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Date : 20160919


Dossier : IMM-580-16

Référence : 2016 CF 1061

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

NASTEH ABDI DUBAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Nasteh Abdi Dubat, est un citoyen de la Somalie. M. Dubat est arrivé au Canada en septembre 2014 et a demandé l’asile, alléguant craindre pour sa vie s’il était renvoyé en Somalie parce qu’il serait recruté de force ou tué par Al-Shabaab, un clan majoritaire et un groupe terroriste actif en Somalie.

[2]               En octobre 2015, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que M. Dubat n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La SPR a conclu que M. Dubat n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa revendication de persécution de la part d’Al-Shabaab. M. Dubat a fait appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (la SAR), alléguant que la SPR n’a pas traité correctement ses risques présumés, qu’elle n’a pas examiné les « motifs cumulatifs » de persécution et qu’elle n’a pas évalué les « raisons impérieuses » tenant à de la persécution antérieure. En janvier 2016, la SAR a rejeté l’appel de M. Dubat et confirmé la décision de la SPR.

[3]               M. Dubat demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR, soulevant devant la Cour trois questions qu’il avait portées devant la SAR en appel de la décision de la SPR. M. Dubat fait valoir que la SAR a commis une erreur en omettant d’analyser un argument avancé par M. Dubat sur les menaces auxquelles font face les rapatriés en Somalie, en concluant qu’il n’y a pas eu de persécution cumulative et en ne trouvant aucune « raison impérieuse » dans son cas. Il demande à la Cour d’annuler la décision de la SAR et d’ordonner le réexamen par un autre tribunal de son appel de la décision de la SPR.

[4]               La seule question à trancher est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable et, plus précisément, si l’un des trois aspects de la décision de la SAR contestée par M. Dubat est déraisonnable.

[5]               Je conclus que la demande de contrôle judiciaire que M. Dubat a présentée doit être rejetée pour les motifs qui suivent. Ayant examiné la décision de la SAR, la preuve dont disposait le décideur et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer les conclusions du tribunal. Je conclus que la SAR a appliqué les bons critères, a mené sa propre analyse et a soigneusement examiné la preuve. Pour chaque question soulevée par M. Dubat, la décision de la SAR appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Rien ne justifie l’intervention de notre Cour.

II.                Contexte

A.                Le contexte factuel

[6]               M. Dubat est né en Somalie en 1990 et a grandi à Mogadiscio, la capitale du pays. Il fait partie du clan Madhibaan/Midgaan, un groupe minoritaire appelé « groupe professionnel » en Somalie.

[7]               En décembre 2006, M. Dubat a quitté la Somalie pour se rendre au Kenya, où il a vécu dans la capitale, Nairobi, de janvier 2007 à décembre 2013. Il a ensuite quitté le Kenya pour arriver aux États-Unis en février 2014, après avoir traversé plusieurs pays. M. Dubat a demandé l’asile aux États-Unis, mais sa demande a été rejetée. Il a par la suite déposé une demande d’asile à son arrivée au Canada en septembre 2014.

B.                 La décision de la SPR

[8]               M. Dubat a soutenu auprès de la SPR que lorsqu’il était en Somalie, son père a disparu et sa sœur aînée a été violée et tuée en 2006 par une milice Hawiye appelée Moryan. Compte tenu de ces événements, M. Dubat craint de retourner en Somalie parce que, selon lui, il serait recruté de force ou tué par Al-Shabaab. M. Dubat a cependant reconnu qu’il n’avait pas personnellement fait l’objet de menaces ou d’agressions de la part d’Al-Shabaab en Somalie. La SPR a noté en outre que d’après la directive opérationnelle relative à la Somalie rédigée par le Home Office du Royaume-Uni et une partie du cartable national de documentation [CND], [traduction] « il [était] peu probable qu’un projet de retour à Mogadiscio à l’heure actuelle soulève des questions relatives à la Convention sur les réfugiés ». Le cartable national de documentation sur la Somalie a également indiqué que le groupe Al-Shabaab s’était retiré de Mogadiscio en 2011, bien qu’il ait admis que le groupe avait attaqué la population civile par le passé.

[9]               Ayant considéré qu’une menace générale posée par un groupe radical comme Al-Shabaab n’établissait pas le lien nécessaire en vertu de l’article 96 de la LIPR, la SPR a conclu que M. Dubat n’était pas un réfugié au sens de la Convention. La SPR a également conclu que le risque de violence que craignait de subir M. Dubat n’était pas différent du risque généralisé auquel tous les citoyens de Somalie étaient exposés et que M. Dubat n’était pas non plus une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. La SPR a donc rejeté la demande de M. Dubat.

C.                La décision de la SAR

[10]           Devant la SAR, M. Dubat a allégué qu’il existait un lien nécessaire qui faisait de lui un réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR parce qu’il était un homme appartenant à un clan minoritaire qui revenait en Somalie après une longue absence et parce qu’il était un réfugié de la diaspora. Par conséquent, il serait la cible du groupe Al-Shabaab qui chercherait à le recruter ou à le tuer. M. Dubat a également affirmé que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte des « motifs cumulatifs » de persécution et de l’existence de « raisons impérieuses » tenant à de la persécution antérieure.

[11]           Dans sa décision, la SAR a tout d’abord réitéré le critère prévu à chacun des articles 96 et 97 de la LIPR. Si un risque est tellement généralisé qu’il s’applique à [traduction] « la vaste majorité de la population », une personne ne peut être considérée comme une personne à protéger en vertu de l’article 97, car le présent article s’applique à un risque personnel. En vertu de l’article 96, il faut qu’il y ait un lien entre la persécution redoutée et un motif énoncé dans la Convention.

[12]           La SAR a conclu que M. Dubat n’avait pas établi le lien requis en vertu de l’article 96. Alors qu’un risque généralisé subsiste à Mogadiscio, le cartable national de documentation montre qu’il n’y a plus de conflits « liés aux clans » en Somalie. De plus, s’il est vrai qu’Al-Shabaab continue d’attaquer des civils, les actions de ce groupe visent le plus souvent des journalistes, des députés, des membres d’organisations non gouvernementales et des gens bien connus du public, et le profil de M. Dubat ne correspond pas à celui de ces personnes. En outre, comme il n’existe qu’un risque généralisé, il a été déterminé que M. Dubat n’était pas une personne à protéger en vertu de l’article 97.

[13]           La SAR a reconnu que [traduction] « Mogadiscio n’est pas un endroit sûr où vivre ». Cependant, elle a ajouté que beaucoup d’endroits dans le monde ne sont pas sûrs, et que cela ne signifie pas que les gens en provenance de ces endroits peuvent devenir des réfugiés. En vertu de l’article 96 de la LIPR, il faut que la personne craigne avec raison d’être persécutée, et la SAR a estimé que M. Dubat ne risquait pas d’être persécuté à Mogadiscio et qu’il n’était pas exposé à un risque personnel.

[14]           M. Dubat a également prétendu devant la SAR que le tribunal aurait dû tenir compte des « motifs cumulatifs » de persécution. Toutefois, la SAR a estimé qu’il n’était pas possible de [traduction] « prêter un motif de haine/violence ethnique » au viol et au meurtre de la sœur de M. Dubat simplement parce que le tueur et la victime appartenaient supposément à deux ethnies différentes. La SAR a également estimé qu’il serait conjectural de tirer une conclusion quant aux raisons de la disparition du père de M. Dubat. Par conséquent, la SAR a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour étayer un argument fondé sur les « motifs cumulatifs ».

[15]           Pour ce qui est de l’exception relative aux « raisons impérieuses » prévue par le paragraphe 108(4) de la LIPR, la SAR a souligné que le demandeur doit d’abord démontrer qu’il a subi, à un moment donné, une forme de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités. La persécution doit avoir été telle qu’on aurait reconnu à la personne la qualité de réfugiée au sens de la Convention si elle avait demandé l’asile à ce moment-là. La SAR a conclu que ce n’était pas le cas de M. Dubat. Étant donné que M. Dubat a témoigné qu’il n’avait pas été préalablement ciblé ou menacé par Al-Shabaab, les arguments qu’il a présentés au sujet de son père et de sa sœur n’ont pas été jugés suffisants par la SAR pour satisfaire à la disposition des « raisons impérieuses ».

[16]           Enfin, la SAR a fait observer que l’affiliation clanique n’était plus un problème majeur à Mogadiscio. La SAR a conclu qu’il était possible que M. Dubat [traduction] « soit exposé à des formes mineures de discrimination de la part des membres du clan majoritaire, mais [que] les éléments de preuve indiquent qu’une telle discrimination n’équivaudra pas à de la persécution ». Il n’y avait donc pas de fondement objectif à la crainte de M. Dubat puisque ce dernier n’encourt qu’un risque généralisé.

[17]           Par conséquent, la SAR a rejeté l’appel de M. Dubat, concluant qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

D.                La norme de contrôle

[18]           L’application du droit aux faits par la SAR et son évaluation de la crédibilité sont des questions mixtes de fait et de droit pour lesquelles la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux paragraphes 47 et 53; Basran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1221, au paragraphe 19; Niyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 878, au paragraphe 23, Ching c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, au paragraphe 45.

[19]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme déférente de la décision raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées aussi longtemps que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 17).

III.             Analyse

A.                La SAR n’a pas omis de tenir compte d’un argument présenté par M. Dubat

[20]           Selon M. Dubat, Al-Shabaab a clairement menacé les rapatriés, affirmant qu’ils seront tués et combattus comme s’ils faisaient partie du gouvernement somalien. M. Dubat soutient que la SAR ne s’est pas penchée sur cet argument puisqu’elle n’a pas expressément mentionné la menace qui pèse sur les rapatriés dans sa décision, même si la prise en considération d’une telle menace pouvait établir le lien requis en vertu de l’article 96 de la LIPR. S’appuyant sur la décision Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027 [Chamberlain], M. Dubat fait valoir que la SAR avait l’obligation juridique d’examiner cette menace séparément de la menace qui pesait sur les membres du clan rapatriés et que le fait que la SAR n’ait pas abordé cette question constitue une erreur susceptible de révision (Chamberlain, aux paragraphes 82 et 83). M. Dubat fait valoir que la SAR a commis une erreur de droit en omettant d’apprécier cet argument et que sa conclusion d’absence de lien est donc déraisonnable.

[21]           Je ne suis pas de cet avis et conclus plutôt que la décision de la SAR à cet égard s’inscrit bien dans les limites de la raisonnabilité.

[22]           Bien que l’avocat de M. Dubat ait adroitement tenté de libeller cette question comme étant une omission de traiter un argument juridique, j’observe que l’argumentation de M. Dubat porte essentiellement sur l’omission alléguée de la SAR de se reporter à un document précis dans le dossier du tribunal. Compte tenu des faits en l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’on puisse reprocher à la SAR d’avoir fait fi d’un argument juridique avancé par M. Dubat. Le fait que M. Dubat a mentionné la menace de persécution contre les rapatriés, laquelle se distingue des menaces contre les membres de clans minoritaires de retour dans leur pays, ne constitue pas un argument juridique distinct. À mon avis, il s’agit plutôt d’un autre élément de la preuve qui est censé étayer l’argument juridique relatif à l’existence d’un lien entre la persécution redoutée par M. Dubat et un motif énoncé dans la Convention.

[23]           La situation actuelle est fort différente de l’affaire Chamberlain citée par M. Dubat, où le décideur n’a absolument pas abordé ou pris en considération une allégation distincte de violation des droits de l’homme dans sa décision. En l’espèce, il s’agit simplement d’une preuve des menaces faites aux rapatriés par Al-Shabaab, preuve qui, selon M. Dubat, n’a pas expressément été abordée par la SAR. M. Dubat tente également de s’appuyer sur la décision Olow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 245, mais cela ne lui est pas très utile. Dans cette décision, la juge McDonald avait conclu que la SAR n’avait jamais discuté du risque de recrutement forcé par Al-Shabaab malgré les preuves non contredites de détention et de torture subies par le demandeur.

[24]           Je reconnais que la décision de la SAR ne mentionne pas explicitement l’argument distinct de M. Dubat sur les « menaces pour les rapatriés » en général. Toutefois, la lecture de la décision révèle que, contrairement à ce qu’avait affirmé M. Dubat, la SAR s’est penchée sur la question et a répondu à la question globale d’Al-Shabaab prenant pour cible les rapatriés. La SAR a conclu qu’Al-Shabaab [traduction] « ne contrôlait plus Mogadiscio » et que le retour dans son pays de M. Dubat n’exposerait pas ce dernier [traduction] « à un risque de persécution pour un motif énoncé dans la Convention ». Autrement dit, la SAR a abordé indirectement la question générale des menaces qu’Al-Shabaab représente pour les rapatriés en examinant la disparition d’Al-Shabaab de Mogadiscio.

[25]           Il est bien reconnu que le décideur est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). Le décideur n’a pas à faire mention de chacun des éléments de preuve appuyant ses conclusions si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). De même, le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte. Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.), aux paragraphes 16 et 17). Ce n’est pas le cas en l’espèce, car les éléments de preuve concernant les rapatriés ont été clairement mentionnés et les faits contenus dans les observations de M. Dubat ont été pris en considération par la SAR.

[26]           La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit plutôt examiner les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15).

[27]           En l’espèce, il est vrai que la SAR n’a pas expressément mentionné l’élément de preuve indiqué par M. Dubat. Toutefois, la question de savoir si un rapatrié serait exposé à un risque particulier en Somalie à cause d’Al-Shabaab a été analysée par la SAR, en général et pour les membres de clans minoritaires. En effet, la SAR a reconnu l’allégation de M. Dubat selon laquelle [traduction] « il existe un lien puisqu’il est un jeune homme appartenant à une minorité de clans qui retourne en Somalie après une longue absence, lequel sera ciblé par Al-Shabaab qui cherchera à le recruter ou à le tuer ». À ce sujet, la SAR a examiné le cartable national de documentation et a noté qu’il indiquait clairement que [traduction] « les personnes revenant de l’étranger ne courent pas de risque particulier en raison de leur affiliation clanique, y compris l’affiliation à un clan minoritaire », que l’affiliation clanique n’est plus un problème à Mogadiscio et que [traduction] « Al-Shabaab ne vise pas les gens avec le profil [de M. Dubat] ». Plus tard dans la décision, la SAR a mentionné la présence limitée d’Al-Shabaab à Mogadiscio depuis 2011 et le fait que M. Dubat ne serait donc pas en danger s’il y retournait.

[28]           Le langage utilisé par la SAR dans sa décision aurait pu être plus clair à certains égards et aurait pu expliquer plus en détail comment elle était parvenue à sa conclusion sur la prétendue menace pour les rapatriés en général. Cependant, sa conclusion appartient certainement aux issues possibles acceptables. La SAR n’a négligé aucun facteur important et elle n’a pas mal interprété la situation de M. Dubat. En vertu de la norme de la décision raisonnable, tant que le processus et le résultat sont conformes aux principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, la cour de révision ne devrait pas intervenir, malgré le fait que son évaluation de la preuve dont elle disposait aurait pu mener à une issue différente. Or, c’est le cas en l’espèce.

B.                 La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’y avait pas de persécution cumulative

[29]           En guise de deuxième argument, M. Dubat soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il ne pouvait pas être un réfugié au sens de la Convention au motif de la persécution cumulée. M. Dubat fait valoir que, lorsqu’il était en Somalie, sa sœur a été violée et tuée, son père a disparu et le reste de sa famille a fui. Il souligne que la SAR elle-même a reconnu que [traduction] « Mogadiscio n’est pas un endroit sûr où vivre» et que [traduction] « le risque généralisé existe à Mogadiscio ».

[30]           M. Dubat renvoie à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Munderere, 2008 CAF 84, au paragraphe 39, et s’appuie sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, janvier 1992, HCRNI 1979 [le Guide]. Le paragraphe 53 du Guide indique « qu’il n’est pas possible d’énoncer une règle générale quant aux «motifs cumulés» pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié ». Le Guide ajoute également que les questions non liées à un motif prévu dans la Convention sont pertinentes et que « toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique ». M. Dubat avance que, puisque la SAR a conclu qu’il [traduction] « sera probablement confronté à une certaine discrimination à son retour à Mogadiscio », cela suffit pour établir le lien requis. Étant donné qu’il n’y avait aucun motif d’écarter la conviction de M. Dubat que sa sœur avait été tuée à cause de son clan, M. Dubat fait valoir qu’il a démontré une persécution cumulative.

[31]           L’analyse de M. Dubat sur cette question ne me convainc pas.

[32]           Il est bien établi que si la motivation peut être mixte, certains éléments de discrimination doivent avoir un lien avec un motif énoncé dans la Convention pour être considérés comme de la persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR. Le fait que la SAR a reconnu que M. Dubat risquerait vraisemblablement de faire l’objet d’une discrimination à Mogadiscio n’établit pas nécessairement le lien nécessaire. La discrimination ne constitue pas toujours de la persécution; dans certains cas, il se peut qu’elle ne soit pas assez grave pour être assimilée à de la persécution. La jurisprudence est également claire en ce sens qu’une reconnaissance qu’une personne pourrait être victime de discrimination ne signifie pas nécessairement qu’elle est persécutée (Kwiatkowsky c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 2 R.C.S. 856, p. 863; Al-Mahamud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1re inst. 521, au paragraphe 8).

[33]           La SAR a conclu que M. Dubat risquait d’être discriminé s’il devait être renvoyé en Somalie, mais elle a également conclu  qu’une [traduction] « telle discrimination n’équivaudra pas à de la persécution ». Quant à ce qui est arrivé à sa sœur, à son père et à sa famille, la SAR a analysé et pondéré les éléments de preuve avant de conclure que ces événements étaient insuffisants pour conclure à une persécution cumulative. La SAR a estimé que la preuve quant à la personne qui avait violé et tué la sœur de M. Dubat et quant au mobile du crime était insuffisante. La SAR a conclu qu’il était impossible de [traduction] « prêter un motif de haine/violence ethnique à un meurtre simplement parce que le tueur et la victime appartenaient supposément à deux ethnies différentes ». Quant au père de M. Dubat, la SAR a conclu qu’il serait conjectural d’essayer de déterminer les causes de sa disparition. Je ne suis pas convaincu que ces conclusions sont déraisonnables à la lumière des éléments de preuve au dossier.

[34]           Il se peut bien que M. Dubat ait des convictions réelles ou fortes au sujet de la discrimination dont il pourrait être victime, mais sa conviction à cet égard ne la rend pas pour autant véridique ou digne de foi. Après avoir examiné cette question, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour tirer cette conclusion. Pour que le statut de réfugié soit octroyé, une [traduction] « crainte de persécution bien fondée » doit être prouvée, et la discrimination ne constitue pas nécessairement de la persécution. À ce sujet, le Guide indique qu’une simple différence de traitement ne suffit pas à constituer une persécution.

[35]           Dans sa décision, la SAR ne suggère pas et ne laisse pas entendre qu’il faut un lien pour chacun des points pour conclure à une persécution cumulative. Au lieu de cela, la SAR a examiné la question de la persécution cumulative soulevée par M. Dubat, mais a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour l’étayer. La SAR a examiné tous les facteurs pertinents, a pondéré les éléments de preuve et n’a commis aucune erreur en appliquant les principes juridiques. Dans ces circonstances, la Cour ne devrait pas intervenir. La décision de la SAR sur la question de la persécution cumulative a les caractéristiques requises en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel.

C.                La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’y avait pas de « raisons impérieuses »

[36]           Enfin, M. Dubat soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’on ne lui aurait pas reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention s’il avait demandé l’asile par le passé et en concluant que l’exception relative aux « raisons impérieuses » prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR ne s’appliquait pas en l’espèce. M. Dubat fait valoir que, puisque M. Dubat était mineur en 2006, la SAR aurait dû examiner la question sous cet angle et adopter une approche adaptée aux enfants pour déterminer la question de la persécution passée subie par M. Dubat alors qu’il était en Somalie. Se référant aux Principes directeurs du HCR sur la protection internationale : les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1a(2) et de l’article 1(f) de la convention de 1951 et/ou son protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [les Principes directeurs], M. Dubat prétend qu’il était déraisonnable pour la SAR de ne pas conclure que la disparition de son père, le viol et la mort de sa sœur et le déplacement de sa famille n’équivalaient pas à de la persécution pour M. Dubat, puisqu’il était mineur à l’époque.

[37]           Je ne suis pas d’accord.

[38]           Les « raisons impérieuses » en vertu du paragraphe 108(4) de la LIPR permettent à quelqu’un qui ne pourrait pas autrement être accepté en tant que réfugié, parce que les motifs pour lesquels il a demandé l’asile ont cessé d’exister, de quand même obtenir l’asile. Pour bénéficier de cette exception, le demandeur doit d’abord prouver que sa demande de statut de réfugié est valide et que les motifs de la demande ont cessé d’exister, et ensuite que sa persécution passée était à ce point épouvantable que l’on ne devrait pas s’attendre à ce que cette personne rentre dans son pays (Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, au paragraphe 5).

[39]           Il n’existe aucune jurisprudence ni aucun précédent étayant la proposition de M. Dubat selon laquelle le critère de la persécution serait différent pour un mineur. L’avocat de M. Dubat a effectivement reconnu ce fait à l’audience devant la Cour. Qu’il s’agisse d’un mineur ou d’un adulte, la seule obligation de la SAR est de tenir compte de chaque situation particulière dans l’évaluation de la menace de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités. En l’espèce, la SAR a conclu à l’insuffisance de preuves que M. Dubat avait été victime de persécution dans le passé en Somalie. Le fait qu’il était enfant à l’époque ne change rien. La SAR aurait pu approfondir le statut de M. Dubat en tant que mineur de 16 ans en 2006, mais je ne suis pas convaincu que la SAR ne s’est pas montrée sensible à la situation de M. Dubat lorsqu’il était en Somalie et qu’elle n’en était pas consciente.

[40]           En l’espèce, la SAR a conclu que les raisons impérieuses ne s’appliquaient pas à M. Dubat, puisqu’il n’avait pas été personnellement ciblé ou menacé par Al-Shabaab, d’après le propre témoignage de M. Dubat. Il n’avait donc jamais personnellement souffert de persécution. La SAR n’a pas non plus été convaincue que les éléments de preuve concernant la disparition de son père, le viol et la mort de sa sœur et le déplacement de sa famille représentaient une persécution. Elle a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants, hypothétiques et incompatibles avec le cartable national de documentation pour établir un lien avec une affiliation clanique.

[41]           La SAR n’a pas écarté ou omis de prendre en considération ce qui est arrivé à la famille de M. Dubat ou encore l’âge de M. Dubat. Là encore, je conclus que la décision de la SAR est justifiable, transparente et intelligible dans le contexte du processus décisionnel. Il y a lieu de faire preuve de déférence envers la SAR et il n’incombe pas à notre Cour de réévaluer les éléments de preuve qui ont été présentés à la SAR.

IV.             Conclusion

[42]           Pour les motifs susmentionnés, la décision de la SAR représentait une issue raisonnable selon la loi et les éléments de preuve. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Dubat. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-580-16

INTITULÉ :

NASTEH ABDI DUBAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 SEPTEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 19 SEPTEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

Pour le demandeur

Judy Michaely

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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