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Date : 20160908


Dossier : IMM-5401-15

Référence : 2016 CF 1021

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

JOEL GAUAN GO

(AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE NIKKIE GO)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Mme Go, est citoyenne des Philippines. À sa naissance, elle était de sexe biologique masculin, mais elle est maintenant transsexuelle. Mme Go est également positive pour le VIH. Elle a habité aux États-Unis entre 1998 et 2005. Au cours de cette période et avant son renvoi aux Philippines, en 2005, elle a été reconnue coupable d’une infraction liée à la drogue.

[2]               Mme Go allègue faire l’objet de mauvais traitements graves aux Philippines parce qu’elle est transsexuelle. Elle prétend avoir été victime de mauvais traitements, de discrimination et de violence sexuelle, notamment aux mains de la police. Elle prétend également avoir été détenue arbitrairement et victime d’extorsion par la police parce qu’elle est transsexuelle.

[3]               À son arrivée au Canada, en 2008, Mme Go détenait un visa de visiteur. Elle a demandé l’asile en février 2012. La même année, elle a été arrêtée et mise en détention parce qu’elle se trouvait au Canada sans autorisation. Sa demande d’asile avait été jugée inadmissible à cause de sa grande criminalité, ayant été reconnue coupable d’une infraction aux États-Unis pouvant entraîner une peine d’emprisonnement de dix ans au Canada. Sa demande pour motifs d’ordre humanitaire a été refusée en 2013, tout comme l’a été sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La décision concernant l’ERAR a été annulée et renvoyée pour réexamen. Sa seconde demande d’ERAR a été refusée en octobre 2015. La Cour est maintenant saisie de cette décision.

[4]               Mme Go demande que cette seconde décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen. Elle soutient que l’agent d’ERAR (l’agent) a adopté et appliqué le mauvais critère relativement à la protection de l’État en prenant en considération les efforts déployés par l’État, plutôt que l’efficacité concrète de la protection de l’État accordée à une personne dans sa situation. Elle soutient également qu’il était déraisonnable que l’agent lui impose l’obligation de demander la protection de la police, alors que celle-ci avait été un agent de persécution. Elle ajoute qu’il était déraisonnable que l’agent s’appuie sur la preuve d’actions positives de la part de l’État à l’égard des homosexuels et des lesbiennes aux Philippines qui ne sont pas pertinentes pour la demanderesse. Enfin, Mme Go maintient que l’agent a commis une erreur en analysant son appartenance sexuelle et sa condition médicale séparément et que, de ce fait, il n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif des risques qu’elle avait cités.

[5]               La demande exige que je tranche les questions suivantes :

A.           L’agent a-t-il commis une erreur au moment de déterminer le critère applicable à la protection de l’État?

B.            Est-ce que les conclusions de l’agent concernant la protection de l’État étaient raisonnables?

C.            Est-ce que l’agent a commis une erreur en n’évaluant pas l’effet cumulatif des risques inhérents au profil de Mme Go?

[6]               Je ne suis pas persuadé que l’agent a commis une erreur susceptible de révision et, pour les motifs ci-après, je rejette la demande.

II.                Norme de contrôle

[7]               Mme Go allègue que l’agent n’est tenu à aucune déférence au moment de déterminer quel critère relatif à la protection de l’État doit être appliqué. Je souscris à cette position. Le critère relatif à la protection de l’État est établi dans la jurisprudence. S’il est allégué qu’un décideur a mal compris ce critère, la Cour examinera la question selon la norme de la décision correcte (Dawidowicz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115, au paragraphe 23 [Dawidowicz] citant Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22).

[8]               Mme Go prétend également que l’omission par l’agent d’évaluer l’effet cumulatif des risques auxquels elle est exposée constitue une erreur de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Je ne suis pas d’accord.

[9]               Dans (Varga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 494, au paragraphe 6, la Cour a jugé que l’omission de tenir compte d’un motif de persécution ou d’un risque constituait un manquement à l’équité procédurale. Dans la présente instance, la question n’est pas de savoir si l’agent a tenu compte de tous les motifs, mais plutôt s’il a évalué l’effet cumulatif de tous les motifs. À mon avis, la présente instance implique une analyse des faits et du droit de sorte que la norme de la raisonnabilité est la norme pertinente (Gorzsas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 458, aux paragraphes 15 à 18).

[10]           Les conclusions de l’agent concernant le caractère adéquat de la protection fournie par l’État soulèvent des questions mixtes de faits et de droit auxquelles s’applique la norme de la décision raisonnable (Hoo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 283, au paragraphe 8).

III.             Analyse

A.                L’agent a-t-il commis une erreur au moment de déterminer le critère applicable à la protection de l’État?

[11]           Mme Go soutient que l’agent a adopté le mauvais critère juridique, en ce qui concerne la protection de l’État et, pour étayer cette opinion, elle mentionne la déclaration ci-après dans la décision de l’agent :

[traduction] On ne peut s’attendre à ce qu’un État quel qu’il soit assure une protection parfaite en tout temps à tous ses citoyens; au contraire, une protection de l’État est considérée adéquate si l’État exercice un contrôle efficace sur son territoire, s’il est doté d’une autorité militaire, policière et civile et s’il déploie de sérieux efforts pour protéger ses citoyens.

[12]           Mme Go allègue que cette déclaration montre que l’agent n’a pas appliqué correctement le critère « sérieux efforts déployés par l’État ». Je ne suis pas d’accord.

[13]           La jurisprudence établit que le critère devant être appliqué au moment d’évaluer la protection de l’État est celui de l’efficacité réelle de la protection accordée à une personne se trouvant dans des circonstances semblables à celles de la demanderesse (Dawidowicz, aux paragraphes 29 et 30). Cependant, l’extrait cité ci-dessus n’établit pas le critère applicable à la protection de l’État. Au contraire, l’agent établissait la présomption que doit surmonter un demandeur pour établir le manque de protection de l’État lorsque l’appareil étatique n’est pas complètement effondré. Dans la phrase suivante, l’agent mentionne «... qu’un demandeur peut réfuter la présomption de la protection de l’État en confirmant d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection dont il a besoin. » À mon avis, cette phrase démontre que l’agent avait compris que la question à prendre en considération portait sur la capacité des autorités philippines à fournir à Mme Go « la protection dont elle avait besoin ». Sa décision confirme que l’analyse de l’agent portait non seulement sur les efforts de l’État, mais qu’il reconnaissait aussi les manquements et les lacunes d’ordre opérationnel démontrés dans la preuve. À mon avis, cela confirme à nouveau que l’agent a bien appliqué le critère approprié à la protection conférée par l’État.

[14]           L’agent n’a pas commis d’erreur au moment de déterminer le critère applicable à la protection de l’État.

B.                 Est-ce que les conclusions de l’agent concernant la protection de l’État étaient raisonnables?

[15]           Mme Go soutient que les conclusions de l’agent concernant la protection de l’État étaient déraisonnables, car 1) il lui a imposé un fardeau en l’obligeant à se plaindre au sujet de la mauvaise conduite de la police à son égard; et 2) il s’est livré à un examen sélectif des éléments de preuve et a pris en considération des éléments de preuve inapplicables.

[16]           L’agent a passé en revue les éléments de preuve et il a noté que Mme Go était exposée à des risques du fait qu’elle est transsexuelle et  a été déclarée séropositive pour le VIH. Il a noté qu’elle avait signalé des actes d’abus et de discrimination de la part de sa famille, de la police et de la société en général. Il a aussi noté qu’elle n’avait jamais signalé ces actes d’abus ou de discrimination aux autorités.

[17]           S’appuyant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689[Ward], Mme Go soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de s’attendre à ce qu’elle porte plainte à la police, alors qu’elle avait déjà été victime d’abus de la part de la police. Je ne suis pas d’accord.

[18]           Dans la présente instance, l’agent a reconnu que Mme Go avait été victime d’abus de la part de la police et il a également mentionné la preuve documentaire montrant la nécessité pour la police d’assurer une plus grande protection aux personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), ainsi qu’aux personnes déclarées séropositives pour le VIH. Contrairement à ce qu’affirme Mme Go, l’agent a tenu compte de ses circonstances personnelles au moment d’analyser la protection de l’État. Mme Go conteste la conclusion de l’agent, alléguant que la preuve a été déformée, a fait l’objet de picorage ou mal interprétée.

[19]           Même si Mme Go conteste la décision, l’agent était tenu de soupeser la preuve offerte et d’en tirer une conclusion. Je suis d’accord avec les défendeurs. Mme Go conteste le poids que l’agent a accordé à la preuve. Cela ne représente pas un fondement en vertu duquel notre Cour interviendra.

[20]           Il est vrai que le fait qu’un demandeur d’asile ne se soit pas adressé à l’État en vue d’obtenir sa protection ne fait pas automatiquement échec à sa demande (Da Souza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1279, au paragraphe 18, citant Ward au paragraphe 49). Cependant, cela ne signifie pas que la mauvaise conduite de la police libère automatiquement un demandeur de son obligation de demander la protection de l’État. Cela est notamment le cas lorsqu’il existe une preuve de mécanismes efficaces pour faire enquête sur les cas de mauvaise conduite et d’en punir les auteurs (Beri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854, au paragraphe 29).

C.                 Est-ce que l’agent a commis une erreur en n’évaluant pas l’effet cumulatif des risques inhérents au profil de Mme Go?

[21]           Mme Go soutient que l’agent a effectué une analyse à deux volets des risques auxquels elle était exposée en tant que transsexuelle, d’une part, et de personne ayant été déclarée séropositive pour le VIH, d’autre part. Elle prétend que, dans son analyse, l’agent a reconnu que les personnes transsexuelles et séropositives pour le VIH font l’objet de discrimination et d’abus, mais qu’il n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif de cette discrimination et de cet abus. S’appuyant sur la décision de la juge Anne Mactavish dans Djubok c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 497 [Djubok], Mme Go estime que le fait de ne pas avoir analysé l’effet cumulatif des diverses formes de discrimination constitue une erreur susceptible de révision. Là encore, je ne partage pas son avis.

[22]           Dans son analyse, l’agent a tout d’abord reconnu que Mme Go allègue un risque sous deux motifs. Il s’est ensuite penché sur les risques auxquels sont exposés les LGBT et les personnes ayant été déclarées pour le VIH parallèlement tout au long de sa décision. Même s’il n’a pas explicitement déclaré que l’effet cumulatif des risques était évalué, les risques auxquels était exposée Mme Go n’ont pas été évalués en vases clos distincts ou traités de manière isolée, comme c’était le cas dans Djubok.

[23]           L’agent connaissait les risques auxquels était exposée une personne transsexuelle et déclarée séropositive pour le VIH et, même si Mme Go soutient que l’agent a commis une erreur en ne mentionnant pas les éléments de preuve spécifiques, il est bien établi qu’un agent n’est pas tenu de le faire. L’agent n’a pas commis d’erreur dans son traitement des risques auxquels était exposée Mme Go.

IV.             Conclusion

[24]           L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans sa conclusion concernant l’ERAR de Mme Go. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-5401-15

 

INTITULÉ :

JOEL GAUAN GO (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE NIKKIE GO) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Benjamin Liston

Pour la demanderesse

 

Jelena Urosevic

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benjamin Liston

Avocat

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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