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Date : 20160909


Dossier : IMM-533-16

Référence : 2016 CF 1024

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SANDRA PESTOVA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Sandra Pestova, est une citoyenne d’ethnicité rome de la République tchèque. Elle est arrivée au Canada en août 2014 pour visiter des parents et pour fuir la violence physique et psychologique que lui infligeait son ex-mari. Mme Pestova allègue que le harcèlement et la violence se sont poursuivis après son divorce, en 2011, et que son ex-mari a continué à la menacer même après son arrivée au Canada.

[2]               Elle a soumis une demande d’asile de l’intérieur au sens de la Convention en mars 2015 lorsque sa demande en vue de prolonger son visa de visiteur a été rejetée. Sa demande reposait sur sa crainte de préjudice de la part de son ex-mari. De plus, elle allègue qu’elle était victime de discrimination et de préjudice en République tchèque en raison de son ethnicité rome.

[3]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a entendu sa demande au cours de quatre séances distinctes. La SPR a finalement rejeté la demande. La SPR a jugé que Mme Pestova n’était pas vraiment crédible, car des renseignements importants ne figuraient pas sur son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), son témoignage devant la SPR était incohérent et elle avait tardé à soumettre sa demande. La SPR a également conclu que Mme Pestova n’avait pas démontré que sa situation personnelle était liée à la discrimination et à la persécution dont sont victimes certains Roms de la République tchèque.

[4]               En septembre 2015, Mme Pestova a interjeté appel de la conclusion de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a maintenu la décision de la SPR et a conclu que Mme Pestova n’avait pas présenté un témoignage crédible et digne de confiance concernant le risque de discrimination et de persécution auquel elle était exposée en République tchèque.

[5]               Mme Pestova demande à notre Cour d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer l’affaire aux fins de réexamen par un autre agent. Dans ses observations écrites, elle soulève un certain nombre de questions, dont plusieurs se rapportent à la décision de la SPR et non à celle de la SAR, laquelle fait l’objet du présent recours. Dans ses observations orales, l’avocat de Mme Pestova soutient que les conclusions de la SAR sur la crédibilité étaient déraisonnables et que celle-ci a commis une erreur en ne rattachant pas la situation personnelle de la demanderesse à la preuve documentaire concernant les conditions dans ce pays. Mme Pestova affirme également que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience de vive voix.

[6]               Les questions ci-après seront abordées lors de l’examen de la demande :

A.       Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité étaient-elles raisonnables?

B.        Est-ce que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ethnicité rome de Mme Pestova?

C.        La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas une audience de vive voix?

[7]               Ayant pris en considération les observations orales et écrites des parties, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur. Sa décision était raisonnable. La demande de Mme Pestova est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                Norme de contrôle

[8]               Notre Cour réexamine les décisions de la SAR qui portent sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica CAF], Gabila c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574, au paragraphe 21 et Lu v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 CF 846, au paragraphe 18). De même, l’interprétation par un tribunal de sa loi constitutive est examinée selon la norme de la décision raisonnable, sous réserve de certaines exceptions spécifiques dont aucune ne s’applique aux présentes (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]).

III.             Analyse

A.                Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité étaient-elles raisonnables?

[9]               S’appuyant sur la décision du juge Michael Phelan dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica CF], la SAR a mentionné qu’elle doit « … examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à la demande d’asile du demandeur, tout en reconnaissant et en respectant la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR dispose d’un avantage particulier pour tirer une conclusion. »

[10]           La SAR s’est penchée sur quatre points sur lesquels la SPR a tiré des conclusions défavorables relativement à la crédibilité : 1) le délai écoulé avant la soumission de la demande; 2) la preuve offerte concernant le compte Facebook de Mme Pestova; 3) le manque de cohérence de son témoignage devant la SPR; 4) les omissions dans son formulaire FDA. La SAR a soumis chaque point à un examen de la preuve et elle a finalement souscrit aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité.

[11]           Mme Pestova soutient que ces conclusions défavorables sont le résultat d’un examen trop vigilant et trop minutieux des éléments de preuve et qu’elles constituent une mauvaise interprétation de la preuve offerte sans tenir compte des Directives de la présidente concernant la persécution fondée sur le sexe [Directives de la présidente]. Elle prétend également que la SAR s’est contentée d’accepter les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Je ne saurais être d’accord.

[12]           La SAR a procédé à un examen approfondi de la preuve et elle a traité et pris en considération chacune des conclusions de la SPR concernant la crédibilité. Même si la SAR reconnaît la nécessité de respecter les conclusions de la SPR lorsque celle-ci dispose d’un avantage particulier (Huruglica CAF aux paragraphes 69 à 70), la décision montre que le dossier a fait l’objet d’un examen approfondi et que la preuve offerte a été prise en considération. La SAR s’est ensuite concentrée sur les Directives de la présidente et sur l’obligation de tenir compte avec sensibilité des réclamations fondées sur le sexe. Comme l’a mentionné la SAR, les Directives de la présidente ne soustraient pas le témoignage d’un demandeur à l’examen ni à l’évaluation de sa crédibilité (Karanja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 5).

[13]           En l’espèce, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que le délai de sept mois qu’avait pris Mme Pestova pour demander l’asile minait à la fois son allégation de crainte subjective et sa crédibilité générale. La SAR a estimé que Mme Pestova avait fondé sa demande sur : 1) sa crainte de son ex-mari qui l’avait traquée et harcelée à divers endroits en République tchèque pendant plus de trois ans; 2) la persécution fondée sur son ethnicité rome. La SAR a également pris en considération le fait que Mme Pestova avait expliqué qu’elle avait tardé à demander l’asile dans l’espoir que les choses s’arrangeraient avec son ex-mari. La SAR a rejeté cette explication de Mme Pestova et elle a conclu que les circonstances inciteraient raisonnablement une demanderesse à demander l’asile immédiatement.

[14]           Je suis incapable de trouver des failles dans cette conclusion. Mme Pestova allègue qu’elle a été persécutée, d’une part, par son ex-mari qui l’a poursuivie pendant des années et, d’autre part, à cause de son ethnicité, ce dont elle aurait souffert toute sa vie. De solides éléments de preuve appuient la conclusion de la SAR voulant que le délai qu’a mis Mme Pestova à demander l’asile mine sa crédibilité.

[15]           De même, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que Mme Pestova avait porté un sérieux coup à sa crédibilité lorsqu’elle a déclaré que son compte sur Facebook avait été supprimé avant son audience devant la SPR. En ce qui concerne cette question, la SPR avait demandé à la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’effectuer des vérifications à la suite de la première séance de l’audience. Ces vérifications ont confirmé que le compte avait été supprimé à un moment donné après la première séance de la SPR, et non avant comme le prétendait Mme Pestova. Le résultat de ces vérifications a été divulgué bien avant la séance suivante. La SAR a raisonnablement conclu que la vérification de l’activité sur le compte Facebook de Mme Pestova n’était pas injuste et ne constituait pas un déni de justice naturelle. De même, il était raisonnablement loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en s’appuyant sur les fruits des vérifications de la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[16]           La SAR a passé en revue chacune des conclusions concernant les incohérences dans le témoignage de Mme Pestova devant la SPR et les omissions dans son formulaire FDA. En examinant les conclusions de la SPR, la SAR s’est penchée sur les explications de Mme Pestova et elle a pris en considération et soupesé les éléments de preuve. Dans ces circonstances, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que les incohérences et les omissions avaient des répercussions négatives sur la crédibilité de Mme Pestova.

[17]           La SAR n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions concernant la crédibilité.

B.                 Est-ce que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ethnicité rome de Mme Pestova?

[18]           Mme Pestova soutient que la preuve documentaire montre que les Roms de la République tchèque font l’objet de discrimination et que cette discrimination augmente le niveau de persécution. Elle prétend que les conclusions défavorables de la SAR relativement à sa crédibilité ne constituent pas un motif pour ne pas considérer son profil à la lumière de la preuve documentaire. Là encore, je ne partage pas son avis.

[19]           La SAR s’est penchée spécifiquement sur l’ethnicité de Mme Pestova, mais elle a noté qu’une conclusion de manque de crédibilité peut s’étendre à l’ensemble de la preuve offerte par un demandeur (Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1990] ACF no 604, au paragraphe 8). La SAR mentionne également le délai que Mme Pestova a mis à déposer sa demande d’asile, délai qui avait déjà miné son allégation de crainte subjective.

[20]           La SAR a également pris en considération le témoignage de Mme Pestova concernant ses efforts en vue d’obtenir la protection de l’État. À cet égard, la SAR a jugé que son témoignage était incohérent et que [traduction] « … le peu d’efforts, voire l’absence totale d’efforts, pour obtenir les rapports de police de la République tchèque » minait sa crédibilité.

[21]           Contrairement aux allégations de Mme Pestova, la SAR s’est penchée sur la question de l’ethnicité rome, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve crédible et digne de confiance pour conclure que les craintes de persécution de Mme Pestova étaient fondées selon l’article 96 de la LIPR. Là encore, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure, à la lumière de ses conclusions précédentes, que Mme Pestova ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait relativement à sa crainte subjective et à la protection de l’État. 

C.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas une audience de vive voix?

[22]           Dans ses observations écrites, Mme Pestova soutient que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas une audience orale car, à son avis, l’audience de la SPR avait manifestement été injuste. Mme Pestova ne conteste pas la mauvaise interprétation par la SAR de l’article 110 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), mais elle soutient que la SAR a commis une erreur parce que l’audience de la SPR avait manifestement été injuste. Il s’agit d’un argument dénué de fondement.

[23]           Lorsqu’elle s’est penchée sur la demande d’audience orale, la SAR a mentionné qu’elle avait admis un nouvel élément de preuve et que « [s]elon le paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(3) qui, à la fois, soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause, sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile, et qu’à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. »

[24]           La SAR a examiné le nouvel élément de preuve et elle a noté qu’il abordait le traitement des Roms de la République tchèque et que le dossier renfermait un nombre considérable d’éléments de preuve similaires. La SAR a conclu que la preuve ne faisait ressortir aucun problème grave concernant la crédibilité et, comme le critère de seuil n’avait pas été atteint, la SAR n’était pas en mesure d’accorder une audience orale. Cette demande a été rejetée.

[25]           Le traitement de la demande par la SAR était fondé sur l’interprétation raisonnable de l’article 110 de la LIPR et était conforme à la jurisprudence de notre Cour (Biftu Adera v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 CF 871, au paragraphe 57, citant notamment Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 71, et Ajaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 674, aux paragraphes 19 à 21).

[26]           La SAR n’a commis aucune erreur en refusant la tenue d’une audience.

IV.             Conclusion

[27]           Les conclusions de la SAR concernant la crédibilité de Mme Pestova et sa conclusion globale relativement à son appel appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[28]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-533-16

 

INTITULÉ :

SANDRA PESTOVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

Pour la demandersse

 

Rafeena Rashid

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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