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Date : 20160901


Dossier : IMM-892-16

Référence : 2016 CF 996

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

MAYRA ELIZABETH AGUIRRE RENTERIA et ARINSON AGUIRRE RENTERIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Mayra Elizabeth Aguirre Renteria (la demanderesse principale) et son frère mineur, Arinson Aguirre Renteria, demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR), qui a rejeté leur demande visant à rouvrir leur appel. L’appel à la SAR a été rejeté, sans être évalué selon son bien-fondé, pour cause de non-respect du délai imposé pour mettre en état l’appel, tel qu’il est décrit dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement).

II.                Contexte

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la Colombie. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada en juin 2015 en alléguant craindre la persécution et d’autres violences, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), par le groupe rebelle Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande le 11 septembre 2015 en concluant que la demanderesse principale manquait de crédibilité.

[3]               Les demandeurs ont reçu la décision le 21 septembre 2015 et ont déposé un avis d’appel au Greffe de la SAR le 2 octobre 2015. Le délai pour mettre en état l’appel était le 21 octobre 2015. Cependant, l’avocat des demandeurs a seulement soumis le dossier des demandeurs à la SAR le 27 novembre 2015. Ce dossier était accompagné d’une demande de prorogation de la mise en état de l’appel.

[4]               Les demandeurs ne savaient pas à ce moment que la SAR avait rejeté leur appel pour défaut de mise en état le 25 novembre 2015. Le 2 décembre 2015, le Greffe de la SAR informe l’avocat qu’il n’y aura pas un appel devant la SAR. Les demandeurs ont déposé une demande le 10 décembre 2015 visant à rouvrir l’appel. Dans leurs demandes, ils allèguent divers points, notamment :

                     leur avocat n’était pas présent à l’audience de la SPR puisqu’on avait refusé sa demande de changement de date d’audience. Il n’était donc pas au courant de ce qui s’était passé à l’audience;

                     ils attendaient de recevoir de l’aide juridique avant de poursuivre l’appel;

                     la transcription de l’audience devant la SPR a seulement été reçue le 6 novembre 2015, plus de 30 jours après la réception de la décision de la SPR;

                     après que leur avocat a lu la transcription, il a constaté que les passeports des demandeurs étaient une preuve importante pour l’appel; les passeports ont seulement été reçus le 20 novembre 2015;

                     le dossier des demandeurs a été envoyé le 25 novembre 2015 au Greffe de la SAR, mais en raison d’un retard dans la livraison, le dossier est seulement arrivé au Greffe le 27 novembre 2015;

                     le refus de rouvrir l’appel consisterait à un manquement aux principes de justice naturelle puisque l’appel pourrait traiter des questions importantes.

III.             Décision contestée

[5]               La SAR a commencé par souligner les dispositions juridiques pertinentes à l’analyse du bien-fondé de la demande visant à rouvrir l’appel :

LIPR :

110(2.1) L’appel doit être interjeté et mis en état dans les délais prévus par les règlements.

Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles de la SAR) :

3(5) Le dossier de l’appelant transmis en application de la présente règle doit être reçu par la Section dans le délai prévu par le Règlement pour mettre en état un appel.

49(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et la justification de tout retard;

b) si l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés :

159.91(1) Pour l’application du paragraphe 110(2.1) de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), la personne en cause ou le ministre qui porte en appel la décision de la Section de la protection des réfugiés le fait dans les délais suivants :

a) pour interjeter appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés, dans les quinze jours suivant la réception, par la personne en cause ou le ministre, des motifs écrits de la décision;

b) pour mettre en état l’appel, dans les trente jours suivant la réception, par la personne en cause ou le ministre, des motifs écrits de la décision.

(2) Si l’appel ne peut être interjeté dans le délai visé à l’alinéa (1)a) ou mis en état dans le délai visé à l’alinéa (1)b), la Section d’appel des réfugiés peut, pour des raisons d’équité et de justice naturelle, prolonger chacun de ces délais du nombre de jours supplémentaires qui est nécessaire dans les circonstances.

[6]               La SAR a rejeté la demande visant à rouvrir l’appel, concluant qu’une telle décision ne constituerait pas un manquement aux principes de justice naturelle.

[7]               Premièrement, la SAR a refusé l’argument avancé par les demandeurs, à savoir que leur avocat n’était pas au courant de ce qui s’est passé à l’audience de la SPR et qu’il avait besoin de faire une demande de la transcription, laquelle a seulement été reçue le 6 novembre 2015. La SAR fait remarquer que la SPR remet à tout demandeur débouté un disque compact de l’audience de la SPR, accompagné d’une copie écrite de la décision négative. La SAR a conclu qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle l’avocat des demandeurs ne pouvait pas écouter le disque compact pour préparer son mémoire, comme le font de nombreux avocats. L’avocat des demandeurs n’a pas présenté d’éléments de preuve attestant que les demandeurs n’ont pas reçu un disque compact.

[8]               Deuxièmement, la SAR a rejeté l’argument selon lequel l’avocat des demandeurs a seulement constaté que les passeports étaient importants après avoir lu la transcription et qu’il a dû alors faire une demande de passeports et attendre de recevoir ces éléments de preuve. La décision de la SPR aux paragraphes 18 et 19 indique clairement que l’absence des passeports a contribué à la décision que la demanderesse principale manquait de franchise. En se basant uniquement sur la décision de la SPR, l’avocat des demandeurs aurait pu entamer la demande de passeports. Les demandeurs auraient aussi pu mettre en état leur appel en soumettant à temps leur dossier des demandeurs, puis demander de soumettre leurs passeports dès leur réception, selon l’article 29 des Règles de la SAR.

[9]               Troisièmement, la SAR a déterminé que l’explication des demandeurs selon laquelle le service de livraison a livré les documents deux jours en retard est sans importance. La SAR a noté que la décision du commissaire de rejeter l’appel est entrée en vigueur aussitôt qu’il a signé et daté les motifs de la décision le 25 novembre 2015. Même si la SAR avait reçu à temps la demande de prorogation le 25 novembre, rien ne garantissait que le commissaire de la SAR l’ait reçu avant de signer l’ordonnance de rejet. De toute façon, les documents des demandeurs sont arrivés deux jours après l’entrée en vigueur de la décision.

[10]           Quatrièmement, la SAR a pris en considération les alinéas 49(7)a) et b) des Règles de la SAR (dans la décision de la SAR aux paragraphes 30 et 31, la SAR indique avoir pris en considération les alinéas 49(1)a) et b), mais ces dispositions n’existent pas – je crois que la SAR se reportait plutôt aux alinéas 49(7)a) et b).) En fonction de l’alinéa 49(7)a), la SAR a déterminé que le retard de la demande n’était pas justifiable. Quant à l’alinéa 49(7)b), la SAR souligne que les demandeurs n’avaient pas fourni de renseignements concernant une demande de contrôle judiciaire soumise à notre Cour. Cependant, la SAR a déterminé qu’il ne serait pas nécessaire pour les demandeurs de solliciter l’intervention de notre Cour au lieu de poursuivre la direction prise en soumettant une demande à la SAR. Ceci est particulièrement vrai si on prend en considération l’alinéa 72(2)a) de la LIPR qui précise qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut pas être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées.

[11]           Enfin, la SAR a examiné si « un manquement à un principe de justice naturelle est établi », aux termes du paragraphe 49(6) des Règles de la SAR. La SAR a déclaré que cette disposition s’applique rétrospectivement aux défauts antérieurs, comme l’indique le langage employé dans la disposition elle-même. Par conséquent, on n’a pas déterminé si le défaut prospectif allégué par les demandeurs, à savoir que le refus de leur demande serait un manquement à un principe de justice naturelle, tombe sous le coup de cette disposition.

IV.             Question en litige et norme de contrôle

[12]           La question litigieuse déterminante est de savoir si la SAR a manqué aux règles de justice naturelle en refusant aux demandeurs de rouvrir leur demande. Cependant, bien que la question de justice naturelle ait été soulevée dans la présente affaire, l’interprétation de la SAR de sa loi constitutive et l’application de cette loi aux faits présentés soulèvent plutôt des questions mixtes de droit et de faits qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Khakpour c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 25, aux paragraphes 20 et 21). Je suis d’avis que la question déterminante est de savoir si la décision de la SAR de refuser la demande visant à rouvrir l’appel est raisonnable.

V.                Analyse

[13]           L’avocat du défendeur a admis à l’audience que la SAR peut avoir commis une erreur lorsqu’elle a jugé que le paragraphe 49(6) des Règles de la SAR s’appliquait rétrospectivement aux défauts antérieurs et non aux défauts prospectifs, comme celui allégué par les demandeurs, à savoir que le refus de leur demande serait un manquement à la justice naturelle. Si une telle interprétation restrictive est adoptée, la SAR ne pourrait jamais rouvrir un appel si, comme il en est le cas en l’espèce, elle rejette un appel pour la simple question d’un retard sans en évaluer le bien-fondé. Je suis plutôt d’avis que la SAR devrait seulement accueillir une requête visant à rouvrir un appel lorsque, compte tenu de toutes les circonstances d’une affaire, elle conclut que le refus de rouvrir l’appel donnerait lieu à un manquement à l’équité procédurale.

[14]           Cependant, pour les motifs établis ci-dessous, je suis d’avis que la mauvaise interprétation par la SAR du paragraphe 49(6) des Règles de la SAR n’a pas d’importance puisqu’elle a examiné tous les faits qui lui ont été présentés, y compris ceux qui n’étaient pas présentés au décideur ayant refusé l’appel. Voilà pourquoi la décision de la SAR est raisonnable.

[15]           Premièrement, il était raisonnable pour la SAR de rejeter l’argument avancé par l’avocat des demandeurs, à savoir qu’il devait faire une demande pour recevoir la transcription de l’audience de la SPR avant de préparer ses arguments pour l’appel. La SAR a expliqué que tous les demandeurs déboutés reçoivent un disque compact de l’audience de la SPR, et qu’il est pratique courante pour l’avocat d’écouter cet enregistrement. En vertu du paragraphe 171(b) de la LIPR, « la [SAR] peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation ». La pratique courante concernant les disques compacts était clairement un fait auquel la SAR pouvait prendre connaissance d’office et qui ressortait de sa spécialisation. Par conséquent, il était raisonnable pour la SAR de conclure que, en l’absence d’une preuve pour confirmer que les demandeurs n’ont pas reçu le disque compact, rien ne justifiait pourquoi l’avocat des demandeurs ne pouvait pas écouter l’enregistrement sur disque compact immédiatement après avoir reçu la décision défavorable le 21 septembre 2015 afin de préparer son mémoire. Dans son affidavit, la demanderesse principale allègue qu’ils ont dû attendre que la Legal Services Society finance leur appel avant de demander la transcription de l’audience et qu’ils devaient avoir la transcription avant d’entamer les étapes pour obtenir leurs passeports. Elle affirme qu’ils ont reçu les passeports le 20 novembre 2015, mais ne précise pas quand les différentes étapes du procédé ont été prises. Les éléments de preuve indiquent seulement qu’il leur a fallu neuf semaines à partir de la réception de la décision du SPR avant d’avoir tous les documents nécessaires pour mettre en état leur appel et qu’ils ont pris une semaine additionnelle avant de soumettre ces documents à la SAR.

[16]           Deuxièmement, je juge que l’argument avancé par les demandeurs, à savoir qu’ils ne pouvaient pas faire une demande de passeports avant de recevoir la transcription de l’audience de la SPR, est dénué de fondement. L’avocat des demandeurs aurait pu déterminer que l’absence des passeports poserait problème s’il avait écouté l’enregistrement sur disque compact ou s’il avait tout simplement lu les paragraphes 18 et 19 de la décision de la SPR, qui ne laissent planer aucun doute à l’égard de l’incidence qu’aura l’absence de ces documents sur la crédibilité des demandeurs : [traduction]

[18]      Tout d’abord, les demandeurs ont choisi de ne pas fournir leurs passeports à des fins d’examen. La demanderesse principale a déclaré avoir laissé leurs passeports colombiens à une personne appelée Elizabeth aux États-Unis pour ne pas les perdre ou se les faire voler au moment de franchir la frontière du Canada. Lorsqu’on lui a demandé comment ils avaient fait pour fournir leurs numéros de passeport, elle a expliqué qu’on a communiqué avec Elizabeth pour qu’elle puisse fournir cette information.

[19]      À la lumière de ces faits, je conclus que les demandeurs auraient pu obtenir leurs passeports auprès d’Elizabeth. Bien que les demandeurs aient établi leur identité à l’aide d’autres documents, les passeports pourraient révéler d’autres renseignements pertinents. Le choix de ne pas soumettre les passeports peut laisser sous-entendre que les demandeurs ne sont pas entièrement francs.

[17]           L’avocat aurait pu alors faire la demande des passeports. De plus, même si les passeports n’étaient pas livrés à temps, l’avocat aurait pu, comme l’a souligné la SAR, soumettre le dossier des demandeurs à temps, puis soumettre les passeports une fois qu’ils étaient disponibles, aux termes de l’article 29 des Règles de la SAR.

[18]           Enfin, je suis d’accord avec le défendeur que l’affaire Huseen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 845 se distingue de la présente affaire. La demanderesse dans la décision Huseen n’était pas représentée par un avocat lorsqu’elle a manqué aux exigences procédurales et, lorsqu’elle a retenu les services d’un avocat, ce dernier a immédiatement communiqué avec la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada afin de remédier à la situation. En l’espèce, les demandeurs étaient représentés par un avocat tout au long du processus. Le Greffe de la SAR a même communiqué avec l’avocat deux jours après l’expiration du délai de mise en état de l’appel pour l’aviser qu’il devait faire une demande de prorogation de délai. Il était alors raisonnable pour la SAR de rejeter l’appel des demandeurs un peu plus d’un mois plus tard, puisqu’aucune demande de prorogation n’avait encore été reçue.

[19]           Par ailleurs, comme l’a souligné la SAR, l’avocat aurait pu soumettre le dossier des demandeurs à temps, puis soumettre les passeports à une date ultérieure, conformément à l’article 29 des Règles de la SAR. Comme il a été statué dans la décision de la Cour dans l’affaire Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 250, au paragraphe 30 :

[30]      Bien que j’accepte comme principe général que les règles de procédure doivent être appliquées avec souplesse dans l’administration du système canadien d’octroi de l’asile, je ne considère pas que les faits de cette affaire démontrent un manque de souplesse qui constituerait une violation des principes d’équité procédurale ou de justice naturelle de la part de la SAR. [...]

[20]           Par conséquent, je conclus que la décision de la SAR de refuser de rouvrir l’appel était raisonnable dans les circonstances en l’espèce.

VI.             Conclusion

[21]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-892-16

INTITULÉ :

MAYRA ELIZABETH AGUIRRE RENTERIA et ARINSON AGUIRRE RENTERIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 1er septembre 2016

COMPARUTIONS :

Lawrence Leung

Pour les demandeurs

Edward Burnet

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Leung

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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