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Date : 20160719


Dossier : IMM-161-16

Référence : 2016 CF 831

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

KARMJEET KAUR TIWANA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Le défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 21 décembre 2015, par laquelle l’appel d’une décision relative au parrainage du conjoint de la demanderesse a été rejeté en vertu du principe de la chose jugée.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse, Karmjeet Kaur Tiwana, est née en Inde et a obtenu la résidence permanente au Canada en 2005 en vertu d’un parrainage de conjoint par son ex-mari. Dans le mois suivant son arrivée au Canada, la demanderesse s’est séparée de son ex-mari et ils ont divorcé quelques mois plus tard.

[3]               En novembre 2008, la demanderesse a rencontré et épousé son deuxième mari en Inde. En juin 2009, le deuxième conjoint de la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada.

[4]               Après avoir effectué une entrevue avec la demanderesse et son conjoint, un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui prévoit qu’une personne ne sera pas considérée comme étant le « conjoint » en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) lorsque : le mariage, selon le cas : a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi, ou b) n’est pas authentique. Même s’il s’agit de conclusions distinctes, l’agent était convaincu que les deux conditions avaient été remplies dans ce cas. L’agent a exprimé les préoccupations suivantes :

  1. l’explication du conjoint pour justifier la raison pour laquelle le mariage a eu lieu loin de son village n’était pas crédible;
  2. le conjoint ignorait des choses simples sur la demanderesse – il ne pouvait pas nommer spontanément les parents de la demanderesse et a dit leur nom de manière incorrecte, son témoignage était incohérent quant à l’identification de l’oncle maternel de la demanderesse, il ne pouvait pas nommer le village des parents de la demanderesse même s’il a allégué leur avoir rendu visite après le mariage, et il savait peu de choses de l’emploi de la demanderesse;
  3. la description par l’époux de l’endroit où vit la demanderesse, et avec qui elle vit, était incompatible avec ce qui avait été déclaré sur le formulaire Questionnaire du répondant;
  4. les factures de téléphone présentées étaient des factures de téléphone du plus jeune oncle paternel de l’épouse et le courrier était adressé à ce même oncle, dont le nom a été plus tard biffé et remplacé par celui de la demanderesse.

[5]               Le requérant a interjeté appel de cette décision de la SAI, appel qui a été rejeté en avril 2012, en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement (la décision antérieure). La SAI a fait remarquer dans cette décision que « le fils de l’appelante et du demandeur n’était pas né au moment où l’audience [de l’appel interjeté à l’égard du premier refus] s’est tenue, soit le 28 février 2012 [... et ...] aucune mention n’a été faite à l’égard du fait que la demanderesse n’était pas ou ne pourrait pas être le père de l’enfant » à naître. Bien que la SAI ait fait remarquer qu’en raison d’une grossesse, il serait raisonnable d’adopter une présomption favorable à l’authenticité du mariage en cause (citant Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, au paragraphe 8), elle a néanmoins conclu que les faits suivants étaient incompatibles avec une véritable relation conjugale en cours :

  1. le témoignage du conjoint contredisait celui de la demanderesse concernant l’évolution de leur relation et les négociations précédant le mariage;
  2. le conjoint n’a pas pu donner d’explication crédible pour justifier la raison pour laquelle le mariage a eu lieu loin de son village;
  3. le conjoint a manifesté un manque de connaissance à l’égard de la demanderesse;
  4. pour tenter d’expliquer le témoignage inexact et incohérent du conjoint, la demanderesse a allégué que son époux souffre de problèmes de mémoire, mais n’a fourni aucune preuve corroborante;
  5. le conjoint n’a pas pu raconter de façon précise le moment où il a appris la nouvelle de la grossesse;
  6. la demanderesse n’avait pas discuté avec son conjoint d’un congé de maternité et de son retour au travail;
  7. les éléments de preuve relatifs à l’épargne et aux assurances étaient de faible valeur, puisque tous les documents sont postérieurs au refus;
  8. des membres de la famille du conjoint résident au Canada, ce qui suggère en outre que le mariage visait des fins d’immigration.

[6]               La juge Anne Mactavish a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision le 29 octobre 2012.

[7]               En octobre 2013, la demanderesse a de nouveau présenté une demande visant à parrainer son époux, demande qui a été rejetée le 8 décembre 2014 en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement. Bien que la demanderesse et son conjoint aient été invités à une entrevue, ils ne s’y sont pas rendus. La demanderesse a interjeté appel du refus à la SAI, décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire (décision).

[8]               La SAI a rejeté l’appel en application de la doctrine de la chose jugée et appliqué le principe de la préclusion – la doctrine juridique destinée à empêcher la poursuite de litiges relatifs à une affaire qui a déjà été tranchée de façon définitive et impliquant les mêmes questions et les mêmes parties.

[9]               La SAI a énoncé le processus en deux étapes qui régit le principe de la préclusion établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au paragraphe 33 [Danyluk] : la première étape consiste à déterminer si les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquent; En second lieu, le décideur doit déterminer si l’application de la doctrine de la chose jugée entraînerait une injustice.

[10]           Après avoir examiné la preuve et le droit pertinent à la doctrine de la chose jugée, la SAI était convaincue que les conditions d’application de la préclusion énoncées dans l’arrêt Danyluk, précité, avaient été respectées : i) que la même question ait été décidée dans une procédure antérieure; (ii) que la décision judiciaire antérieure soit définitive; (iii) que les parties ou leurs ayants droit soient les mêmes dans chacune des instances (Danyluk, au paragraphe 25).

[11]           En appel, la demanderesse avait fait valoir que la doctrine de la chose jugée n’est pas applicable parce qu’il y avait de nouveaux éléments de preuve constitués de la naissance de son fils, de nouveaux voyages en Inde pour visiter son conjoint et des éléments de preuve démontrant la poursuite de la relation de couple.

[12]           La SAI a fait remarquer que la présence d’éléments de preuve déterminants et nouveaux qui n’auraient pas pu être découverts par l’exercice d’une diligence raisonnable dans la première instance constitue une « circonstance spéciale » qui pourrait constituer un motif valable pour refuser d’appliquer la doctrine de la chose jugée.

[13]           Après avoir examiné attentivement les nouveaux éléments de preuve, la SAI n’était pas convaincue qu’ils constituaient de « nouveaux éléments de preuve déterminants » manifestement susceptibles de modifier l’issue de la première instance.

[14]           La SAI a fait remarquer que même si la naissance du fils de la demanderesse en août 2012 constituait un nouvel élément de preuve, la décision antérieure tenait compte du fait que la demanderesse était enceinte et qu’aucune préoccupation concernant la paternité du conjoint n’avait été soulevée. Bien que l’intérêt supérieur de l’enfant puisse ne pas avoir été abordé dans la décision antérieure, la grossesse a été l’un des facteurs pris en considération dans l’évaluation globale de l’appel interjeté à l’égard de la décision relative à la demande de parrainage.

[15]           En outre, les éléments de preuve documentaire n’auraient pas suffi pour l’emporter sur les préoccupations et les divergences soulevées dans la décision antérieure. À part la naissance d’un enfant, la preuve documentaire ne visait qu’à montrer que, étant donné que la demanderesse et son conjoint sont toujours ensemble, le mariage est authentique. La SAI a estimé que si ces éléments de preuve étaient considérés comme de « nouveaux éléments de preuve déterminants », ce type de procédures nuirait au règlement définitif des litiges, et les personnes décrites au paragraphe 4(1) du Règlement seraient simplement tentées de rester ensemble plus longtemps.

[16]           Alors que la naissance d’un enfant constitue un facteur important, il n’en est qu’un parmi les nombreux facteurs examinés pour déterminer si la situation du conjoint relève du paragraphe 4(1) du Règlement. La SAI a conclu qu’à lui seul, ce facteur ne permet pas de modifier la décision antérieure ou de l’emporter sur les préoccupations soulevées dans la plus récente décision de l’agent, soit celle de décembre 2014.

[17]           La SAI a cité Chotai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1335 [Chotai], à l’appui de son point de vue suivant lequel la preuve n’empêchait pas l’application de la doctrine de la chose jugée, car elle n’était pas liée aux deux facteurs prescrits au paragraphe 4(1) de la Loi. Dans ce cas, assez similaire à celui de la demanderesse, le juge Michael Phelan a écrit :

19  La thèse du demandeur peut se résumer ainsi : les nouveaux éléments de preuve (du moins ceux qui sont véritablement nouveaux) démontrent que le mariage était authentique. Comme ils démontrent qu’un mariage qualifié de convenance s’est révélé durable, ces éléments de preuve établissent que le mariage était authentique, ce qui réfute la première décision. La thèse du demandeur est que plus des époux vivent ensemble longtemps, plus leur mariage est authentique.

20  La question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de savoir si la relation est devenue authentique. L’article 4 du Règlement ne parle pas de l’état de la relation à un moment ou à un autre, mais bien de la question de savoir si cette relation « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (non souligné dans l’original). Elle s’intéresse à l’état de la relation, à son objectif au moment où elle a été créée. L’alinéa b) (« n’est pas authentique ») vise l’état de la relation au moment où elle est examinée. Toutefois la décision repose sur l’alinéa a) et non sur l’alinéa b).

21  Ainsi, les « nouveaux éléments de preuve » doivent être évalués en fonction de la question de savoir s’ils sont suffisants pour répondre à la première décision et s’ils auraient pu en changer l’issue. Il s’agit là d’une caractéristique qui permet d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Sami c Canada (Citoyenne et Immigration), 2012 CF 539, 215 ACWS (3d) 190 (CF), dans laquelle les nouveaux éléments de preuve répondaient aux préoccupations exprimées au départ par la SAI.

[18]           La SAI a conclu que la doctrine de la préclusion s’appliquait à ces faits, puisque la question de savoir si le conjoint de la demanderesse était visé par le paragraphe 4(1) du Règlement a déjà été tranchée par deux décisions : par la SAI dans la décision antérieure et par la Cour fédérale qui a rejeté l’autorisation de contrôle judiciaire.

III.             Question en litige

[19]           La seule question litigieuse en l’espèce est celle de savoir s’il était raisonnable que la SAI conclue que le nouvel élément de preuve n’était pas déterminant au point de permettre de modifier l’issue de la décision antérieure.

IV.             Norme de contrôle

[20]           La question de savoir si la naissance d’un enfant et la preuve concernant la relation soutenue entre la demanderesse et son conjoint constituent de nouveaux éléments de preuve déterminants susceptibles de modifier l’issue de la décision antérieure, et si la doctrine de la chose jugée et le principe de préclusion doivent être appliqués sont des questions qui doivent être examinées selon la norme du caractère raisonnable (Dhaliwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1182, au paragraphe 7 [Dhaliwal]; Chotai, précité, au paragraphe 16).

[21]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte.

V.                Analyse

[22]           Aucune des parties ne conteste que le principe de la chose jugée est soulevé; elles ne s’entendent toutefois pas sur la question de savoir s’il doit être appliqué. La position de la demanderesse est que la SAI a mal analysé les éléments de preuve nouveaux, concluant qu’ils ne suffisent pas pour justifier une modification des conclusions précédentes, ce qui rend sa décision déraisonnable.

[23]           En premier lieu, elle soumet que le raisonnement appliqué par notre Cour dans Sandhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 834 [Sandhu], s’applique à l’espèce. Dans Sandhu, précité, le juge Luc Martineau a conclu que la preuve d’une relation continue, les autres voyages en Inde et la naissance d’un enfant ont été considérés comme des éléments de preuve nouveaux et déterminants dans les contrôles judiciaires antérieurs concernant des demandes de parrainage au profit du conjoint, et que la SAI doit expliquer pourquoi ils ne constituent pas une telle preuve et aller au-delà de la simple adoption des motifs du tribunal précédent.

[24]           La demanderesse prétend en l’espèce que la SAI a simplement adopté les conclusions antérieures et a omis de fournir quelque analyse que ce soit expliquant pourquoi les nouveaux éléments de preuve ne l’emportent pas sur ces conclusions.

[25]           En deuxième lieu, la demanderesse soutient que la SAI n’a pas accordé un poids suffisant à la naissance d’un enfant, ce que notre Cour a confirmé constituer un exemple de circonstances spéciales et de nouvel élément de preuve déterminant justifiant de ne pas appliquer la préclusion. La SAI a simplement reconnu l’existence d’un enfant, mais n’a pas évalué les faits pertinents, notamment que la demanderesse et son mari ont élevé ensemble leur enfant pendant plus de trois ans.

[26]           En troisième lieu, la demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve de l’engagement soutenu de la demanderesse et de son conjoint qui démontre que le mariage est authentique et été éprouvé au fil du temps et malgré l’adversité de la séparation.

[27]           La demanderesse affirme également que dans ses motifs, la SAI a conclu à tort que la preuve de l’engagement dans une relation soutenue ne peut démontrer l’authenticité du mariage et soutenir le fait qu’il ne visait pas principalement des fins d’immigration. La décision se lit comme suit :

S’il était fait droit à l’appel pour ces motifs, alors les personnes visées au paragraphe 4(1) du Règlement n’auraient qu’à tenter de demeurer ensemble pendant une longue période dans l’intention de montrer que le paragraphe 4(1) du Règlement ne s’applique pas. Le fait d’agir ainsi ferait en sorte que les cas semblables pourraient s’étendre sur une période indéfinie et qu’il serait impossible de les trancher de manière définitive.

[28]           Selon la demanderesse, ce raisonnement est vicié et va à l’encontre de la jurisprudence de notre Cour. Des éléments de preuve montrant un engagement de longue durée peuvent servir à établir que le mariage est authentique et sont susceptibles de changer l’issue de l’instance antérieure suivant laquelle le mariage visait principalement des fins d’immigration (Sami c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 539, aux paragraphes 72 à 79 [Sami]; Sandhu, aux paragraphes 13 et 16).

[29]           Enfin, la demanderesse soutient que la SAI ne pouvait pas refuser de tenir compte de la preuve, même si elle avait évalué la preuve et conclu qu’elle ne l’emportait pas sur la décision initiale.

[30]           À mon avis, la SAI a respecté les conditions d’application du principe de la préclusion et raisonnablement conclu que la doctrine de la chose jugée s’appliquait dans les circonstances. La SAI a cherché à déterminer si la preuve était suffisante pour modifier la décision antérieure et a raisonnablement conclu qu’elle ne l’était pas.

[31]           La SAI n’a pas simplement confirmé les conclusions antérieures. La SAI s’est plutôt livrée à un « examen attentif » de la preuve et a conclu qu’il n’y avait pas de nouveaux éléments de preuve déterminants et suffisants pour l’emporter sur les préoccupations de l’agente. Les nouveaux éléments de preuve consistaient principalement en la naissance du fils de la demanderesse et des éléments de preuve relatifs aux quatrième et cinquième voyages de la demanderesse en Inde en 2013 et 2015 (timbres de passeports et quelques photos de la famille réunie). La SAI a estimé que la grossesse avait en fait été prise en compte par la SAI précédemment, mais qu’elle n’avait pas influencé sa conclusion ultime au sens du paragraphe 4(1). En outre, la SAI n’a pas estimé que les autres éléments de preuve étaient susceptibles de modifier la décision antérieure, puisqu’elle n’a pas examiné les divergences dans la preuve et les questions de crédibilité antérieures qui suggéraient que le mariage visait des fins d’immigration et n’était pas authentique.

[32]           Bien que les éléments de preuve présentés par la demanderesse aient été considérés comme des éléments nouveaux et déterminants, chaque cas est unique et doit être tranché selon les faits particuliers. Comme la juge Catherine Kane a conclu dans Ping c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1121, au paragraphe 24 [Ping], « ce n’est pas la nature de la preuve qui est déterminante, mais bien comment cette preuve invalide les conclusions antérieures ». Bien que la demanderesse s’appuie fortement sur Sandhu pour suggérer que les éléments de preuve qu’elle présente actuellement constituent une preuve nouvelle et déterminante, tel qu’énoncé par le juge Martineau au paragraphe 15 de cette décision :

En fonction des faits de certaines affaires, la naissance d’un enfant peut suffire à faire exception au principe de la chose jugée. Cependant, dans la mesure où les faits en fonction desquels la décision antérieure avait été prise établissent avec un haut niveau de confiance que le but principal du mariage était d’acquérir un statut sous le régime de la LIPR, il est moins probable que cela suffise. Pour constituer des nouveaux éléments de preuve déterminants, les éléments de preuve doivent avoir des répercussions véritables sur l’évaluation de l’intention. Des éléments de preuve qui ne font que renforcer les éléments antérieurs ou tentent d’établir l’intention rétroactivement ne sont pas suffisants (Gharu, précité, au paragraphe 17). Ce qui rend la présente espèce unique est l’admission de la part du défendeur que les nouveaux éléments de preuve établissent l’authenticité du mariage.

[Non souligné dans l’original]

[33]           Il est à noter que l’agent et la SAI dans sa décision antérieure ont conclu que de graves préoccupations étaient soulevées par les témoignages contradictoires de la demanderesse et de son conjoint, le manque de connaissance de leur vie respective, leur crédibilité et l’authenticité de leur mariage. Cela a conduit la SAI à conclure que les deux facteurs énoncés au paragraphe 4(1) avaient été respectés. Alors que les éléments de preuve produits par la demanderesse ont été considérés comme une preuve nouvelle et déterminante dans les précédents contrôles judiciaires des décisions relatives aux demandes de parrainage au profit du conjoint, je note également qu’ils n’ont pas été considérés de la sorte dans Anttal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 30, au paragraphe 19 ni dans Ping, précité, au paragraphe 29). L’analyse est contextuelle et repose sur les faits.

[34]           Par exemple, dans Sandhu, contrairement à la présente affaire, la demanderesse n’était pas enceinte au moment où la SAI a rejeté le premier appel. Ainsi, ce fait était un « nouvel élément de preuve » que la SAI n’avait pas examiné dans la première décision et qui a été jugé susceptible d’avoir une incidence sur l’analyse précédente.

[35]           Dans la présente décision, la SAI a déclaré que la preuve d’une relation soutenue ne peut pas constituer un nouvel élément de preuve susceptible de modifier l’issue de la première instance. Bien que cette conclusion aille à l’encontre de certaines décisions de notre Cour, j’estime que cette erreur n’a pas été déterminante, et qu’elle n’a pas miné le caractère raisonnable de la décision. C’est parce que la SAI a examiné l’alternative et n’a pas tout simplement ignoré les pièces justificatives d’une relation soutenue. La SAI a déclaré, au paragraphe 16 :

Même si le tribunal concluait que la documentation présentée constituait de nouveaux éléments de preuve ayant de toute évidence la capacité de modifier la décision prise dans le cadre du premier appel, et ce n’est pas le cas, les éléments de preuve documentaire n’auraient pas suffi pour l’emporter sur les préoccupations et les divergences soulevées dans la décision de la commissaire N.S. Paul datée du 24 avril 2012.

[36]           En outre, bien que des événements ayant eu lieu après un mariage puissent être pertinents à une évaluation au sens du paragraphe 4(1) du Règlement, le juge en chef Paul Crampton a conclu dans Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, aux paragraphes 32 et 33 :

32  ... Cela dit, de tels éléments de preuve ne sont pas nécessairement déterminants, et la SAI n’a pas nécessairement agi de façon déraisonnable en ayant omis de les examiner et de les analyser explicitement.

33  Il en est ainsi parce que, alors que le présent est utilisé dans l’énoncé du critère de l’article 4 du Règlement selon lequel il faut évaluer si le mariage contesté « n’est pas authentique », le second critère commande une évaluation visant à déterminer si le mariage « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (non souligné dans l’original). Par conséquent, pour déterminer si ce dernier critère est rempli, il faut s’attarder aux intentions des époux au moment du mariage.

[37]           Dans le cas dont notre Cour est saisie, les éléments de preuve relatifs à des événements postérieurs au mariage ne se rapportent pas à la nature du mariage au moment où il a été contracté (Chotai, au paragraphe 21), et il n’était pas déraisonnable que la SAI conclue que la preuve ne l’emportait pas sur les préoccupations et les divergences mentionnées dans la décision antérieure.

[38]           Ainsi, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le refus de la SAI de lui fournir l’occasion de présenter un témoignage de vive voix était déraisonnable et injuste sur le plan procédural est sans fondement. Le principe de la chose jugée est un principe qui doit être invoqué avant la tenue d’une audience et qui, s’il est appliqué, fait obstacle à une audience en bonne et due forme. La SAI a compétence pour rejeter sans formalités un appel qui vise à soumettre de nouveau une question qu’elle a déjà tranchée en se fondant essentiellement sur la même preuve (Kaloti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 RCF 390 (CAF), aux paragraphes 9 et 10 [Kaloti]; Hamid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 220, au paragraphe 18). Ainsi, la demanderesse et son conjoint ont eu l’occasion de présenter un témoignage de vive voix dans un premier temps, ce qui a conduit la SAI à conclure comme elle l’a fait, en particulier en raison de divergences, de questions de crédibilité et d’autres témoignages que la SAI a estimés incompatibles avec un mariage authentique ne visant pas des fins d’immigration.

[39]           En outre, bien que la demanderesse critique la décision de ne pas analyser l’intérêt supérieur de l’enfant, en vertu des articles 63 et 65 de la Loi, la SAI n’a pas compétence pour examiner les considérations d’ordre humanitaire soulevées en appel d’une décision relative à une demande présentée au titre de la catégorie du regroupement familial La SAI peut accueillir l’appel en se fondant sur des motifs d’ordre humanitaires suffisants (en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant) que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de la catégorie du regroupement familial et que le répondant a bien qualité de « répondant » au sens que cette catégorie donne à ce terme (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Chen, 2014 CF 262, au paragraphe 14; Fang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 733, aux paragraphes 23 à 34). Vu la conclusion préliminaire relative à la chose jugée, le conjoint de la demanderesse n’est pas un membre de la catégorie du regroupement familial.

[40]           J’estime également que les motifs énoncés sont suffisants : la SAI a expliqué pourquoi la doctrine de la chose jugée s’appliquait et pourquoi la preuve ne l’emportait pas sur la décision antérieure. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale.

[41]           L’évaluation par la SAI des nouveaux éléments de preuve était raisonnable. La SAI a examiné tant la naissance que la documentation insuffisante sur une relation soutenue, mais elle a considéré qu’aucun de ces éléments ne suffisait à faire contrepoids aux facteurs défavorables à la demanderesse. La SAI a également raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune preuve d’iniquité ou d’injustice pour justifier l’exception à la doctrine de la chose jugée et du principe de la préclusion, qui s’appliquent pour empêcher la poursuite de litiges relatifs à des affaires qui ont déjà été tranchées de façon définitive. Par conséquent, je rejetterais la demande.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-161-16

INTITULÉ :

KARMJEET KAUR TIWANA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Aris Daghighian

Pour la demanderesse

Hillary Adams

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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