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Date : 20160912


Dossier : IMM-504-16

Référence : 2016 CF 1033

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), 12 septembre 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

ALY RIZA WHUDNE, MASSOOME KNOWEI et MOHAMMAD REZA WHUDNE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 18 décembre 2015 d’un agent d’immigration supérieur, dans laquelle l’agent a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des trois demandeurs. Les demandeurs affirment que depuis leur arrivée au Canada en 2004, ils se sont convertis au christianisme et que, par conséquent, ils risqueraient d’être persécutés s’ils étaient renvoyés en Iran.

[2]               La principale question soulevée par la présente demande est de savoir si l’agent d’ERAR a jugé que les demandeurs manquaient de crédibilité ou s’il a simplement accordé peu de valeur probante à la preuve présentée. Cette question a une incidence sur la question de savoir si une audience aurait dû être tenue par l’agent d’ERAR.

II.                Faits

[3]               M. Aly Riza Whudne et sa femme, Mme Massoome Knowei, sont des citoyens de l’Iran. Leur fils, Mohammad Reza Whudne, est citoyen des États-Unis.

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 28 mars 2004 et ils ont demandé l’asile peu de temps après. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les demandeurs étaient des réfugiés en 2004. Cependant, une dizaine d’années plus tard, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a demandé que les demandes d’asile soient annulées pour cause de fausse déclaration. La SPR a accueilli la demande du ministre, estimant que les demandes d’asile des demandeurs devaient être rejetées en vertu du paragraphe 109(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’égard de cette décision a été rejetée le 4 mars 2015 (dossier IMM-7617-14).

[5]               À l’appui de leurs demandes d’ERAR, les demandeurs ont soumis une lettre du pasteur Andrew Dillon de la First Church of Pentecost de Chilliwack, en Colombie-Britannique. Le pasteur Dillon a écrit qu’en 2013, les demandeurs s’étaient installés à côté de chez son enfant et qu’ils étaient devenus amis. Par la suite, les demandeurs ont commencé à participer aux activités de l’église pentecôtiste et M. Whudne a finalement été baptisé selon la foi chrétienne. Le pasteur Dillon a également déclaré que les demandeurs assistaient régulièrement à l’assemblée de l’église pentecôtiste.

[6]               En outre, les demandeurs ont soumis deux affidavits – un de M. Whudne et un de Mme Knowei – dans lesquels ils déclaraient qu’ils s’étaient convertis de l’islam au christianisme au Canada et qu’un retour en Iran les exposerait au risque de persécution étant donné que les autorités les considéreraient comme des apostats. M. Whudne explique avoir assisté pour la première fois à un service religieux chrétien quand son épouse et lui sont allés à la Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah de Coquitlam, en Colombie-Britannique, vers 2009. Il déclare avoir décidé de ne pas adhérer à cette foi en raison des règles strictes qu’elle applique, mais qu’il respecte la liberté de sa femme de choisir cette foi. Il ajoute qu’il a commencé à fréquenter la First Church of Pentecost en 2014 et qu’il s’y rendait régulièrement par la suite. Le 21 mars 2015, il a été baptisé.

[7]               Mme Knowei indique qu’en 2009, elle a commencé à assister aux offices hebdomadaires en langue perse le samedi après-midi à la Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah. Elle a également commencé à suivre des cours hebdomadaires d’étude biblique le vendredi. Elle n’a pas encore été baptisée selon la foi des Témoins de Jéhovah, mais elle est une vraie croyante.

III.             Décision contestée

[8]               Le 18 décembre 2015, un agent principal de l’immigration a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs. L’agent a d’abord fait observer qu’une demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile (Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12). L’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance.

[9]               En ce qui concerne la lettre de pasteur Dillon, l’agent souligne l’absence de preuve documentaire, notamment un certificat de baptême, pour justifier le baptême allégué de M. Whudne. L’agent estime que la déclaration du pasteur Dillon selon laquelle les deux demandeurs fréquentaient régulièrement l’église pentecôtiste contredit directement les déclarations faites par Mme Knowei, à savoir qu’elle adhère à la foi des Témoins de Jéhovah et qu’elle fréquente régulièrement la Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah. L’agent constate qu’aucun des faits susmentionnés n’a été corroboré par une preuve objective provenant de tierces parties.

[10]           L’agent a conclu que les deux affidavits n’étaient pas probants et leur a accordé peu de poids, car ils contenaient tous deux des contradictions et des omissions inexpliquées. L’affidavit de M. Whudne, attestant de son baptême, n’était étayé par aucune preuve documentaire objective à laquelle on serait en droit de s’attendre dans les circonstances. L’agent a conclu que l’affidavit de Mme Knowei, examiné conjointement avec la lettre de Pastor Dillon, laissait entendre qu’elle [traduction] « participait à des services religieux concurrents et/ou à des activités comportant plusieurs dénominations », ce qui était contradictoire. L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas produit suffisamment d’éléments de preuve persuasifs pour s’acquitter de leur fardeau ultime.

[11]           Enfin, en ce qui concerne la soumission par les demandeurs d’extraits du cartable national de documentation sur l’apostasie en Iran, l’agent a conclu qu’ils étaient de nature générale et n’établissaient pas de lien direct avec la situation personnelle des demandeurs.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[12]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de crédibilité voilées sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre au cours d’une audience?

B.                 L’appréciation de la preuve par l’agent d’ERAR était-elle raisonnable?

[13]           Étant donné, à mon avis, qu’il faut répondre par l’affirmative à la première question, il ne sera pas nécessaire de répondre à la deuxième question (voir, par exemple, la décision Karimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1010, aux paragraphes 2 et 3).

[14]           Les demandeurs soutiennent que cette question porte sur l’équité procédurale et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Chekroun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 738, au paragraphe 37; Montesinos Hidalgo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1334, au paragraphe 11). Ils reconnaissent toutefois que, dans certains cas, la Cour a conclu que la question de savoir s’il fallait tenir une audience devait être tranchée selon la norme de la décision raisonnable (Puerta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464, paragraphe 10). Ils soutiennent que le traitement qu’a fait l’agent de cette question ne respecte pas les deux normes. De plus, si la Cour n’est pas d’accord avec eux et que la norme de contrôle devient déterminante, ils proposent de certifier la question suivante :

Attendu que dans certaines décisions la Cour a indiqué que la question de savoir si une audience est requise dans le cadre d’une demande d’évaluation des risques avant renvoi est une question d’équité procédurale qui devrait être examinée selon la norme de la décision correcte alors que dans d’autres décisions, la Cour a indiqué que cette question est une question mixte de fait et de droit et a appliqué la norme déférente de la décision raisonnable, quelle est la norme de contrôle applicable à cette question?

[15]           Le défendeur soutient que la décision discrétionnaire d’un agent d’ERAR en ce qui concerne la tenue d’une audience est une question mixte de fait et de droit et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Oliveros Rubiano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 106, au paragraphe 28; Matano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1290, aux paragraphes 10 à 12; Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, aux paragraphes 16 et 17).

[16]           Le défendeur s’oppose à la certification de la question proposée et soutient que la question juridique déterminante en l’espèce consiste à déterminer si l’agent d’ERAR a tiré une conclusion quant à la crédibilité ou non. Il ajoute que cette question est fondée sur les faits et s’appuie sur le dossier du tribunal présenté à la Cour.

[17]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question principale en l’espèce porte sur la question de savoir si l’agent a tiré une conclusion quant à la crédibilité. Toutefois, pour les motifs énoncés ci-après, je suis également d’avis que le traitement par l’agent d’ERAR de cette question ne respecte pas les deux normes.

V.                Analyse

L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de crédibilité voilées sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre au cours d’une audience?

[18]           Je suis d’avis que les trois critères énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui sont requis pour une audience conformément à l’alinéa 113b) de la LIPR, sont respectés ici. En ce qui concerne le critère énoncé à l’alinéa a), les demandeurs ont déposé de nouvelles preuves concernant leurs croyances religieuses qui entraîneraient leur persécution en Iran. Ce risque associé à l’apostasie en Iran est étayé par des preuves objectives. En ce qui concerne le critère b), la preuve de la conversion religieuse des demandeurs est essentielle à leur revendication et, si elle est acceptée, elle justifierait la demande de protection, conformément au critère c).

[19]           Les demandeurs ont sollicité une audience dans leur demande d’ERAR et l’agent n’a fourni aucune explication relativement à sa décision de ne pas tenir une audience. Le fait de ne pas avoir traité une question centrale constitue en soi une erreur, hormis la question de l’équité procédurale (Chekroun, précité, au paragraphe 72).

[20]           Dans ces circonstances, l’agent a commis une erreur en tirant des conclusions de crédibilité sans convoquer une audience. Le témoignage d’un demandeur est réputé vrai, sauf s’il y a des motifs valables de douter de sa véracité (Chekroun, précité, au paragraphe 65, citant Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.)). Cependant, l’agent a essentiellement conclu que Mme Knowei manque de crédibilité, affirmant que la lettre du pasteur Dillon attestant qu’elle fréquentait régulièrement l’église pentecôtiste [traduction] « contredit directement » son affidavit selon lequel elle prend part aux offices des Témoins de Jéhovah. Bien que l’agent ait formulé cette conclusion en fonction du poids à accorder aux éléments de preuve, « la Cour doit aller au-delà des termes expressément utilisés dans la décision de l’agent pour décider si en fait, la crédibilité de la demanderesse était en cause » (Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 16). Les conclusions fondées sur des contradictions dans les témoignages sous serment doivent être définies comme des questions de crédibilité (Karimi, au paragraphe 19).

[21]           En l’espèce, les demandeurs ont présenté leur témoignage sous forme d’affidavits sous serment, qui se voient accorder plus de poids que les déclarations non assermentées (Ferguson, précité, au paragraphe 32; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 20; I.I. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892, au paragraphe 21). Les demandeurs ont également fourni une preuve corroborante sous la forme de la lettre du pasteur Dillon. Il est loisible aux agents d’exiger une preuve corroborante pour que l’on s’acquitte du fardeau de la preuve, surtout lorsque le fait se situe au cœur même de la demande (I.I., précité, au paragraphe 20; Ferguson, précité, paragraphe 32). La déclaration sous serment d’un partenaire peut être considérée comme une preuve corroborante (Ferguson, précité, au paragraphe 32), et dans la mesure où l’affidavit de chacun des demandeurs se réfère à l’autre, je conclus donc que les affidavits peuvent également être considérés comme des éléments de preuve corroborants.

[22]           Néanmoins, l’agent a ensuite rejeté en grande partie les affidavits des demandeurs et la lettre du pasteur. L’agent a conclu que la lettre du pasteur Dillon contredisait directement l’affidavit de Mme Knowei relativement à sa présence aux offices des Témoins de Jéhovah. Cette conclusion indique de façon implicite que l’agent ne la croyait pas. L’agent a également conclu que la déclaration de M. Whudne selon laquelle il avait été baptisé aurait dû être corroborée par une preuve documentaire, notamment un certificat de baptême. Cependant, l’agent n’explique pas pourquoi la lettre de Pasteur Dillon ne peut pas constituer une preuve documentaire corroborant le baptême. Je ne vois pas comment ces conclusions pourraient être fondées sur autre chose que le simple scepticisme à l’égard des demandeurs et du pasteur Dillon.

[23]           En ce qui concerne la foi de Mme Knowei dans les Témoins de Jéhovah, l’agent n’a jamais discuté de la corroboration offerte par l’affidavit de M. Whudne. Au paragraphe 5, il déclare avoir pris la décision de ne pas suivre la foi des Témoins de Jéhovah, mais affirme qu’il a pleinement respecté le choix de sa femme de pratiquer cette foi. L’agent n’a pas non plus envisagé la possibilité que Mme Knowei puisse assister aux offices des Témoins de Jéhovah le samedi (comme cela est indiqué dans son affidavit au paragraphe 11) ainsi qu’aux offices offerts à l’église pentecôtiste le dimanche. Cela ne fait que renforcer ma conviction que l’agent ne croyait pas les deux demandeurs et que, par conséquent, « la question de crédibilité se situait au premier plan de sa décision » (Karimi, précité, au paragraphe 19), malgré les raisons invoquées en termes d’insuffisance de preuve. Ces questions auraient dû être examinées lors d’une audience; par conséquent, le fait que l’agent n’a pas tenu d’audience était déraisonnable.

VI.             Conclusion

[24]           La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Étant donné que la norme de contrôle n’est pas déterminante en l’espèce, la question proposée par les demandeurs ne sera pas certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision rendue par un agent d’immigration supérieur de Citoyenneté et Immigration Canada, datée du 18 décembre 2015, rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi des demandeurs est annulée.

3.      L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

4.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

5.      Aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-504-16

INTITULÉ :

ALY RIZA WHUDNE, MASSOOME KNOWEI et MOHAMMAD REZA WHUDNE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 12 SEPTEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Shepherd Moss

Pour les demandeurs

Darren McLeod

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chand and Company,

Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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