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Date : 20160912


Dossier : IMM-553-16

Référence : 2016 CF 1032

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SANDRA MILENA LOZANO MOLINA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Mme Molina, est une citoyenne de la Colombie qui a présenté une demande d’asile au Canada parce qu’elle a peur de l’Armée de libération nationale [ELN], un groupe de guérilla en Colombie.

[2]               Dans son formulaire Fondement de la demande (FDA), Mme Molina déclare qu’elle a travaillé comme spécialiste en communication dans le cadre d’un projet de gestion des déchets solides visant à encourager les résidents à abandonner les activités criminelles et à travailler dans des projets de recyclage. Son travail consistait à se rendre dans des zones à risque élevé de Medellín. Elle a aussi participé à des entrevues radiophoniques dans sa région et a écrit des articles dans les journaux locaux concernant le projet de gestion des déchets solides.

[3]               Elle allègue que des membres de l’ELN l’ont abordée à son travail en septembre 2015 et lui ont demandé de les accompagner pour rencontrer leur commandant de l’ELN. Elle a refusé. Elle croit qu’elle a attiré l’attention du commandant qui n’aimait pas le travail qu’elle faisait avec des personnes déplacées des quartiers pauvres. Après son refus, des membres de l’ELN sont revenus à son bureau à plusieurs reprises, la menaçant de mort et, à une occasion, ont tenté de l’enlever. Ils l’ont aussi menacé de mort alors qu’elle était à la maison. Elle a quitté son travail et sa maison, et a fait des arrangements pour quitter la Colombie pour se rendre au Mexique. Elle est arrivée au Canada en provenance des États-Unis en octobre 2015 après avoir rencontré et épousé son conjoint au Mexique, un résident permanent du Canada.

[4]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a rejeté la réclamation de Mme Molina en concluant que ses allégations relatives à l’ELN n’étaient pas crédibles. La SPR a conclu à titre subsidiaire que même si ses allégations étaient crédibles, la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve établissant de façon claire et convaincante que la Colombie ne lui assurerait pas une protection suffisante.

[5]               Mme Molina demande que la Cour annule la décision de la SPR et renvoie l’affaire pour un nouvel examen. Elle fait valoir que les conclusions relatives à la crédibilité de la SPR étaient déraisonnables et que la SPR a erré dans ses conclusions sur la protection de l’État.

[6]               La conclusion relative à la protection de l’État est déterminante et c’est la seule question que je dois trancher dans le cadre de l’examen de la présente demande. À cet égard, je ne suis pas convaincu que la SPR a commis une erreur. La SPR a raisonnablement conclu que Mme Molina n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État puisqu’elle n’a fait aucune démarche pour signaler des menaces ou encore chercher protection.

II.                Norme de contrôle

[7]               Les conclusions sur la protection de l’État de la SPR impliquent des questions mixtes de fait et de droit susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Nava c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 706, au paragraphe 12).

III.             Analyse

[8]               Mme Molina prétend que la SPR a commis une erreur en concluant que le fait qu’elle n’ait pas tenté d’obtenir la protection des autorités colombiennes était déraisonnable. Elle soutient que les éléments de preuve dont le Tribunal dispose ont démontré qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de demander la protection de l’État, et qu’elle n’était donc pas tenue de le faire. Elle ajoute que la SPR a étudié la preuve documentaire de façon sélective et a commis une erreur en donnant plus de poids à cette preuve qu’à ses raisons de ne pas demander de protection. Elle fait également valoir que la SPR a examiné les efforts de l’État, mais a omis d’aborder la disponibilité d’une protection adéquate de l’État pour elle. Enfin, Mme Molina affirme que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de son profil en tant que femme fonctionnaire et militante communautaire. Je ne suis pas d’accord.

[9]               Il n’est pas contesté que Mme Molina avait le fardeau de fournir une preuve claire et convaincante établissant l’insuffisance de la protection de l’État en Colombie (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Flores Carrillo), 2008 CAF 94, au paragraphe 19). Le témoignage de Mme Molina devant la SPR indique qu’elle n’a pas cherché la protection de l’État en Colombie et n’a fait aucune dénonciation de menaces à la police ou aux autorités avant de partir pour se rendre au Mexique. Elle a déclaré que dénoncer les menaces de l’ELN à la police était trop risqué, que la police ne pourrait pas la protéger et que faire une dénonciation équivalait à une condamnation à mort.

[10]           Contrairement à l’argument de Mme Molina voulant que la SPR ait examiné de façon sélective la preuve documentaire, il est manifeste dans la décision de la SPR qu’elle a examiné la documentation sur le pays de Mme Molina et du Cartable national de documentation de la Commission. Dans son examen, la SPR a souligné qu’il y a plusieurs organismes et programmes par lesquels les citoyens peuvent demander une protection, mais que Mme Molina n’a fait aucune démarche à cet égard. La SPR a reconnu que la preuve concernant le caractère adéquat de la protection de l’État est mitigée. La SPR a également conclu que les préoccupations de Mme Molina concernant l’adéquation de la protection de l’État constituaient des hypothèses. En se fondant sur ces éléments de preuve, la SPR a donné plus de poids à la preuve documentaire dont elle disposait concernant le caractère adéquat de la protection de l’État qu’aux préoccupations formulées par Mme Molina.

[11]           Le raisonnement de la SPR est transparent et intelligible. Il ne s’agit pas d’un cas où la SPR a omis d’aborder et d’évaluer le témoignage de Mme Molina ou la preuve contraire sur la situation dans le pays, comme c’est le cas dans Guerrero Hidalgo v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2016 CF 222 sur laquelle Mme Molina s’appuie. De même, alors que la SPR a passé en revue les efforts déployés par l’État afin d’améliorer la protection, elle fait un lien entre ces efforts et la pertinence opérationnelle de la protection de l’État pour une personne dans la situation de Mme Molina.

[12]           Il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que le fait que Mme Molina n’a fait aucune démarche pour rechercher ou obtenir la protection de l’État a été fatal à sa demande. Bien qu’une cour de révision puisse préférer lire des motifs détaillés sur la situation « [i]l se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La SPR n’a commis aucune erreur dans son analyse de la protection de l’État.

IV.              Conclusion

[13]           La décision de la SPR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[14]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-553-16

 

INTITULÉ :

SANDRA MILENA LOZANO MOLINA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Richard Addinall

Pour la demanderesse

 

Julian Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard M. Addinall

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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