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Date : 20160916


Dossier : IMM-4519-15

Référence : 2016 CF 1053

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ISMAIL MK AL-KATANANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2012, M. Ismail Mk Al-Katanani a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que membre de la catégorie de l’immigration économique à titre de travailleur autonome. M. Al-Katanani a fait valoir qu’il avait cumulé les deux périodes minimales requises d’une année d’expérience dans la gestion d’une exploitation agricole, l’une des trois seules catégories reconnues par les autorités canadiennes en matière d’immigration pour qu’une personne soit admise en tant que travailleuse autonome.

[2]               Un agent des visas (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, a examiné la demande de résidence permanente de M. Al-Katanani, mais l’a rejetée dans une décision datée du 10 août 2015 (la décision). L’agent n’était pas convaincu que M. Al-Katanani avait suffisamment d’expérience pertinente dans la gestion d’une exploitation agricole ni qu’il pouvait apporter une contribution importante à l’activité économique en question au Canada. M. Al-Katanani a sollicité le réexamen de sa demande en septembre 2015, mais sa demande a été rejetée en novembre 2015, car aucune information suffisante ne justifiait la réouverture de son dossier.

[3]               M. Al-Katanani demande à la Cour que la décision de l’agent rejetant sa demande de résidence permanente fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Il fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des constatations de fait non étayées par la preuve et que l’agent a fait fi ou omis d’examiner dûment les documents fournis sur son expérience professionnelle pertinente. M. Al-Katanani fait aussi valoir que les motifs de l’agent sont insuffisants puisqu’ils n’expliquent pas les raisons pour lesquelles il a conclu que M. Al-Katanani n’avait pas l’expérience requise exigée par la catégorie des travailleurs autonomes. Il demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen par un autre agent des visas.

[4]               La demande de M. Al-Katanani soulève deux questions : 1) est-ce que la décision de l’agent de refuser d’octroyer la résidence permanente demandée par M. Al-Katanani était raisonnable?; 2) les motifs fournis par l’agent étaient-ils suffisamment inadéquats pour justifier l’intervention de la Cour.

[5]               Ayant examiné la preuve dont disposait l’agent et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer la décision de l’agent. Dans sa décision, l’agent a tenu compte de la preuve et l’issue peut se justifier au regard des faits et du droit. La décision appartient aux issues possibles acceptables. Je conclus aussi que les motifs de la décision expliquent adéquatement comment l’agent est parvenu à la conclusion que M. Al-Katanani n’avait pas rempli les conditions pour obtenir la résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes. Il n’y a pas suffisamment de motifs pour justifier l’intervention de la Cour et je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Al-Katanani.

II.                Contexte

A.                Décision de l’agent

[6]               Dans sa décision, l’agent a d’abord rappelé toutes les dispositions et exigences pertinentes pour satisfaire à la catégorie des travailleurs autonomes. Il a ensuite indiqué à M. Al-Katanani que, sur la base des éléments de preuve fournis au sujet de son éducation, de son expérience et sa valeur nette personnelle, M. Al-Katanani n’a pas [traduction] « démontré qu’[il avait] acquis une expérience pertinente en participant activement à la gestion d’une exploitation agricole et [il n’a] pas expliqué de façon adéquate comment il [pourrait] être un travailleur autonome au Canada ou apporter une contribution importante en achetant et en gérant une exploitation agricole ».

[7]               Les notes prises par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), qui font partie de ses motifs et qui ont été effectivement envoyées à M. Al-Katanani avec la décision, offrent plus de détails. Les notes du SMGC consignées le 23 février 2015 indiquaient que M. Al-Katanani avait mentionné une expérience dans le domaine bancaire en tant que gestionnaire de la technologie de l’information depuis 1997 et qu’il semblait posséder de l’expérience en informatique. Si la lettre d’appui d’un certain M. Khayrat Meshrefah indiquait qu’il avait pris part à la gestion agricole de septembre 2009 à mai 2012, la preuve de M. Al-Katanani concernant l’accumulation de ses fonds depuis 1998 montrait qu’il était, au cours de la même période, [traduction] « responsable de la technologie de l’information au sein de la société Global Investment House ». L’agent a jugé déraisonnable le fait que M. Al-Katanani ait pu acquérir une expérience à temps plein en gestion agricole alors qu’il travaillait également à plein temps dans son domaine d’études. Il a également noté l’absence de toute explication quant à la manière dont M. Al-Katanani pourrait travailler dans le domaine agricole sans avoir de formation ou d’emploi dans ce domaine. Par conséquent, l’agent a estimé que M. Al-Katanani n’avait pas démontré qu’il avait suffisamment d’expérience dans la gestion agricole.

[8]               Une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à M. Al-Katanani après la rédaction des notes du SMGC de février 2015, l’avertissant qu’il ne semblait pas satisfaire aux critères applicables, laquelle lettre lui donnait l’occasion de répondre. Cette lettre soulignait en particulier les lacunes relevées par l’agent dans l’expérience professionnelle de M. Al-Katanani, notamment ses heures de travail, ses revenus et la mesure dans laquelle il faisait directement de l’agriculture. En réponse, M. Al-Katanani a fourni une lettre le 24 mars 2015, un plan d’affaires et une preuve des études de son frère dans le domaine agricole. Aucun autre détail n’a été fourni sur l’expérience de M. Al-Katanani dans la gestion d’une exploitation agricole.

[9]               Dans les notes du SMGC inscrites le 7 août 2015, après réception de la réponse de M. Al-Katanani à la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a répété que si M. Al-Katanani avait de l’expérience dans le domaine des technologies de l’information et de la gestion dans les institutions financières, il n’avait pas d’expérience pertinente dans la gestion agricole. L’agent a fait observer, dans sa lettre de mars 2015, que M. Al-Katanani avait lui-même reconnu que son éducation et son expérience pertinente [traduction] « ne fournissent peut-être pas suffisamment de preuve du statut de “travailleur autonome” dans l’entreprise agricole ». M. Al-Katanani a toutefois soutenu que son bagage informatique et son expérience en matière de gestion au sein des institutions financières lui procureraient [traduction] « les aptitudes et les compétences requises pour gérer l’exploitation agricole ».

[10]           Par conséquent, l’agent a conclu que le fait que M. Al-Katanani s’appuyait sur les connaissances agricoles de son frère et son manque d’expérience pertinente ou de formation en gestion agricole ne permettaient pas de démontrer la capacité personnelle de M. Al-Katanani à apporter une contribution importante à l’agriculture. En outre, la mise de fonds de 150 000 $ à 200 000 $ prévue dans le plan d’affaires de M. Al-Katanani pour l’achat d’une exploitation agricole était jugé insuffisante par l’agent. L’agent a donc conclu que M. Al-Katanani n’était pas admissible à devenir résident permanent du Canada au titre de la catégorie des travailleurs autonomes.

B.                 La norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle de la décision d’un agent des visas relativement aux admissions de ressortissants étrangers dans la sous-catégorie des travailleurs autonomes de la catégorie de l’immigration économique est celle de la décision raisonnable, car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Singh v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 904, au paragraphe 10, Guryeva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1103, au paragraphe 5).

[12]           La question du caractère suffisant des motifs est également susceptible de révision en vertu de la norme de la décision raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], aux paragraphes 14 à 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Gabor, 2015 CF 168, aux paragraphes 16 à 19).

[13]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions de l’agent ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur pertinent (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 17).

III.             Analyse

A.                La décision de l’agent est raisonnable

[14]           M. Al-Katanani fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable, car elle a fait fi de la majeure partie des renseignements contenus dans la lettre détaillée de M. Meshrefah et dans le plan d’affaires de M. Al-Katanani. M. Al-Katanani affirme que la lettre de M. Meshrefah indiquait clairement qu’il avait une expérience en gestion agricole, puisqu’il avait aidé [traduction] « à planifier, à établir le budget, à gérer la production et à s’occuper de l’administration des affaires ». Il ajoute que M. Meshrefah a également décrit les activités auxquelles il a participé, à savoir [traduction] « planter, cultiver et récolter des cultures ou élever du bétail », aider à [traduction] « inspecter les bâtiments et l’équipement agricole » et [traduction] « veiller à ce que les activités agricoles et les pratiques respectent les normes et règlements en matière de santé, de sécurité et d’environnement ».

[15]           M. Al-Katanani ajoute qu’il a abordé toutes les questions soulevées par l’agent dans la lettre relative à l’équité procédurale et a fourni des éléments de preuve pour confirmer ses déclarations. Il prétend qu’en rejetant sa demande, l’agent a fait fi de ses explications ou les a mal interprétés. M. Al-Katanani fait notamment référence à sa preuve selon laquelle il profiterait de l’expérience de son frère dans l’agriculture, qui sera son partenaire et possédera 50 % de l’exploitation agricole, il embaucherait un directeur technique à temps plein, il se dédierait entièrement à enrichir ses connaissances en gestion agricole, et son bagage informatique dans les institutions financières lui fournirait les aptitudes et les compétences nécessaires pour réussir dans le domaine de la gestion agricole.

[16]           Plus particulièrement, M. Al-Katanani souligne que l’agent n’a pas mentionné la lettre de M. Meshrefah et qu’il n’a donc pas tenu compte de son expérience professionnelle de 3 ans dans une exploitation agricole. Enfin, M. Al-Katanani soutient que l’agent n’a pas appliqué le critère approprié étant donné qu’il a indiqué dans les notes du SMGC que [traduction] « bien qu’il ne faille que deux périodes d’un an pour la gestion d’une exploitation agricole, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une personne ayant la capacité d’acheter une exploitation agricole au Canada et de faire une contribution importante ait plusieurs années d’expérience dans l’agriculture, au niveau de la gestion et à un niveau inférieur ». En outre, selon M. Al-Katanani, l’agent avait exigé à tort une expérience de travail « à temps plein ».

[17]           Je ne suis pas d’accord avec M. Al-Katanani et je conclus plutôt que la décision de l’agent s’inscrit bien dans les limites de la raisonnabilité.

[18]           Contrairement aux observations de M. Al-Katanani, l’agent n’a pas fait abstraction de la lettre de M. Meshrefah. En effet, dans ses notes du SMGC, l’agent a longuement expliqué ses préoccupations concernant les lacunes de cette lettre. M. Al-Katanani a tout simplement tort de déclarer que [traduction] « les motifs de la décision ne font nullement mention de la lettre » et que l’agent n’a [traduction] « fourni aucune indication quant à la raison pour laquelle l’expérience et les fonctions décrites dans la lettre n’ont pas été jugées convenables ». Les notes du SMGC ont plutôt mis au jour les nombreux problèmes décelés par l’agent dans la lettre de M. Meshrefah, comme l’absence d’une déclaration ou d’une explication concernant la participation de M. Al-Katanani décrite dans la lettre, les raisons de l’activité de M. Al-Katanani dans le secteur de l’agriculture (une industrie sans rapport avec ses antécédents en matière d’éducation ou d’emploi) et le fait que [traduction] « sans autre preuve de son expérience, [l’agent] ne peut pas être convaincu que le but de cette lettre n’était pas de faciliter la demande [de M. Al-Katanani] ».

[19]           Dans son exposé sur la lettre de M. Mesherfah, l’agent a également fait observer qu’il ne paraissait pas raisonnable que M. Al-Katanani [traduction] « ait acquis une expérience à temps plein dans la gestion d’une exploitation agricole » alors qu’il avait également indiqué être [traduction] « responsable de la technologie de l’information au sein de la société Global Investment House » au cours de cette période. En bref, l’agent a longuement discuté de la lettre de M. Meshrefah et de ses allusions à la participation alléguée de M. Al-Katanani à la gestion agricole et il n’était pas convaincu qu’une telle expérience [traduction] « répondait à la définition de deux périodes d’un an dans la gestion d’une exploitation agricole ».

[20]           Par ailleurs, je note que la lettre de M. Meshrefah fait référence à la « participation » et à « l’assistance » de M. Al-Katanani dans l’entreprise agricole, mais ne contient aucune description réelle des tâches qu’il a effectivement accomplies. Même si cela pouvait être suffisant pour quelqu’un qui avait clairement une expérience ou une formation dans le domaine agricole, M. Al-Katanani n’en avait aucune. Au lieu de cela, la preuve montre qu’il a étudié l’informatique pendant 7 ans, suivi par 15 ans de travail dans les emplois informatiques dans le secteur bancaire. Il n’était donc pas déraisonnable pour l’agent de soulever l’incompatibilité entre ses deux prétendues expériences professionnelles et de conclure que la prétendue expérience de M. Al-Katanani dans le secteur agricole n’était pas suffisante. En fait, l’agent a signalé ces préoccupations à M. Al-Katanani dans sa lettre relative à l’équité procédurale, mais M. Al-Katanani a choisi de ne pas les aborder dans ses réponses.

[21]           En vertu du paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, un travailleur autonome est une personne qui a une « expérience utile », est mesure de « créer son propre emploi au Canada » et de « contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada », et a l’intention de faire tout ce qui précède. Au moins deux années d’expérience en gestion agricole au cours des cinq dernières années sont nécessaires pour prouver que le premier élément est satisfait, à savoir l’expérience utile. L’agent a non seulement conclu que M. Al-Katanani n’avait pas l’expérience nécessaire, mais il a aussi conclu qu’il n’était pas en mesure d’apporter une contribution importante en achetant ou en gérant une exploitation agricole. Contrairement à ce qu’affirme M. Al-Katanani, le fait de s’attendre à plus de deux années d’expérience agricole et le fait d’exiger d’un demandeur qu’il soit capable de contribuer à la société canadienne font partie du critère. Cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[22]           Quant à la mention faite par l’agent de l’absence d’expérience à « temps plein », je ne vois pas comment une telle interprétation de l’article 88 du Règlement peut être déraisonnable. L’article 88 exige que, dans les cinq années précédant la demande, il y ait deux périodes d’un an d’expérience dans la gestion d’une exploitation agricole. Il est évident que si le dénominateur de cinq ans prévu à l’article 88 n’est pas inférieur à une période à temps plein, alors le numérateur de deux ans doit aussi logiquement (et raisonnablement) se référer à une dimension à temps plein.

[23]           Je m’arrête pour souligner que M. Al-Katanani lui-même a reconnu, dans sa lettre de mars 2015 en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, que son [traduction] « éducation et son expérience pertinente ne fournissent peut-être pas suffisamment de preuves du statut de “travailleur autonome” dans l’entreprise agricole ».

[24]           Quant au plan d’affaires, il a été également pris en considération par l’agent, même s’il a été déterminé que M. Al-Katanani n’avait pas suffisamment d’expérience utile. L’agent a mentionné la valeur nette de M. Al-Katanani, mais sa mise de fonds de 150 000 $ à 200 000 $ a été jugée insuffisante. Un plan d’affaires irréaliste ou insuffisamment financé est un facteur que l’agent des visas peut retenir pour déterminer si un demandeur remplit les conditions requises (Singh Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 856, au paragraphe 13; Wohlmayer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 155, au paragraphe 11). De plus, le guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration Canada concernant la catégorie des travailleurs autonomes établit clairement que l’achat d’une exploitation agricole peut être onéreux et qu’un agent doit tenir compte de différents facteurs pour évaluer l’expérience, l’intention et la capacité d’un demandeur de posséder une exploitation agricole au Canada.

[25]           En résumé, M. Al-Katanani ne fait état d’aucune preuve convaincante selon laquelle l’agent a fait fi des documents. Au contraire, les notes du SMGC sont remplies de références explicites aux documents soumis par M. At-Katanani, tels que la lettre de M. Meshrefah, son plan d’affaires et les certificats d’études du frère de M. Al-Katanani.

[26]           Il est bien reconnu que le décideur est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). Le décideur n’a pas à faire mention de chacun des éléments de preuve appuyant ses conclusions si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). De même, le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte. Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.), aux paragraphes 16 et 17). Ce n’est pas le cas en l’espèce, car les éléments de preuve ont été clairement mentionnés et les faits contenus dans les observations de M. Al-Katanani ont été pris en considération par l’agent. L’affaire Ekladious Mansour c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 343 invoquée par M. Al-Katanani est clairement distincte puisque, dans ce cas, l’agent a totalement omis de se référer à une lettre importante fournie par le demandeur.

[27]           La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira], au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Cela dit, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit examiner les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15).

[28]           Essentiellement, M. Al-Katanani invite simplement la Cour à réévaluer les éléments de preuve qu’il a présentés à l’agent. Lorsqu’il s’agit de procéder à l’analyse du caractère raisonnable de conclusions factuelles, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve ni de réévaluer l’importance relative que le décideur a accordée aux éléments de preuve pertinents. Si les conclusions fournissent une justification et une rationalité suffisantes à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve dont dispose le décideur, le tribunal chargé du contrôle judiciaire ne doit pas substituer sa conception d’une issue préférable. En fin de compte, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de l’agent.

B.                 Les motifs invoqués par l’agent sont suffisants et adéquats

[29]           M. Al-Katanani affirme en outre que les motifs de l’agent sont insuffisants pour remplir les exigences en matière d’équité puisque l’agent n’a pas donné d’explications acceptables quant à la raison pour laquelle M. Al-Katanani ne satisfaisait pas aux exigences applicables aux travailleurs autonomes. Il soutient que les motifs « sont adéquats lorsqu’ils sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Jeizan, 2010 CF 323 [Jeizan], au paragraphe 17). S’appuyant sur la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Wong, 2009 CF 1085 [Wong], M. Al-Katanani plaide en outre que les « motifs doivent être suffisamment clairs et détaillés pour démontrer au ministre que tous les faits pertinents ont été pris en considération et soupesés comme il se doit et que les critères juridiques opportuns ont été appliqués » (Wong, au paragraphe 17).

[30]           Le critère énoncé par notre Cour dans les décisions Jeizan et Wong a été réaffirmé par la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland Nurses. Les motifs sont suffisants s’ils « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Contrairement à M. Al-Katanani, je suis d’avis que la décision de l’agent satisfait largement à ces exigences.

[31]           Comme je l’ai expliqué dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020 [Abdulghafoor], aux paragraphes 30 à 36, le droit relatif à la suffisance des motifs dans la prise de décisions administratives a évolué de manière substantielle depuis Dunsmuir. C’est effectivement le cas, tant pour ce qui est du niveau de détail de l’analyse auquel devraient être assujetties les décisions reposant sur des faits, comme celle qui nous intéresse en l’espèce, que pour ce qui est du caractère suffisant des motifs en tant que raison justifiant à elle seule le contrôle.

[32]           Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 18). La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier, pour déterminer s’ils possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité (Agraira, au paragraphe 53). Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision. Je conclus que, en l’espèce, la décision de l’agent est transparente, intelligible et appartient à ces issues possibles.

[33]           Le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les détails qui étayent sa conclusion. Pour fournir des motifs adéquats, « le décideur doit exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions », ainsi que « traiter des principaux points en litige » et « examiner les facteurs pertinents » (Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports), [2001] 2 RCF 25, au paragraphe 22). C’est précisément ce qu’a fait l’agent. Il n’est pas nécessaire de rendre de longs motifs. Des motifs suffisants peuvent être donnés en une phrase ou deux (Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 25). Tant que les motifs « permettent à l’intéressé de comprendre la décision » et « permettent à la cour de révision d’apprécier le bien-fondé de celle-ci », ils sont suffisants (Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46).

[34]           La cour de révision examine le dossier dans le but de confirmer la décision. Lorsqu’elles sont manifestes, les lacunes de la preuve peuvent être comblées s’il est possible de le faire en s’appuyant sur la preuve et sur des inférences logiques, virtuellement comprises dans le résultat (Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 [Komolafe], au paragraphe 10). Je conviens que l’arrêt Newfoundland Nurses et les décisions qui ont été rendues dans sa foulée ne donnent pas aux tribunaux toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne les autorisent à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le décideur a pu penser (Komolafe, au paragraphe 11). Cependant, en l’espèce, je conclus que les motifs sont largement suffisants et adéquats en ce qui concerne le critère établi par l’arrêt Newfoundland Nurses. Les motifs invoqués par l’agent sont clairs, précis et bien documentés. Ils me permettent de comprendre comment l’agent est parvenu à sa conclusion étant donné qu’ils expliquent pourquoi M. Al-Katanani ne répondait pas aux exigences de la catégorie des travailleurs autonomes et qu’il existe un fondement factuel sur lequel cette conclusion est fondée. Les motifs ne sont pas insuffisants.

IV.             Conclusion

[35]           Le rejet par l’agent de la demande de résidence permanente de M. Al-Katanani dans la catégorie des travailleurs autonomes représente un résultat raisonnable compte tenu du droit et de la preuve dont disposait l’agent. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Or, c’est le cas en l’espèce. De plus, l’agent a fourni des motifs suffisants. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Al-Katanani.

[36]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4519-15

INTITULÉ :

ISMAIL MK AL-KATANANI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET E L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 16 SEPTEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Sherif R. Ashamalla

Pour le demandeur

Stephen Jarvis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherif R. Ashamalla, LLB

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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