Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161128


Dossier : IMM-1027-16

Référence : 2016 CF 982

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

NADIA CHIKHI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I.                   Au préalable (en résumé)

[1]               La demanderesse allègue les faits suivants. Le 22 septembre 2000, la demanderesse quitte pour l’Algérie avec son mari afin d’assister au mariage du frère de ce dernier. Cependant, une fois en Algérie, son mari l’abandonne, elle et son enfant. Il lui confisque alors ses documents de résidence canadienne.

[2]               La demanderesse affirme avoir entrepris plusieurs démarches auprès de l’ambassade canadienne à Alger ainsi qu’à Paris afin de pouvoir retourner au Canada. En mars 2001, la demanderesse a toutefois cessé ses démarches auprès des ambassades canadiennes, suite à une menace de représailles de la part de son mari qui lui a dit que si elle continuait ses démarches afin de revenir au Canada, il lui enlèverait la garde de leur enfant. [Souligné dans l’original.]

[3]               La preuve au dossier, incluant des notes de médecins, démontre que la demanderesse a un problème d’ouïe. Les preuves au dossier démontrent aussi que la demanderesse a mentionné à la Section d’appel de l’immigration [SAI] désirer être représentée par un avocat, mais qu’elle n’a pu le faire à cause de son handicap, du court délai entre son arrivée au Canada et son audience, et de l’impossibilité pour elle de se trouver un avocat à partir de l’Algérie.

[4]               La Cour reconnait, tel que soumis par le défendeur, que la SAI a un pouvoir discrétionnaire d’ajourner ses audiences et que le droit à un avocat n’est pas absolu. La décision d’un décideur d’ajourner une audience en l’absence d’un avocat n’est invalidée que si l’absence d’une représentation juridique entraîne un déni du droit à une audience équitable (Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 563 au para 18 [Galamb]; Wagg c Canada (Procureur Général), 2003 CAF 303 au para 19 [Wagg]).

[5]               Tel qu’expliqué par le juge Yves de Montigny, alors juge de la Cour fédérale, dans Galamb, ci-dessus, au para 26 : « Il ne fait aucun doute que, pour que soit respecté le principe de l’équité procédural, le demandeur doit être en mesure de participer d’une façon significative à l’audience. Cette capacité doit être appréciée à la lumière des circonstances propres à chacun. » [Souligné dans l’original.]

II.                Introduction

[6]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre d’une décision d’un commissaire de la SAI rejetant l’appel interjeté par la demanderesse pour des motifs humanitaires suite à un refus d’ajourner l’audience.

III.             Faits

[7]               La demanderesse, Nadia Chikhi, 47 ans, est citoyenne de l’Algérie et résidente permanente au Canada. La preuve au dossier démontre que la demanderesse a un problème d’ouïe, de sorte qu’elle a de la difficulté à communiquer par téléphone.

[8]               La demanderesse s’est mariée le 28 octobre 1996 à un citoyen canadien et a été parrainée par ce dernier dans le cadre d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des époux et conjoints de fait. Un fils, de citoyenneté canadienne, est né de cette union le 13 octobre 1998.

[9]               La demanderesse allègue les faits suivants. Le 22 septembre 2000, la demanderesse quitte pour l’Algérie avec son mari afin d’assister au mariage du frère de ce dernier. Cependant, une fois en Algérie, son mari l’abandonne, elle et son enfant. Il lui confisque alors ses documents de résidence canadienne.

[10]           La demanderesse affirme avoir entrepris plusieurs démarches auprès de l’ambassade canadienne à Alger ainsi qu’à Paris afin de pouvoir retourner au Canada. En mars 2001, la demanderesse a toutefois cessé ses démarches auprès des ambassades canadiennes, suite à une menace de représailles de la part de son mari qui lui a dit que si elle continuait ses démarches afin de revenir au Canada, il lui enlèverait la garde de leur enfant. [Souligné dans l’original.]

[11]           Le 26 décembre 2005, le Tribunal de Sidi M’hamed à Alger ordonne le divorce entre la demanderesse et son mari. L’ordonnance de divorce caractérise le divorce comme étant un divorce abusif de la part du mari.

[12]           La demanderesse, se disant dans l’attente d’une réponse à ses démarches antérieures auprès de l’ambassade canadienne à Paris, n’entreprend pas d’autres démarches jusqu’au 19 août 2010.

[13]           En mars 2012, la demanderesse se présente à une ambassade canadienne et dépose une demande de visa permanent. Cette demande est rejetée le 3 avril 2012 par la Section d’immigration de l’Ambassade du Canada à Paris. Le 27 juin 2012, la demanderesse interjette appel de cette décision à la SAI. Étant donné son problème d’ouïe, et ne pouvant communiquer par téléphone, la demanderesse s’est vue accorder un visa afin de pouvoir participer à son audience devant la SAI. La demanderesse est arrivée au Canada le 29 décembre 2015.

[14]           La SAI a entendu la demanderesse le 7 janvier 2016 et a rendu une décision le 24 février 2016. Lors de l’audience, la demanderesse a mentionné n’avoir pu se trouver un avocat à partir de l’Algérie à cause de son problème d’ouïe et du court délai entre son arrivée au Canada et son audience devant la SAI.

IV.             Points en litige

[15]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les points en litige suivants :

1.      Le commissaire de la SAI a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale?

2.      La décision de la SAI est-elle raisonnable?

V.                Analyse

[16]           Les parties sont en accord que la norme de la révision de la décision raisonnable est applicable aux conclusions de fait et mixtes de fait et de droit de la SAI alors que la question d’équité procédurale est sujette à la norme de la révision de la décision correcte.

[17]           La preuve au dossier, incluant des notes de médecins, démontre que la demanderesse a un problème d’ouïe. Les preuves au dossier démontrent aussi que la demanderesse a mentionné à la SAI désirer être représentée par un avocat, mais qu’elle n’a pu le faire à cause de son handicap, du court délai entre son arrivée au Canada et son audience, et de l’impossibilité pour elle de se trouver un avocat à partir de l’Algérie.

[18]           La preuve au dossier démontre également que son désir d’être représentée par un avocat pour son audience était réel puisqu’elle a mandaté son avocat actuel, Me Vincent Desbiens, de la représenter près d’un mois après son audience, soit le 8 février 2016. Me Desbiens a présenté une demande à la SAI de suspendre la prise de sa décision pour permettre à la demanderesse de soumettre des soumissions écrites. Cette demande a été rejetée.

[19]           Une révision de la transcription de l’audience devant la SAI démontre que la demanderesse ne comprenait pas le but de la procédure devant la SAI et du fardeau qui lui incombait. Elle a demandé à plusieurs reprises si c’était son tour de parler et ne savait pas si elle devait ou non laisser son fils témoigner, croyant que c’était au commissaire de décider à sa place. Il semble que le commissaire ait été mis au fait des difficultés de la demanderesse et a d’ailleurs demandé au conseil du ministre s’il devait détailler les facteurs qui seraient étudiés dans le cadre de l’examen. Le conseil du ministre a refusé jugeant que cela prendrait trop de temps.

[20]           La Cour reconnait, tel que soumis par le défendeur, que la SAI a un pouvoir discrétionnaire d’ajourner ses audiences et que le droit à un avocat n’est pas absolu. La décision d’un décideur d’ajourner une audience en l’absence d’un avocat n’est invalidée que si l’absence d’une représentation juridique entraîne un déni du droit à une audience équitable (Galamb, ci-dessus, au para 18; Wagg, ci-dessus, au para 19).

[21]           Tel qu’expliqué par le juge Yves de Montigny, alors juge de la Cour fédérale, dans Galamb, ci-dessus, au para 26 : « Il ne fait aucun doute que, pour que soit respecté le principe de l’équité procédural, le demandeur doit être en mesure de participer d’une façon significative à l’audience. Cette capacité doit être appréciée à la lumière des circonstances propres à chacun. » [Souligné dans l’original.]

[22]           En l’espèce, les éléments de cette affaire militent en faveur de la conclusion que la demanderesse n’a pas été en mesure de participer significativement à l’audience. Notamment, mais sans s’y limiter, le problème d’ouïe de la demanderesse, son incompréhension du but, du rôle et de la procédure de la SAI, le fait qu’elle ait mentionné à la SAI désirer être représentée par un avocat, ainsi que le fait que la demanderesse ait fourni des explications raisonnables démontrant pourquoi elle n’avait pas été en mesure de se trouver un avocat avant l’audience. Au surplus, le commissaire a demandé au début de l’audience à la demanderesse si elle était à l’aise à se représenter elle-même. Bien que la demanderesse n’ait pas répondu explicitement par l’affirmative à cette question, le commissaire a poursuivi l’audience.

VI.             Conclusion

[23]           La Cour conclut qu’il y a eu manquement au devoir d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’aborder l’autre point faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

[24]           Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est accordée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que l’affaire soit annulée et renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour être étudiée à nouveau par un commissaire différent. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1027-16

 

INTITULÉ :

NADIA CHIKHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 août 2016

 

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS :

LE 28 NOVEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Vincent Desbiens

 

Pour la demanderesse

 

Daniel Latulippe

Guillaume Bigaouette

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield et Associés

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.