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Date : 20160908


Dossier : IMM-442-16

Référence : 2016 CF 1020

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

NADIA HASSAN BABIKIR MAHMOUD

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Mahmoud, une citoyenne du Soudan, est arrivée au Canada en provenance des États-Unis en octobre 2015. À son arrivée, elle a présenté une demande d’asile alléguant qu’elle sera persécutée au Soudan en raison de ses opinions politiques antigouvernementales et de ses relations avec des défenseurs des droits de l’homme et des militants politiques bien connus. Elle avait présenté une telle demande aux États-Unis, mais ayant jugé que le processus est imprévisible, long et compliqué, elle a décidé de venir au Canada où elle a également des parents.

[2]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande. La SPR a relevé des contradictions entre la preuve documentaire de Mme Mahmoud et son témoignage lesquelles, de l’avis de la SPR, minent son allégation de crainte subjective et sa crédibilité générale. Elle n’a également accordé aucun poids aux photos, à une lettre de soutien et à document d’attestation de sa relation qui ont été déposés pour étayer sa demande. La SPR a exposé des préoccupations spécifiques concernant certains documents et a notamment mentionné que les documents sur les conditions qui prévalent au Soudan font état d’un problème grave de personnes indignes de confiance à l’intérieur du Soudan ou en provenance de ce pays qui produisent des documents frauduleux. En conséquence, la SPR a conclu que les éléments de preuve offerts n’étaient pas suffisamment crédibles ou dignes de confiance pour appuyer la demande et que Mme Mahmoud n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[3]               Mme Mahmoud demande à notre Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué. Plus spécifiquement, elle soutient que la SPR a déraisonnablement rejeté ses explications des divergences dans les éléments de preuve documentaire qu’elle avait déposés et les raisons pour lesquelles elle avait initialement soumis une demande de visa pour se rendre aux États-Unis. Elle a également prétendu que la SPR a erré en ne tenant pas compte d’un document d’attestation d’une relation produit aux Émirats arabes unis, parce que ce document n’avait pas été produit au Soudan.

[4]               La demande exige que je tranche les questions suivantes :

A.             Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient-elles déraisonnables?

B.            Est-ce que la SPR a erré en n’accordant aucun poids au document soumis en preuve d’attestation d’une relation?

[5]               Ayant examiné les observations orales et écrites des parties, je suis d’avis que la décision de la SPR est raisonnable. La demande est rejetée pour les motifs suivants.

II.                Norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsque notre Cour se penche sur des questions de faits et sur des questions mixtes de faits et de droit. Les conclusions de la SPR sur la crédibilité et la plausibilité et sur le poids devant être accordé sont des questions mixtes de faits et de droit qui seront examinés selon le critère du caractère raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, et en particulier Soorasingam v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 691, au paragraphe 15 [Soorasingam]).

III.             Analyse

A.                Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient-elles déraisonnables?

[7]               La SPR a comparé les éléments de preuve que la demanderesse a déposés avec son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et son témoignage et elle a relevé différentes divergences. Plus précisément, elle a tiré des conclusions défavorables concernant l’authenticité d’une lettre apparemment rédigée par Amin Mekki Medani. M. Medani est un militant des droits de la personne au Soudan et, selon Mme Mahmoud, il est également son beau-frère. La SPR a relevé deux divergences dans la lettre de M. Medani relativement aux dates pertinentes pour la demande de Mme Mahmoud : 1) la date à laquelle elle prétend avoir été arrêtée par les autorités soudanaises; 2) la date à laquelle M. Medani a lui-même été arrêté. La SPR a conclu que l’explication de Mme Mahmoud voulant que ces erreurs soient attribuables à d’innocentes erreurs typographiques n’était pas plausible. Mme Mahmoud a joint une lettre à son dossier de demande dans laquelle elle tente d’expliquer ces divergences. Cette lettre n’avait pas été remise à la SPR et je ne l’ai pas prise en considération (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19).

[8]               La SPR a également tiré une conclusion défavorable de l’explication de Mme Mahmoud concernant la raison de sa demande de visa pour les États-Unis. Mme Mahmoud prétend qu’elle a présenté une demande de visa après avoir été arrêtée et torturée au Soudan en novembre 2014. Cependant, le visa a été délivré environ six semaines avant la présumée arrestation. Lorsqu’on a porté cette divergence à son attention, Mme  Mahmoud a modifié son explication en déclarant qu’elle avait demandé un visa dans le but de visiter Disneyland.

[9]               S’appuyant sur ces divergences, la SPR a conclu que Mme  Mahmoud n’était pas un témoin crédible et digne de confiance.

[10]           Mme Mahmoud soutient que ces conclusions individuelles étaient déraisonnables, tout comme la conclusion de la SPR voulant que l’effet cumulatif de ces conclusions a miné la crédibilité de tous les éléments de preuve soumis pour appuyer sa demande. Je ne suis pas de cet avis. Les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

[11]           La SPR a inclus l’explication avancée par Mme Mahmoud au sujet des divergences dans les dates citées dans la lettre de M. Medani. Elle a également mentionné que ces dates étaient critiques pour la demande de Mme Mahmoud et elle a conclu que si une erreur de cette nature était possible, deux étaient improbables. Même si les faits peuvent mener à des conclusions raisonnables différentes, notre Cour n’intervient que lorsqu’elle conclut que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[12]           En ce qui concerne le visa pour les États-Unis, l’avocat de Mme Mahmoud soutient que la décision de la SPR ne reflète pas avec précision les explications de Mme Mahmoud dans son FDA et dans son témoignage à l’audience. Même si son témoignage n’était pas clair, il est évident que l’explication donnée par Mme Mahmoud pour justifier sa demande de visa était passée d’une réaction à sa présumée arrestation et à sa torture à l’organisation d’une visite à Disneyland. Là encore, les conclusions que la SPR a tirées concernant la crédibilité de Mme Mahmoud en raison l’évolution d’un aspect clé de son témoignage étaient raisonnables.

[13]           Il était également loisible à la SPR de prendre en considération les répercussions de ses conclusions défavorables à l’égard de la crédibilité de la demanderesse relativement à tous les éléments de preuve qu’elle avait présentés pour étayer sa demande. L’évolution du témoignage et les divergences ne visaient pas des questions périphériques, mais impliquaient plutôt des faits centraux pour la demande de Mme Mahmoud.

B.                 Est-ce que la SPR a erré en n’accordant aucun poids au document soumis en preuve d’attestation d’une relation?

[14]           Dans ses observations, la demanderesse déclare : [traduction]» [l]a SPR n’a accordé aucun poids aux éléments de preuve documentaire soumis pour étayer ma demande, alléguant que la preuve documentaire indiquait que la fraude et la corruption constituaient des problèmes graves au Soudan… ».

[15]           Mme Mahmoud ne conteste pas cette conclusion, en ce qui concerne les documents provenant du Soudan. Cependant, elle soutient qu’un document soumis en [traduction]» preuve d’attestation d’une relation » ne provenait pas du Soudan, mais plutôt des Émirats arabes unis. Elle prétend que ce document établit qu’elle est la mère de Nagal Kamal Mekki Madani. Comme le nom de la fille « Mekki Medani » est le nom de M. Medani qui, selon Mme Mahmoud, est son beau-frère, elle affirme que le document constitue l’élément central de sa demande. Elle ajoute que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte du document. Je ne suis pas d’accord.

[16]           Il est bien établi dans la jurisprudence de notre Cour qu’un décideur n’est pas tenu d’examiner chaque élément de preuve dont il est saisi, (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 16 [Cepeda-Guitierrez]) et qu’il faut présumer que le décideur a soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on fasse la preuve du contraire (Boulos c. Canada (Alliance de la fonction publique du Canada), 2012 CAF 193, au paragraphe 11).

[17]           Dans Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, la juge Mary Gleason s’est penchée sur l’obligation pour un tribunal de mentionner tous les éléments de preuve dont il est saisi et, au paragraphe 39, elle mentionne que la décision Cepeda-Gutierrez « affirme en fait… que le tribunal n’est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve; ce n’est que lorsque l’élément de preuve non mentionné est important et contredit la conclusion du tribunal que la cour de révision peut décider que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait ». [souligné dans l’original]

[18]           Dans la présente instance, la SPR n’a pas fait fi du document; au contraire, elle le mentionne spécifiquement lorsqu’elle identifie les documents auxquels elle n’accorde pas de poids. Même si la SPR n’a pas indiqué que le document provenait d’un pays autre que le Soudan, sa décision est raisonnablement fondée sur ses conclusions antérieures concernant la crédibilité, conclusions que j’ai jugées raisonnables. En outre, le document en question ne contredit pas les conclusions de la SPR. Au mieux, ce document ne fait qu’établir que Mme Mahmoud est mère d’une fille dont le nom est en partie formé du nom d’un militant des droits de la personne au Soudan. Enfin, je note que la SPR n’était pas préoccupée par des documents en provenance du Soudan, mais plutôt par des documents produits par des personnes « à l’intérieur du Soudan ou en provenance de ce pays ». Elle craignait que les documents puissent avoir été produits par des personnes indignes de confiance à l’intérieur du Soudan ou en provenance de ce pays.

[19]           La SPR n’a pas erré en n’accordant pas de poids à la preuve documentaire de Mme Mahmoud, compte tenu de ses conclusions concernant sa crédibilité et la documentation sur les conditions prévalant dans le pays en ce qui concerne les documents falsifiés. La SPR a raisonnablement conclu que [traduction] « les éléments de preuve dont elle disposait pour en venir à une conclusion favorable n’étaient pas suffisamment crédibles ou dignes de confiance ».

IV.             Conclusion

[20]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[21]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-442-16

 

INTITULÉ :

NADIA HASSAN BARIKIR MAHMOUD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 AOÛT 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

Pour la demanderesse

 

Nicholas Dodokin

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker Weinstock Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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