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Date : 20160914


Dossier : IMM-1173-16

Référence : 2016 CF 1041

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

IBRAHIMA KHALILOULAH SENGHOR

Partie demanderesse

Et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La question qui se pose dans cette demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] est de déterminer si l’exercice de la juridiction d’appel a bien été mené. Monsieur Senghor, le demandeur, demande le contrôle judiciaire de cette décision sur la base de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR].

[2]               En effet, entre le moment où la décision sous étude a été rendue et la demande de contrôle judiciaire, le droit quant au contenu d’un appel entendu par la SAR a été fixé. Le paragraphe 110(1) de la LIPR prévoit l’existence d’un appel d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Le texte s’en lit :

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Appel

Appeal

110 (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110 (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

[3]               Originellement, la SAR traitait les demandes d’appel un peu comme s’il s’agissait de contrôles judiciaires. De nombreuses décisions de notre Cour ont toutes conclu que le cadre d’analyse d’une demande en contrôle judiciaire n’était pas approprié (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica CF]; Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913; Djossou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1080 [Djossou]; Akuffo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063; et les autres décisions répertoriées dans Djossou, par monsieur le juge Martineau, au paragraphe 6).

[4]               Ce qui était moins clair est en quoi devrait être la norme de contrôle si une norme équivalente à celle du contrôle judiciaire n’était pas appropriée. Le flottement jurisprudentiel qui existait en cette Cour a été résolu par la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica CAF]. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale n’a pas accepté que le test généralement applicable en matière d’appel, soit celui de l’erreur manifeste et dominante, devait s’appliquer. Tout récemment un banc de cinq de la Cour d’appel fédérale aura conclu que le test devant être appliqué lors d’appels de décisions discrétionnaires rendues par un protonotaire devait être modifié pour être standardisé en fonction de l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 pour utiliser à l’avenir la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante. Ainsi, dans Hospira Healthcare Corporation v Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 FCA 215, le standard nous venant de Canada c Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 RCF 425 est dorénavant remplacé. On peut lire:

[28]      Notwithstanding, I have no doubt that the question of the standard of review applicable to discretionary decisions of prothonotaries is one that needs to be revisited. It is my opinion that we should now adopt the Housen standard with regard to discretionary decisions made by prothonotaries as we have done in respect of similar decisions made by judges of first instance. ... It is my respectful view that it is not in the interests of justice to continue with a plurality of standards when one standard, i.e. the Housen standard, is sufficient to deal with the review of first instance decisions.

La même norme de contrôle est déjà appliquée par la Cour d’appel fédérale aux décisions des juges qui rendent des décisions interlocutoires discrétionnaires (Imperial Manufacturing Group Inc c Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, [2016] 1 RCF 246).

[5]               Force est évidemment de constater que des considérations différentes peuvent présider lors d’appels devant un tribunal administratif de décisions rendues par un autre tribunal administratif. De toute évidence, c’est le sens de la décision dans Huruglica CAF.

[6]               Voici comment la Cour d’appel fédérale décrit l’appel devant être entendu par la SAR :

[78]      À cette étape-ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111[2]b] de la LIPR).

[79]      Je suis d’avis par ailleurs que l'appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo. Étant conscient qu’il puisse exister des divergences d’opinion et d’interprétation, je tiens à clarifier ce que j’entends par « véritable processus de novo ». À mon sens, lorsqu'il y a réexamen de l'affaire de novo, le décideur repart à zéro, c’est-à-dire que la juridiction d’appel ne reçoit pas le dossier de l’instance inférieure et ne prend en compte aucun aspect de la décision initiale. Lorsque l’appel consiste en un véritable processus de novo, la norme de contrôle n’est jamais en cause. De toute évidence, telle n'est pas l'idée lorsque la SAR instruit l'affaire sans tenir d’audience.

C’est au paragraphe 103 de la décision de la Cour d’appel fédérale que l’on retrouve les précisions sur ce qui est attendu de la SAR. Ainsi, on peut lire :

[103]    Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[7]               Dans le cas d’espèce, la SAR ne bénéficiait pas du jugement de la Cour d’appel fédérale. L’avocate du défendeur a voulu laisser entendre que la décision sous étude pouvait être examinée selon les règles de l’ancien régime. À ce stade, cependant, il me semble clair que les affaires qui seraient toujours « en cours » doivent bénéficier de la décision sur la façon appropriée de traiter les appels des décisions de la SPR (de façon générale, voir R c Sarson, [1996] 2 RCS 223 où un détenu voulait ramener devant les tribunaux criminels sa condamnation pour un meurtre alors que le texte de loi avait par la suite été déclaré inconstitutionnel. Puisque l’affaire n’était plus « en cours » (en anglais « in the judicial system »), il n’y avait pas lieu d’intervenir.) Le schéma d’analyse selon Huruglica CAF doit primer.

I.                   Les faits

[8]               Les faits dans notre affaire sont très simples. Comme l’a dit la commissaire de la SPR au paragraphe 8 de sa décision, « [e]ssentiellement, le tribunal ne sait pas à qui il a affaire. » La même commissaire concluait après avoir examiné les allégués du demandeur 13 paragraphes plus loin : « Encore à la fin de cette audience, le tribunal ne sait toujours pas à qui il a eu affaire. »

[9]               Le demandeur se réclame du Sénégal et de la Guinée. Il a eu au cours des années des passeports sénégalais et guinéens. De fait, il a été en mesure de présenter une carte d’identité de la Guinée et il aura tenté d’expliquer comment il pouvait avoir une identité sénégalaise et une identité guinéenne. Ainsi, la SPR note que pour échapper aux rumeurs concernant son homosexualité, il se serait retrouvé en Guinée, en 2003, où y résidait son beau-père. Aussi, pour l’initier aux affaires et faciliter un voyage en Chine, ce beau-père aurait usé de son influence pour obtenir un changement de nom du demandeur, changeant en même temps le lieu de naissance du demandeur pour un endroit en Guinée.

[10]           Par ailleurs, le demandeur aurait obtenu un passeport du Sénégal en 2011 parce qu’il aurait souhaité faciliter ses projets de commerce en utilisant le Sénégal, ce pays ayant une meilleure réputation auprès de la communauté d’affaires européenne (para 14 de la décision). Il s’est rendu en France et en Belgique sous ce passeport Sénégalais. Toutefois, il a demandé asile en Belgique sous son identité guinéenne en 2012. On peut lire au paragraphe 16 de la décision les passages suivants :

Questionné à ce sujet, le demandeur a d’abord répondu que la seule façon dont il aurait pu obtenir l’asile en Belgique, s’il avait fait la demande en tant que sénégalais, était en tant que gai ou en alléguant qu’il était poursuivi par l’état. Au tribunal qui lui soulignait qu’il ne voyait pas quel était le problème puisqu’il allègue être gai, le demandeur a répondu que puisqu’il avait été victime de problèmes plus récents en Guinée, un ami lui avait conseillé de cadrer sa revendication par rapport à la Guinée et que cela explique pourquoi il avait procédé ainsi. Cette demande d’asile lui a été refusée en Belgique, mais un recours à l’encontre de cette décision est toujours en cours.

[11]           Le demandeur est venu au Canada en juin 2014 et a déposé le 24 février 2015 son formulaire de « Fondement de la demande d’asile ». Cette fois, sa demande d’asile est faite à titre de citoyen du Sénégal, contrairement à celle faite en Belgique. C’est de cette demande d’asile au Canada dont il est traité par la SPR. Celle-ci reconnaît d’emblée que la documentation espérée pour déterminer l’identité de quelqu’un n’est pas toujours au rendez-vous. Mais, dans le cas d’espèce, la SPR juge sévèrement l’absence de clarté quant à l’identité du demandeur. Elle écrit au paragraphe 19 que « le demandeur a franchi une limite dans le doute entretenu quant à son identité et l’instrumentalisation de deux identités différentes que le tribunal ne peut cautionner. Il ne s’explique pas, autrement que par le désir de s’assurer d’avoir différents plans B, le pourquoi de l’utilisation en alternance d’une identité guinéenne et d’une identité sénégalaise. » Pour la SPR, l’existence des deux passeports avec des lieux de naissance différents suffit pour créer la confusion qui permet de croire que ce sont deux personnes différentes. C’est ainsi que la SPR conclut que l’identité du demandeur n’a pas été établie :

[29]      Le tribunal ne croit pas à ces explications. Il constate plutôt que le demandeur cherche à protéger ses arrières en demandant l’asile dans deux pays, sous deux identités différentes, tout en préservant ses droits ailleurs et en se « magasinant » un meilleur forum.

[30]      [...] Mais face à quelqu’un qui manipule les faits, comme le demandeur, et qui ne fait pas preuve d’un comportement compatible avec quelqu’un qui craint pour sa vie, plus rien de ce qu’il déclare ne peut être crédible.

[12]           La décision de la SPR n’est manifestement pas devant cette Cour. En effet, monsieur Senghor s’est prévalu de l’appel devant la SAR et la seule question devant cette Cour est de déterminer si le traitement donné à cet appel par la SAR est conforme au genre d’appel auquel le demandeur a droit en vertu de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica CAF.

II.                La position des parties

[13]           Monsieur Senghor argue que la SAR a adopté une norme de contrôle qui a été rejetée par la Cour d’appel fédérale dans Huruglica CAF. En effet, il apparaît à la décision que la SAR s’est déclarée d’avis que la norme de l’erreur manifeste et dominante était appropriée. Pour le demandeur, il s’agit là d’une erreur fatale.

[14]           De plus, le demandeur allègue que l’analyse de la SAR a été déraisonnable en ce que un poids insuffisant a été donné au fait que le demandeur a indiqué aux autorités canadiennes qu’il était le détenteur de deux passeports. Cette collaboration aurait dû recevoir un poids supérieur. L’avocat du demandeur, qui a choisi de ne pas présenter de plaidoirie orale à l’audience devant cette Cour au sujet du caractère raisonnable de la décision, s’en est remis exclusivement à son mémoire. Or, outre que le SAR n’aurait pas donné le poids suffisant à cette « collaboration », le demandeur n’a même pas cherché à démontrer en quoi cela aurait rendu la décision déraisonnable. Il ne sera pas nécessaire de discuter davantage du caractère déraisonnable de la SAR. L’argument que fait le demandeur porte plutôt sur la norme de contrôle appliquée par la SAR qui ne serait pas appropriée.

[15]           Le défendeur prétend plutôt que la SAR a appliqué dans sa décision la norme de contrôle appropriée, selon ce qu’a décidé la Cour d’appel fédérale dans Huruglica CAF.

III.             Analyse

[16]           Qui ne peut démontrer son identité verra sa demande de réfugié être rejetée. Il est de jurisprudence constante devant cette Cour que le défaut d’établir son identité est fatal (Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 425; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319). De fait, le passage le plus souvent cité vient de la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 681 où la juge Snider écrit au paragraphe 6 :

D’après mon interprétation de la jurisprudence, il est bien établi en droit que, si l’identité du demandeur n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la preuve et la demande doit être rejetée (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, [2006] A.C.F. no 368 (QL), au paragraphe 8; Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (QL)). Toutefois, lorsqu’elle tire des conclusions relatives à l’identité, la Commission doit tenir compte de l’ensemble de la preuve pertinente dont elle dispose quant à l’identité.

[17]           Le demandeur s’est plaint que le refus d’accepter son identité ne tenait pas compte du poids qui aurait dû être donné à sa collaboration avec les autorités canadiennes à la suite de son arrivée au pays en juin 2014.

[18]           Il s’agissait donc du contexte dans lequel la SAR devait se pencher, en appel, sur la décision de la SPR. Or, selon ma lecture de la décision de la SAR, le commissaire a tenté de faire deux choses. Il a bel et bien indiqué qu’à son avis la norme de contrôle devrait être l’erreur manifeste et dominante (para 36). Mais au paragraphe précédent, la SAR déclarait aussi examiner l’ensemble de la preuve pour en tirer ses propres conclusions. On lit : « J’estime cependant que dans le présent dossier, peu importe la norme ou la « voie » suivie, c’est-à-dire que je révise l’ensemble de la preuve présentée pour en arriver à mes propres conclusions ou que je détermine si la SPR a commis une ou des erreurs, j’en arriverais à la même conclusion. » Dit autrement, la SAR déclare que si on recherche seulement l’erreur manifeste et dominante, il y aurait lieu de maintenir la décision de la SPR; si par ailleurs la SAR fait sa propre révision du dossier, elle indique en arriver à la même conclusion.

[19]           Évidemment, de simplement déclarer que de toute manière la même décision aurait été rendue pourrait être très mince. En effet, qu’on se rappelle les paroles de la Cour d’appel fédérale dans Huruglica CAF selon lesquelles « après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. » (para 103)

[20]           Je partage l’avis de mes collègues qui ont recherché dans les motifs de la SAR dans leurs décisions respectives un examen indépendant et qui aura mené à une décision indépendante d’un tribunal agissant en appel. Ainsi, dans Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 396, le juge Martineau disait que « la Cour doit être convaincue que la SAR a véritablement agi en qualité de tribunal d’appel et qu’elle a tiré sa propre conclusion quant à l’exactitude des conclusions [...]. » Dans Gabila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574, le juge Diner quant à lui disait « tant que la SAR a effectué, en substance, un examen approfondi, complet et indépendant du type approuvé dans Huruglica CAF » cette Cour pourrait être satisfaite. Dans Marin v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 847 le juge Leblanc accordait un contrôle judiciaire parce que la décision de la SAR « failed to conduct, in substance, an independent assessment of the evidence, and that this failure amounts to a reviewable error. »

[21]           L’affaire devant la SAR était d’une grande simplicité. Le demandeur a-t-il établi son identité? Non seulement la SAR se déclare-t-elle satisfaite que la SPR n’a pas commis d’erreur, mais ma lecture de la décision me convainc que la SAR a fait le genre d’examen qui est requis selon Huruglica CAF. Au paragraphe 43, on lit : « Après avoir analysé la preuve déposée, j’estime quant à moi, tout comme la SPR l’a estimé, que l’appelant n’a pas démontré, selon la balance des probabilités, son identité. » Si la démonstration de la SAR s’était arrêtée là, nous en serions toujours au stade des généralités. Cela, à mon sens, ne satisferait pas l’analyse requise aux termes d’Huruglica CAF.

[22]           Comme je l’ai indiqué plus haut, les faits de cette affaire sont simples et la question qui se posait l’est tout autant. Je ne recherche donc pas un long exposé de la part de la SAR. Mais, cet exposé doit être bien présent à la décision. C’est de cette analyse faite par la SAR qu’on pourra déterminer si la décision est raisonnable. En l’espèce, la SAR a examiné le dossier et en est venue à sa propre conclusion, allant en fait plus loin que la SPR.

[23]           Par exemple, l’explication donnée par le demandeur pour l’obtention d’un passeport guinéen était que celui-ci lui avait été procuré par son beau-père pour faciliter les voyages à l’étranger, notamment en Chine. La SAR note que, non seulement le demandeur n’a jamais expliqué en quoi il serait plus facile de voyager en Chine sur un passeport guinéen que sur un passeport sénégalais, mais aucun visa n’apparaît audit passeport pour un voyage qui aurait été fait en Chine. Pourtant, comme le note la SAR, les deux passeports contiennent de nombreux visas pour des pays européens et le demandeur les a utilisés tous deux à de nombreuses reprises. Pourquoi donc un passeport guinéen authentique aurait-il été obtenu sous de fausses représentations par son beau-père?

[24]           Un autre exemple est relatif à l’épisode de l’asile demandé en Belgique. Je reproduis les paragraphes 46 et 47 de la décision de la SAR :

[46]      Un autre élément important qui fait douter de la véritable identité de l’appelant est le fait qu’il ait demandé l’asile en Belgique sous son identité guinéenne, qu’il allègue ne pas être la sienne. Ses explications à ce sujet sont d’abord à l’effet que la seule façon de demander l’asile en Belgique sous son identité sénégalaise aurait été de dire qu’il était homosexuel. Devant la surprise de la SPR qui lui soumet que c’est effectivement la raison pour laquelle il demande l’asile, l’appelant répond que ses problèmes plus récents étaient survenus en Guinée, et enfin qu’un ami lui avait conseillé de demander l’asile sous son identité guinéenne.

[47]      Encore une fois, j’estime que ces explications ne sont pas raisonnables et affectent d’autant plus la crédibilité de l’appelant. Ce dernier aurait carrément voulu tromper les autorités belges quant à son identité, et ses explications à l’effet qu’un « ami » lui a conseillé d’agir ainsi sont vagues et imprécises : L’appelant n’explique nullement quels arguments aurait utilisés cet « ami » pour justifier ce conseil.

[25]           La SAR note aussi que le demandeur s’est fait très économe de ses explications sur sa demande d’asile en Belgique, quant aux motifs de sa demande et aussi quant aux motifs du rejet de celle-ci. À ce chapitre, le demandeur n’a pas non plus tenté de démontrer son identité sénégalaise en présentant des documents officiels comme une carte nationale d’identité, ou un certificat de naissance, ou un permis de conduire, ou des documents scolaires.

[26]           À mon avis, il est amplement clair que la SAR a mené le genre d’examen dont  cette Cour a parlé dans sa jurisprudence récente.

[27]           Le demandeur n’a pas tort de noter l’ambiguïté entretenue par la SAR. À mon avis, il eut été préférable de faire une démarcation nette entre la portion d’analyse qui s’attachait à la découverte d’une erreur manifeste et dominante, ce qui n’est plus approprié depuis Huruglica CAF et la portion des motifs de la SAR qui relève de son analyse de la preuve déposée et de ses conclusions quant à décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Cependant, j’en suis arrivé à la conclusion que la SAR a bel et bien examiné attentivement la décision de la SPR et qu’elle a effectué sa propre analyse du dossier, comme le reflète les paragraphes 43 à 50 de la décision. Je n’ai rien retrouvé dans cette analyse qui puisse donner prise à un argument qu’elle serait déraisonnable. De toute manière, aucun argument à cet effet n’a été présenté. L’erreur alléguée selon laquelle tant la SPR que la SAR n’ont pas donné un poids suffisant à la concession du demandeur qu’il utilisait deux passeports ne saurait rendre la décision déraisonnable par ailleurs.

[28]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas présenté de question d’importance générale qui pourrait faire l’objet de certification. La Cour n’en a pas trouvé davantage.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1173-16

INTITULÉ :

IBRAHIMA KHALILOULAH SENGHOR c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 14 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Me Vincent Desbiens

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Simone Truong

Pour LA PaRTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LA PaRTIE DÉFENDERESSE

 

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