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Date : 20160912


Dossier : IMM-497-16

Référence : 2016 CF 1025

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2016

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

GYULA MEZEI, GYULANE MEZEI,

EDINA MEZEI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’immigration supérieur (l’agent) qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs.

I.                   Faits

[2]               Les demandeurs sont une famille de trois personnes provenant de la Hongrie. Le demandeur principal est d’origine ethnique rome. La famille est arrivée au Canada en septembre 2011 et a demandé l’asile au motif de l’origine ethnique rome du demandeur principal et de sa fille.

[3]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada a rejeté leurs demandes d’asile le 26 octobre 2012, parce qu’elle a jugé qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Les demandeurs n’ont pas été autorisés à demander un contrôle judiciaire de la décision de la SPR.

[4]               Ils ont subséquemment demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) qui leur a été refusé également parce qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[5]               L’agent a reconnu que les Roms de Hongrie sont victimes de discrimination, de mauvais traitements, d’intimidation et de violence et que « l’État doit intervenir et prendre des mesures rigoureuses pour assurer la protection des groupes minoritaires, particulièrement les Roms, en Hongrie ». Toutefois, l’agent a soutenu que la preuve documentaire objective montrait que le gouvernement déployait des efforts pour protéger les Roms, efforts qui, sans être parfaits, sont manifestes.

II.                Norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle visant la conclusion de fait sur la protection de l’État est la norme de la décision raisonnable (Flores Carrillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2008 CAF 94, au paragraphe 36 [Carillo]; Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22).

III.             Analyse

[7]               La seule question soulevée par les demandeurs porte sur la protection de l’État. Au cours des dernières années, notre Cour s’est penchée sur plusieurs cas impliquant des Roms de Hongrie. Le juge Russell a récapitulé brièvement la jurisprudence dans Tar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 767 [Tar], aux paragraphes 75 et 76 :

[75]      Comme le démontrent les décisions de la SPR et la jurisprudence de la Cour, le point de savoir si la Hongrie peut ou veut protéger correctement ses citoyens roms suscite la controverse et pose de graves problèmes. Nos jugements vont dans les deux sens. Il semble y avoir unanimité sur le fait que, malgré les efforts du gouvernement central hongrois pour améliorer la vie du peuple rom, il continue d’y avoir une discrimination généralisée et des actes de violence raciale à l’égard des Roms commis par au moins certains Hongrois intolérants et peu recommandables. Il s’agit souvent de trancher si les efforts de l’État pour atténuer ce problème ont donné lieu à une protection adéquate sur le terrain. Voir par exemple Hercegi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250 et les décisions Orgona, Matte et Banya, précitées.

[76]      L’examen de la question semble dépendre beaucoup des preuves et des arguments que reçoit la SPR et, en cas de contrôle par la Cour, des questions qui préoccupent les demandeurs et leur avocat et qu’ils décident de soulever.

[8]               Je n’accepte pas la suggestion du défendeur voulant que la décision d’ERAR soit raisonnable parce que la Cour a jugé que la protection de l’État était offerte en Hongrie dans le passé. Des jugements ont en fait été rendus dans les deux sens. Toutefois, le défendeur procède à une analyse minutieuse de la loi visant la protection de l’État : il faut des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption de la protection de l’État (Ward aux pages 724 et 725), et il ne faut pas se limiter à démontrer que la protection de l’État n’est ni parfaite, ni toujours efficace (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189, 150 NR 232 (CAF)).

[9]               Ceci étant dit, je conviens avec les demandeurs que l’analyse de la protection de l’État doit tenir compte de l’efficacité concrète et non seulement des aspirations de l’État. Dans Kanto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 628, j’ai conclu que l’agente, de façon déraisonnable, n’a pas examiné le degré de protection de l’État qui est disponible. (Voir également Tar; Molnar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 273; et Bakos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 191.

[10]           Même s’il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve, les éléments de preuve qui ont été cités par l’agent ne permettaient pas de conclure que la protection de l’État était disponible. L’agent s’est spécifiquement appuyé sur trois rapports; pourtant, à mon avis, ces rapports n’étayent pas les conclusions de l’agent.

[11]           La partie de la réponse à la demande d’information de 2014 qui est citée comme élément de preuve des initiatives de la Hongrie pour améliorer sa force de police n’indique pas que l’amélioration de la formation des agents de police donne des résultats au sein de la communauté rome. Cela est particulièrement déraisonnable, compte tenu des éléments de preuve contradictoires. Par exemple, le paragraphe du rapport du Département d’État des États-Unis (le rapport) qui précède immédiatement la partie citée par l’agent indique le contraire :

[traduction] Le Comité Helsinki de Hongrie (Hungarian Helsinki Committee) continue à signaler que l’imposition de sanctions à la pratique de la police, surtout dans les cas de délit mineur commis dans les régions les plus pauvres du pays, montre la disproportion ethnique qui ne peut être raisonnablement justifiée et qui est souvent fondée sur le profilage ethnique, une forme de discrimination raciale. Le 15 juillet, six ONG des droits de la personne ont entrepris la création d’un groupe de travail sur la lutte contre le profilage ethnique, avec la participation des autorités policières. Le 15 août, le chef de police national a rejeté la proposition et nié les allégations de profilage ethnique.

[12]           La réponse à la demande d’information de 2015 a été citée comme preuve de l’efficacité de la police; pourtant le rapport ne fait nullement mention d’une telle efficacité. La première partie qui a été citée indique que l’on se penche sur la corruption de la police; je ne vois pas en quoi cette information est liée aux demandes des demandeurs. La seconde partie du rapport traite de la Commission indépendante des plaintes sur la police (la CIPP). Cela n’appuie pas la conclusion de l’agent voulant que les demandeurs pouvaient s’adresser à des instances supérieures, mais cela montre que la protection de l’État est disponible dans les faits.

[13]           Enfin, le rapport du Département d’État des États-Unis traite uniquement de la situation économique de la communauté rome. L’efficacité des programmes de travaux publics n’a aucune incidence sur la conclusion que la protection de l’État contre la violence à caractère racial est adéquate.

[14]           À l’examen du dossier et des motifs de l’agent, je ne suis pas d’avis que les conclusions de l’agent étaient justifiées ou étayées par les éléments de preuve. D’une part, l’agent a conclu que de solides mesures devaient être prises, compte tenu de l’évidence de la discrimination, de la violence et des mauvais traitements dont font l’objet les Roms en Hongrie. D’autre part, l’agent fonde ses conclusions sur des rapports sur les programmes de formation de la police et les programmes de développement économique, lesquels n’ont aucune incidence sur le caractère adéquat de la protection fournie par l’État et ne constituent pas de solides mesures pour contrer la violence.

[15]           Pour les motifs établis ci-dessus, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée afin qu’une nouvelle décision soit rendue. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire aux fins de nouvel examen.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-497-16

 

INTITULÉ :

GYULA MEZEI, GYULANE MEZEI, EDINA MEZEI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker

 

Pour les demandeurs

 

Negar Hashemi

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker Weinstock Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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