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Date : 20160912


Dossier : IMM-938-16

Référence : 2016 CF 1036

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

HAMDI LETAIF

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur Hamdi Letaif, le demandeur, est un citoyen tunisien qui a fait une demande pour être déclaré réfugié ou personne ayant besoin de protection aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR]. Cette demande a été déclarée abandonnée selon ce qui est permis à l’article 168 de cette loi. Il demande que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de cette loi.

[2]               Il n’y a devant cette Cour qu’une seule question à laquelle il faut donner une réponse. Les questions de désistement aux termes de l’article 168 font l’objet d’une norme de contrôle dite de la décision raisonnable. La jurisprudence de cette Cour est à cet effet (Ndomba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 189; Csikos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 632; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 224). Il en résulte que cette Cour ne saurait intervenir uniquement parce qu’elle aurait exercé sa juridiction discrétionnaire autrement que ce qu’a fait le tribunal administratif. La décision qui a les apanages de la raisonnabilité, selon le paragraphe 47 de Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], sera à l’abri d’un contrôle judiciaire. Ces apanages ont été décrits ainsi au paragraphe 47 : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

I.                   Les faits

[3]               Les faits dans cette affaire sont fort simples. Le demandeur, maintenant âgé de 27 ans, aura obtenu un visa d’étudiant pour venir au Canada. Le visa, demandé le 29 août 2012 et accordé le 10 septembre 2012, a été immédiatement utilisé par le demandeur puisqu’il arrivait de sa Tunisie natale le 17 septembre 2012 afin d’étudier à Montréal. Par ailleurs, le visa expirait le 30 juin 2013.

[4]               Le dossier ne révèle pas quel est le statut actuel du demandeur. On sait cependant qu’il a fait une demande de réfugié le 10 décembre 2015 et que celle-ci devait être entendue le 4 février 2016. Selon le formulaire intitulé « Fondement de la demande d’asile » il semble que le demandeur fonde sa demande d’asile sur le fait qu’il s’accommode mal du mode de vie qui aurait existé en Tunisie en 2012, lui qui préfère le mode de vie associé à l’occident. Or, ce 4 février 2016 le demandeur ne se présentait pas à l’audience qui avait été convoquée devant la Section de la protection des réfugiés [SPR]. L’avocat du demandeur y était.

[5]               De la transcription de l’audience du 4 février, on apprend que l’avocat du demandeur a indiqué à l’audience que son client était malade. Il aurait été prévenu par son avocat qu’il devait se procurer un rapport médical expliquant les malaises auxquels il était confronté.

[6]               A donc été convoquée une audience spéciale pour permettre au demandeur d’asile d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé étant donné son absence à l’audience convoquée pour entendre la demande d’asile. Cette audience spéciale a eu lieu six jours plus tard, le 10 février 2016. Encore ici, est disponible la transcription de l’audience où le demandeur a tenté, tant bien que mal, de donner une explication. Il a indiqué avoir tenté de consulter un médecin le 4 février, se présentant à une clinique à 10h00 (l’audience devant la SPR était prévue pour 8h15 le 4 février). Aucun certificat médical n’a été obtenu alors que le demandeur disait souffrir de vomissements et d’un état dépressif. Il a même indiqué qu’un médicament contre la douleur lui avait été prescrit; lorsque le SPR a souligné qu’un tel médicament ne pouvait contrer un état dépressif ou des vomissements, le demandeur a alors précisé qu’il souffrait aussi de maux d’estomac. Ni le demandeur, ni son avocat n’ont suggéré à l’audience du 10 février qu’ils étaient prêts à commencer les procédures. À l’audience du contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur a indiqué que cela était compris, ou aurait dû être compris.

[7]               La commissaire de la SPR, dans une courte décision à l’audience, n’a pas accepté les explications du demandeur. S’appuyant sur l’article 65 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles], elle notait que le paragraphe 5 de l’article 65 stipule que si le demandeur d’asile invoque des raisons médicales il doit fournir un certificat attestant de sa condition. Si un certificat n’est pas fourni, le paragraphe 7 exige des précisions sur l’état de santé. Or, la commissaire en vient à la conclusion que ces précisions n’étaient pas au rendez-vous.

[8]               Quant à l’état dépressif du demandeur, la commissaire constate l’absence d’évaluation psychologique ou même d’une forme de certificat médical. Finalement, elle indique que le demandeur n’aurait déposé aucun document à l’appui de sa demande d’asile. Le cumul de ces considérations fait en sorte que la commissaire conclut au désistement.

II.                Position des parties

[9]               Le demandeur attaque par voie de demande de contrôle judiciaire la décision du 10 février 2016. Je précise que ce demandeur a fait une demande de réouverture de sa demande d’asile, demande de réouverture qui a été rejetée par une décision du 6 avril 2016. Cependant, cette décision n’est pas contestée devant cette Cour dans le présent dossier.

[10]           L’argument du demandeur est de prétendre que la SPR a commis une erreur. On prétend que la SPR n’a pas expliqué comment elle est arrivée à cette conclusion étant donné que le demandeur voulait poursuivre sa demande d’asile. Il me semble que s’il est juste de prétendre que la présence du demandeur à l’audience spéciale du 10 février manifestait une intention de poursuivre sa demande d’asile, je n’ai pu trouver dans la transcription aucune indication qu’il demandait, ou que son avocat demandait, que l’audience sur la demande d’asile ait lieu dès ce moment.

[11]           Le demandeur insiste que le désistement doit résulter de la conduite d’un demandeur qui constitue une expression de cette personne de son intention de ne pas poursuivre sa demande avec diligence. Puisque la SPR n’aurait pas pris en considération les efforts faits par le demandeur pour obtenir un certificat médical il y aurait erreur donnant ouverture à contrôle judiciaire.

[12]           Le ministre plaide évidemment que la décision est raisonnable. Puisque la SPR a considéré adéquatement les facteurs prévus à l’article 65 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, et n’ayant pas accepté les explications qui ont été présentées, l’une des issues possibles acceptables étaient le désistement de la demande d’asile. C’est à la SPR que revient la tâche de déterminer de la valeur probante de tout élément de preuve. Le simple désaccord avec la conclusion tirée par la SPR ne constitue pas une base pour conclure que la décision n’est pas raisonnable.

III.             Analyse

[13]           La SPR peut, en vertu de la loi, prononcer un désistement. Ici, c’est le paragraphe 168(1) de la LIPR qui doit être appliqué. Il se lit :

Désistement

Abandonment of proceeding

168 (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168 (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

[14]           Des règlements ont été adoptés qui encadrent la discrétion conférée par l’article 168 de la LIPR. Les Règles de la Section de la protection des réfugiés sont ces règlements. C’est le paragraphe 65(1) des Règles qui introduit le sujet :

Désistement

Abandonment

Possibilité de s’expliquer

Opportunity to explain

65 (1) Lorsqu’elle détermine si elle prononce ou non le désistement d’une demande d’asile aux termes du paragraphe 168(1) de la Loi, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé :

65 (1) In determining whether a claim has been abandoned under subsection 168(1) of the Act, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned,

a) sur-le-champ, dans le cas où le demandeur d’asile est présent à la procédure et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the proceeding and the Division considers that it is fair to do so; or

b) au cours d’une audience spéciale, dans tout autre cas.

(b) in any other case, by way of a special hearing.

Le règlement prévoit que cette audience spéciale doit être tenue de façon expéditive (règle 65(3)). Les Règles prévoient aussi ce que la SPR doit considérer dans sa décision :

Éléments à considérer

Factors to consider

(4) Pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la Section prend en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent, notamment le fait qu’il est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.

(4) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanation given by the claimant and any other relevant factors, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

[15]           En notre espèce, le demandeur a invoqué les raisons médicales et les Règles en traitent :

Raisons médicales

Medical reasons

(5) Si l’explication du demandeur d’asile comporte des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, le demandeur d’asile transmet avec l’explication un certificat médical original, récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier.

(5) If the claimant’s explanation includes medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the explanation, the original of a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate.

[16]           Je note au passage le caractère particulièrement impératif de transmettre un certificat médical dans la version anglaise de la règle (« they must provide »).

[17]           Enfin, c’est le paragraphe 7 de la règle 65 qui trouve application dans les cas où un certificat médical n’est pas produit. Le paragraphe se lit de la façon suivante :

Défaut de transmettre un certificat médical

Failure to provide medical certificate

(7) À défaut de transmettre un certificat médical, conformément aux paragraphes (5) et (6), le demandeur d’asile inclut dans son explication :

(7) If a claimant fails to provide a medical certificate in accordance with subrules (5) and (6), the claimant must include in their explanation

a) des précisions quant aux efforts qu’il a faits pour obtenir le certificat médical requis ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(a) particulars of any efforts they made to obtain the required medical certificate, supported by corroborating evidence;

b) des précisions quant aux raisons médicales incluses dans l’explication ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(b) particulars of the medical reasons included in the explanation, supported by corroborating evidence; and

c) une explication de la raison pour laquelle la situation médicale l’a empêché de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile.

(c) an explanation of how the medical condition prevented them from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim or otherwise pursuing their claim, as the case may be.

Comme on l’aura vu de la transcription de l’audience du 10 février 2016 la SPR n’a pas accepté l’explication qui a été donnée. On peut comprendre pourquoi. Le demandeur n’a pas été à même d’expliquer pourquoi il pouvait tenter de communiquer avec un médecin le 4 février, le jour de l’audience, mais ne pouvait pas se présenter à son audience pour obtenir le statut de réfugié. Il n’est pas clair non plus pourquoi la visite chez un médecin ne pouvait pas avoir eu lieu avant le 4 février 2016. Je n’ai pu déceler dans la transcription une indication que le demandeur voulait procéder à l’audience sur sa demande de réfugié dès le 10 février. Son avocat n’en a pas fait la demande et la commissaire a noté qu’aucune documentation ne semblait se trouver au dossier. Les problèmes médicaux dont serait affligé le demandeur ne sont appuyés d’aucune preuve sérieuse. De fait, son explication de ses problèmes médicaux semble évoluer au cours de l’audience.

[18]           Mon collègue le juge Leblanc a, me semble-t-il, bien capturé en quoi consiste la question à trancher lorsque l’article 168 de la LIPR est appliqué. Il écrit ceci au paragraphe 36 de sa décision dans Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 882 :

[36]      En interprétant le paragraphe 168(1) de la Loi, la Cour a constamment statué qu’en matière de désistement, la principale question à trancher est celle de savoir si la conduite du demandeur exprime l’intention de poursuivre la demande d’asile avec diligence (Csikos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 632, au paragraphe 25).

Ainsi, c’est la conduite du demandeur qui fait l’objet d’un examen.

[19]           En notre espèce, c’est de l’examen de cette conduite dont il est question; la commissaire a conclu que cette conduite n’exprimait pas l’intention de poursuivre la demande étant donné que le demandeur n’a pas fourni une explication crédible des difficultés de santé qui l’auraient empêché de procéder de façon diligente (cela inclut l’absence d’un certificat médical ou de quelque attestation d’une évaluation psychologique) et qu’il n’aurait déposé aucun document à l’appui de sa demande d’asile. De fait, l’avocat du demandeur a indiqué dès la séance du 4 février 2016 cette difficulté à communiquer avec son client pour la préparation de la demande d’audience.

[20]           Le fardeau qui résidait sur les épaules du demandeur était de démontrer que cette décision du commissaire n’était pas raisonnable, au sens du paragraphe 47 de la décision dans Dunsmuir. Plutôt que de s’attacher à démontrer l’absence de raisonnabilité, le demandeur a plutôt tenté d’alléguer une erreur. La norme de contrôle en ces matières n’est pas celle de la décision correcte, où, par exemple, la Cour pourrait avoir une perception différente de l’affaire et pourrait ainsi renverser la décision du tribunal administratif. Là n’est pas le rôle de cette Cour. Il est plutôt de voir si la conclusion est une des issues possibles acceptables. Le demandeur n’a pas fait la démonstration que ce n’était pas le cas, comme il en était tenu.

[21]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier aux termes de l’article 74 de la LIPR.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier aux termes de l’article 74 de la LIPR.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-938-16

 

INTITULÉ :

HAMDI LETAIF c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Anthony Karkar

 

Pour le demandeur

 

Me Thi My Dung Tran

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Anthony Karkar

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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