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Date : 20160902


Dossier : IMM-3172-15

Référence : 2016 CF 1002

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

RIYADH BASHEER BADRIYAH

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le défendeur, Riyad Basheer Badriyah, ainsi que son épouse, Vivian Behnam S. Haboush, et deux (2) enfants adultes, Fara Riyadh Ba Badriyah et Rasha Riadh Bas Badria, sont citoyens de l’Iraq. Le 1er juin 2015, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils étaient des réfugiés au sens de la Convention en raison de leur foi chrétienne, de la situation sécuritaire en Iraq et de la menace que représentait pour eux l’État islamique (EI). La SPR a également conclu que les trois (3) demanderesses d’asile faisaient face à un risque supplémentaire en tant que chrétiennes en Iraq.

[2]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), conteste la décision de la SPR en invoquant deux (2) motifs. Tout d’abord, la SPR a commis une erreur en omettant de notifier à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) que M. Badriyah pourrait être interdit de territoire au Canada en raison de son poste supérieur dans l’armée iraquienne. Ensuite, même s’il y avait des preuves du service volontaire de M. Badriyah dans l’armée iraquienne pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq, la SPR n’a pas procédé à une analyse appropriée pour déterminer si M. Badriyah aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, R.T. Can. 1969 no 6 (la Convention relative aux réfugiés).

[3]               Bien que la demande de contrôle judiciaire ait initialement été dirigée contre M. Badriyah, son épouse et ses deux (2) filles, le ministre ne conteste plus la décision de la SPR qui a conclu que les demanderesses d’asile étaient des réfugiées au sens de la Convention. Par conséquent, cette décision ne concerne que M. Badriyah. L’intitulé de la cause doit être modifié de sorte à retirer Vivian Behnam S. Haboush, Fara Riyadh Ba Badriyah et Rasha Riadh Bas Badria du dossier.

[4]               Pour les motifs établis ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.                   Contexte

[5]               Le 8 août 2014, à son entrée au Canada, M. Badriyah a déposé une demande d’asile. Il a été interrogé par un agent de l’ASFC et a fourni des renseignements sur ses états de service antérieurs au sein de l’armée iraquienne. La transcription de l’entrevue et les notes de l’agent de l’ASFC révèlent que M. Badriyah a joint l’armée iraquienne en 1973 et étudié en Union soviétique pendant trois (3) ans pour devenir technicien-radariste. En 1976, il est retourné en Iraq et a travaillé comme technicien-radariste dans l’unité des radars des marines. Il a servi pendant la guerre Iran-Iraq et pendant le combat actif, mais n’a jamais été près des combats. Son travail consistait à surveiller le radar lorsque les bateaux étaient à terre. Il a été promu au rang de lieutenant en 1985. En 1986, M. Badriyah a été transféré dans une école de la marine et a commencé à enseigner les communications. Le 6 janvier 1989, il a été promu au rang de colonel. Une fois la guerre Iran-Iraq terminée et quatre (4) jours après avoir été promu, M. Badriyah a été dégagé de ses obligations militaires.

[6]               Après avoir interrogé M. Badriyah, l’agent de l’ASFC a renvoyé le dossier à la Section des crimes de guerre de l’ASFC pour un examen plus approfondi et a recommandé que la SPR se saisisse de l’affaire de M. Badriyah. Le représentant du ministre a souscrit à la recommandation.

[7]               Le 26 août 2014, la SPR a émis à l’intention de M. Badriyah un avis de convocation à une audience fixée au 24 septembre 2014. Le même jour, la SPR a également envoyé un avis urgent au ministre en vertu de l’article 26 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles), indiquant qu’elle estimait que la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés pourrait s’appliquer à M. Badriyah étant donné qu’il avait [traduction] « travaillé pour l’armée iraquienne de 1979 à 1989 de façon volontaire » et que [traduction] « son formulaire IMM 5669 précise qu’il a atteint le grade de colonel dans l’armée iraquienne et qu’il a été professeur dans une école militaire ». L’avis précisait également que si la SPR n’avait pas de nouvelles du ministre dans les vingt (20) jours suivant la communication de l’avis, la SPR irait de l’avant avec l’instance le 24 septembre 2014. Bien que la case relative à l’exclusion éventuelle au titre de la section F de l’article premier ait été cochée sur l’avis au ministre, les autres cases n’étaient pas cochées, y compris celle sur l’interdiction de territoire.

[8]               Le 17 septembre 2014, M. Badriyah a été avisé que l’audience avait été reportée, car l’ASFC n’avait pas encore confirmé si le contrôle de sécurité était terminé.

[9]               Le 23 avril 2015, la SPR a avisé M. Badriyah que l’audience avait été reportée au 1er juin 2015. Après avoir entendu M. Badriyah, son épouse et ses deux (2) filles, le SPR a rendu sa décision oralement le même jour et a accueilli leur demande d’asile. Le ministre n’est pas intervenu devant la SPR.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Dans sa décision, la SPR a conclu que M. Badriyah, son épouse et ses deux (2) filles étaient des réfugiés au sens de la Convention parce qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés en Iraq compte tenu de leur profil en tant que chrétiens. La SPR a également conclu que les demanderesses d’asile faisaient face à un risque supplémentaire en tant que chrétiennes en Iraq.

[11]           La SPR a constaté que les quatre (4) demandeurs d’asile avaient vécu à Bagdad toute leur vie et qu’ils connaissaient un vif succès en Iraq en tant que professionnels éduqués et prospères. En ce qui concerne plus particulièrement M. Badriyah, la SPR a noté qu’il avait été dans l’armée iraquienne et qu’il avait atteint le grade de colonel avant de prendre sa retraite en 1989. Il a ensuite eu un cabinet immobilier florissant à Bagdad.

[12]           La SPR a ensuite donné un aperçu des événements qui ont amené M. Badriyah et sa famille à revendiquer le statut de réfugié au Canada, à savoir qu’ils étaient venus aux États-Unis en juillet 2014 pour assister à une conférence sur l’Église catholique syrienne en Floride. Peu de temps après leur arrivée, les membres de leur famille en Iraq les ont exhortés à ne pas revenir parce qu’ils craignaient qu’ils soient persécutés par l’État islamique en raison de leur foi chrétienne et parce que la situation en Iraq s’était rapidement détériorée. Compte tenu de ces renseignements, ils ont décidé de demander l’asile au Canada.

[13]           Après avoir conclu que les quatre (4) demandeurs d’asile étaient crédibles, la SPR a examiné les antécédents militaires de M. Badriyah comme suit : [traduction]

Je voudrais aborder brièvement le dossier militaire du père, car ce point me préoccupait. Je remarque toutefois qu’il a été longuement interrogé sur ses antécédents militaires au moment de déposer sa demande au point d’entrée et que l’affaire avait effectivement été renvoyée à la Section des crimes de guerre de l’ASFC et que cela n’avait rien donné. J’en déduis donc que cette Section n’a rien trouvé d’inquiétant et je vais aller de l’avant en tenant pour acquis qu’il était membre du bataillon des radaristes comme il l’a affirmé et qu’il n’avait à aucun moment participé activement aux combats durant la guerre Iran-Iraq.

[14]           S’appuyant sur le cartable national de documentation, la SPR a conclu que la preuve de la persécution des chrétiens en Iraq [traduction] « donnait matière à réflexion et était importante » et a conclu que M. Badriyah et sa famille craignaient avec raison d’être persécutés en Iraq. La SPR a également conclu qu’aucune protection de l’État n’était offerte et qu’il n’y avait pas de possibilité de refuge intérieur.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[15]           J’ai examiné les deux questions soulevées par le demandeur d’asile. À mon avis, la question déterminante en l’espèce est de savoir si la SPR n’a pas procédé à une analyse appropriée de la question de savoir si M. Badriyah aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative aux réfugiés. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui doit être assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Ndikumasabo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 955, au paragraphe 25 [Ndikumasabo], Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Nwobi, 2014 CF 520, au paragraphe 4 [Nwobi]).

[16]           Au moment d’examiner la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable, je dois me pencher sur la question de savoir si la décision est justifiable, intelligible et transparente et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.             Analyse

[17]           Le ministre soutient que la SPR avait le devoir d’enquêter sur les motifs possibles d’exclusion, indépendamment de l’intervention ministérielle. Bien que le dossier comportait des éléments de preuve relatifs au service volontaire de M. Badriyah dans l’armée iraquienne pendant la guerre Iran-Iraq, la SPR n’a pas appliqué le cadre énoncé dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola] et n’a pas évalué pleinement le service militaire de M. Badriyah.

[18]           M. Badriyah soutient que le dossier montre que la SPR a effectué une évaluation indépendante des motifs possibles d’exclusion conformément au cadre énoncé dans l’arrêt Ezokola et il s’appuie sur les arguments suivants pour étayer son observation. Premièrement, dans ses motifs de décision, la SPR a noté que les antécédents militaires de M. Badriyah étaient préoccupants au début. En réponse à cette préoccupation, la SPR a soupesé les éléments de preuve et est parvenue à une conclusion indépendante sur la question de l’exclusion. Deuxièmement, l’avis au ministre, conformément à l’article 26 des Règles de la SPR, démontre également l’engagement de la SPR sur la question de l’exclusion. Troisièmement, contrairement à ce qu’affirme le ministre, il ressort de la décision que d’autres éléments de preuve ont contribué à la conclusion de la SPR sur l’exclusion. Lorsque la SPR a fait remarquer que l’agent de l’ASFC avait longuement interrogé M. Badriyah au sujet de ses antécédents militaires et que le dossier avait été renvoyé à la Section des crimes de guerre de l’ASFC, elle faisait référence à la transcription de l’entrevue au point d’entrée de M. Badriyah et aux notes de l’agent de l’ASFC. La SPR a également invoqué le témoignage de M. Badriyah au sujet de son dossier militaire, qui a été jugé [traduction] « extrêmement crédible ».

[19]           M. Badriyah soutient également que, bien que l’arrêt Ezokola énonce une liste de critères à prendre en considération au moment de trancher sur la question de l’exclusion, les critères ne servent qu’à titre indicatif. Le dossier dont disposait la SPR contenait suffisamment de renseignements pour justifier une analyse appropriée de l’exclusion et la décision de la SPR sur cette question. La SPR n’était pas tenue de décrire précisément comment les critères de l’arrêt Ezokola ont été appliqués aux faits de l’affaire.

[20]           M. Badriyah soutient en outre qu’il était raisonnable que la SPR déduise de l’absence de réponse du ministre en vertu de l’avis prévu à l’article 26 des Règles de la SPR, ainsi que des conclusions quant à l’admissibilité et de l’octroi d’une habilitation de sécurité, que le ministre n’avait aucune inquiétude au sujet de l’exclusion.

[21]           À l’audience, M. Badriyah a soutenu que la SPR n’était pas tenue de mener une analyse complète et approfondie de la question de l’exclusion chaque fois qu’un demandeur avait fait partie de l’armée iraquienne. Un seuil doit être établi pour que la SPR puisse entreprendre une analyse relative à l’exclusion. Bien que la SPR ait signalé que l’exclusion était préoccupante, il était raisonnable pour la SPR de ne pas effectuer d’analyse complète sur la question de l’exclusion compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait.

[22]           Bien que je sois d’accord avec le défendeur que la SPR a examiné la possibilité d’exclusion, je conclus néanmoins que la SPR n’a pas procédé à une analyse appropriée de la question de l’exclusion prévue à l’article 98 de la LIPR et à l’alinéa 1Fa) de la Convention relative aux réfugiés.

[23]           Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’objet des dispositions d’exclusion prévues à la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés. Elle a souligné la « grande » portée de l’obligation de protéger les réfugiés qui découle de la Convention relative aux réfugiés et la nécessité pour cette dernière de protéger « l’intégrité de la protection internationale accordée aux réfugiés en empêchant l’auteur d’un crime contre la paix, d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité de tirer avantage du régime de protection » (Ezokola, aux paragraphes 32 à 36).

[24]           Reconnaissant que l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés ne fait pas de distinction entre l’auteur principal et l’auteur secondaire et que différents modes de participation à un crime international peuvent écarter la protection d’une personne à titre de réfugié, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur le degré de connaissance d’une activité criminelle et de participation à celle‑ci qui justifiait le refus à l’acteur secondaire de la protection accordée aux réfugiés (Ezokola, paragraphes 1 à 4). Elle a conclu que pour qu’une personne soit exclue de la protection des réfugiés suivant l’alinéa 1Fa) de la Convention relative aux réfugiés pour cause de complicité dans la perpétration de crimes internationaux, il faut qu’il « existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel du groupe qui les aurait commis » (Ezokola, au paragraphe 29).

[25]           La Cour suprême du Canada, au paragraphe 91 de l’arrêt Ezokola, a établi une liste de facteurs qui permettent de baliser l’analyse visant à déterminer si une personne « a ou non volontairement apporté une contribution significative et consciente » à un crime ou à un dessein criminel :

(i)          la taille et la nature de l’organisation;

(ii)         la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

(iii)        les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(iv)        le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(v)         la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel); et

(vi)        le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

[26]           La SPR a été chargée de veiller à ce que le Canada respecte ses obligations aux termes de la Convention relative aux réfugiés en n’accordant pas l’asile à des individus dont on a des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis un crime contre l’humanité ou qu’ils se sont rendus coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ahmed, 2015 CF 1288, au paragraphe 10 [Ahmed], Nwobi, au paragraphe 19). Pour cette raison, la SPR est tenue de décider si l’article 98 de la LIPR s’applique à un demandeur, que le ministre choisisse ou non d’intervenir (Ahmed au paragraphe 11, Nwobi, aux paragraphes 18 et 19, Opina Velasquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 273, au paragraphe 15).

[27]           Je suis d’accord avec l’affirmation de M. Badriyah selon laquelle la SPR n’est pas tenue de décrire précisément comment les facteurs de l’arrêt Ezokola ont été appliqués aux faits de l’affaire et qu’il suffit que les conclusions factuelles appuient raisonnablement la conclusion d’un décideur. Cependant, en l’espèce, le dossier montre que la SPR n’a mené qu’un examen sommaire du service militaire de M. Badriyah et qu’elle n’a pas évalué de façon adéquate s’il avait « volontairement contribué de manière significative et consciente » aux crimes de guerre ou aux crimes contre l’humanité commis durant la guerre Iran-Iraq, selon les éléments clés et les facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola.

[28]           Le dossier montre que la question des antécédents militaires de M. Badriyah posait problème dès le début, à savoir lorsque M. Badriyah a demandé l’asile. Elle a d’abord été soulevée lorsque l’agent de l’ASFC a consulté la Section des crimes de guerre de l’ASFC le 8 août 2014. Ensuite, lorsqu’elle a été saisie de la question, la SPR a envoyé un avis urgent au ministre en vertu de l’article 26 des Règles de la SPR qui indiquait qu’elle estimait que la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés pouvait s’appliquer à la demande de M. Badriyah. Même lorsque l’audience a eu lieu devant la SPR, le passé militaire de M. Badriyah demeurait préoccupant, comme l’a noté la SPR dans sa décision. Malgré ces réserves, la SPR n’a pas procédé à un examen complet et détaillé des antécédents militaires de M. Badriyah au cours de l’audience. L’étendue de l’examen mené par la SPR sur la question se limite à l’échange suivant : [traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Quel était votre grade lorsque vous êtes parti à la retraite?

DEMANDEUR D’ASILE : J’étais colonel.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Vous étiez quoi?

DEMANDEUR D’ASILE : Colonel.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Colonel?

DEMANDEUR D’ASILE : Colonel, oui, colonel.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Avez-vous déjà été impliqué dans des violations des droits de la personne contre des citoyens d’Iran ou d’Iraq?

DEMANDEUR D’ASILE : Mon travail consistait juste à maintenir l’ordre et la marine.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Pardon?

DEMANDEUR D’ASILE : Mon travail consistait juste à maintenir (inaudible) dans la marine.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Où étiez-vous donc en poste?

DEMANDEUR D’ASILE : À trois endroits uniquement – Basra, Umm Qasr et Fallujah. Et nous nous déplacions en fonction des besoins dans les trois endroits que je viens de mentionner.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Avez-vous déjà assisté à des combats?

DEMANDEUR D’ASILE : Non. Notre mission était sur le terrain, maintenant c’est une base. C’est une base navale.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Où se trouve votre carte de rationnement?

DEMANDEUR D’ASILE : Elle doit être là. Ah oui, vous parlez du rationnement alimentaire, n’est-ce pas?

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Oui.

DEMANDEUR D’ASILE : Je crois que je ne l’ai pas apportée. Je dois avoir en avoir une copie ici. Nous n’en avions pas besoin pour quitter Bagdad.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : En aviez-vous une à Bagdad?

DEMANDEUR D’ASILE : Oui. Oui, j’en avais une – ils ont délivré une carte pour deux ans, je l’ai eue pour 2014 et 2015.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Et cela date de l’époque où vous étiez à Bagdad?

DEMANDEUR D’ASILE : Oui, lorsque j’étais à Bagdad.

[29]           À mon avis, les questions posées par la SPR n’étaient manifestement pas suffisantes pour évaluer adéquatement si M. Badriyah avait « volontairement contribué de manière significative et consciente » à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité, ce qui l’exclurait de la protection des réfugiés en vertu de l’alinéa 1Fa) Convention relative aux réfugiés. La SPR aurait dû se livrer à un interrogatoire plus détaillé de M. Badriyah.

[30]           De plus, je suis en désaccord avec l’affirmation de M. Badriyah selon laquelle la SPR disposait de renseignements suffisants pour évaluer les motifs possibles d’exclusion en se fondant sur les notes de l’agent de l’ASFC et la transcription de l’entrevue de M. Badriyah le 8 août 2014. Bien que j’accepte que ces documents fournissent généralement des renseignements sur certains des critères de l’arrêt Ezokola, ces documents ne contiennent pas suffisamment de renseignements pour établir la contribution potentielle de M. Badriyah à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité et déterminer s’il avait volontairement contribué de manière significative et consciente à de tels crimes.

[31]           En décrivant ses activités dans l’armée iraquienne à l’agent de l’ASFC, M. Badriyah a expliqué que ses fonctions étaient les suivantes : [traduction] « s’occuper du [r]adar », « travailler avec le radar, c’était tout ce que j’avais à faire », « nous surveillons le radar et nous en sommes responsables », « le radar recherche différentes choses, mais moi, j’étais le technicien ». La seule explication fournie concernant l’utilisation réelle du radar était qu’il [traduction] « recherchait des choses ». Malgré ces réponses vagues, la SPR n’a pas posé de questions qui auraient pu permettre de mieux comprendre avec exactitude les tâches de M. Badriyah, ses devoirs et sa contribution concrète à l’armée iraquienne. La SPR n’a pas posé à M. Badriyah de questions sur les raisons pour lesquelles il avait joint l’armée, la taille et la nature de l’unité à laquelle il appartenait, sa position hiérarchique au sein de la marine ou des marines, son interaction avec le reste de l’armée iraquienne, l’endroit où il avait été affecté et pour combien de temps, le grade qu’il a occupé pendant ces périodes, le contenu des cours qu’il a enseignés et à qui il a enseigné ces cours, s’il avait eu connaissance de l’utilisation d’armes chimiques et s’il avait demandé à quitter l’armée avant son départ à la retraite en 1989, par exemple.

[32]           De plus, lorsque l’agent de l’ASFC a demandé à M. Badriyah s’il était au courant des crimes de guerre qui ont eu lieu pendant la guerre entre l’Iraq et l’Iran, il a répondu : [traduction] « Nous sommes loin de cela. Je n’ai jamais pris part à la guerre comme telle. » Lorsque la SPR lui a demandé s’il avait déjà été impliqué dans des violations des droits de la personne contre des citoyens d’Iran ou d’Iraq, M. Badriyah a répondu que son travail consistait à [traduction] « maintenir l’ordre et la marine ». Non seulement la SPR n’a pas remis en question ce qu’il voulait dire par [traduction] « maintenir l’ordre et la marine », mais la SPR n’a pas non plus cherché à obtenir une réponse claire à la question de savoir s’il avait été impliqué dans des violations des droits de la personne.

[33]           En outre, en s’appuyant sur l’affirmation de M. Badriyah selon laquelle il n’était pas impliqué dans des combats armés pour déterminer s’il devait ou non être exclu, la SPR a omis de considérer qu’un demandeur pouvait avoir « volontairement contribué de manière significative et consciente » à un crime prévu à la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés sans avoir pris part à des combats armés directs. La SPR a négligé la jurisprudence qui établit qu’il n’est pas nécessaire d’être physiquement présent sur les lieux où les crimes sont commis pour être tenu responsable en raison d’une contribution volontaire (Ezokola, au paragraphe 77, Ndikumasabo, au paragraphe 31).

[34]           En résumé, je conclus que le fait que la SPR n’a pas enquêté, examiné et évalué les éléments clés du critère de la complicité axé sur la contribution énoncé dans l’arrêt Ezokola constitue une erreur susceptible de révision qui entache la conclusion ultime de la SPR selon laquelle M. Badriyah est un réfugié au sens de la Convention. Ainsi, la décision de la SPR à l’égard de M. Badriyah est déraisonnable, car elle ne possède pas les qualités de justification, de transparence et d’intelligibilité nécessaires.

[35]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision conformément aux présents motifs. Par souci de clarté, je répète que cette décision ne concerne que M. Badriyah, puisque le ministre n’a pas contesté la conclusion de la SPR concernant les trois (3) demanderesses d’asile.

[36]           Les parties n’ont proposé aucune question certifiée au cours de la présente procédure.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision conformément aux présents motifs.

2.      L’intitulé de la cause est modifié de sorte à retirer Vivian Behnam S. Haboush, Fara Riyadh Ba Badriyah et Rasha Riadh Bas Badria du dossier en tant que défenderesses.

3.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3172-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. RIYADH BASHEER BADRIYAH

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 2 SEPTEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

David Knapp

Pour le demandeur

Lorne Waldman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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