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Date : 20160909


Dossier : IMM-1487-16

Référence : 2016 CF 1028

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2016

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LEONARD AHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Motifs prononcés de vive voix à Ottawa le 8 septembre 2016.

[1]               Leonard Ahi demande l’asile au Canada alléguant qu’il est exposé à des risques en Albanie en raison d’une vendetta entre des membres de sa famille élargie. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande, estimant que son histoire manquait totalement de crédibilité.

[2]               M. Ahi a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Après avoir examiné la preuve documentaire et écouté l’enregistrement sonore de l’audience de la SPR, la SAR a rejeté la demande d’appel de M. Ahi.

[3]               M. Ahi soutient que la SAR a commis une erreur en se reportant aux conclusions factuelles et aux conclusions relatives à la crédibilité de la SPR plutôt que de procéder à son propre examen indépendant de la preuve offerte, comme le recommande la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] ACF no 313, décision qui a été publiée deux semaines après que la SAR ait rendu sa décision dans la présente instance.

[4]               Comme le mentionne notre Cour, et les parties en conviennent, le fait que la décision de la SAR précède celle de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica n’invalide pas automatiquement celle de la SAR. La question qu’il faut trancher au cas par cas est de savoir si la SAR est tenue de procéder à une analyse attentive de la décision de la SPR, comme le recommande la Cour d’appel fédérale dans Huruglica, ou est-ce qu’elle doit se reporter aux conclusions de la SPR : Ketchen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 388, au paragraphe 28.

[5]               Pour étayer son allégation que la SAR a, à tort, fait preuve de déférence à l’égard de la SPR, M. Ahi mentionne la déclaration au paragraphe 12 de la décision de la SAR où le président l’audience a déclaré qu’en raison de la décision de la Cour dans Huruglica, [TRADUCTION] « Je dois démontrer un certain degré de déférence envers les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité ».

[6]               Même s’il est vrai que la SAR n’a pas pu s’inspirer de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica lorsqu’elle a pris la décision faisant l’objet du présent contrôle, dans la présente instance, le contrôle de cette décision confirme que la SAR a en fait effectué sa propre analyse de la preuve et qu’elle en a tiré ses propres conclusions.

[7]               En fait, immédiatement après avoir fait la déclaration citée précédemment, la SAR a ajouté au paragraphe 12 de ses motifs : [traduction] « Je dois effectuer ma propre évaluation de la preuve offerte afin de tirer ma propre conclusion relativement au présent appel ».

[8]               Après avoir examiné attentivement la décision de la SAR, c’est à mon avis exactement ce que la SAR a fait.

[9]               Par exemple, la SAR a pris en considération la constante évolution de la preuve offerte par M. Ahi quant au membre de sa famille qui était retourné en Albanie, en 2014, à la suite du présumé décès de plusieurs de ses membres. La SAR a conclu de manière très raisonnable que les incohérences dans la preuve offerte par M. Ahi à ce sujet constituaient un obstacle majeur à sa crédibilité, et elle explique au paragraphe 19 de ses motifs pourquoi il en est ainsi.

[10]           Je ne partage pas l’avis de M. Ahi à l’effet que les incohérences sur ce point dans sa preuve sont soit « minimes » ou« immatérielles », car cet élément de preuve est en lien direct avec le risque présumé auquel font face M. Ahi et les membres de sa famille élargie en Albanie.

[11]           La SPR a également conclu que les motifs invoqués par M. Ahi pour avoir attendu quatre ans avant de quitter l’Albanie à la suite de la mort de ses cousins en 2011 étaient « vagues et hésitants ». La SAR a écouté l’enregistrement audio de l’audience de M. Ahi organisée par la SPR et elle a effectué sa propre évaluation indépendante de son témoignage sur ce point. Le fait que, par la suite, la SAR ait tiré la même conclusion que la SPR ne signifie pas qu’elle s’en est remise à la SPR.

[12]           La SAR était en outre sensible aux problèmes qui peuvent se présenter lors d’une évaluation de la crédibilité fondée sur le comportement des témoins. La SAR a mentionné au paragraphe 15 de ses motifs [traduction] « on ne peut accorder beaucoup de poids, voire aucun, au comportement du témoin aux fins de l’établissement de sa crédibilité ».

[13]           Il est vrai, qu’à certains moments donnés, la SAR a fait preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR. Par exemple, au paragraphe 29 de ses motifs, la SAR mentionne que la SPR était mieux placée que la SAR pour déterminer si M. Ahi était présent à un événement enregistré sur vidéo, compte tenu du fait qu’il s’était présenté à la SPR, mais qu’il ne l’avait pas fait à la SAR. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une erreur, car la Cour d’appel fédérale a spécifiquement mentionné, au paragraphe 70 de Huruglica, qu’il peut y avoir des instances où la SPR jouit d’un avantage par rapport à la SAR lorsqu’il s’agit d’évaluer la preuve offerte. Dans la présente instance, c’était précisément le cas.

[14]           Enfin, compte tenu des problèmes concernant le témoignage de M. Ahi et vu que les faux documents sont faciles à obtenir en Albanie, il était raisonnable pour la SAR d’écarter la preuve documentaire produite par M. Ahi. La SAR a également noté des incohérences dans les dates citées dans certains documents produits par M. Ahi, ce qui contribue à en réduire la valeur probante.

[15]           Selon M. Ahi, la SAR a fondé sa décision sur le genre d’analyse microscopique qui avait été rejeté par la Cour suprême dans des cas tels que Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708.

[16]           À la lecture de l’ensemble de la décision de la SAR, comme je suis tenue de le faire, j’estime que la SAR s’est acquittée comme elle le devait du mandat que lui a confié le Parlement, comme le décrit la Cour d’appel fédérale dans Huruglica.

[17]           J’estime aussi que les motifs de la SAR sont transparents, intelligibles et justifiés et que la conclusion de l’appel appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, ci-dessus au paragraphe 47. Bref, cette décision était raisonnable.

[18]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Ahi est rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits uniques et qu’elle ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1487-16

 

INTITULÉ :

LEONARD AHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Seamus Murphy

 

Pour le demandeur

 

Julie Greenspoon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law PC

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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