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Date : 20160825


Dossier : IMM-459-16

Référence : 2016 CF 963

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

PETER COLI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Coli est citoyen de l’Albanie. Il est arrivé au Canada en mars 2012 et il a demandé l’asile au motif d’une vendetta entre les membres de sa famille et ceux d’une autre famille en Albanie.

[2]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande en janvier 2016. La SPR a jugé qu’il n’y avait aucun lien entre les risques allégués par M. Coli et les motifs décrits à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la vendetta alléguée par M. Coli n’était que pure fabrication à tous les égards. En tirant cette conclusion, la SPR a reconnu qu’un tribunal de la SPR constitué différemment avait, dans une décision rendue en janvier 2013, examiné des allégations semblables fondées sur une preuve documentaire similaire déposée par le frère de M. Coli. La SPR a rejeté la demande de M. Coli.

[3]               M. Coli demande à notre Cour d’annuler la décision de la SPR et de renvoyer l’affaire à un autre tribunal constitué différemment pour nouvel examen.  Il soutient que les conclusions n’étaient pas raisonnables. M. Coli prétend que la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur le cartable national de documentation (CND) pour conclure que certaines déclarations et la documentation présentée à l’appui de la demande étaient falsifiées. Il ajoute que la décision est également déraisonnable parce que sa demande a été rejetée alors que celle de son frère a été accueillie.  La seule question en l’espèce consiste à déterminer si les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

[4]               La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la SPR concernant le lien et la crédibilité (Jia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422, aux paragraphes 15 et 16).

[5]               Les arguments de M. Coli ne m’ont pas convaincu et je rejette donc la demande pour les motifs qui suivent.

II.                Décision de la SPR

[6]               La SPR expose les allégations de M. Coli et indique que la question déterminante vise sur la crédibilité. Même si la SPR reconnaît que les risques allégués par M. Coli sont liés aux membres de sa famille, elle a conclu que le différend allégué porte sur la propriété et sur les attaques connexes réciproques et qu’il n’y a aucun lien entre les risques allégués et les motifs énoncés à l’article 96 de la LIPR. C’est pourquoi la SPR a examiné la demande de M. Coli à la lumière du paragraphe 97(1) de la LIPR. M. Coli ne conteste pas cette conclusion.

[7]               La SPR reconnaît qu’il existe une présomption selon laquelle les allégations faites sous serment par un demandeur d’asile sont véridiques, mais elle a relevé des problèmes de crédibilité graves concernant des éléments centraux de l’exposé de M. Coli. La SPR mentionne que les incohérences et les contradictions avaient une telle ampleur qu’elles minaient la crédibilité de M. Coli. Les préoccupations concernant la crédibilité, à leur tour, ont incité la SPR à conclure que le contenu de l’exposé de M. Coli sur la vendetta était une pure fabrication. La SPR rejette la demande au motif de l’insuffisance d’éléments de preuve crédibles.

[8]               En rejetant la demande, la SPR aborde spécifiquement le succès de la demande du frère de M. Coli devant un tribunal différent (tribunal précédent). La SPR explique qu’à l’audience de la demande du frère de M. Coli, le tribunal précédent a reconnu, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de la vendetta alléguée et les documents à l’appui qui étaient semblables ou identiques à ceux produits par M. Coli. Cependant, elle a conclu qu’elle n’était pas liée par les conclusions du tribunal précédent.

[9]               La SPR a jugé qu’elle avait [traduction] « d’importants motifs de conclure le contraire, vu le manque de cohérence du demandeur et, en conséquence, de crédibilité relativement à deux aspects clés de sa demande ». La SPR s’est également appuyée sur des éléments de preuve récents dans le cartable national de documentation (CND) concernant la disponibilité à grande échelle de documents falsifiés en lien avec les vendettas en Albanie et les incohérences entre l’exposé de M. Coli et le contenu des documents destinés à mettre en doute les documents justificatifs.

III.             Analyse

A.                Est-ce que les conclusions de la SPR et sa décision finale étaient déraisonnables?

[10]           M. Coli ne conteste pas les conclusions concernant la crédibilité fondées sur les incohérences dans son exposé. Cependant, il soutient que ces conclusions concernant sa crédibilité n’auraient pas dû être déterminantes pour sa demande, vu la preuve documentaire dont la SPR était saisie, preuve que la SPR a à tort jugée non crédible.

[11]           M. Coli s’appuie sur la décision du juge Henry Brown dans Tenzin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-7989-14 [Losel] pour soutenir que la SPR était tenue de prendre en considération et de soupeser les conclusions du tribunal précédent avant de pouvoir raisonnablement conclure que la documentation sur laquelle s’appuyait M. Coli n’était pas crédible. Il ajoute que la SPR a commis une erreur en concluant que la déclaration d’un prêtre qui avait tenté de protéger M. Coli et de réconcilier les deux familles impliquées dans la vendetta était falsifiée. En outre, s’appuyant sur la décision du juge Donald Rennie dans Tshibola Kabongo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 313 [Kabongo], M. Coli soutient qu’il était déraisonnable de rejeter un certificat de la police corroborant son allégation de vendetta en raison de la présumée disponibilité à grande échelle de documents falsifiés. Je ne suis pas convaincu.

[12]           M. Coli a reconnu que la SPR n’était pas liée par les conclusions du tribunal précédent. (Uygur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 753 [Uygur]). Comme le mentionne la juge Catherine Kane dans Uygur au paragraphe 28 : « …il est établi en droit que les demandes d’asile doivent être jugées selon leur propre bien-fondé. Le fait qu’un demandeur a obtenu l’asile en raison d’une expérience semblable ne lie pas la Commission puisque celle‑ci doit apprécier chaque demande individuellement. En outre, des décisions antérieures, même celles concernant des membres de la famille, peuvent être erronées. »

[13]           Il s’agit d’un principe bien établi que la SPR a reconnu et appliqué en l’espèce. La décision Losel sur laquelle se fonde M. Coli le reconnaît à la page 6 lorsque le juge Brown déclare : [traduction] « Des évaluations des risques à la lumière des articles 96 et 97 sont de toute évidence requises en règle générale, parce que le risque est fonction du demandeur et comporte des considérations objectives et subjectives qui peuvent différer d’un demandeur à l’autre. »

[14]           Dans Losel, la question portait sur la nationalité du demandeur, une question qui avait déjà été tranchée lors d’une audience précédente impliquant un membre de la fratrie du demandeur. À cet égard, le juge Brown déclare aux pages 6 et 7 : [TRADUCTION] « Toutefois, lorsqu’il s’agit d’établir la nationalité de deux membres d’une fratrie dans une situation apparemment identique et auxquels s’appliquent la même loi et les mêmes faits, il n’est pas raisonnable que la SPR en vienne à des conclusions opposées… À mon avis, un tribunal de la SPR doit s’en remettre à la décision d’un tribunal précédent, en ce qui concerne la nationalité de deux membres d’une fratrie dans une situation apparemment identique, à moins que le second tribunal de la SPR établisse une distinction entre les deux dans des motifs clairs et convaincants, ce qu’il n’a pas fait ». Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente instance, la SPR a évalué le risque en s’appuyant sur l’exposé de M. Coli, un exposé qui devait être jugé sur son fond.

[15]           En outre, à l’examen de la demande sur son fond, la SPR n’a pas fait fi des conclusions du tribunal précédent relativement au cas de son frère. Toutefois, contrairement au cas de son frère, la SPR a jugé que le témoignage de M. Coli n’était tout simplement pas crédible en raison des incohérences importantes qui s’y trouvaient, notamment en ce qui concerne les incidents qu’il allègue avoir été victime. De plus, la SPR avait en main les documents contenus dans le CND qui avait été créé à la suite du jugement concernant la demande du frère et elle s’est appuyée sur ces documents. Ceux-ci décrivaient les enquêtes menées par différentes sources sur les problèmes de documents falsifiés et de vendettas en Albanie. Même si certaines des enquêtes citées dans ce document sont antérieures à la demande du frère, d’autres enquêtes et rapports sont postérieurs à celle-ci. Il était loisible à la SPR de prendre en considération cette information mise à jour au moment de conclure que la demande de M. Coli était une fabrication.

[16]           De même, il était loisible à la SPR d’écarter les documents de l’Église et de la police attestant l’existence d’une vendetta et indiquant que l’Église avait participé aux tentatives de médiation dans cette vendetta si elle estimait que l’information ne correspondait pas à des aspects importants du témoignage de M. Coli. Contrairement à Kabongo où, après avoir conclu que le demandeur n’était pas crédible, la SPR n’a accordé aucun poids aux documents justificatifs sans prendre en considération leur nature corroborante, aux présentes la SPR a tenu compte des documents justificatifs de M. Coli. Cependant, elle a jugé que les incohérences dans le témoignage de M. Coli et les documents justificatifs, ainsi que la preuve contenue dans le CND concernant la disponibilité à grande échelle de documents falsifiés mettent en doute ces documents. Il était raisonnable pour la SAR de tirer cette conclusion.

IV.             Conclusion

[17]           La décision de la SPR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Je suis d’accord avec la conclusion de la SPR que, dans la présente instance, il existait « d’importants motifs » de s’écarter de la décision du tribunal précédent.

[18]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-459-16

 

INTITULÉ :

PETER COLI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter

Pour le demandeur

 

Lucan Gregory

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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