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Date : 20160830


Dossier : IMM-963-16

Référence : 2016 CF 981

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 août 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MAHMOOD SAJID

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est d’accord avec la Section de la protection des réfugiés (SPR) que le demandeur a omis ou dissimulé des faits importants quant à sa demande d’asile. C’est donc en raison de cette fausse déclaration que sa demande d’asile est annulée.

[2]               La SPR a conclu que les omissions ou dissimulations étaient directement liées à des activités criminelles et à une enquête en cours aux États-Unis. La SPR a conclu que si ce n’avait pas été des omissions, l’issue de la demande d’asile aurait pu être différente, car elles sont directement liées à l’exclusion du demandeur d’asile du bénéfice de la protection accordée aux réfugiés au titre de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés   L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier (alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6. (Convention).

II.                Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR d’une décision de la SPR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 16 février 2016, par laquelle la SPR a accueilli une demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada (ministre) d’annuler le statut de réfugié du demandeur en application de l’article 109 de la LIPR.

III.             Contexte

[4]               Le demandeur, Mahmood Sajid (âgé de 34 ans), est un citoyen du Pakistan. La demande d’asile du demandeur a été accueillie dans une décision de la SPR rendue le 12 septembre 2014. Dans son témoignage menant à cette décision, le demandeur a affirmé avoir quitté le Pakistan pour les États-Unis en janvier 2000 en raison de la persécution fondée sur son orientation sexuelle. Il est resté aux États-Unis sans statut jusqu’au moment où il a traversé la frontière canadienne le 15 mai 2014. Le 13 juin 2014, il a présenté une demande d’asile qui a été accueillie le 12 septembre 2014.

[5]               Le 20 avril 2015, le ministre a déposé une demande d’annulation de la décision par laquelle l’asile a été accordé au demandeur, en vertu de l’article 109 de la LIPR (demande). Une audience a eu lieu le 14 juillet 2015. Dans une décision datée du 16 février 2016, la SPR a accueilli la demande.

[6]               Dans la demande, le ministre a allégué des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis de graves crimes de droit commun aux États-Unis avant son admission au Canada en tant que réfugié; par conséquent, l’exclusion du demandeur de la protection accordée aux réfugiés devait être considérée conformément à l’alinéa 1Fb) de la Convention et en vertu de l’article 98 de la LIPR.

[7]               Le 16 décembre 2014, le demandeur a été inculpé par un grand jury fédéral du district du Maryland pour : i) complot en vue de commettre une fraude aux États-Unis au sens de l’article 18 USC 371, soit conspiration en vue de l’exportation d’armes à feu et d’accessoires connexes au Pakistan; ii) exportation illégale de défense dans la catégorie I de la United States Munitions List, des États-Unis au Pakistan, sans avoir d’abord obtenu les permis ou autorisations nécessaires, en vertu de l’article USC 22 2778; et, iii) exportation illégale de marchandises au sens de l’article 50 USC 1705 (acte d’accusation). Le ministre a soutenu devant la SPR que, si elles étaient commises au Canada, ces infractions donneraient lieu aux accusations :

a.       de conspiration en vue d’exporter une arme à feu – infraction délibérée – en vertu de l’article 465 et de l’alinéa 103(1)a) du Code criminel, infraction passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans;

b.      d’exportation ou tentative d’exportation, en vertu des  articles 13 et 19 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, infraction passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans;

c.       communication de renseignements faux ou trompeurs, en vertu des articles 17 et 19 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, infraction passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans;

(dossier certifié du tribunal [DCT], demande d’annulation de l’asile, au paragraphe 10, pages 28 et 29)

[8]               Par ailleurs, le ministre a fait valoir devant la SPR que le demandeur a obtenu le statut de réfugié en se livrant de façon directe ou indirecte à des omissions ou dissimulations de faits importants pertinents à sa demande d’asile. Ainsi, à l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a répondu « Non » à deux questions relatives à d’éventuelles activités criminelles antérieures dans deux formulaires différents qu’il a signés le 23 juin 2014. Tout d’abord, dans le formulaire intitulé « Annexe A – Antécédents/Déclaration » il a répondu « Non » à la question « Avez-vous déjà été déclaré(e) coupable ou êtes présentement accusé(e) ou poursuivi(e), ou encore avez été complice d’un crime ou d’une infraction ou avez fait l’objet de poursuites au criminel dans un pays? » (voir le dossier certifié du tribunal, à la page 35). Deuxièmement, dans le formulaire intitulé « Annexe 12 – Renseignements supplémentaires – Demandeurs d’asile au Canada », il a répondu « Non » à la question « Avez-vous déjà commis un crime ou été accusé ou reconnu coupable d’un crime dans un pays, y compris le Canada? » (voir le dossier certifié du tribunal, à la page 244).

IV.             Décision contestée

[9]               Dans une décision datée du 16 février 2016, la SPR a accueilli la demande d’annulation de l’asile présentée par le ministre. La SPR a conclu que le demandeur s’est livré de façon directe ou indirecte à des omissions ou dissimulations de faits importants se rapportant à sa demande d’asile.

[10]           Tout d’abord, le demandeur a omis le fait qu’il a utilisé un nom d’emprunt pendant qu’il vivait aux États-Unis : Shawn Chudhary. Il est fait référence au demandeur dans l’acte d’accusation comme « SAJID MAHMOOD, alias Shawn Chudhary ».

[11]           Deuxièmement, le demandeur a omis de révéler qu’on lui avait demandé de quitter volontairement les États-Unis. Dans le formulaire de demande d’asile, le demandeur a répondu « Non » à la question « Vous êtes-vous déjà vu refuser l’admission au Canada ou dans tout autre pays, ou avez-vous déjà reçu l’ordre de quitter le Canada ou tout autre pays? ». La SPR s’est appuyée sur un rapport du Département américain de la Sécurité intérieure, daté du 7 octobre 2014, qui stipule « Un mandat de renvoi ou d’expulsion a été lancé contre MAHMOOD » (dossier certifié du tribunal, à la page 50).

[12]           Troisièmement, il y a une incohérence concernant le moment où le demandeur a cessé de travailler dans la pizzeria où les deux autres présumés conspirateurs travaillaient. Dans ses formulaires de demande d’asile, le demandeur a déclaré qu’il avait travaillé dans ce restaurant jusqu’en mai 2014. Cependant, à l’audience de demande d’annulation de l’asile, le demandeur a déclaré qu’il avait cessé de travailler en février 2014. Selon le rapport du Département américain de la Sécurité intérieure, les complices ont été arrêtés en mars 2014 pour leur participation à la contrebande d’armes; et le demandeur a fui avant son arrestation pour violation de la loi sur l’immigration.

[13]           Quatrièmement, la SPR a conclu que le demandeur s’était livré à de la dissimulation de faits en déclarant qu’il n’était pas au courant de l’enquête à son sujet quand il est parti des États-Unis; et, qu’il n’était pas au courant de l’arrestation de ses complices en mars 2014. Selon le rapport du Département américain de la Sécurité intérieure, l’enquête a débuté à l’automne 2012. La SPR a conclu que le demandeur était au courant de l’enquête sur les activités criminelles présumées dans lesquelles il était impliqué, de même que ses complices :

Le Tribunal estime probable que la vraie raison du départ des États-Unis lorsqu’il l’a fait est qu’il était au courant de l’enquête sur ses présumées activités criminelles. Par conséquent, le Tribunal conclut que le demandeur a sciemment omis le fait qu’il savait que les autorités américaines menaient une enquête sur les présumées activités criminelles auxquelles il aurait participé aux États-Unis lorsqu’il a demandé l’asile au Canada et lorsqu’il a signé ses formulaires de demande d’asile.

(dossier certifié du tribunal, à la page 13, décision de la SPR, au paragraphe 48)

[14]           La SPR a conclu que les omissions ou dissimulations précitées étaient directement liées à des activités criminelles et à une enquête en cours aux États-Unis. La SPR a conclu que si ce n’avait pas été des omissions, l’issue de la demande d’asile aurait pu être différente, car elles sont directement liées à l’exclusion du demandeur d’asile du bénéfice de la protection accordée aux réfugiés au titre de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

[15]           Quant à la question de savoir si le demandeur est exclu de la protection accordée aux réfugiés, conformément à l’article 98 de la LIPR et à l’alinéa 1Fb) de la Convention, la SPR a conclu qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis de graves crimes de droit commun aux États-Unis avant son admission au Canada en tant que réfugié. La SPR s’est appuyée sur l’acte d’accusation, ainsi que sur les incohérences et les contradictions du demandeur au cours de l’audience d’annulation pour tirer la conclusion que le demandeur a commis des crimes de droit commun aux États-Unis. La SPR a accepté les équivalences suggérées par le ministre puisque la SPR a estimé que le libellé des articles du droit américain et du droit canadien est semblable; les équivalences portent sur le même type d’infractions; et, tous deux comprennent les exigences de connaissance et d’intention.

[16]           Appliquant les facteurs énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Jayasekara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara], la SPR a conclu que les infractions prévues aux paragraphes 103(1) et 465(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, sont des infractions graves. La SPR a invoqué le fait qu’une personne trouvée coupable d’un acte criminel en vertu des paragraphes 103(1) et 465(1) du Code criminel est passible d’un emprisonnement n’excédant pas dix ans. La SPR a fait remarquer qu’une infraction au sens du paragraphe 103(1) du Code criminel n’est pas une infraction hybride qui peut faire l’objet d’une procédure sommaire. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de circonstances atténuantes sous-jacentes aux déclarations de culpabilité pour réfuter la présomption que les crimes reprochés sont graves. Par conséquent, la SPR a conclu que si le premier tribunal avait été au courant de l’enquête, il aurait statué en faveur d’une exclusion en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fb) de la Convention. Compte tenu de ses conclusions concernant l’éventuelle exclusion du demandeur, la SPR a estimé qu’il n’était pas nécessaire de procéder à l’analyse prévue au paragraphe 109(2) de la LIPR.

[17]           Par conséquent, la SPR a accueilli la demande du ministre d’annuler l’asile du demandeur.

V.                Les thèses des parties

[18]           Le demandeur fait valoir que la décision de la SPR d’annuler l’asile du demandeur est déraisonnable puisque la SPR a commis une erreur en concluant que le premier tribunal aurait statué en faveur de l’exclusion, conformément à l’article 98 de la LIPR et à l’alinéa 1Fb) de la Convention s’il avait été mis au courant de l’enquête aux États-Unis. Par conséquent, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur dans ses conclusions défavorables relatives à la crédibilité en acceptant l’équivalence de l’infraction et en concluant qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes graves de droit commun. En outre, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de procéder au second volet de l’analyse d’une demande d’annulation de l’asile prescrite au paragraphe 109(2) de la LIPR.

[19]           Le défendeur soutient cependant que la décision de la SPR est raisonnable, car la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur avait dissimulé ou omis des faits importants qui étaient pertinents à la demande d’asile. La SPR a jugé raisonnablement, selon la preuve, qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis de graves crimes de droit commun aux États-Unis avant son arrivée au Canada en tant que réfugié. Le défendeur soutient également qu’une audience d’annulation n’est pas une audience pénale et que, par conséquent, le fait que la preuve ne corresponde pas à la norme de la preuve dans une procédure pénale n’est pas pertinent. Enfin, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la SPR de ne pas procéder à la deuxième étape de l’analyse prescrite au paragraphe 109(2) de la LIPR puisque les dissimulations ou omissions de faits se rapportent à une éventuelle exclusion en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fb) de la Convention (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Wahab, 2006 CF 1554; Parvanta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1146).

VI.             Questions en litige

[20]           Le demandeur soumet à notre Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

1)      La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur a obtenu l’asile en dissimulant ou en omettant des faits importants?

2)      La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis l’infraction stipulée dans l’acte d’accusation?

3)      La SPR a-t-elle commis une erreur en omettant de procéder à une analyse en vertu du paragraphe 109(2) de la LIPR?

[21]           La Cour est convaincue que la seule question qui doit être examinée est si la conclusion de la SPR selon laquelle les crimes de droit commun dont est accusé le demandeur sont graves.

VII.          Norme de contrôle

[22]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable. Le demandeur fait valoir que l’interprétation et l’application de l’article 98 et de l’alinéa 1Fb) de la Convention doivent faire l’objet de révision en vertu de la norme de la décision correcte (Feimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 325, paragraphe 14 [Feimi]; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, aux paragraphes 24 et 25 [Febles (CAF)]). Le défendeur ne conteste pas que la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation par la SPR de l’alinéa 1Fb) de la Convention, cependant, le défendeur soutient que la norme du caractère raisonnable s’applique aux conclusions mixtes de fait et de droit dans une procédure d’annulation (Feimi, précité, au paragraphe 16).

[23]           Récemment, dans B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704, 2015 CSC 58, la Cour suprême a réaffirmé le principe voulant qu’il y ait présomption selon laquelle la norme de contrôle du caractère raisonnable s’applique à l’interprétation par un tribunal et d’un ministre d’une loi constitutive (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34). La Cour suprême a souligné que la Cour d’appel fédérale a exprimé des opinions divergentes quant à la norme de contrôle applicable aux questions d’interprétation législative impliquant la prise en compte d’instruments internationaux. Dans Febles (CAF), précité, la Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision correcte tandis que dans B010 Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, la Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable. La Cour suprême a conclu qu’il était inutile de résoudre ce problème en tant que tel pour les besoins de cette décision. Le même raisonnement est applicable en l’espèce; quelle que soit la norme de contrôle, l’interprétation législative par la SPR de l’article pertinent est correcte.

[24]           Néanmoins, la décision de la SPR quant à la question de savoir si un crime non politique est grave entraîne l’application de la norme de la décision raisonnable (Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464, au paragraphe 28 [Jung]).

VIII.       Analyse

[25]           La SPR a raisonnablement conclu que le demandeur a omis ou dissimulé des faits importants pertinents à sa demande d’asile puisque les conclusions de la SPR sont étayées par la preuve. Il a été dit à maintes reprises qu’il n’appartient pas aux tribunaux judiciaires de soupeser à nouveau la preuve examinée par le tribunal administratif (Front des artistes canadiens c. Musée des beaux-arts du Canada, [2014] 2 RCS 197, 2014 CSC 42, au paragraphe 30; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, 2009 CSC 12, au paragraphe 64).

[26]           La SPR a raisonnablement conclu, selon la preuve, qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis de graves crimes de droit commun aux États-Unis avant son arrivée au Canada en tant que réfugié. Les conclusions de la SPR relatives à l’équivalence sont raisonnables puisque la SPR a fait plus que de déterminer les dispositions pertinentes du Code criminel et de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, et a déclaré qu’ils sont suffisamment similaires (Notario c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1159). La SPR a analysé les dispositions et a expliqué les éléments essentiels qu’elles partagent; par conséquent, les conclusions de la SPR concernant l’équivalence sont raisonnables.

[27]           Dans son analyse visant à déterminer si les crimes de droit commun sont graves, la SPR a invoqué l’arrêt Jayasekara de la Cour d’appel fédérale, précité. Comme l’a expliqué la juge Mary J. L. Gleason, puis la Cour fédérale, dans Tabagua c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 709 [Tabagua], la Cour suprême dans Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2014] 3 RCS 431, 2014 CSC 68, a nuancé la présomption selon laquelle un crime est grave si l’infraction est passible d’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement :

[14]      Avant l’arrêt Febles, comme l’a récemment fait observer mon collègue le juge de Montigny au paragraphe 32 de Jung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 464 [Jung], « […] la présomption selon laquelle un crime est « grave » au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier lorsque le crime, s’il avait été commis au Canada, aurait été passible d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans […] ». Toutefois, la Cour suprême a sensiblement nuancé cette position dans Febles, où la majorité s’est exprimée comme suit concernant la façon d’établir la gravité d’un crime :

[62]      Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. Je suis d’accord. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin-Gill et McAdams, 3e édition, 2007 p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste. [Souligné dans l’original.]

(Tabagua, précité, au paragraphe 14)

[28]           Dans sa décision, la SPR s’est effectivement largement appuyée sur la présomption voulant que les crimes soient graves lorsque le Code criminel prévoit que la durée maximale d’emprisonnement pour des infractions en vertu des paragraphes 103(1) et 465(1) du Code criminel n’excède pas dix ans. La SPR n’a cependant pas arrêté son analyse à cet aspect. La SPR a examiné les facteurs énumérés dans Jayasekara, précité, ainsi que la preuve documentaire liée aux crimes allégués; à savoir que le demandeur avait illégalement livré au Pakistan, sans permis, de grandes quantités d’armes à feu « de gros calibre », des pièces et des accessoires d’armes à feu.

[29]           La présente affaire se distingue de Tabagua, précité et de Jung, précité, dans lesquels la Cour fédérale a statué que les décisions de la SPR n’étaient pas raisonnables puisque la SPR n’avait pas tenu compte du large éventail de peines. Dans le cas présent, la SPR n’a pas appliqué machinalement ou injustement la règle des dix ans. Au contraire, la SPR
 a pris en considération le contexte et les circonstances entourant les crimes pour lesquels le demandeur a été inculpé aux États-Unis.

[30]           Au vu de la conclusion selon laquelle il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur a commis de graves crimes de droit commun aux États-Unis avant son admission au Canada en tant que réfugié, la SPR n’avait pas à procéder à l’analyse prescrite par l’article 109(2) de la LIPR (Omar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 602, au paragraphe 49).

IX.             Conclusion

[31]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-963-16

 

INTITULÉ :

MAHMOOD SAJID c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Constance Connie Byrne

 

Pour le demandeur

 

Simone Truong

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand Deslauriers

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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