Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160920


Dossier : IMM-914-16

Référence : 2016 CF 1059

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

KULJEET SINGH BISLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Kuljeet Singh Bisla (le demandeur ou M. Bisla), conteste une ordonnance d’expulsion (décision) prononcée par la Section de l’immigration (la SI ou la Commission) le 27 avril 2015 en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). M. Bisla, qui a comparu par téléphone, a) s’est représenté lui-même devant la SI et b) a eu besoin d’un interprète punjabi. Ce sont ces deux aspects de l’audience de la SI qui ont été contestés dans la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs établis ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[2]               M. Bisla est né le 7 octobre 1986 et est un citoyen de l’Inde. Il est devenu un résident permanent du Canada le 19 février 2001 à titre d’enfant accompagnant ses parents. Comme il n’a jamais obtenu la citoyenneté canadienne, il se retrouve dans sa mauvaise situation actuelle.

[3]               Le 19 janvier 2015, M. Bisla a plaidé et a été reconnu coupable de contacts sexuels sur un mineur, contrevenant ainsi à l’article 151 du Code criminel du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-46. Une telle infraction est punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans. M. Bisla a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement et à deux ans de probation, compte tenu du fait que [traduction] « seul l’accusé est responsable de ces infractions », lesquelles [traduction] « constituent des infractions graves à un point tel que sa culpabilité morale se situe à l’extrémité supérieure de l’échelle ».

[4]               Dans le procès-verbal de la sentence, la Cour a reconnu que M. Bisla [traduction] « a sans doute des difficultés cognitives » et est [traduction] « immature », mais qu’il a néanmoins occupé un emploi pendant de nombreuses années et qu’il habite dans la maison familiale.

[5]               Le 23 février 2015, un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi a été émis à l’encontre de M. Bisla et il a été jugé inadmissible au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

[6]               Le 27 avril 2015, il a comparu par téléphone devant la SI à des fins d’enquête en matière d’immigration. À l’audience, qui s’est déroulée par téléconférence, M. Bisla a demandé un interprète punjabi peu après le début de l’audience. Une fois prises les mesures pour obtenir un interprète, le commissaire de la SI a passé en revue ce qui avait déjà fait l’objet de discussions. M. Bisla a confirmé qu’il avait été trouvé coupable de contacts sexuels sur un mineur. À la fin de l’audience, une ordonnance d’expulsion a été émise à l’encontre de M. Bisla.

II.                Questions litigieuses

[7]               L’avocat du demandeur soutient, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, que parce qu’un interprète n’a pas été fourni dès le début de l’audience, M. Bisla n’a pas été en mesure de comprendre la nature de la procédure de la SI et n’a pas bénéficié d’un service d’interprétation et d’une représentation juridique appropriés, de sorte que ladite procédure est injuste.

[8]               Le demandeur prétend également qu’un représentant désigné aurait dû être nommé, conformément aux Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, et qu’on aurait dû l’informer qu’il avait droit à un avocat, plutôt que de lui demander simplement s’il avait un avocat, ce à quoi il a répondu qu’il avait été incapable de trouver un avocat et, qu’en conséquence, il ne serait pas représenté.

[9]               Le défendeur, s’appuyant sur Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 927, au paragraphe 14, rétorque que la norme de contrôle appropriée, en ce qui concerne l’accès à un avocat, est le caractère raisonnable. Le défendeur soutient que l’on a spécifiquement demandé à M. Bisla s’il comprenait la raison d’être de la procédure et il a répondu « oui ». Les questions posées par le commissaire de la SI portaient sur de simples confirmations de la condamnation et de la peine infligée au demandeur. Le demandeur n’a pas exprimé de préoccupation concernant les questions qui lui ont été posées.

[10]           En outre, le défendeur affirme que la SI a fourni un interprète immédiatement à la demande du demandeur et que M. Bisla comprenait l’interprète. De l’avis du défendeur, la décision et le processus sont parfaitement raisonnables.

III.             Analyse

[11]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12. Les tribunaux ne font montre d’aucune retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs lorsque l’application de l’obligation d’équité est remise en question : Ré : Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au paragraphe 35. Par ailleurs, toute erreur de fait et de droit doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[12]           Je partage l’avis du défendeur et je conclus qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits du demandeur à la justice naturelle et à l’équité procédurale au cours de la procédure de la SI faisant l’objet d’un contrôle judiciaire.

[13]           En ce qui concerne la compréhension de la procédure, je note tout d’abord que l’on a demandé à M. Bisla, à chacune des étapes de la procédure, s’il comprenait et qu’il a répondu qu’il comprenait. Il a répondu aux questions au commissaire de la SI et il lui en a posé sans indice d’un manque de compréhension.

[14]           Il convient également de souligner le fait que le demandeur a eu diverses entrevues avec différents agents de l’ASFC. Il a participé activement à ces entrevues sans l’aide d’un interprète. La preuve offerte indique également qu’il a occupé un emploi au Canada pendant de nombreuses années.

[15]           En outre, lorsque M. Bisla a décidé, une fois l’audience en cours, qu’il souhaitait avoir un interprète, le commissaire a immédiatement acquiescé à sa demande et a parlé officieusement en attendant l’arrivée de l’interprète. Une fois l’interprète arrivé, le commissaire de la SI a passé en revue ce qui avait été dit auparavant -- avec interprétation.

[16]           En ce qui concerne l’absence de représentation juridique, cette procédure de la SI avait pour objet de confirmer la condamnation antérieure de M. Bisla. Cela n’exigeait qu’un simple « oui » ou « non »; à mon avis, M. Bisla était capable de comprendre la question et de donner l’une ou l’autre de ces réponses sans l’aide d’un avocat. Ensuite, ayant confirmé que le demandeur avait été reconnu coupable d’un acte criminel et a été condamné à plus de six mois d’emprisonnement, dans ces circonstances le commissaire de la SI n’avait d’autre choix que d’émettre une ordonnance d’expulsion (en application de l’alinéa 45d) de la Loi et de l’alinéa 229(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, (DORS/2002-227). Comme l’a affirmé le juge de Montigny dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Fox, 2009 CF 987, au paragraphe 39 :

Le rôle du tribunal à l’enquête consiste uniquement à tirer des conclusions de fait. Si le commissaire conclut que la personne est visée par l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, alors il doit, en application de l’alinéa 45d) de la LIPR et de l’alinéa 229(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, émettre une ordonnance d’expulsion de cette personne.

[17]           En outre, aucune preuve d’un médecin ou d’un psychologue confirmant le handicap mental de M. Bisla n’a été présentée au commissaire de la SI. Je reconnais avec l’avocat de M. Bisla pour le présent contrôle judiciaire que toute invalidité de M. Bisla aurait dû, en raison de sa qualité de résident permanent, être examinée au début de l’audience de la SI : Cha C. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, au paragraphe 41. Cela étant dit, m’appuyant sur les documents contextuels, je ne trouve aucune erreur de la Commission relativement à la procédure appliquée à l’audience d’inadmissibilité ou à son interaction avec le demandeur au cours de l’audience, tant avant l’arrivée de l’interprète qu’après celle-ci. Bref, l’obligation d’équité procédurale due au demandeur a été respectée.

[18]           Je rejette aussi l’argument du demandeur voulant que les règles 18 et 50 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, profitent à M. Bisla. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

Règle 18 – Obligation du conseil d’aviser la Section

Si le conseil d’une partie croit que la Section devrait commettre un représentant à la personne en cause parce qu’elle est âgée de moins de dix-huit ans ou n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, il en avise sans délai la Section et l’autre partie par écrit. S’il sait qu’il se trouve au Canada une personne ayant les qualités requises pour être représentant, il fournit les coordonnées de cette personne dans l’avis.

Règle 50 – Pouvoirs de la Section

La Section peut :

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie n’ait à lui présenter une demande;

b) modifier une exigence d’une règle;

c) permettre à une partie de ne pas suivre une règle;

d) proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration.

[19]           Dans la présente instance, le commissaire n’était nullement tenu de commettre un représentant désigné pour se conformer aux règles 50 et 18. Conclure le contraire équivaudrait à imposer l’obligation positive à l’avocat de la partie adverse et au commissaire de la SI d’évaluer la capacité mentale du demandeur lorsque celui-ci confirme qu’il a compris la nature de la procédure et lorsque la Commission a cru le demandeur lorsqu’il a affirmé qu’il comprenait la nature de la procédure. Bref, le commissaire s’est acquitté de son obligation, à savoir confirmer la capacité du demandeur de comprendre la procédure, en s’appuyant sur les réponses du demandeur, sur ses échanges avec celui-ci et sur les documents présentés à la Commission.

[20]           Enfin, le demandeur a soulevé un problème concernant l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Notre Cour n’a en sa possession ni les faits, ni les documents justificatifs requis pour rendre une décision concernant un ERAR précédent. Le seul élément de preuve présenté au cours du présent contrôle judiciaire est une seule phrase dans l’affidavit de Gail Begley indiquant qu’elle a offert un ERAR à M. Bisla et qu’il a répondu qu’il n’allait pas en faire la demande. Le problème de l’ERAR outrepasse la portée du présent contrôle judiciaire. Si le demandeur est d’avis qu’une procédure se rapportant à un ERAR n’a pas été respectée, il devra soumettre une demande distincte accompagnée des documents requis.

[21]           Finalement, le Parlement a tracé une ligne rigoureuse lorsqu’il a rédigé l’alinéa 45d) et l’alinéa 129(1)c) de la Loi et de son règlement d’application respectivement. Cette loi et son règlement d’application indiquent clairement que, lorsque la SI reçoit un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de l’article 44 de la Loi, sa seule et unique fonction consiste à effectuer une enquête sur les faits. Lorsque les faits à l’origine de l’inadmissibilité pour cause de grande criminalité sont avérés, la SI n’a d’autre choix que d’émettre une ordonnance d’expulsion. Aux présentes, la SI est saisie d’un cas où le demandeur a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement pour une infraction dont il s’est rendu coupable.

[22]           Comme l’a expliqué l’avocat du demandeur lors de l’audience de contrôle judiciaire, compte tenu du stade de l’application qui est contesté, la présente demande de contrôle judiciaire ne se situe pas dans un contexte permettant de soulever ou de contester des facteurs humanitaires ou des facteurs de risque connexes. Il aurait au contraire fallu le faire lorsque le commissaire disposait toujours d’un pouvoir discrétionnaire restreint, avant l’émission du rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. Toutefois, ce moment était passé depuis longtemps lorsque la Cour fédérale a été saisie de la présente affaire.

[23]           En résumé, je ne trouve aucune erreur dans la conclusion du commissaire de la SI à l’effet que le demandeur a commis l’infraction en question qui est à l’origine de l’émission de l’ordonnance d’expulsion. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

IV.             CONCLUSION

[24]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’un ni l’autre des avocats n’ont proposé de questions aux fins de certification. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Ni l’un ni l’autre des avocats n’ont proposé de questions aux fins de certification.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-914-16

 

INTITULÉ :

KULJEET SINGH BISLA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Baldev S. Sandhu

 

Pour le demandeur

Hilla Aharon

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.