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Date : 20160824


Dossier : IMM-13-16

Référence : 2016 CF 960

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

AMIRA S.M. SHAAT

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Shaat est une citoyenne de l’Albanie. Elle a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés. La demande incluait sa fille Rahmah à titre d’enfant à charge. Tous les membres de la famille ont passé les examens médicaux avec succès à l’exception de Rahmah.

[2]               Rahman est née en 1999 avec des anomalies congénitales (myéloméningocèle et hydrocéphalie) et avec un problème de cécité et un trouble neurologique. À cause de cet état, elle fonctionne avec deux dérivations, la première a été insérée chirurgicalement à la naissance et la deuxième à l’âge de six ans. Le médecin du défendeur a déterminé que Rahmah était inadmissible pour des raisons médicales à cause d’un état de santé qui risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens.

[3]               Le défendeur a envoyé trois lettres distinctes à Mme Shaat en mars 2015, en septembre 2015 et en octobre 2015 expliquant le diagnostic et les motifs du médecin pour établir l’inadmissibilité médicale de Rahmah. Dans ces lettres, Mme Shaat était invitée à fournir des documents et renseignements supplémentaires, le cas échéant, concernant l’état de santé de sa fille. En septembre 2015 et en octobre 2015, Mme Shaat a également été invitée à répondre aux préoccupations relatives à la disponibilité des fonds d’établissement suffisants aux termes du sous-alinéa 76(1)b)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement de la LIPR) puisque [traduction] « nous avons appris qu’une grande partie du solde qui apparaît sur votre relevé bancaire précédent figurant au dossier …, a été obtenue au moyen d’un prêt auprès de quelqu’un d’autre » . Le représentant de Mme Shaat a fourni des réponses à la première lettre et à la troisième lettre.

[4]               En se fondant sur la correspondance du défendeur, le représentant de Mme Shaat a fourni d’autres renseignements relatifs à l’état de santé de Rahman, y compris une évaluation d’un médecin spécialiste. Il a également été demandé au défendeur d’envisager de permettre à Rahmah d’entrer au Canada avec un permis de séjour temporaire (PST) en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) si elle était déclarée inadmissible pour raisons médicales. Enfin, le représentant de Mme Shaat affirme également que si Rahmah est déclarée inadmissible et qu’un permis de séjour temporaire ne lui est pas accordé, l’oncle de Rahmah l’adopterait.

[5]               Le représentant de Mme Shaat n’a pas fourni de renseignements pour répondre aux préoccupations du défendeur quant à aux fonds d’établissement non grevés. Il a plutôt été demandé au défendeur de divulguer la source de renseignements concernant le prêt ainsi que la nature et la teneur exactes de l’information. Le représentant de Mme Shaat a soutenu qu’il y avait une obligation d’équité procédurale de communiquer ces détails à Mme Shaat.

[6]               En décembre 2015, un agent d’immigration désigné (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente de Mme Shaat dans la catégorie des travailleurs qualifiés en déclarant Rahmah inadmissible pour raisons médicales à cause de son état de santé qui risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé canadiens en vertu de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR.

[7]               Mme Shaat me demande d’annuler la décision de l’agent et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvel examen. La présente demande soulève les questions suivantes :

A.                L’agent a-t-il manqué aux obligations d’équité procédurale en communiquant directement avec le médecin spécialiste de Mme Shaat?

B.                 Y avait-il une obligation de révéler à Mme Shaat la source, la nature et la teneur de l’information indiquant les fonds d’établissement qui ont été obtenus grâce à un prêt?

C.                 L’agent a-t-il mal compris le but de l’article 24 de la LIPR en abordant la question d’un permis de séjour temporaire?

D.                L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que l’adoption proposée par l’oncle de Rahmah serait une adoption de convenance?

[8]               Je ne suis pas convaincu qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale ou que l’agent a commis une erreur. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                 Norme de contrôle

[9]               Les questions soulevées par Mme Shaat en lien avec les questions A et B ci-dessus concernant l’équité procédurale et la justice naturelle, doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Burra c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1238, au paragraphe 9 [Burra]).

[10]           Les affaires qui impliquent des questions mixtes de faits et de droit, ce qui comprend la détermination de l’inadmissibilité pour raisons médicales, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Burra, au paragraphe 10). De même, l’interprétation par un tribunal de sa loi constitutive, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas soulevées en l’espèce, est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 54 [Dunsmuir]).

III.             Analyse

A.                L’agent a-t-il manqué aux obligations d’équité procédurale en communiquant directement avec le médecin spécialiste de Mme Shaat?

[11]           Mme Shaat ne conteste pas le fait que le défendeur ait communiqué avec son médecin spécialiste. Mme Shaat soutient plutôt que le défendeur aurait dû communiquer par son entremise et qu’elle avait le droit de connaître les questions qui avaient été posées au médecin puisqu’une absence de réponse pouvait avoir une incidence négative sur sa demande. Je ne suis pas convaincu que la communication directe avec le médecin a entraîné un manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Toutefois, s’il y a eu un manquement, je suis convaincu qu’il a été remédié dans les communications ultérieures entre le défendeur et le représentant de Mme Shaat.

[12]           L’avocat de Mme Shaat a soutenu que la lettre écrite par le défendeur au médecin énonçant les questions du défendeur n’a jamais été fournie à Mme Shaat. Cependant, le défendeur mentionne la correspondance envoyée par courriel au représentant de Mme Shaat en date du 5 octobre 2015 pour demander l’autorisation de Mme Shaat aux fins de divulgation des renseignements par le médecin spécialiste. Le courriel en question indique une pièce jointe intitulée « Rahmah –Q au Dr Tamer Hassan.docx ». Le défendeur affirme que cette pièce jointe était une lettre énonçant les questions posées au médecin spécialiste. L’avocat de Mme Shaat prétend que la pièce jointe n’a jamais été reçue.

[13]           Je suis convaincu que le dossier indique la réception des questions posées au médecin spécialiste en tant que pièce jointe au courriel du 5 octobre 2015. Cependant, même si Mme Shaat n’avait pas reçu une copie des questions posées, il n’est pas contesté qu’elle avait donné à l’agent l’autorisation d’obtenir les renseignements auprès du médecin spécialiste. En outre, le médecin spécialiste n’avait fourni les renseignements qu’après avoir obtenu l’autorisation. Enfin, Mme Shaat a fourni au défendeur un autre rapport non daté du Dr Hassan en novembre 2015. Je ne suis pas convaincu que la manière dont les questions ont été posées à un médecin spécialiste concernant un rapport médical produit par ce spécialiste démontre une erreur susceptible de révision selon les faits et les circonstances dont je suis saisi.

B.                 Y avait-il une obligation de révéler à Mme Shaat la source, la nature et la teneur de l’information indiquant les fonds d’établissement qui ont été obtenus grâce à un prêt?

[14]           Mme Shaat prétend qu’elle avait le droit de recevoir les renseignements détaillés en la possession du défendeur indiquant que les fonds d’établissement identifiés dans sa demande comme étant disponibles étaient en fait des fonds grevés. Je ne peux simplement pas être de cet avis.

[15]           L’obligation de l’agent était de souligner la préoccupation et de donner à Mme Shaat une occasion de répondre à cette préoccupation.  Le défaut de communiquer des renseignements détaillés concernant la source ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale dans un contexte où la teneur de l’obligation se situe à l’extrémité inférieure du registre. Comme l’a souligné la juge Judith Snider dans l’arrêt Ulybin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 629, au paragraphe 23 « Toutefois, la question n’est pas celle de savoir si le document comme tel a été communiqué au demandeur, mais plutôt de savoir si le demandeur a eu l’occasion de véritablement participer au processus décisionnel. » Dans la présente affaire, Mme Shaat a eu l’occasion de participer de manière constructive et a choisi de ne pas en tirer profit. Il était suffisant que Mme Shaat soit au courant de l’allégation que les fonds étaient grevés (Guleed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 22, au paragraphe 29.

[16]           Il n’y avait pas eu de manquement au devoir d’équité procédurale en ne fournissant pas à Mme Shaat la source exacte de l’information concernant le prêt.

C.                 L’agent a-t-il mal compris le but de l’article 24 de la LIPR en abordant la question d’un permis de séjour temporaire? 

[17]           Mme Shaat soutient que l’agent a mal compris le but de l’article 24 de la LIPR en examinant la demande visant qu’un permis de séjour temporaire soit délivré. Là encore, je ne suis pas d’accord.

[18]           Dans l’arrêt Farhat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275, le juge Michel Shore aborde la nature exceptionnelle et les conséquences des permis de séjour temporaire et souligne ensuite au paragraphe 22 que « C’est donc avec circonspection que l’on doit recommander la délivrance d’un PST et y procéder ».

[19]           Il incombait à Mme Shaat d’établir l’existence des motifs impérieux justifiant la délivrance d’un permis de séjour temporaire nonobstant la conclusion que Rahmah était inadmissible pour raisons médicales. Même si Mme Shaat demandait un permis de séjour temporaire, elle s’appuyait simplement sur les arguments avancés à l’appui de sa position selon laquelle Rahmah était admissible au Canada pour raisons médicales. Dans ces circonstances, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’un permis de séjour temporaire « ne servirait qu’à contourner l’inadmissibilité pour des raisons médicales… ».

D.                L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que l’adoption proposée par l’oncle de Rahmah serait une adoption de convenance?

[20]           Mme Shaat soutient que si Rahmah avait été adoptée par son oncle, elle aurait cessé d’être un enfant à charge aux fins de sa demande et qu’en conséquence, le paragraphe 4(2) de la LIPR n’aurait pas été appliqué. Mme Shaat soutient que le défaut de l’agent de reconnaître l’inapplicabilité du paragraphe 4(2) de la LIPR dans ces circonstances était une erreur. Je ne suis pas d’accord.

[21]           Le paragraphe 4(2) de la LIPR se lit comme suit :

4(2) L’étranger n’est pas considéré comme étant l’enfant adoptif d’une personne si l’adoption, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’a pas créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adopté et l’adoptant.

4(2) A foreign national shall not be considered an adopted child of a person if the adoption

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) did not create a genuine parent-child relationship.

[22]           La Cour a antérieurement établi que lorsqu’une adoption est entreprise pour renforcer la demande d’établissement, il s’agit d’une adoption qui vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR (Lee c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 84, aux paragraphes 14 et 15 [Lee]). Dans le cas présent, il n’est pas contesté par Mme Shaat que l’adoption proposée de Rahmah a été suggérée dans le but de renforcer la demande.

[23]           L’agent a raisonnablement conclu que l’adoption proposée serait considérée comme une adoption de convenance en vertu de la LIPR.

IV.             Question à certifier

[24]           Mme Shaat a proposé la question à certifier suivante :

Une adoption légale et authentique d’une enfant à charge qui a été déclarée inadmissible au Canada pour raisons médicales; faisant ainsi de celle-ci une enfant qui n’est plus à la charge de la requérante principale, devrait-elle être suffisante pour exclure la demanderesse principale des circonstances précises énoncées au sous alinéa 23b)(ii) du Règlement ou l’adoption telle que décrite par la règle 4 de la LIPR, est-elle une « adoption de convenance »?

[25]           La Cour d’appel fédérale a énoncé le critère de la certification des questions aux fins d’un appel en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, à plusieurs reprises (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 10 à 12; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9). Ces arrêts établissent que notre Cour ne peut certifier une question en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR que si elle 1) est déterminante quant à l’issue de l’appel; 2) transcende les intérêts des parties au litige et porte sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

[26]           La question proposée fait partie des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Le libellé du paragraphe 49(2) n’est pas ambigu et doit être examiné en se basant sur les faits et les circonstances présentés au décideur. Les faits et les circonstances de l’espèce démontrent que l’adoption a été proposée afin d’acquérir le statut ou le privilège sous le régime de la Loi. Cette circonstance a déjà été examinée et tranchée par notre Cour dans l’arrêt Lee.

[27]           Par conséquent, je refuse de certifier la question proposée.

V.                Conclusion

[28]           L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de révision en examinant la demande de résidence permanente de Mme Shaat dans la catégorie des travailleurs qualifiés et en déterminant que Rahmah était inadmissible au Canada pour raisons médicales. De même, les décisions discrétionnaires de l’agent relativement aux questions de délivrance de permis de séjour temporaire et d’adoption appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-13-16

 

INTITULÉ :

AMIRA S.M. SHAAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUILLET 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AOÛT 2016

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour la demanderesse

 

David Joseph

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wennie Lee

Avocat

Lee and Company

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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