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Date : 20160810


Dossier : IMM-571-16

Référence : 2016 CF 912

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 août 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

PHILIPA SHERIKA FERNANDER

THELJA PINDER

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demanderesses interjettent appel de la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) datée du 13 janvier 2016, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), alléguant qu’elles n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger selon l’alinéa 111(1)a) de la LIPR.

II.                Contexte

[2]               Les demanderesses sont des lesbiennes citoyennes des Bahamas qui vivent en union de fait depuis environ trois ans.

[3]               Elles craignent la persécution aux Bahamas en raison de leur orientation sexuelle. À cause des attitudes homophobes qui prévalent aux Bahamas, elles ont tenté pendant des années de dissimuler leur orientation sexuelle et leur union de fait, afin d’éviter la violence verbale, la discrimination, le harcèlement et les agressions physiques dont sont victimes dans ce pays d’autres lesbiennes et homosexuels dont l’orientation sexuelle a été rendue publique.

[4]               Vu les attitudes homophobes aux Bahamas et en raison des menaces et des attaques perpétrées par l’ex-petite amie de Philipa à l’encontre des demanderesses, celles-ci se sont enfuies au Canada le 25 juillet 2015 et, dès leur arrivée, elles ont demandé l’asile aux autorités de l’immigration.

[5]               L’audience relative à la demande d’asile a été menée devant un membre de la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 24 septembre 2015. Dans une décision datée du 16 octobre 2015, la SPR a rejeté leur demande d’asile.

[6]               À la suite du rejet de leur demande, les demanderesses ont formé un recours auprès de la SAR. Dans leur dossier, elles ont fourni des éléments de preuve supplémentaires pour corroborer leur orientation sexuelle et leur union de fait, notamment des lettres d’appui qui ne leur avaient été transmises qu’après le rejet de leur demande.

[7]               Dans sa décision datée du 22 janvier 2016, la SAR a refusé d’admettre des éléments de preuve documentaire corroborants qui avaient été déposés pour étayer l’appel puisque les premiers éléments de preuve ne satisfaisaient pas au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR, elle a rejeté l’appel des demanderesses et elle a maintenu la décision de la SPR rejetant leur demande. La SAR a jugé que les lettres de soutien n’étaient pas survenues après le rejet de la demande d’asile des demanderesses et que les demanderesses n’établissaient pas qu’elles n’avaient raisonnablement pas pu les obtenir avant leur audience devant la SPR.

[8]               En outre, la SAR a jugé que, même si les documents satisfaisaient aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, ils auraient été refusés ou alors on ne leur aurait accordé aucun poids en raison de leur manque de crédibilité.

[9]               Même si la demande d’asile et l’appel des demanderesses ont été rejetés par la SPR et la SAR respectivement, les demanderesses affirment qu’elles continuent à craindre la persécution et une menace pour leur vie aux Bahamas en raison de leur orientation sexuelle et de leur union de fait.

III.             Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

A.  La décision de la SAR était-elle raisonnable lorsqu’elle a refusé de prendre en considération les prétendus nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR?

B.   La SAR a-t-elle été raisonnable dans son analyse en vertu de l’article 97 de la demande des demanderesses?

IV.             Norme de contrôle

[11]           La Cour d’appel fédérale a indiqué clairement que notre Cour doit examiner les décisions de la SAR selon la norme de la décision raisonnable, y compris la question de l’exclusion d’éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 26 à 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, aux paragraphes 22 à 30).

[12]           Notre Cour devrait intervenir uniquement lorsque les motifs ne tiennent pas compte de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 SCC 36, aux paragraphes 51 à 53).

V.                Analyse

A.                La décision de la SAR était-elle raisonnable lorsqu’elle a refusé de prendre en considération les prétendus nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR?

[13]           Les demanderesses soutiennent que la SAR a conclu de manière déraisonnable que les nouveaux éléments de preuve, qui avaient été déposés pour étayer leur appel en servant d’éléments de preuve corroborants additionnels sur leur orientation sexuelle et leur union de fait, ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, à savoir justifier une intervention vu l’importance de l’orientation sexuelle des demanderesses pour leur demande.

[14]           Elles ajoutent que la SAR a commis une erreur en confondant la question de savoir à quel moment les lettres d’appui ont été reçues avec la question de savoir à quel moment elles ont été demandées. Selon la preuve non contredite des demanderesses, les lettres ont été reçues après l’audience de la SPR, soit à la fin de novembre 2015. La SAR n’a pas remis en cause cet élément de preuve. Pourtant, elle a refusé de l’accepter, en s’appuyant sur l’hypothèse incorrecte que les lettres ont été demandées seulement après l’audience. La SAR a déclaré :

[traduction] [39] Avec le plus grand respect que je dois aux demanderesses, le fait qu’elles ont cherché à obtenir ces lettres seulement après le rejet de leur demande d’asile ne signifie pas que lesdites lettres n’étaient pas disponibles.

[15]           Toutefois, la SAR a conclu, aux paragraphes 64 et 65 de sa décision : 

[64] L’alinéa 3(3)g) des Règles de la SAR exige que les demandeurs présentent un mémoire qui inclut des observations complètes et détaillées concernant les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel, et l’endroit où se trouvent ces erreurs.

[65] Dans la présente instance, les demanderesses n’ont pas contesté les nombreuses conclusions concernant la crédibilité; elles estiment simplement que ces conclusions ne s’appliquent pas à leur orientation sexuelle. Même si la SAR reviendra sur cet argument ci-après, elle mentionne ici que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité ont été déterminantes pour les demandes d’asile des demanderesses. Celles-ci n’ont signalé aucune erreur dans les conclusions qui ont été faites et rien ne justifie quelque intervention que ce soit en appel de la part de la SAR en ce qui concerne ces conclusions.

[16]           Loin de les avoir contestées, les demanderesses n’ont pas donné suite aux conclusions négatives concernant leur crédibilité, ni à la confirmation par la SAR de ces conclusions et, ce faisant, elles n’ont pas traité la question déterminante.

[17]           La SAR a raisonnablement conclu que les demanderesses [TRADUCTION] « ont cherché à obtenir ces lettres seulement après le rejet de leur demande d’asile ». Même si la chronologie de la production de ces lettres est incontestablement ambigüe, la SAR a conclu, comme elle le devait, que les demanderesses n’avaient pas établi qu’elles n’avaient raisonnablement pas pu les obtenir avant le 16 octobre 2015 et, en conséquence, qu’elles n’avaient pas satisfait au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[18]           En outre, le fait que les demanderesses n’ont fourni aucun motif raisonnable pour justifier leurs fausses déclarations dans le passé – en particulier, la manipulation de la preuve documentaire – ne devrait pas teinter leurs tentatives subséquentes pour soumettre de tels éléments de preuve : une conclusion défavorable concernant la crédibilité d’un demandeur d’asile peut être généralisée à tous ses éléments de preuve, y compris les documents, et même s’étendre aux demandes à leurs parents et amis de corroborer des allégations déjà jugées non crédibles (Moriom c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 588, aux paragraphes 24 à 27).

B.                 La SAR a-t-elle été raisonnable dans son analyse en vertu de l’article 97 de la demande des demanderesses?

[19]           Les demanderesses soutiennent qu’en estimant que les conclusions générales de la SPR relativement à la crédibilité incluaient implicitement un rejet de leur orientation sexuelle et de leur union de fait, la SAR en est venue à une conclusion déraisonnable, car la SPR ne mentionne fait nulle part dans sa décision qu’elle a rejeté le fait que les demanderesses se décrivent comme des lesbiennes, ni la nature conjugale de leur union de fait.

[20]           De plus, elles affirment qu’il existe dans le dossier des documents bahamiens objectifs et d’autres éléments de preuve qui auraient permis d’appuyer une décision que les demanderesses, en tant que lesbiennes dans une union de fait, étaient des personnes protégées au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Malgré cela, ni la SPR ni la SAR n’ont effectué une analyse distincte de cet élément de preuve à la lumière du paragraphe 97(1), présumant que les conclusions en vertu de l’article 96 s’appliquaient automatiquement aux conclusions en vertu du paragraphe 97(1).

[21]           Toutefois, la SPR a exposé les allégations des demanderesses et conclu ce qui suit aux paragraphes 3, 36 et 41 de sa décision : [traduction]

[3] Les demanderesses allèguent former un couple de lesbiennes. Elles prétendent que, si elles retournent aux Bahamas et affichent leur orientation sexuelle, elles seront persécutées. Elles sont arrivées au Canada le 25 juillet 2016 et elles ont déposé des demandes d’asile dès leur atterrissage à l’aéroport de Toronto.

[36] Après une évaluation minutieuse de la preuve et des observations de l’avocat, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses ne sont pas crédibles. Il s’agit d’une conclusion générale : selon le tribunal, les demanderesses ne sont tout simplement des témoins crédibles et le tribunal ne les croit pas. Les inférences négatives qui ont été tirées, particulièrement en ce qui concerne les lettres frauduleuses qu’elles ont présentées, incitent le tribunal à conclure que les allégations des demanderesses sont fausses...

[41] Pour les motifs qui précèdent, le tribunal conclut que les demanderesses n’ont pas établi leurs allégations, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’éléments de preuve crédibles ou dignes de confiance.

(Non souligné dans l’original.)

[22]           En conséquence, les demanderesses n’ont pas réussi à établir qu’elles forment un couple de lesbiennes, selon la prépondérance des probabilités, une condition préalable nécessaire pour évaluer les mérites de leur demande à la lumière des articles 96 et 97 de la LIPR. Au paragraphe 72 de la décision, la SAR conclut ce qui suit : [traduction]

[72] Même s’il est vrai que la SPR n’a pas tiré de conclusion précise au sujet de l’orientation sexuelle des demanderesses, la SAR estime que la conclusion globale de la SPR relativement à la crédibilité doit être interprétée comme incluant cette question. La question de l’orientation sexuelle se situait au cœur même de la demande d’asile des demanderesses; la SPR a déclaré clairement qu’elle ne croyait aucun élément de cette demande. Elle a tiré une conclusion favorable de l’identité nationale, en s’appuyant sur les passeports originaux des demanderesses; elle a ensuite mis en doute le reste des demandes d’asile des demanderesses. Selon la SAR, cela ne peut que signifier que la SPR n’a pas accepté l’allégation des demanderesses à l’effet qu’elles sont des lesbiennes et qu’elles forment un couple de lesbiennes.

[23]           La décision de la SAR est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-571-16

INTITULÉ :

PHILIPA SHERIKA FERNANDER ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 10 août 2016

COMPARUTIONS :

Pablo Irribarra

Pour les demanderesses

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jordan Battista

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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