Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160830


Dossier : IMM-4376-15

Référence : 2016 CF 984

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

S.A.R. ET Z.I.S.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) en vertu de laquelle les demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées au motif qu’elles manquaient de crédibilité.

[2]               La demanderesse principale (identifiée comme S.A.R. et désignée aux présentes comme la demanderesse) et son enfant mineur (Z.I.S.) demandent l’asile sur la foi d’allégations de violence conjugale et d’une menace connexe que l’enfant allait être kidnappé par son père.

[3]               Le récit du risque auquel les demandeurs prétendaient être exposés portait essentiellement sur les allégations de menaces et d’attaques violentes perpétrées à l’encontre de la demanderesse et de ses parents par son ex-conjoint qui souhaitait s’assurer de facto la garde de l’enfant. La décision de la Commission repose essentiellement sur la fiabilité de ce témoignage. Dans la présente demande, la demanderesse conteste le caractère raisonnable de la décision défavorable de la Commission qui a mené au refus des demandes d’asile.

I.                   Contexte

[4]               Les demandeurs sont des citoyens du Bangladesh. Ils sont entrés au Canada en octobre 2014, après avoir passé les quatre mois précédents aux États-Unis grâce à un visa temporaire.

[5]               Dans son témoignage, la demanderesse a déclaré que, malgré le fait qu’au moment du divorce son ex-conjoint avait officiellement consenti à lui accorder la garde exclusive de l’enfant, avec le soutien de ses parents, il a immédiatement entrepris une campagne de terreur en vue d’obtenir la garde de l’enfant. Cette campagne aurait notamment inclus faire saccager la maison familiale par des « fiers-à-bras », une attaque au bord de la route et une tentative d’enlèvement menée par 10 à 12 hommes au cours de laquelle les fenêtres du véhicule du père de la demanderesse ont été fracassées et au cours de laquelle la demanderesse même a été attaquée violemment et, enfin, une seconde attaque pour saccager la maison familiale suivie d’un attentat à la bombe incendiaire et d’une attaque perpétrée sur la mère de la demanderesse.

[6]               La demanderesse allègue qu’elle a signalé tous ces événements à la police, mais qu’ils ont été ignorés. En fait, la demanderesse a déclaré que la police avait suggéré à son père de céder la garde de l’enfant à l’ex-conjoint.

[7]               La Commission a rejeté les allégations de la demanderesse au motif qu’elles manquaient de crédibilité. En particulier, la Commission a jugé peu probable que l’ex-conjoint de la demanderesse puisse officiellement consentir à accorder la garde exclusive à la demanderesse lors du prononcé du divorce et, le même jour, organiser une violente confrontation au domicile familial dans le but d’obtenir de facto la garde de l’enfant.

[8]               La Commission a aussi jugé improbable, qu’après la première attaque, la demanderesse ait fui le Bangladesh vers les États-Unis avec l’enfant uniquement pour se réclamer de la protection six mois plus tard sans avoir présenté une demande d’asile aux États-Unis. Le fait qu’à son retour au Bangladesh, où elle prétend avoir vécu dans la crainte constante et dans la clandestinité avec l’enfant, la demanderesse se soit à nouveau réclamée de la protection est également important.

[9]               Selon la demanderesse, ses craintes se sont concrétisées quasiment dès son retour au Bangladesh, comme le montrent une série de menaces et d’attaques violentes, notamment un attentat à la bombe incendiaire. En dépit de ces événements déclarés et du fait que la demanderesse et l’enfant étaient en possession de visas des États-Unis, ils ont attendu presque deux mois avant de quitter le Bangladesh. Le fait que la demanderesse n’ait produit aucune preuve objective de ces attaques, principalement sous forme de photographies de la maison, préoccupe particulièrement la Commission. La Commission a traité ce problème de la manière ci-après :

[traduction] [24] … Il est certes curieux, même pour un pays comme le Bangladesh, que la police ne se soit pas présentée pour faire enquête après l’attaque à la bombe, peu importe la raison invoquée, et il est d’autant plus curieux que les parents de la demanderesse n’aient pas pris de photos ou recueilli d’autre preuve de la maison saccagée et du bombardement de la maison dans le but de fournir une preuve à la police. Selon la demanderesse, [traduction] « personne n’était en mesure de prendre des photos ». L’explication de la demanderesse n’a pas convaincu le tribunal de la Commission. Gardant en tête la présomption de véracité, le tribunal a des doutes quant à la crédibilité des allégations de la demanderesse. Le tribunal croit que la preuve de l’entrée par effraction et du bombardement de la maison des parents est non seulement importante pour la demande de la demanderesse, mais qu’elle se situe au cœur de celle-ci. Lorsque les faits allégués par un demandeur ne semblent pas plausibles ou manquent de crédibilité, l’absence de preuve documentaire corroborante ou l’absence d’efforts déployés pour en obtenir peuvent constituer un élément valide à prendre en considération au moment de déterminer sa crédibilité. Comme il incombe à la demanderesse de prouver ses allégations, le fait qu’elle ne présente aucune preuve documentaire, et non simplement des photos, de ce qui s’est produit à la maison de ses parents à deux reprises soulève des doutes sérieux dans l’esprit des membres du tribunal.

[10]           La Commission n’a accordé que peu de crédibilité, voire aucune, aux quatre lettres soumises par la demanderesse pour corroborer ses éléments de preuve. Ces éléments de preuve ont été rejetés pour les raisons ci-après :

[traduction] [25] En outre, la crédibilité de la demanderesse a été mise en doute en raison de ses propres documents justificatifs, lesquels contredisent son témoignage. La demanderesse a présenté une lettre de son oncle au Bangladesh dans laquelle il a témoigné que, à la suite de son divorce, la demanderesse et son fils avaient résidé chez lui craignant les représailles de sa belle-famille et que la maison de son frère avait été saccagée et bombardée. Il a aussi mentionné que la demanderesse et son fil étaient partis pour les États-Unis le 2 octobre 2013 et qu’il avait appris qu’ils se trouvaient maintenant au Canada. L’oncle semble mêler les faits et ne mentionne pas que la demanderesse a séjourné chez lui en avril 2014. La demanderesse a également fourni une lettre de son père contredisant le témoignage de son frère. Le père de la demanderesse a déclaré dans son témoignage qu’il avait conduit sa fille chez son frère à deux reprises; une fois pendant deux jours après le divorce et de nouveau en avril 2014 après la tentative d’enlèvement. La demanderesse a expliqué que son oncle n’a aucune éducation et qu’il a écrit plus ou moins ce qu’il a compris. Le tribunal estime que l’explication de la demanderesse n’est pas raisonnable et n’accorde aucun poids à la lettre de son oncle. Compte tenu des doutes concernant la crédibilité mentionnés ci-dessus et de l’intérêt direct, le tribunal accorde également peu de poids au témoignage du père de la demanderesse. Les autres lettres émanent de son oncle au Canada et du chauffeur de son père. En conséquence, elles ne proviennent pas d’une source neutre et impartiale. Vu la conclusion négative déjà tirée et la source subjective de la correspondance citée, le tribunal conclut que ces lettres ont peu de valeur probante et, par conséquent, il leur accorde peu de poids.

II.                Analyse

[11]           La demanderesse conteste la conclusion de la Commission concernant sa crédibilité en s’appuyant sur deux arguments. Elle commence par déclarer que, lorsque la Commission a émis des réserves quant à la probabilité des événements décrits, elle a dans les faits tiré une conclusion déraisonnable relativement à la plausibilité. Elle affirme également que la Commission a agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a rejeté la correspondance corroborante à la suite de l’évaluation négative de sa crédibilité. Elle soutient que la bonne approche consiste à soupeser la preuve corroborante au cours d’une évaluation générale de la crédibilité et non de manière isolée après le fait. Elle prétend également que le rejet de la preuve corroborante par la Commission, qui s’est appuyée uniquement sur la prétendue subjectivité de ses sources (c.-à-d. de la famille), était déraisonnable et que cela constitue une erreur susceptible de révision.

[12]           Dans la mesure où ces questions sont toutes fondées sur des éléments de preuve et se rapportent à la crédibilité, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable : voir Uyucu c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 404, au paragraphe 21, [2015] ACF no 393.

[13]           En dépit des arguments solides de l’avocat, je ne suis pas convaincu que la décision de la Commission est entachée d’une erreur susceptible de révision. En fait, toutes les préoccupations de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse sont raisonnables et justifiées.

[14]           Je ne suis pas d’avis, qu’en rejetant la version de la demanderesse des événements, la Commission a tiré une conclusion à l’égard de la plausibilité ou qu’elle s’est montrée insensible aux normes culturelles en place. La Commission ne déclare aucunement que la version des faits de la demanderesse n’est pas plausible, parce qu’elle échappe à l’expérience humaine ou parce qu’elle ne correspond pas aux normes attendues en matière de comportement humain. Cependant, la Commission a conclu que la version de la demanderesse était improbable d’un point de vue pratique et sensé. La demanderesse a été incapable d’expliquer le manque de cohérence entre le fait que son ex-conjoint ait accepté de céder la garde de l’enfant à condition qu’il n’ait pas à verser de soutien financier et le lancement immédiat d’une campagne de terreur pour saper le règlement qui avait été convenu. La Commission a le droit d’empreindre de sens commun ce genre de questions et de tirer des conclusions en s’appuyant sur la prépondérance des probabilités. Et c’est tout ce qu’a fait la Commission dans la présente instance.

[15]           La conclusion de la Commission relativement à la crédibilité est amplement appuyée par les éléments de preuve concernant le fait que la demanderesse se soit à nouveau réclamé de la protection. Il est inexplicable que la demanderesse ait choisi de retourner au Bangladesh en dépit des circonstances qu’elle décrit. Elle n’a rien fait pour obtenir l’asile ou pour prolonger son visa aux États-Unis. Compte tenu de la preuve offerte, il était éminemment raisonnable que la Commission conclue que la demanderesse n’éprouvait aucune crainte subjective. Comme je l’ai mentionné dans Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1346, [2011] ACF no 1645, au paragraphe 8, « [e]n l’absence de motifs impérieux, les gens n’abandonnent pas des refuges pour retourner dans des endroits où leur sécurité personnelle est menacée ». J’ajouterais que les gens ne quittent pas un lieu sûr sachant qu’à leur retour à domicile ils devront vivre dans la clandestinité et sans le bénéfice de la protection de l’État. Une telle conduite va à l’encontre du bon sens et a constitué un facteur majeur que la Commission a pris en considération, comme il se devait, lors de son évaluation de la crédibilité.

[16]           Le fait que la demanderesse n’ait pas produit de photos du présumé saccage et du présumé bombardement de la maison familiale, ni signalé les dommages causés au véhicule automobile de son père, était également déconcertant. Elle n’a pas non plus présenté de preuve des blessures qu’elle et sa mère ont subies. La demanderesse a déclaré que, lors de l’attaque au bord de la route, [traduction« [l]es hommes m’ont donné des coups de pied partout sur le corps ». Comme cette attaque a été l’événement culminant qui a mené au départ définitif de la demanderesse, on pourrait raisonnablement s’attendre à une confirmation photographique ou médicale. La Commission n’a rien reçu. La Commission était en droit de s’attendre à voir une preuve corroborante objective facilement accessible et, n’en ayant reçu aucune, de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité. Sur ce point, je partage l’avis du juge Simon Fothergill dans Uyucu, ci-dessus, au paragraphe 25, que « des preuves corroborantes peuvent être exigées lorsqu’il y a des raisons de douter de la crédibilité du demandeur d’asile ». C’est exactement la manière dont la Commission a traité la présente instance et elle n’a pas erré dans son approche.

[17]           Je ne suis pas d’accord avec l’avocat de la demanderesse lorsqu’il déclare que la Commission doit aborder l’évaluation du genre d’éléments de preuve qui lui ont été soumis selon un ordre rigoureux. J’admets que l’on ne peut pas rejeter sommairement la corroboration objective et vérifiable en s’appuyant sur le manque de crédibilité du demandeur ou de la demanderesse. Ce genre d’évidence doit être examiné dans le contexte de l’analyse globale de la crédibilité. Toutefois, la correspondance présentée en l’instance par la demanderesse était d’un type différent. Celle-ci consistait simplement en un récit des événements que la demanderesse avait décrits et que la Commission avait rejetés pour de bonnes raisons. La simple répétition de la narration de la demanderesse n’a rien fait pour rétablir sa crédibilité, particulièrement au vu des incohérences que la Commission a relevées dans les rapports des tiers. Compte tenu du chevauchement important dans la preuve offerte, il était loisible à la Commission d’évaluer la fiabilité de la correspondance corroborante du père de la demanderesse et de son oncle bangladais à la lumière de la divergence importante entre les deux versions.

[18]           La façon dont la Commission a traité la lettre de l’oncle canadien n’était pas déraisonnable, car il n’avait pas été témoin des événements à l’origine de la demande de la demanderesse. Cet élément de preuve était fondé sur des ouï-dire et dépendait essentiellement de la crédibilité de la demanderesse. En conséquence, la Commission n’a commis aucune erreur en y attribuant peu de valeur probante. Enfin, ayant rejeté la déclaration du père de la demanderesse, il n’était pas déraisonnable d’accorder « peu de poids » au rapport produit par son chauffeur. Le fait que le rapport du chauffeur ne fasse aucune mention de la présumée tentative d’enlèvement est également important. Bien sûr, c’était là le présumé motif de l’attaque en bordure de la route et le fait que cela n’ait pas été mentionné est tout au moins surprenant, sinon suspect.

[19]           Bref, une simple répétition par un tiers n’améliore pas un récit illogique.

[20]           Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4376-15

INTITULÉ :

S.A.R. ET Z.I.S. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2016

COMPARUTIONS :

Douglas Lehrer

Pour les demandeurs

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Lehrer

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.