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Date : 20160912


Dossier : IMM-532-16

Référence : 2016 CF 1026

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2016

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

SAHLEMARIAN KEL TEKLEWARIAT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) contestant la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) qui a conclu que la demanderesse ne ferait pas l’objet de persécution, de risque de torture, de menace à sa vie, de risque de traitements ou de peines cruels et inusités si elle retournait dans son pays d’origine.

II.                Les faits

[2]               La demanderesse, Mme Sahlemarian Kel Teklehawariat, est citoyenne de l’Éthiopie. Elle allègue les faits suivants à l’appui de sa demande :

         Ses parents, son frère et elle-même étaient membres de la Coalition pour l’unité et la démocratie (Coalition for Unity and Democracy) en Éthiopie et se sont impliqués dans son successeur, le Parti pour la démocratie et la justice (Democracy and Justice Party [UDJ]. Ses parents et son frère ont été emprisonnés en raison de leurs activités politiques et son père a été soumis à de graves tortures en 2000.

         La demanderesse a également été interrogée par la police en 2005 et en 2006.

         En septembre 2009, elle a quitté l’Éthiopie pour les Pays-Bas dans le but de poursuivre ses études en vue d’obtenir un diplôme.

         En mai 2012, elle est retournée en Éthiopie afin de prendre soin de sa mère malade. Elle a alors été arrêtée, torturée et agressée sexuellement en raison de son appartenance à l’UDJ. Elle a été relâchée après dix-sept jours.

         En juin 2012, elle est retournée aux Pays-Bas pour reprendre ses études et chercher un emploi.

[3]               En octobre 2013, elle a obtenu un visa pour assister à une conférence au Canada. Elle est arrivée au Canada le 30 novembre 2013 et elle a présenté une demande d’asile de l’intérieur à Toronto.

[4]               Le 25 mars 2014, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a déterminé que sa demande d’asile ne reposait sur aucune base crédible. La Cour a refusé sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 23 juillet 2014.

[5]               La demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi le 11 mai 2015.

III.             Décision

[6]               L’agent a conclu que la demanderesse répétait les mêmes arguments que ceux qu’elle avait présentés dans sa demande d’asile et qu’elle n’avait pas réfuté les questions soulevées par la SPR concernant sa crédibilité et son appartenance à l’UDJ. Il a passé en revue 11 séries de documents, mais il n’a pas mentionné une lettre de l’UDJ confirmant l’appartenance de la demanderesse à cette organisation.

[7]               L’agent a conclu que, puisque la demanderesse n’avait pas réfuté les conclusions de la SPR, il ne disposait pas de preuve suffisante pour en venir à une conclusion différente. Il mentionne que l’ERAR ne constituait pas un examen de la décision de la SPR et que la demanderesse n’avait pas suffisamment démontré que son profil politique intéressait les autorités éthiopiennes ou que celles-ci étaient au courant de ses activités.

IV.             Questions en litige

[8]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                   Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve à la lumière de l’alinéa 113a) de la Loi?

3.                  L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la demande sur place?

4.                  L’agent a-t-il commis une erreur en ignorant la lettre de l’UDJ?

V.                Analyse

A.                 Quelle est la norme de contrôle applicable?

[9]               L’interprétation du critère en vertu de l’alinéa 113a) de la Loi [l’arrêt Raza] est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte, tandis que son application aux faits est une question mixte de faits et de droit susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Elezi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240, au paragraphe 22 [Elezi]; Adeshina, au paragraphe 15; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 565, au paragraphe 11). L’évaluation du risque par un agent d’ERAR est également susceptible de révision la norme de la décision raisonnable (Elezi, au paragraphe 21).

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve à la lumière de l’alinéa 113a) de la Loi?

[10]           Après avoir examiné la décision de l’agent, je conclus qu’il a appliqué l’arrêt correctement et qu’il a démontré sa compréhension du caractère disjonctif des trois composants. Il a également démontré qu’il comprenait bien les critères applicables à l’examen de nouveaux éléments de preuve aux fins de l’application de l’alinéa 113a) de la Loi, comme l’a récapitulé la Cour fédérale dans Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza].

[11]           En ce qui concerne les lettres, trois d’entre elles contenaient indiscutablement de l’information qui aurait raisonnablement pu être soumise à la SPR. Je note que les lettres de l’Ethiopian Association of the Greater Toronto Area and Surrounding Regions, de l’Ethiopian Satellite et de l’Ethio-Canadian Relief & Cooperation Organization confirment uniquement son implication depuis février 2014 (avant la décision de la SPR) et qu’elles attestent uniquement de son caractère sans offrir de détails sur sa participation après la décision de la SPR. Ces lettres auraient pu être présentées tout comme elles l’ont été à la SPR.

[12]           J’estime aussi que les conclusions de l’agent relativement aux rapports médicaux et psychologiques étaient raisonnables. La demanderesse avait eu la possibilité de soumettre un rapport médical à la SPR, qui ne l’a pas jugé probant. L’ERAR n’était pas l’endroit où présenter de meilleurs éléments de preuve à la suite d’une décision défavorable de la SPR. Le rapport psychologique confirme un problème qui est attribuable aux expériences traumatisantes que la demanderesse a vécues dans son pays. La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas demandé ce rapport avant l’audience de la SPR, ni pourquoi ce rapport n’attestait pas l’existence de nouveaux risques depuis la décision relative au statut de réfugié.

[13]           Même si la lettre de l’UHDR décrit clairement les activités auxquelles la demanderesse a participé à la suite de la décision de la SPR, l’agent a mentionné que la SPR avait noté que la demanderesse avait adhéré à l’UHDR dans le but d’appuyer sa demande. Sa décision voulant que la lettre n’était pas suffisante pour l’emporter sur la conclusion de la SPR, relativement à la crédibilité, appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits. L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans son application de l’arrêt.

C.                 L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la demande sur place?

[14]           En ce qui concerne la demande sur place, l’agent a écrit : [traduction]

En outre, l’avocat soutient que la demanderesse est une réfugiée sur place en raison de son engagement politique au Canada au sein de l’UHRD, de l’Ethio-Canadian Relief and Cooperation Organization, de l’Ethiopian Satellite Television et de l’Ethiopian Association and Surrounding Regions. L’avocat soutient que son engagement politique au sein de la communauté éthiopienne au Canada l’expose à un risque si elle devait retourner en Éthiopie, car le gouvernement de ce pays est réputé pour espionner ses citoyens vivant à l’étranger. Même si j’admets que la demanderesse fait du bénévolat au sein de plusieurs organismes au sein de la communauté éthiopienne, la preuve dont je suis saisie n’établit pas que son profil politique intéresserait le gouvernement éthiopien. En outre, j’estime qu’elle n’a pas démontré que le gouvernement éthiopien est au courant de ses activités politiques au Canada.

[15]           Ses arguments à l’effet que l’agent n’a pas examiné sa demande sur place ne sont par conséquent pas fondés. Il était raisonnable pour lui de conclure que la demanderesse ne présentait pas le profil d’une personne susceptible d’intéresser les autorités éthiopiennes ou que celles-ci étaient au courant de ses activités au Canada. Même si la preuve documentaire montre la possibilité que le gouvernement éthiopien espionne les citoyens vivant à l’étranger, elle indique également que les victimes d’une telle surveillance reçoivent habituellement des appels téléphoniques. La demanderesse n’a pas fourni de preuve que ses activités au Canada en font une cible; en conséquence, les conclusions de l’agent sur ce point étaient raisonnables.

D.                 L’agent a-t-il commis une erreur en ignorant la lettre de l’UDJ?

[16]           La demanderesse soutient que l’agent n’a pas analysé la lettre de l’UDJ qui avait été soumise pour confirmer son adhésion et que cela constitue une erreur susceptible de révision. L’agent ne fait aucune mention de la lettre dans son analyse de la demande. Le défendeur réplique que, quoi qu’il en soit, la lettre atteste d’un risque antérieur et qu’elle n’est pas admissible dans les présentes circonstances.

[17]           Je reste perplexe devant le fait que l’agent semble avoir ignoré un élément de preuve qui se situe au cœur des allégations de risque de la demanderesse. Même si le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve qu’il a analysés, parce que l’on présume qu’il les a tous analysés, l’absence de référence à un élément clé de la preuve est suspecte, surtout dans le présent contexte où l’agent a examiné minutieusement onze séries de documents et qu’il en a ignoré qu’un seul.

[18]           Le critère fondamental régissant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve aux fins d’un ERAR est énoncé dans Raza, au paragraphe 13 : si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audience de la SPR, alors le demandeur doit expliquer pourquoi celles-ci n’étaient pas disponibles avant ou pourquoi il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audience de la SPR.

[19]           Toutefois, dans la présente instance, la lettre de l’UDJ aurait pu raisonnablement être exclue parce qu’elle était raisonnablement disponible au moment de l’audience. En soi et compte tenu des autres doutes exprimés par la SPR quant à la crédibilité, la lettre n’est peut-être pas suffisante pour éliminer les conclusions relatives à la crédibilité. Si l’agent avait analysé la lettre, sa décision aurait peut-être été différente. Il est cependant impossible, en se fondant sur le dossier, d’établir que l’agent a délibérément choisi de ne pas analyser la lettre parce qu’aucune explication n’avait été donnée quant à son admissibilité ou tout simplement parce qu’il ne l’a pas vue.

VI.             Conclusions

[20]           La lettre de l’UDJ a contredit la conclusion principale de la SPR concernant la crédibilité et elle aurait dû être analysée (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF nº 1425). Le dossier n’est pas suffisant pour permettre à la Cour d’extrapoler ce que le raisonnement de l’agent aurait été, en ce qui concerne la lettre, et le fait que seul ce document a été exclu de son analyse permet de conclure à une erreur de sa part, plutôt qu’à un choix délibéré concernant les éléments de preuve qu’il allait analyser dans ses motifs. Pour ce seul motif, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre agent. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-532-16

 

INTITULÉ :

SAHLEMARIAN KEL TEKLEWARIAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

Pour la demanderesse

 

Alison Engel-Yan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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