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Date : 20160909


Dossier : IMM-1176-16

Référence : 2016 CF 1022

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ASHIK RANA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

VU une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) d’une décision rendue le 25 février 2016 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), dans laquelle la SPR a décidé que le demandeur, M. Ashik Rana, n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

ET APRÈS avoir examiné la question dont notre Cour est saisie, à savoir si la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur;

ET APRÈS avoir conclu que la norme de contrôle applicable, en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité et au poids de la preuve, est celle de la décision raisonnable et que notre Cour doit faire preuve de retenue envers les conclusions de la SPR concernant la crédibilité et son évaluation des éléments de preuve, car la SPR est mieux placée pour évaluer la crédibilité du demandeur et pour tirer les inférences qui s’imposent (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1993) 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4; Vargas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 484, au paragraphe 9);

ET APRÈS avoir tenu compte du fait que la norme de révision est celle du caractère raisonnable, la Cour s’en tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47;

ET APRÈS avoir tenu compte du fait qu’il n’incombe pas à notre Cour de soupeser à nouveau la preuve et de substituer sa propre évaluation de la crédibilité du demandeur à celle de la SPR et que l’intervention de notre Cour n’est justifiée que lorsque les conclusions de la SPR reposent sur des conclusions de fait erronées, prises d’une manière abusive ou arbitraire, et sans tenir compte de la preuve (Khosa, aux paragraphes 59 et 61; Ortiz Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 804, au paragraphe 9; Diaz Serrato c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 176, au paragraphe 16);

ET APRÈS avoir examiné les documents déposés par les parties et leurs observations orales et écrites, notre Cour est d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée pour les motifs ci-dessous :

[1]               Le demandeur allègue essentiellement que la SPR a commis une erreur lors de l’évaluation de sa crédibilité en n’accordant pas suffisamment de poids et d’attention aux deux (2) rapports médicaux qu’il lui avait soumis. Selon lui, les rapports médicaux montrent qu’il était incapable de présenter un témoignage crédible en raison de son état mental affaibli. Il prétend que la SPR aurait dû fournir une analyse plus détaillée des motifs pour lesquels elle a accordé si peu d’importance à ces rapports dans son évaluation de sa crédibilité. Il ajoute que la SPR n’a pas pris en considération de l’information pertinente et déterminante concernant son incapacité à témoigner. Plus particulièrement, la SPR aurait omis de reconnaître dans ses motifs que le médecin qui a produit le deuxième rapport avait à nouveau mentionné le fait que le demandeur n’était pas en mesure de témoigner et qu’il était peu probable qu’il puisse un jour présenter un témoignage cohérent et solide.

[2]               À l’examen du dossier, je suis satisfaite que la SPR a bien pris en considération les rapports médicaux soumis par le demandeur lorsqu’elle a évalué sa crédibilité.

[3]               Au début de sa décision, la SPR a déclaré qu’au moment de trancher la demande du demandeur, elle s’était appuyée sur les Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR. Après avoir présenté un aperçu des allégations du demandeur et affirmé que les questions déterminantes dans la présente instance portaient sur la crédibilité et sur la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur à Dhaka, au Bangladesh, la SPR a examiné les deux (2) rapports médicaux sous la rubrique « Crédibilité » et elle a fourni une description détaillée des évaluations du médecin, lesquelles sont jointes aux rapports. Même si la SPR n’a pas mentionné explicitement l’opinion du médecin voulant que le demandeur n’était pas apte à témoigner et qu’il était peu probable qu’il le soit un jour, la SPR était sensible au problème, mentionnant dans sa décision que le demandeur devrait recevoir des traitements psychologiques approfondis et prolongés avant de pouvoir parler des événements qui l’avait amené à demander l’asile au Canada. Elle a indiqué spécifiquement dans sa décision qu’elle avait pris cette information en considération dans son évaluation de la crédibilité du demandeur.

[4]               En outre, d’après la transcription, il semble qu’au début de l’audience la SPR a entamé une discussion avec le demandeur au sujet de son état et qu’elle lui a demandé s’il avait pris ses médicaments, lesquels le calmaient et l’aidaient à mieux dormir. Dans sa décision, la SPR a mentionné que le comportement du demandeur au cours de l’audience était tel qu’il comprenait les questions qu’on lui posait, ainsi que la nature de la procédure, et qu’il répondait d’une manière détaillée.

[5]               Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas sollicité l’aide d’un représentant pendant la procédure, qu’il était disposé à témoigner et qu’il n’a pas demandé l’ajournement de l’audience. En conséquence, le demandeur ne devrait pas pouvoir bénéficier du fait qu’il n’a pas demandé d’accommodement et que cette omission ne devrait pas servir à miner la décision de la SPR.

[6]               À mon avis, en l’absence d’une demande d’ajournement ou d’une objection à procéder, il était loisible à la SPR d’évaluer le comportement du demandeur et sa cohérence pendant son témoignage, puis de décider de l’importance qu’elle devait accorder aux rapports médicaux. La SPR bénéficiait de l’avantage inhérent à la possibilité d’examiner les rapports médicaux, mais également d’entendre le demandeur. Il est également du ressort de la SPR de décider si l’état mental du demandeur peut justifier et excuser les incohérences dans son témoignage.

[7]               En fin de compte, la SPR a conclu que certains problèmes minaient la crédibilité du demandeur.

[8]               Le premier porte sur l’absence d’activité politique récente par le demandeur. Même si la demande d’asile du demandeur repose sur sa présumée implication dans le Bangladesh Nationalist Party (BNP) et sur la persécution que lui ont infligée les membres du parti politique opposé et les autorités, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait participé à aucune activité politique depuis son déménagement à Dhaka, en janvier 2009. Il a ajouté qu’il n’avait pas eu de contact avec le BNP ou avec un membre quelconque du groupe depuis qu’il avait quitté le Bangladesh, plus de cinq (5) ans auparavant.

[9]               Le second découle des contradictions concernant l’allégation de poursuite par la police du Bangladesh. Il a déclaré dans son témoignage que la police du Bangladesh le recherchait depuis novembre 2009, mais il ne l’avait pas déclaré aux agents d’immigration canadiens qui lui avaient posé la question sur le formulaire IMM 5611 à son arrivée au Canada.

[10]           La SPR a remis en question le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis. À la suite de son départ du Bangladesh, en janvier 2010, le demandeur a vécu aux États-Unis pendant dix-neuf (19) mois. Il a invoqué plusieurs raisons pour ne pas avoir demandé une protection plus tôt, notamment le coût d’un avocat américain pour produire sa demande et le fait qu’il attendait le retour de sa sœur au Canada après une absence au début de 2010. La SPR a conclu que le fait que le demandeur n’avait pas tenté d’obtenir une protection pendant les dix-neuf (19) mois au cours desquels il a habité et travaillé illégalement aux États-Unis ne correspondait pas avec la conduite attendue d’une personne qui craignait pour sa vie.

[11]           En ce qui concerne une possibilité de refuge intérieur, la SPR a également déterminé que la crédibilité du demandeur était minée. Au cours de son témoignage, il a soutenu que, pendant qu’il habitait à Dhaka, il avait déménagé à plusieurs reprises afin d’éviter d’être capturé par ses agresseurs. La SPR a conclu que l’incapacité pour le demandeur de fournir au moins une adresse où il avait habité et le fait qu’il n’avait pas effectué les recherches appropriées pour déterminer si ses agresseurs étaient toujours à sa poursuite minent également sa crédibilité. La SPR a également noté que, pendant toute la période où il a habité à Dhaka, le demandeur a continué à travailler ouvertement au même endroit.

[12]           Enfin, la SPR a évalué les autres éléments de preuve documentaire que le demandeur avait soumis pour étayer sa demande de statut de réfugié. Elle a jugé que ces éléments avaient peu de valeur probante, voire aucune, en ce qui concerne les divers éléments de sa demande, et elle a préféré accorder davantage de poids à sa propre évaluation de sa crédibilité.

[13]           En dépit du fait que le demandeur aurait aimé que la SPR fournisse une analyse plus détaillée du poids qu’elle a accordé aux deux (2) rapports médicaux, la pertinence des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou complets, mais ils doivent être suffisants pour permettre à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été prise et pour déterminer si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables. La Cour peut examiner le dossier pour déterminer le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 16).

[14]           J’estime que la SPR a correctement soupesé toute la preuve documentaire, y compris les deux (2) rapports médicaux, lorsqu’elle a évalué la crédibilité du demandeur. Dans la présente instance, le demandeur s’attend à ce que la Cour réexamine la preuve dont était saisie la SPR et à ce qu’elle en vienne à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[15]           En outre, le demandeur n’a pas démontré que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité étaient déraisonnables. Cette omission est suffisante pour faire échec à sa demande (Bueso Trochez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1016, au paragraphe 42).

[16]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de la SPR était raisonnable et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[17]           Les parties n’ont proposé aucune question certifiée au cours de la présente procédure.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1176-16

INTITULÉ :

ASHIK RANA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Rezaur Rahman

Pour le demandeur

Julie Greenspoon

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rezaur Rahman

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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