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Date : 20160913


Dossier : IMM-1398-16

Référence : 2016 CF 1039

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 septembre 2016

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

JUDITA SULEK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Motifs prononcés de vive voix à Vancouver le 12 septembre 2016.

[1]               Judita Sulek demande un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) d’annuler le sursis à la mesure de renvoi prise contre elle.

[2]               Mme Sulek est une citoyenne de l’Autriche. Elle est également une résidente permanente du Canada et, sauf une brève absence, elle y habite depuis 1984. Au cours de son séjour au Canada, Mme Sulek a accumulé un long dossier criminel et ses condamnations remontent à 1993. On a également diagnostiqué chez elle un trouble bipolaire, un trouble anxieux généralisé et un problème de toxicomanie.

[3]               En 2006, Mme Sulek a été reconnue coupable de trois chefs d’utilisation de cartes de crédit volées. À la suite de ces condamnations, elle a été déclarée interdite de territoire au Canada pour motifs de grande criminalité. En 2011, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a pris une mesure de renvoi contre Mme Sulek.

[4]               À la suite d’un appel auprès de la SAI, Mme Sulek a bénéficié d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pendant une période de trois ans, sous réserve de certaines conditions. Entre autres, elle ne devait commettre aucun autre acte criminel et elle devait se conformer à toutes les conditions de sa libération qui lui avaient été imposées.

[5]               Après l’obtention du sursis, elle a enfreint plusieurs des conditions que la SAI lui avait imposées. Le fait que Mme Sulek ait accumulé six autres condamnations au criminel, dont une pour possession de cocaïne, une pour vol de moins de 5000 $ et quatre pour ne pas s’être conformée aux conditions inhérentes à sa mise en liberté constitue un élément important de la présente affaire. En conséquence, le ministre a demandé à la SAI de réexaminer le sursis visant la mesure de renvoi de Mme Sulek.

[6]               À la suite de l’audience, la SAI a conclu que le sursis visant la mesure de renvoi de Mme Sulek devait être annulé. En arrivant à cette conclusion, la SAI s’est appuyée sur les facteurs établis par la Section d’appel de l’immigration dans Ribic v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] I.A.B.D. No. 4 (QL). La SAI a conclu que les facteurs négatifs dans le cas de Mme Sulek l’emportaient sur les facteurs positifs et qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier un autre sursis à son renvoi.

[7]               Mme Sulek prétend que la décision de la SAI était déraisonnable pour deux raisons. D’une part, elle affirme qu’après avoir jugé que son témoignage était, « dans l’ensemble décousu et confus », il était déraisonnable pour la SAI de s’appuyer sur ce témoignage comme seul fondement pour conclure que Mme Sulek bénéficierait du soutien de sa famille si elle retournait en Autriche. D’autre part, Mme Sulek soutient que la SAI a erré en omettant de prendre en considération correctement les conséquences que son renvoi du Canada aurait sur sa santé mentale, comme l’a exigé la Cour suprême du Canada dans (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS  909.

[8]               Abordant tout d’abord la question du soutien de sa famille, à l’audience de la SAI on a demandé à Mme Sulek si elle pouvait s’attendre à obtenir du soutien de sa famille en Europe si elle retournait s’établir en Autriche. Elle a déclaré clairement qu’elle croyait que, si elle retournait en Autriche, sa mère et ses frères l’aideraient sans doute à s’installer. Son témoignage sur ce point n’était ni décousu ni confus.

[9]               Cependant, Mme Sulek allègue qu’il était déraisonnable que la SAI se soit appuyée de façon sélective sur son témoignage à ce sujet pour conclure que sa famille l’aiderait certainement à s’établir en Autriche. Je ne retiens pas cette observation.

[10]           Lors de l’audience de la SAI, Mme Sulek était représentée par un avocat et un représentant désigné avait également été chargé de représenter ses intérêts auprès de la SAI. À aucun moment on n’a laissé entendre que Mme Sulek n’avait pas la compétence pour témoigner, et aucun passage des trois lettres de son psychiatre qui ont été remises à la SAI ne permettait d’en venir à cette conclusion.

[11]           De plus, les arguments de l’avocat n’indiquaient nullement que le témoignage de Mme Sulek sur ce point n’était pas fiable. En fait, son avocat a mentionné spécifiquement son témoignage sur ce point dans ses observations écrites qui ont été déposées au nom de Mme Sulek après la tenue de l’audience de la SAI. L’avocat a simplement soutenu que le soutien que Mme Sulek pouvait espérer recevoir de sa famille ne permettrait pas de satisfaire ses besoins.

[12]           Enfin, même si la SAI ne l’a pas mentionné spécifiquement, il ressort clairement à l’examen du dossier que le témoignage de Mme Sulek sur ce point correspondait à celui qu’elle avait présenté à la SAI en 2011, au moins en ce qui concernait ses contacts avec sa mère.

[13]           Dans de telles circonstances, il était entièrement raisonnable pour la SAI d’examiner le témoignage de Mme Sulek à la lumière de la disponibilité du soutien de sa famille en Autriche.

[14]           Pour la même raison, je ne suis pas convaincue que la SAI a erré en s’appuyant sur le témoignage de Mme Sulek concernant la présumée consommation de drogue par son colocataire (et ancien partenaire romantique) et les sévices psychologiques qu’il lui a infligés. Il n’était pas déraisonnable pour la SAI d’avoir des doutes concernant le cadre de vie de Mme Sulek et des répercussions que celui-ci aurait sur ses perspectives de réhabilitation, particulièrement le fait qu’elle avait continué à récidiver en consommant de la cocaïne et de l’alcool à la suite du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi que la SAI lui avait accordé en 2011.

[15]           Cela nous amène à l’allégation d’omission par la SAI de tenir compte des répercussions que le renvoi de Mme Sulek du Canada aurait sur sa santé mentale.

[16]           Mme Sulek soutient que, dans Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il était erroné de fonder l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire uniquement sur la disponibilité de soins médicaux dans le pays de renvoi et de ne pas tenir compte des répercussions du renvoi sur la santé mentale de la personne en cause. Toutefois, les faits dans la présente instance se distinguent nettement des faits dans Kanthasamy.

[17]           Dans l’affaire Kanthasamy, il était question d’un jeune Tamoul du Sri Lanka qui souffrait de stress post-traumatique et de dépression à la suite des expériences qu’il avait vécues au Sri Lanka, pays où il avait été détenu et torturé. En évaluant la demande de M. Kanthasamy, une agente d’immigration avait accepté le diagnostic des médecins, mais avait néanmoins conclu que M. Kanthasamy n’avait fourni aucune preuve suffisante pour démontrer qu’il ne pourrait pas obtenir de soins médicaux au Sri Lanka. Toutefois, l’agente d’immigration n’a pas tenu compte des preuves médicales indiquant que l’état de M. Kanthasamy se détériorerait s’il était contraint de retourner au Sri Lanka, où il avait été maltraité.

[18]           Inversement, la preuve psychiatrique dont la SAI était saisie dans la présente instance n’indique pas que le retour de Mme Sulek en Autriche aggraverait ses problèmes de santé mentale. En outre, la SAI a reconnu que Mme Sulek éprouverait certaines difficultés si elle retournait en Autriche, mais elle a conclu qu’elle pourrait obtenir des soins médicaux si elle en avait besoin.

[19]           En l’absence de preuve médicale indiquant que la santé mentale de Mme Sulek s’aggraverait si elle quittait le Canada, son argument fondé sur la décision de la Cour suprême dans Kanthasamy doit être rejeté.

[20]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Sulek est rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1398-16

INTITULÉ :

JUDITA SULEK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

Le 13 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Lobat Sadrehashemi

Pour la demanderesse

Erica Louie

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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