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Date : 20160909


Dossier : IMM-4479-15

Référence : 2016 CF 1023

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SHOGOUFEH AMIRYAR

AHMAD RAMIN SHIRZAD

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs, Mme Amiryar et M. Shirzad, sont des citoyens de l’Afghanistan qui prétendent s’être mariés en 2014 sans l’approbation de la famille de Mme Amiryar. Ils ont alors fui l’Afghanistan, car ils craignaient d’être tués par la famille de Mme Amiryar. Ils ont demandé l’asile dès leur arrivée au Canada en septembre 2014.

[2]                Dans l’avis d’intention d’intervention que le ministre de la Sécurité publique a transmis à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) il a invoqué ses préoccupations concernant l’identité et la crédibilité. Dans un ajout à l’avis, le ministre a conclu que les demandeurs avaient fourni une preuve d’identité suffisante, mais que leurs demandes devraient être rejetées en raison des préoccupations concernant leur crédibilité.

[3]               La demande des demandeurs a été entendue en mars 2015. Au début de l’audience, les demandeurs ont apporté plusieurs modifications aux dates des événements indiquées dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile (FDA). Les changements portaient notamment sur la date à laquelle ils avaient soumis leurs demandes de passeports avant de fuir l’Afghanistan, la date de leur mariage et la date de leur fuite d’Afghanistan. Les nouvelles dates indiquées par les demandeurs ne correspondaient plus aux principaux éléments de la preuve documentaire qu’ils avaient présentée pour étayer leur demande, y compris leur certificat de mariage.

[4]               En avril 2015, la SPR a rejeté la demande au motif que le témoignage des demandeurs n’était pas crédible, compte tenu de leurs allégations initiales, et ne correspondait pas aux éléments de preuve documentaire qu’ils avaient présentés à la SPR.

[5]               Mme Amiryar et M. Shirzad ont interjeté appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (SAR). La SAR a examiné les conclusions de la SPR concernant la crédibilité et a conclu que certaines d’entre elles étaient erronées. Cependant, elle a souscrit à d’autres conclusions défavorables concernant la crédibilité, estimant que celles-ci sont de première importance pour les allégations des demandeurs et, en conséquence, qu’elles pouvaient appuyer la conclusion générale que les demandeurs n’étaient pas crédibles. La SAR a rejeté l’appel.

[6]               Aux présentes, les demandeurs réclament l’annulation de la décision de la SAR et le renvoi de l’affaire à un tribunal constitué différemment à des fins de réexamen. Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en rejetant l’appel sans tenir compte de l’effet cumulatif des conclusions erronées de la SPR concernant la crédibilité et en tirant une conclusion défavorable des modifications apportées par les demandeurs à leurs formulaires FDA. Ils allèguent également que la SAR a erré en interprétant de façon erronée les éléments de preuve qui avaient été fournis, en les interprétant mal et en les ignorant lorsqu’elle a tiré des conclusions défavorables relativement à la crédibilité, ainsi qu’en n’accordant pas de valeur probante aux aspects des documents qui confirmaient la demande. Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en faisant fi de leurs allégations concernant les aspects de la persécution fondés sur l’appartenance sexuelle.

[7]               La présente demande soulève les questions suivantes :

A.                 Est-ce que la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité?

B.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en abordant la question de la preuve documentaire soumise par les demandeurs?

C.                 Est-ce que la SAR a commis une erreur en n’appliquant pas de manière significative les Directives de la présidente concernant la persécution fondée sur le sexe?

[8]               Ayant examiné les observations orales et écrites des demandeurs, je conclus que la SAR a raisonnablement décidé que les témoignages des demandeurs n’étaient pas crédibles. La SAR n’a donc commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant l’appel. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                Norme de contrôle

[9]               Les cas où diverses conclusions raisonnables s’offrent au décideur ou impliquent des questions de faits ou des questions mixtes de faits et de droit doivent être examinés selon la norme du caractère raisonnable (Ngandu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 423, au paragraphe 12). Une allégation de manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable (Juste c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 670, au paragraphe 23, et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 126 et 129 [Dunsmuir]).

[10]           Les demandeurs soutiennent, qu’en interprétant de façon erronée et en ignorant les éléments de preuve, la SAR n’a pas respecté les principes de l’équité procédurale. Je ne suis pas convaincu. Dans leurs arguments concernant le traitement par le SAR des documents en cause, les demandeurs : 1) estiment que la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires; 2) contestent les conclusions concernant la valeur probante; 3) allèguent que la SAR a procédé à une analyse microscopique des éléments de preuve. Il ne s’agit pas en l’instance d’un cas où la SAR a refusé d’évaluer les documents en cause, les a ignorés ou ne les a pas pris en considération. Au contraire, les questions soulevées portent sur l’exercice du pouvoir et sont des questions mixtes de faits et de droit qui doivent être examinées selon la norme du caractère raisonnable.

[11]           La norme de contrôle appliquée au moment d’examiner toutes les questions soulevées dans la présente instance est la norme du caractère raisonnable.

III.             Analyse

A.                Est-ce que la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité?

[12]           Les demandeurs allèguent que la SAR a erré en tirant une conclusion défavorable des modifications tardives qui ont été apportées au formulaire FDA et en ne prenant pas en considération l’effet cumulatif des erreurs qui ont été relevées dans la décision de la SPR. Ils soutiennent que la crédibilité ne devrait pas être contestée en se fondant sur des modifications apportées à un formulaire FDA qui peuvent être expliquées de manière raisonnable et plausible.

[13]           Ils soulignent également les trois conclusions défavorables concernant la crédibilité rendues par la SPR qui, de l’avis de la SAR, ne reposaient pas sur un fondement probant. Ils ajoutent que la SAR a erré en ne tenant pas compte de l’effet cumulatif de ces erreurs sur la décision finale.

[14]           Je n’ai pas été convaincu par l’un ou l’autre de ces arguments.

[15]           La SAR a procédé à une analyse détaillée de chacune des conclusions défavorables de la SPR concernant la crédibilité. Ce faisant, elle a éventuellement conclu que les demandeurs n’étaient pas des témoins crédibles, eu égard à des questions visant des aspects de première importance pour leur demande.

[16]           En ce qui concerne les modifications tardives apportées au formulaire FDA, la SAR a conclu tout comme la SPR que ces modifications avaient miné la crédibilité des demandeurs relativement aux dates réelles d’événements importants. En tirant cette conclusion, la SAR a examiné et pris en compte les explications avancées par les demandeurs relativement aux modifications tardives de leurs formulaires FDA. La SAR a également noté que les demandeurs n’avaient pas abordé les motifs invoqués par la SPR pour rejeter les explications qu’ils avaient données dans leur appel.

[17]           L’absence d’éléments importants dans l’exposé d’un demandeur ou d’une demanderesse qui ne sont pas inclus dans son formulaire FDA peut miner sa crédibilité. De même, quand des modifications sont apportées lorsque le processus est relativement avancé, particulièrement lorsque ces modifications touchent des éléments importants de l’exposé d’un demandeur, il est loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité (Zeferino c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456, au paragraphe 31). Dans la présente instance, la SAR a pris en considération les explications concernant les modifications tardives et elle a énoncé ses motifs pour conclure que ces explications n’étaient ni raisonnables ni plausibles. En particulier, elle a mentionné que [traduction] « …l’explication du demandeur voulant qu’il devait trouver un logement et que, par conséquent, il ne pouvait pas apporter à son formulaire FDA les modifications qui sont au cœur même de ses revendications sape sa crédulité ».

[18]           Les modifications qui ont été apportées aux formulaires FDA contribuent à miner davantage leur crédibilité. Le certificat de mariage qu’ils ont présenté, ainsi qu’un document de transfert de propriété, deux documents que la SAR a jugé crédibles et probants, indiquaient que les demandeurs s’étaient mariés en Afghanistan et qu’ils avaient fui à une date ultérieure à celle qui était alléguée dans l’exposé révisé. La SAR a relevé des divergences entre leur exposé, les documents qu’ils ont soumis pour étayer leur demande et le fait que, dans leurs observations à la SAR, ils n’avaient pas abordé les conclusions de la SPR à l’effet qu’ils n’avaient pas quitté l’Afghanistan à la date alléguée.

[19]           La SAR a conclu que ces [traduction] « problèmes de crédibilité importants » l’emportaient sur les erreurs commises par la SPR lorsqu’elle a tiré les conclusions mentionnées précédemment au sujet de la crédibilité. En rejetant ces conclusions, la SAR s’est arrêtée spécifiquement à l’effet sur l’évaluation globale de la crédibilité et, dans chaque cas, elle a conclu que l’erreur n’était pas fatale à la conclusion générale concernant la crédibilité. Cette approche correspondait parfaitement au rôle de la SAR, à savoir effectuer sa propre analyse du dossier.

[20]           Les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions finales étaient déraisonnables. Il existait un fondement probatoire suffisant sur lequel la SAR pouvait s’appuyer pour conclure que les demandeurs n’étaient pas crédibles. En tirant cette conclusion, la présomption de la véracité des éléments de preuve des demandeurs ne s’applique plus (Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1186, au paragraphe 11). Il était raisonnable pour la SAR de conclure que les sujets de première importance pour leur demande, notamment la date de leur mariage, la date à laquelle ils avaient fui et leur présumée relation prémaritale, ainsi que les allégations que Mme Amiryar avait eu des relations sexuelles avant le mariage, n’étaient pas crédibles.

B.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en abordant la question de la preuve documentaire soumise par les demandeurs?

[21]            Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en confirmant la conclusion de la SPR qu’une lettre et les rapports médicaux n’avaient aucune valeur probante en raison des préoccupations importantes concernant la crédibilité. Plus précisément, les demandeurs affirment que les éléments de preuve ont été ignorés, mal interprétés et analysés de manière microscopique.

[22]           Les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincu. Dans la présente instance, le décideur était en possession de documents et il les a examinés. C’est au cours de cet examen qu’il a constaté des divergences entre les éléments de l’exposé des demandeurs ou l’insuffisance de détails pour corroborer les allégations formulées. Ces lacunes et la conclusion que les demandeurs n’étaient pas crédibles, en ce qui concerne des sujets de première importance pour leur demande, ont mené à la conclusion que les documents n’avaient aucune valeur probante aux fins de la corroboration de leur exposé, une conclusion que la SAR pouvait raisonnablement tirer.

C.                 Est-ce que la SAR a commis une erreur en n’appliquant pas de manière significative les Directives de la présidente concernant la persécution fondée sur le sexe?

[23]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en ignorant les Directives de la présidente concernant la persécution fondée sur le sexe [Directives de la présidente] et en concluant que la SPR les avait prises en considération. Là encore, je ne partage pas leur avis. Rien ne permet de conclure que la SAR ou la SPR n’ont pas tenu compte des circonstances particulières des femmes en Afghanistan. Même si la décision de la SAR ne reflète pas la détresse des femmes en Afghanistan, celle-ci est ultimement fondée sur des préoccupations quant au caractère raisonnable et à la crédibilité fondamentale concernant les aspects importants de la demande des demandeurs. Les Directives de la présidente concernant la persécution fondée sur le sexe ne constituent pas une cure pour ces préoccupations concernant la crédibilité (Karanja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 5).

IV.             Conclusion

[24]           La SAR était saisie d’une question concernant la crédibilité et c’est sur ce motif que la demande a été rejetée. La SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[25]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4479-15

 

INTITULÉ :

SHOGOUFEH AMIRYAR, AHMAD RAMIN SHIRZAD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Djawid Taheri

Pour les demandeurs

 

Amy King

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Djawid Taheri

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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