire que la jurisprudence a établi une approche en deux étapes pour l’évaluation de la résidence d’un demandeur en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (voir Ojo et Hao). Toutefois, la jurisprudence a également établi que la première partie de cette approche, soit l’analyse visant à déterminer si les critères de résidence ont été satisfaits, peut être comprise de façon implicite aux motifs du juge de la citoyenneté (Ojo au paragraphe 28; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khan, 2015 CF 1102, au paragraphe 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2016 CF 67, aux paragraphes 21 à 23 [Lee]).

[44]           En l’espèce, les motifs du juge de la citoyenneté n’indiquaient pas explicitement que M. Iluebbey avait établi une résidence au Canada avant la période pertinente ou au début de celle-ci. Néanmoins, le juge a conclu que M. Iluebbey [traduction] « avait fourni suffisamment de documents pour prouver que sa famille et lui avaient établi leur résidence au Canada ». Le juge a aussi affirmé au sujet du fait qu’aucune adresse n’avait été déclarée en 2008 et en 2011 que le défendeur [traduction] « avait toujours indiqué son adresse de Toronto dans sa demande ». À mon avis, cette affirmation, lue dans le contexte des éléments de preuve au dossier ainsi que des renseignements sur la résidence fournis dans la demande de citoyenneté et le QR, où les adresses d’appartement en location indiquées dataient de 2006 et du début de la période pertinente, laisse entendre que le juge de la citoyenneté a conclu, à tout le moins de façon implicite, que le critère selon lequel la résidence doit avoir été établie avant la période pertinente ou au début de celle-ci a été satisfait.

[45]           La demande de citoyenneté indique l’adresse d’un appartement en location occupé de janvier 2008 à novembre 2010 et l’adresse d’une résidence sur le croissant Millview occupée à partir de novembre 2011. Le QR indique l’adresse d’un appartement en location occupé d’août 2006 à septembre 2008, l’adresse d’un autre appartement en location occupé de septembre 2008 à octobre 2010, et l’adresse de la résidence du croissant Millview, occupée en propriété à partir d’octobre 2010. L’incohérence en ce qui a trait à l’adresse de la résidence du croissant Millview semble être une erreur typographique et est sans importance.

[46]           Le juge de la citoyenneté a reconnu que la [traduction] « quantité » de documents concernant le lieu de résidence n’était pas volumineuse, mais a conclu que la preuve était suffisante. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve. La conclusion implicite du juge de la citoyenneté selon laquelle M. Iluebbey avait établi sa résidence avant la période pertinente était étayée par les éléments de preuve retenus et appréciés par le juge. Il n’est pas déraisonnable de conclure que l’appartement loué de 2006 à 2008 était la résidence établie à laquelle le juge de la citoyenneté faisait référence lorsqu’il a affirmé que le défendeur [traduction] « avait toujours indiqué son adresse de Toronto dans sa demande ».

[47]           Comme il a été indiqué, le dossier contient des renseignements fournis par M. Iluebbey au juge de la citoyenneté après l’audience et une lettre de présentation qui explique qu’il n’y avait aucun contrat ou document de location pour les appartements occupés par la famille parce que le loyer avait été payé par mandat-poste à la demande du propriétaire. Le juge de la citoyenneté a accepté cette explication. La lettre indique aussi que les appartements étaient situés à proximité de l’école où les enfants étaient inscrits. Même si certains documents portaient une date postérieure à la période pertinente, les dossiers scolaires indiquent que les deux aînés de la famille (nés en 2003 et en 2004) étaient inscrits à cette école depuis septembre 2008. Les éléments de preuve démontrent que la famille vivait au Canada, mais que M. Iluebbey se rendait en Afrique et revenait auprès de sa famille et de ses intérêts commerciaux au Canada. Cette situation semble refléter les circonstances exposées au paragraphe 16 de la décision Papadogiorgakis.

[48]           En ce qui concerne la conclusion selon laquelle M. Iluebbey avait centralisé son mode de vie au Canada, les éléments de preuve sur lesquels le juge de la citoyenneté s’est fondé n’étaient pas exhaustifs. Cependant, lorsque les éléments de preuve qui ne s’inscrivent pas dans la période pertinente sont exclus, il reste les cotisations d’impôt, les frais de scolarité payés à l’égard d’un programme d’apprentissage à distance en vue de l’obtention d’une maîtrise en administration des affaires, quelques relevés d’un compte bancaire conjoint détenu avec sa femme, les dossiers scolaires de ses enfants, un certificat de baptême pour son enfant né au Canada, un certificat de première communion, le certificat de constitution en société d’Afromedia, ainsi que sa licence du CRTC et d’autres copies imprimées contenant des renseignements sur Afromedia et des courriels professionnels dans lesquels M. Iluebbey avait été mis en copie conforme.

[49]           M. Iluebbey n’a eu aucun revenu en 2008 et en 2009. Le juge de la citoyenneté a jugé que son explication selon laquelle la jeune entreprise Afromedia n’avait enregistré aucun profit à cette époque était crédible. Le juge de la citoyenneté a aussi reconnu qu’en raison du rôle qu’il jouait dans Afromedia, M. Iluebbey devait se rendre en Afrique pour trouver du contenu pour l’entreprise.

[50]           Je ne suis pas d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle le juge de la citoyenneté a ignoré les faiblesses et les lacunes des éléments de preuve et que les conclusions concernant l’établissement initial et permanent de la résidence ne sont pas justifiées. Le juge de la citoyenneté a reconnu que les éléments de preuve n’étaient pas exhaustifs, a examiné les préoccupations et a jugé que les explications données par M. Iluebbey étaient crédibles. Bien qu’il ait indiqué que la demande ne répondait pas aux normes habituelles, le juge de la citoyenneté a conclu que les éléments de preuve étaient suffisants pour établir le critère qualitatif.

[51]           Comme l’a fait remarquer le défendeur, le contrôle judiciaire met l’accent sur le caractère raisonnable de la décision. Il n’est pas nécessaire que les motifs traitent de chaque élément de preuve examiné à l’appui de la demande ou qu’une conclusion soit tirée à l’égard de chaque élément. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer la preuve et de changer la décision.

[52]           J’ai suivi les directives données dans l’arrêt Newfoundland Nurses pour évaluer le caractère raisonnable de la décision du juge de la citoyenneté et j’ai examiné le dossier « pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (paragraphe 15). Les motifs, même s’ils ne sont pas un modèle de clarté et s’ils ne sont pas exhaustifs, révèlent que le juge de la citoyenneté avait saisi que le critère établi dans la décision Papadogiorgakis exigeait une évaluation en deux volets de la résidence. Les motifs sont suffisants pour que je comprenne pourquoi le juge de la citoyenneté a rendu sa décision selon laquelle M. Iluebbey avait établi et maintenu sa résidence au Canada et avait démontré un attachement suffisant sur le plan qualitatif ou avait centralisé son mode de vie au Canada. J’ai aussi tenu compte du fait que le juge de la citoyenneté a jugé que les explications de M. Iluebbey étaient crédibles, et que ce type de conclusions commande la retenue dans les circonstances particulières de l’espèce. Les motifs, conjointement avec le dossier, me permettent de conclure que la décision appartient aux issues acceptables et est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-95-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. PATRICK IMHOUDU ILUEBBEY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Michael Butterfield

Pour le demandeur

 

Jack C. Martin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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