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Date : 20160906


Dossier : T-454-16

Référence : 2016 CF 1007

Montréal (Québec), le 6 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ASSOCIATION DES ARMATEURS CANADIENS

demanderesse

et

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES et CORPORATION
DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une requête par le demandeur, l’Association des armateurs canadiens (« l’AAC »), en appel d’une décision du protonotaire Richard Morneau datée du 6 juillet 2016 qui a accueilli la requête de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (« la Corporation ») pour radier la demande de contrôle judiciaire de l’AAC dans cette cause.

[2]               Pour les raisons qui suivent, je conclue que la requête de l’AAC doit être rejetée.

I.                   Norme de contrôle

[3]               Les parties ont tous les deux soumis que, puisque la décision discrétionnaire du protonotaire porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause, je dois exercer mon propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début : Canada c Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 CF 425 à la p 463 (CA) (Aqua-Gem).

[4]               Cependant, le 31 aout 2016, la Cour d’appel fédérale a émis sa décision dans Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, qui renverse Aqua-Gem et conclue que la norme de contrôle d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire est celle qui est élaborée dans la décision de la Cour suprême du Canada dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 : les conclusions de faits ne peuvent être infirmées que s’il est établi que le protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante; pour les questions de droit, ainsi que pour les questions mixtes de fait et de droit dans lesquelles une question de droit peut être dégagée, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[5]               Hospira effectue un changement important à la norme de contrôle d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire, surtout dans le contexte des faits de la présente requête où Aqua-Gem demande une approche de novo sur les questions de droit et de faits, alors que Hospira demande la déférence sur les questions de fait.

[6]               Malgré que les parties n’ont pas eu l’opportunité de faire des représentations sur Hospira, j’ai décidé de ne pas demander des soumissions supplémentaires parce que je suis satisfait que mes conclusions dans cette décision resteraient inchangées peu importe la norme de contrôle applicable. Bien que mon analyse ci-dessous n’indique aucune déférence aux conclusions de fait du protonotaire, je confirme que je suis en accord avec toute ses conclusions de fait. Ma décision arrive au même résultat peu importe si j’applique Aqua-Gem ou Hospira.

II.                Faits

[7]               L’AAC a déposé un avis de demande le 18 mars 2016 visant le contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale rendue en vertu de l’article 15.1 de la Loi sur le pilotage, LRC 1985, c P-14 (« la Loi »). La sentence arbitrale concernait les négociations de renouvellement du contrat conclu entre la Corporation et l’Administration du pilotage des Laurentides (« l’APL ») et traitait de certaines clauses sur lesquelles la Corporation et l’APL ne s’entendaient pas. Suivant l’article 15.2 de la Loi, l’arbitre reçoit des offres finales de chacune des parties et en choisi une.

III.             Analyse

[8]               La préoccupation de l’AAC en ce qui concerne la sentence arbitrale concerne la période de préavis qui est donné aux pilotes quand l’AAC fait appel à leurs services. En particulier, l’AAC soumet qu’en certaines circonstances la période de préavis envisagée par la sentence arbitrale excède la période de préavis envisagée dans le Règlement de l'administration de pilotage des Laurentides, CRC, c 1268 (« le Règlement »), et donc les attentes de service qu’ont les membres de l’AAC suite au Règlement risquent de ne pas être respectées.

[9]               La Corporation soumet que la sentence arbitrale concerne un contrat entre l’APL et la Corporation et que l’AAC n’a pas la qualité pour agir pour présenter une demande de contrôle judiciaire au sujet de la sentence arbitrale. L’AAC n’est pas d’accord et demande qu’elle soit permise de poursuivre sa demande. Malgré que l’APL n’ait pas déposé des représentations écrites dans cette requête, son procureur a indiqué lors de l’audience que l’APL est en accord avec l’AAC que cette dernière doit être permise de poursuivre sa demande.

[10]           L’AAC a soulevé comme argument préliminaire que la requête en radiation est prématurée et que la question de la qualité pour agir doit être décidée lors de l’audience sur le fond de la demande.

[11]           Comme a dit le juge Sean Harrington dans l’arrêt Association canadienne du médicament générique c Canada (Conseil), 2007 CF 154 au paragraphe 25 :

Une demande de contrôle judiciaire est censée être décidée de façon sommaire. La Cour décourage les requêtes interlocutoires dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire. Des demandes de contrôle judiciaire ont toutefois été rejetées d’emblée si elles n’avaient aucune chance d’être accueillies.

[12]           Les questions de la qualité pour agir sont traitées un peu différemment. La Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit dans Apotex Inc c Gouverneur en Conseil, 2007 CAF 374 au paragraphe 13 :

[13]      Il n’est pas toujours indiqué de se prononcer sur une requête en radiation dans le cadre d’une décision exécutoire sur la question de la qualité pour agir, surtout quand la requête vise à radier une demande de contrôle judiciaire. Le juge devrait plutôt exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il est indiqué dans les circonstances de rendre une décision sur la qualité pour agir ou de régler la question en même temps que l’on statue sur le fond de la cause. Le juge Evans […] a examiné brièvement les considérations dont un juge devrait tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 2 C.F. 211 (1re inst.) (Sierra Club), au paragraphe 25 (je souligne) :

À mon avis, ce n'est que dans les cas les plus évidents qu'un tribunal devrait accepter de mettre fin à une demande de contrôle judiciaire à l'étape d'une requête préliminaire en radiation pour défaut de qualité pour agir. En effet, à ce moment-là, il est possible que le tribunal ne dispose pas de tous les faits pertinents et ne bénéficie pas d'une argumentation juridique complète sur le cadre législatif dans lequel s'inscrit la mesure administrative en question. Si la solidité de la cause du demandeur, ainsi que d'autres facteurs, sont pertinents au moyen fondé sur la reconnaissance discrétionnaire de la qualité pour agir, il peut arriver que le tribunal ne puisse pas rendre une décision totalement éclairée justifiant le refus de reconnaître la qualité pour agir.

Je suis d’accord avec le juge Evans que ce pouvoir doit être exercé avec modération. Ceci est confirmé par le principe selon lequel les demandes de contrôle judiciaire sont censées être tranchées sommairement, et qu’il convient d’éviter les requêtes interlocutoires. C’est effectivement, comme on le verra plus loin, la raison pour laquelle le critère applicable à la requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire est que la demande n’ait « aucune chance d’être accueillie ».

[Souligné dans l’original.]

[13]           L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 indique qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. Une deuxième façon par laquelle une partie peut avoir la qualité pour agir dans une demande de contrôle judiciaire est où les circonstances sont appropriées pour agir dans l’intérêt public.

A.                Directement touché

[14]           Une partie est directement touchée par l’objet de la demande « lorsque ses droits sont touchés, lorsque lui sont imposées des obligations en droit ou qu’elle subit d’une certaine manière un préjudice direct » : Forest Ethics Advocacy Association c Canada (office national de l'énergie), 2013 CAF 236 au paragraphe 20.

[15]           L’AAC a deux arguments à l’appui de sa position qu’elle est directement touchée par l’objet de la demande. Premièrement, elle note que ses membres souffriront les effets de la sentence arbitrale et l’AAC doit avoir le droit d’agir comme représentante de ses membres. Deuxièmement, l’AAC soumet qu’elle a le droit de participer à tout changement au Règlement et que la sentence arbitrale a l’effet d’un changement au Règlement sans sa participation et, donc, est inopportun.

[16]           À l’appui de son premier argument, l’AAC cite de la jurisprudence à l’effet qu’une association peut avoir la qualité d’agir de la part de ses membres. Le défaut sérieux dans cet argument est qu’il ne peut aider l’AAC que si ses membres seront directement touchés par l’objet de cette demande. À mon avis, les effets de la sentence arbitrale affecteront les membres de l’AAC d’une façon indirecte, et non directe. Il s’ensuit que l’AAC ne peut non plus être touchée plus qu’indirectement.

[17]           En ce qui concerne le deuxième argument de l’AAC à l’appui de sa position qu’elle est directement touchée par l’objet de la demande (la sentence arbitrale a l’effet d’un changement au Règlement), les parties se sont concentrées sur trois décisions qui sont discutées ci-dessous.

[18]           Dans Pilotes du Saint-Laurent Central Inc c Administration de pilotage des Laurentides, 2002 CFPI 846, le conflit concernait si un deuxième pilote serait requis sur un navire dans une situation particulière. Une sentence arbitrale a favorisé la Corporation. La Corporation cherchait à faire homologuer la décision à la Cour fédérale. Le protonotaire a accordé l’homologation et l’APL portait appel de la décision du protonotaire en faisant l’argument que la sentence arbitrale était inopportune parce qu’elle était en conflit avec le Règlement.

[19]           La Corporation note que la Loi envisage le contrat entre elle et l’APL et envisage ni des limites aux conditions qui pourraient être négociées entre les parties ni la participation de tiers dans les négociations. Cependant, une autre section de la Loi envisage le Règlement ainsi que la participation active des tiers avant sa mise en vigueur. La Corporation soumet que la Loi sépare soigneusement la création du Règlement d’un côté et la négociation du contrat entre l’APL et les pilotes de l’autre côté. Faisant référence à la décision de la Cour, la Corporation soumet que le Règlement continue de s’appliquer peu importe le contenu du contrat entre elle et l’APL.

[20]           De son côté, l’AAC tente de distinguer cette décision par le fait que la Cour n’a trouvé aucun conflit entre la sentence arbitrale et le Règlement.

[21]           La deuxième des trois décisions discutées par les parties à ce sujet, Pilotes du St-Laurent Central Inc c Administration de pilotage des Laurentides, 2004 CF 1325, concerne un conflit au sujet des honoraires des pilotes pendant la troisième année du contrat entre les parties. Comme dans la décision mentionnée ci-dessus, (i) une sentence arbitrale avait favorisé la Corporation, (ii) celle-ci a cherché à la faire homologuer à la Cour fédérale, (iii) le protonotaire a accordé l’homologation, et (iv) l’APL portait la décision du protonotaire en appel. Un des arguments de l’APL était que la sentence arbitrale violait l’ordre public puisque l’augmentation des honoraires des pilotes était plus grande que ce que l’APL pouvait absorber. Sur cet argument, la Cour a dit ce qui suit au paragraphe 18 :

[J]e ne peux voir comment l'établissement d'un pourcentage d'honoraires, dans les circonstances, puisse y porter atteinte. L'APL a négocié un contrat qui contient une clause d'arbitrage qui accorde à l'arbitre la compétence de déterminer le quantum de l'augmentation des honoraires de PSLC prévue pour le 1er juillet 2002. On doit présumer que l'APL a négocié les termes de ce contrat de bonne foi. Elle n'est pas justifiée par la suite de prétendre qu'elle n'a pas le moyen de payer, que l'effet de la sentence arbitrale est de forcer la main d'organismes publics et qu'en conséquence il y a bris de l'ordre public. D'abord, l'arbitre a jugé que l'APL était capable de payer et, comme je l'ai déjà dit, il ne m'appartient pas de contrôler le bien-fondé de cette conclusion en examinant le fond du différend. Puis, il importe d'éviter un recours étendu à l'ordre public dans le domaine de l'arbitrage afin de préserver l'autonomie décisionnelle de l'institution arbitrale. Que le résultat du différend puisse avoir un impact sur des tiers, de toute façon, n'est pas un facteur qui peut être retenu pour refuser l'homologation.

[22]           Ici, la Cour a fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans Desputeaux c Éditions Chouette (1987) inc, [2003] 1 RCS 178. Au paragraphe 62 de cette décision, la Cour a déclaré :

La procédure arbitrale opposait en l’espèce deux parties privées qui s’affrontaient sur la juste interprétation d’un contrat.  L’arbitre s’est prononcé sur la titularité des droits d’auteur afin de départager les droits et obligations des parties au contrat.  Cette décision arbitrale fait autorité entre les parties mais ne lie pas les tiers absents du débat judiciaire.

[23]           L’AAC tente de distinguer ces deux décisions sur la même base que la première décision discutée ci-dessus : la Cour a trouvé qu’il n’y avait aucun conflit entre le contrat (la sentence arbitrale) et les dispositions légales. L’AAC soumet que ceci n’est pas le cas dans la présente demande.

[24]           À mon avis, la déclaration de la Cour suprême qu’un contrat entre des parties privées ne lie pas les tiers qui sont absents du débat judiciaire s’applique dans la présente demande. Le raisonnement de la Cour ne semble pas être dépendant d’une absence de conflit entre le contrat (la sentence arbitrale) et les dispositions légales.

[25]           La troisième des décisions discutées par les parties, Corporation des pilotes du bas Saint-Laurent c Administration de pilotage des Laurentides, [1999] JQ no 5368 (QL), 1999 CanLII 10920 (QC CS), provient d’une différente cour et implique une différente corporation de pilotes. Le conflit cette fois-ci concerne la date de la fin de la période de « navigation d’hiver » et la prétention des pilotes que l’APL avait manqué à son devoir de consulter avec eux à ce sujet. L’arbitre a favorisé les pilotes et les pilotes étaient devant la Cour (ici, la Cour supérieure du Québec) pour demander l’homologation de la décision de l’arbitre. Parmi ses arguments contre l’homologation, l’APL soumettait que la sentence arbitrale violait l’ordre public en imposant une norme qui contrevient la Loi et ses règlements. En accueillant la requête en homologation, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 29 :

La décision de l'arbitre ne modifie pas davantage le Règlement sur le pilotage. Elle ne fait que conclure que l'Administration ne s'y est pas conformée dans une circonstance particulière. Si des tiers subissent des conséquences en raison de la sentence, elles ne peuvent être dues à la sentence elle-même, mais à l'effet des lois, règlements ou ententes concernant ces tiers et l'Administration. Si les tiers, les armateurs par exemple, se trouvent lésés par l'effet de la décision, ce n'est pas à cette dernière qu'ils doivent s'en prendre, mais à l'auteur de l'acte posé illégalement.

[26]           Encore une fois, l’AAC distingue cette décision sur la base que la Cour a décidé qu’il n’y avait aucun conflit entre la sentence arbitrale et la Loi.

[27]           À mon avis, les décisions discutées ci-dessus indiquent clairement qu’une sentence arbitrale, peu importe son contenu, ne peut pas avoir l’effet de changer un règlement. Pour cette raison, je suis d’avis que l’argument de l’AAC, selon lequel la présente sentence arbitrale ait l’effet de changer le Règlement tel que l’AAC avait le droit d’y participer, n’a aucune chance d’être accueilli. De plus, tout préjudice que l’AAC ou ses membres pourraient souffrir à cet égard constituerait un préjudice indirect, et non direct. Il s’ensuit que le deuxième argument de l’AAC à l’appui de sa position, selon lequel elle est directement touchée par l’objet de la demande, ne peut pas réussir.

[28]           Donc, je conclue que l’AAC n’est pas directement touchée pas l’objet de la présente demande.

B.                 L’intérêt public

[29]           Les parties s’entendent, et je suis d’accord, que l’autorité la plus importante au sujet de l’intérêt public pour agir soit la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45. La Cour suprême indique que les tribunaux ont adopté une approche souple et discrétionnaire quant à la question de la qualité pour agir dans l’intérêt public : voir le paragraphe 1. La Cour identifie trois facteurs dont les tribunaux doivent prendre compte lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public :

1)      une question justiciable sérieuse est-elle soulevée?

2)      le demandeur a-t-il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question?

3)      compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue-t-elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? (Voir les paragraphes 2 et 37.)

[30]           La Cour indique aussi que ces facteurs doivent être appliqués avec une approche souple, discrétionnaire et téléologique : voir le paragraphe 44.

[31]           Je considère chacun de ces facteurs dans les paragraphes qui suivent.

(1)               Question justiciable sérieuse

[32]           Pour être considérée comme une question sérieuse, la question soulevée doit constituer un point constitutionnel important ou une question importante. L’action doit être loin d’être futile : voir le paragraphe 42. Ce facteur traduit aussi la nécessité d’écarter les simples trouble-fête : voir le paragraphe 41.

[33]           L’AAC soumet qu’elle n’agit pas comme un simple trouble-fête et que la question de la possibilité qu’une sentence arbitrale pourrait être en conflit avec un règlement est importante et loin d’être futile. La Corporation argumente que la question est particulière à cette cause et qu’elle n’est pas importante.

[34]           À mon avis, le seuil d’importance pour établir une question sérieuse n’est pas très haut. Je suis de l’avis qu’une question justiciable sérieuse soit soulevée dans cette demande.

(2)               Intérêt réel ou véritable

[35]           Ici aussi, je suis de l’avis que le seuil ne soit pas très haut. Je suis satisfait que l’AAC a un intérêt véritable dans la présente demande puisque le temps d’attente de ses membres avant de recevoir les services de pilote peut être affecté par la sentence arbitrale.

(3)               Manière raisonnable et efficace

[36]           La Cour a indiqué que ce facteur ne doit pas être appliqué avec rigidité. Elle indique plutôt que les principes applicables devraient être interprétés « d’une façon libérale et souple » : voir le paragraphe 48. Il n’est pas nécessaire que l’AAC établit qu’il n’y a aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.

[37]           La Cour indique aussi que ce facteur doit être appliqué de manière téléologique afin d’assurer un exposé complet des positions contradictoires des parties et de ménager les ressources judiciaires : voir le paragraphe 49.

[38]           De plus, la Cour indique qu’il est nécessaire d’adopter une approche souple pour évaluer ce facteur. Une analyse dichotomique répondant par un oui ou par un non à la question à l’étude n’est pas envisageable : les questions visant à déterminer si une façon de procéder est raisonnable, si elle est efficace et si elle favorise le renforcement du principe de la légalité sont des questions de degré et elles doivent être analysées en fonction de solutions de rechange pratiques, compte tenu de toutes les circonstances : voir le paragraphe 50.

[39]           La Cour avise qu’il faut déterminer si la cause est d’intérêt public en ce sens qu’elle transcende les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées par les dispositions législatives ou par les mesures contestées : voir le paragraphe 51.

[40]           La Cour avise aussi de se pencher sur la question de savoir s’il y a d’autres manières réalistes de trancher la question qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires et qui offriraient un contexte plus favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire. La Cour explique au paragraphe 51 :

L’existence d’autres demandeurs potentiels, notamment ceux qui possèdent de plein droit la qualité pour agir, est pertinente, mais les chances en pratique qu’ils soumettent la question aux tribunaux ou que des manières aussi ou plus raisonnables et efficaces soient utilisées pour le faire devraient être prises en compte en fonction des réalités pratiques et non des possibilités théoriques. Lorsqu’il y a d’autres demandeurs, en ce sens que d’autres actions ont été engagées relativement à la question, le tribunal devrait évaluer d’un point de vue pratique les avantages, le cas échéant, d’avoir des recours parallèles et se demander si ces autres actions vont résoudre les questions de manière aussi ou plus raisonnable et efficace. En procédant ainsi, le tribunal ne devrait pas uniquement prendre en compte les questions juridiques précises ou les points soulevés, mais plutôt chercher à savoir si le demandeur apporte une perspective particulièrement utile ou distincte en vue de régler ces points.

[41]           Finalement, la Cour indique que l’incidence éventuelle des procédures sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont aussi, sinon plus, touchés devrait être prise en compte.

[42]           La Corporation soumet que l’AAC ne devrait pas avoir la qualité d’agir dans l’intérêt public puisque l’APL a déjà intenté une demande de contrôle judiciaire au sujet de la sentence arbitrale. La Corporation note que l’APL soulève les mêmes arguments que l’AAC.

[43]           En réponse, l’AAC soumet que ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de l’APL. La Loi prévoit que l’AAC a le droit aux services des pilotes, tandis que l’APL a l’obligation de fournir ces services. L’AAC craint aussi la possibilité que la demande de l’APL se règle.

[44]           Tel qu’indiqué ci-haut, L’APL est d’accord que l’AAC ait la qualité pour agir dans la présente demande.

[45]           À mon avis, l’intérêt public n’exige pas que l’AAC ait la qualité pour agir dans la présente demande. J’arrive à cette conclusion parce que les mêmes questions sont déjà soulevées devant cette Cour dans la demande de l’APL, qui est une partie au contrat avec la Corporation et donc directement touchée par l’objet de la demande. Le litige de l’APL s’agit d’un vrai contexte accusatoire.

[46]           Malgré le fait que les intérêts de L’APL et de l’AAC ne sont pas exactement les mêmes, je ne suis pas persuadé que les arguments de la deuxième serait substantivement différents de ceux de la première. L’AAC n’a pas identifié d’argument qu’elle présenterait, mais que l’APL ne présenterait pas. À mon avis, la décision de la Cour dans Sunshine Village Corp c Canada (Directeur du Parc national Banff) (1994), [1995] 1 CF 420 (1re inst), conf par [1996] ACF no 1118 (QL) (CA), se distingue parce qu’il n’y a aucune indication que l’APL n’ait jamais changé sa position.

[47]           Malgré que la question dans la présente demande est assez importante pour satisfaire le premier des facteurs pour la qualité d’agir dans l’intérêt public, je ne suis pas persuadé qu’elle est d’une importance qui transcende les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées par les dispositions législatives ou par les mesures contestées. Je ne vois pas l’implication de l’AAC dans la demande de l’APL (présumant que la présente demande se joint avec celle de l’APL) comme une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires à celle de la demande de l’APL seule.

[48]           Maintenant je dois considérer l’argument de l’AAC que, même si je suis de l’avis qu’elle n’ait pas la qualité pour agir, je ne dois pas radier sa demande afin que la Corporation établisse qu’elle n’ait aucune chance d’être accueillie. Je suis satisfait que l’AAC n’ait aucune chance d’établir qu’elle est directement touchée par l’objet de la présente demande. Du côté de la qualité pour agir dans l’intérêt public, il est difficile d’établir une absence de chance de succès puisque le critère est tellement subjectif. Toutefois, je ne vois pas comment l’AAC peut surmonter le fait qu’elle ne contribuerait rien à la cause que l’APL ne pourrait pas contribuer. Même la preuve des témoins de l’AAC aurait pu être présentée dans le contexte de la demande de l’APL. Puisque l’efficacité est une considération qui doit être appliquée avec souplesse et puisqu’il y aurait une importante perte d’efficacité si l’AAC est permis de continuer de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire jusqu’à l’audience sur le fond, je suis de l’avis que la demande de l’AAC ne soit pas une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Selon moi, l’AAC n’a pas la qualité pour agir dans l’intérêt public.

IV.             Conclusion

[49]           Pour ces raisons, je suis en accord avec le protonotaire Morneau que l’AAC n’a pas la qualité pour agir dans la présente demande et que la présente requête en appel de la décision du protonotaire Morneau doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente requête en appel de la décision du protonotaire Morneau datée du 6 juillet 2016 soit rejetée avec dépens.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-454-16

 

INTITULÉ :

ASSOCIATION DES ARMATEURS CANADIENS c ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES ET CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 06 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Mark Phillips

Me Peter G. Pamel

 

Pour la demanderesse

 

Me Patrick Girard

 

POUR LE DÉFENDEUR

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

 

Me André Baril

Me Cristina Toteda

 

POUR LE DÉFENDEUR

CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais s.e.n.c.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Stikeman Elliott s.e.n.c.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

 

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

 

 

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