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Date : 20160921


Dossier : IMM-4836-15

Référence : 2016 CF 1071

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

NDUE KROJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le demandeur cherche à faire annuler une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 8 octobre 2015 (décision). La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   EXPOSÉ DES FAITS

[3]               Le demandeur est un citoyen de l’Albanie qui est né le 16 janvier 1987. Le 1er septembre 1999, son cousin a tué deux personnes. La famille des victimes, les Arifi, a alors déclaré une vendetta contre la famille du demandeur. Le demandeur affirme que sa famille a reçu de nombreuses menaces, y compris l’inscription du mot « mort » sur la porte d’entrée du domicile du demandeur, ainsi que de multiples lettres et appels téléphoniques.

[4]               Le 7 mars 2001, le cousin du demandeur a été assassiné. La famille Arifi a nié toute implication dans le meurtre et la police n’a jamais trouvé les coupables.

[5]               La famille du demandeur a décidé de déménager. Un mois plus tard, ils ont découvert que plusieurs de leurs animaux d’élevage avaient été tués. Les menaces ont persisté au fil des années et la famille a déménagé une nouvelle fois le 14 juillet 2013. Le 25 juillet 2014, quelqu’un a déclenché trois explosifs à la résidence d’origine de la famille, détruisant toute la maison et endommageant les propriétés avoisinantes.

[6]               De 2005 à 2009, le demandeur a travaillé en Albanie comme maçon, puis il a travaillé dans la construction entre 2010 et 2014. Il a également travaillé en Italie en tant qu’ouvrier à la récolte de fruits et ouvrier en bâtiment pour des périodes de deux à trois mois à la fois de 2009 à 2014, faisant la navette entre l’Italie et l’Albanie.

[7]               La plupart des cousins aînés et des oncles du demandeur ont quitté l’Albanie pour se réfugier aux États-Unis et en Europe. Muni d’un faux passeport italien, le demandeur a quitté l’Albanie le 2 décembre 2014. Il est resté en France pendant deux semaines et est arrivé au Canada le 18 décembre 2014. Il a présenté une demande d’asile au point d’entrée. Maintenant, en tant qu’homme le plus âgé de la famille, en dehors de son père, le demandeur dit craindre de se faire tuer s’il retourne en Albanie.

II.                La décision de la SPR

A.                Aucun lien établi avec un motif énoncé dans la Convention

[8]               L’audience de la SPR a eu lieu le 23 février 2015. La décision a été rendue le 6 mars 2015. La SPR a déterminé que les craintes du demandeur à l’égard de la famille Arifi étaient liées au fait qu’il serait victime d’un crime et d’une vendetta de la part de la famille Arifi. Il n’y avait aucun lien entre la crainte de persécution du demandeur et l’un des motifs énoncés dans la Convention. La SPR a donc conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Sa demande a été rejetée en vertu de l’article 96 de la LIPR.

B.                 La protection de l’État était la question déterminante.

[9]               La SPR a également conclu que la protection de l’État était une question déterminante. Elle a souligné que l’Albanie est un pays où la démocratie n’est pas remise en question. La SPR a conclu que les éléments de preuve concernant l’efficacité concrète de la protection de l’État en Albanie étaient mitigés et qu’une analyse individualisée et contextualisée de chaque revendication était nécessaire.

[10]           Dans l’ensemble, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour réfuter la présomption de protection de l’État étant donné sa situation particulière. La SPR a examiné plusieurs documents sur la situation dans le pays et a constaté qu’il y avait des preuves selon lesquelles [traduction] « il existe une protection de l’État sur le plan opérationnel pour les victimes d’actes criminels, y compris les vendettas ». Elle a également déterminé que le demandeur n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour obtenir l’aide de la police. Elle a souligné que le demandeur avait déclaré qu’il n’avait jamais appelé personnellement la police et qu’il ne s’était jamais présenté à la police, mais que sa mère l’avait fait pour lui.

[11]           Le demandeur a présenté une attestation du maire et une attestation d’un agent de police à l’appui de sa demande. La SPR a fait remarquer que d’après les documents, la police avait souvent été aux côtés de la famille et lui avait offert une protection. Le demandeur a témoigné qu’à l’exception du meurtre de son cousin en 2001, aucun membre de sa famille n’avait subi de préjudice physique malgré les nombreuses menaces. La SPR a mentionné que le fait que personne n’a été arrêté pour le meurtre commis en 2001 et l’incapacité à réconcilier les deux familles ne menaient pas à la conclusion qu’il n’y avait pas de protection adéquate de la part de l’État.

[12]           En ce qui concerne une demande d’asile fondée sur des motifs semblables que le cousin du demandeur a déposée en 2005 aux États-Unis et qui a été acceptée, la SPR a fait remarquer que plusieurs améliorations tangibles avaient été apportées à la protection de l’État en Albanie par la suite.

C.                 Possibilité de refuge intérieur viable

[13]           La SPR a également conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Tirana, en Albanie, et que le fait qu’il était retourné à plusieurs reprises à son domicile familial en Albanie alors qu’il se trouvait en Italie avait sapé son allégation selon laquelle sa vie était gravement menacée en Albanie. La SPR a mis en doute la gravité des menaces de la part de la famille Arifi compte tenu de ses nombreux retours dans son pays au fil des ans, de l’absence de demande d’asile en Italie ou en France et de son aptitude à travailler en Albanie. Le demandeur a indiqué que s’il recevait des menaces de la famille Arifi alors qu’il se trouvait à Tirani, il les signalerait à la police.

III.             La décision de la SAR

[14]           Le demandeur a soulevé trois motifs d’appel devant la SAR, alléguant que la SPR :

                                  i.          n’avait pas réussi à formuler en termes clairs et non ambigus des conclusions relativement à la crédibilité;

                                 ii.         n’avait pas procédé à une analyse appropriée de la disponibilité de la protection de l’État;

                                iii.        avait commis une erreur dans la détermination d’une PRI.

[15]           La SAR a accepté deux documents en tant que nouveaux éléments de preuve :

                                i.            Une attestation datée du 30 mars 2015, signée par la police de la commune de Pult, indiquant que la mère du demandeur avait signalé qu’elle avait été menacée et agressée par deux inconnus masqués. Il était mentionné dans le rapport que la police n’avait pas été en mesure d’identifier les auteurs à ce jour.

                              ii.            Une lettre datée du 29 mars 2015 de la mère du demandeur alléguant que le 28 mars 2015, elle a été agressée et menacée par des hommes masqués et armés qui lui ont demandé où se trouvaient les hommes de sa famille et l’ont menacée de tuer son mari et ses fils.

A.                Norme de contrôle applicable à la décision de la SPR

[16]           La SAR a passé en revue la jurisprudence la plus récente, à partir d’octobre 2015, sur la norme de contrôle qui devait être appliquée. S’appuyant sur la décision Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [Huruglica CF], la SAR a conclu qu’elle mènerait sa propre [traduction] « évaluation de l’ensemble des éléments de preuve afin de déterminer si l’appelant a qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, tout en faisant preuve d’une certaine déférence lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier ». La SAR a également déterminé que la norme de la décision correcte serait utilisée pour toute erreur de droit constatée dans la décision de la SPR.

B.                 Conclusions relatives à la crédibilité

[17]           La SAR a examiné les motifs de la SPR et a conclu que les préoccupations exprimées relativement à la crédibilité n’étaient pas déterminantes pour la demande. La protection de l’État était la question déterminante. La SAR a souligné qu’il n’y avait aucun problème de crédibilité [traduction] « quant au fondement historique de la prétendue vendetta ». L’insuffisance d’éléments de preuve crédibles pour réfuter la présomption de protection de l’État découle du témoignage du demandeur concernant l’absence de demande d’asile en Italie et en France ainsi que le fait qu’il s’était réclamé à de nombreuses reprises de la protection de l’Albanie. La SAR a souligné que l’emploi du demandeur en Albanie avait amené la SPR à conclure qu’il avait embelli sa demande d’asile en alléguant s’être caché pendant plus de 10 ans.

[18]           La SAR a déclaré que, en tout état de cause, la crédibilité n’était pas déterminante; la protection de l’État était la question déterminante.

C.                 Analyse de la protection de l’État

[19]           Le demandeur a fait savoir auprès de la SAR que l’analyse de la protection de l’État par la SPR était [traduction] « totalement inadéquate » étant donné que la lettre officielle de la police indiquait que malgré les efforts déployés, la police n’avait pas réussi à trouver les coupables et avait été incapable de réconcilier les familles en cause dans la vendetta. Il a également contesté les sources documentaires invoquées par la SPR et a déclaré qu’il n’y avait pas d’analyse sur la disponibilité de la protection de l’État pour les victimes de vendettas. Il a dit qu’il n’y avait pas d’évaluation individualisée de la protection de l’État et pas de prise en compte des dimensions des vendettas, y compris les [traduction] « règles, directives et considérations culturelles ».

[20]           La SAR a mentionné que dans les documents sur la situation dans le pays sur lesquels la SPR s’est appuyée, il y avait plusieurs références aux vendettas, et que dans les motifs, il était spécifiquement fait mention des vendettas. Le demandeur s’était opposé à ce que la SPR tienne compte de documents sur la situation dans le pays qui n’ont rien à voir avec les vendettas. À cet égard, la SAR a déterminé que la SPR [traduction] « n’avait certainement pas commis d’erreur en analysant le contexte plus large de la protection de l’État en Albanie et en mentionnant des facteurs tels que la corruption, la réforme judiciaire et le crime organisé ».

[21]           La SAR a souligné que la SPR avait reconnu qu’il y avait une vendetta et qu’une vaste documentation sur les vendettas avait été déposée auprès de la SPR. La SAR a conclu que dans ses motifs, la SPR avait pris en considération le contexte d’une vendetta et que l’examen de la protection de l’État faisait référence à divers documents sur la situation dans le pays, lesquels traitaient de la réaction de l’Albanie aux vendettas.

[22]           En ce qui concerne la lettre émanant du maire et de l’agent de police qui a été déposée auprès de la SPR, la SAR l’a examiné et est parvenue à la conclusion que la lettre était une déclaration sommaire qui avait été préparée à la demande de la famille et qu’elle ne fournissait pas de détails, de sorte qu’on ne savait pas quelles mesures avaient été prises par la police.

[23]           La SAR a fait remarquer qu’une évaluation individualisée de la protection de l’État incluait la prise en compte des efforts déployés par un demandeur d’asile. Le demandeur n’avait jamais personnellement contacté les autorités pour obtenir une protection. Il a compté sur l’intervention de sa mère.

[24]           Les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR ont été examinés. Ces éléments de preuve révélaient que la police s’était rendue au domicile de la mère du demandeur et avait remarqué qu’elle semblait être effrayée et terrorisée. La SAR a conclu que d’après ces éléments de preuve, la police était disposée à fournir une protection, mais que comme il n’y avait pas de témoins et que les agresseurs étaient masqués, la police ne pouvait pas identifier les coupables. La SAR a conclu que la police n’aurait pas pu faire grand-chose d’autre et que cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas de protection de l’État.

D.                Possibilité de refuge intérieur (PRI)

[25]           En examinant ce motif d’appel, la SAR a noté que la question déterminante était la protection de l’État et, étant donné que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, il n’y avait pas lieu d’examiner le troisième motif d’appel.

E.                 Conclusion rendue par la SAR

[26]           La SAR a conclu en confirmant avoir effectué une évaluation indépendante de l’ensemble des éléments de preuve. Elle a conclu que la SPR n’avait commis aucune erreur de droit, de fait ou mixte de droit et de fait. La SAR a souscrit à la conclusion ultime selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE ET norme de contrôle

A.                Questions en litige

[27]           En critiquant la décision de la SAR, le demandeur soulève pratiquement les mêmes questions que celles qu’il a soulevées devant la SAR au sujet de la SPR. Il prétend : 1) que la SAR a accepté à tort la conclusion de la SPR quant à la crédibilité et qu’elle n’est pas parvenue à une conclusion définitive quant à sa crédibilité; 2) que la SAR a formulé des conclusions déraisonnables sur la protection de l’État; et 3) que la SAR a fait fi des éléments de preuve pertinents qui contredisaient les éléments de preuve sélectionnés pour appuyer la décision.

B.                 Norme de contrôle

[28]           Depuis l’audition de cette affaire, la Cour d’appel a confirmé que les décisions de la SAR sont examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica CAF]. J’appliquerai cette norme.

[29]           Lorsque la Cour examine les décisions de la SAR, elle examine des décisions qui ont été rendues par un tribunal hautement spécialisé. Par conséquent, les décisions de la SAR doivent faire l’objet d’une déférence prenant la forme d’« une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Une décision est raisonnable lorsque  « le processus décisionnel se caractérise par la justification, la transparence et l’intelligibilité » et lorsque la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 48 et 47 respectivement [Dunsmuir]).

[30]           La Cour d’appel a également conclu dans l’arrêt Huruglica CAF, au paragraphe 103, que la norme de contrôle applicable par la SAR aux décisions de la SPR est celle de la décision correcte lorsqu’il n’y a aucune question quant à la crédibilité de la preuve orale. Tel qu’énoncé ci-après, je conclus que c’est la norme qui a été appliquée en l’espèce par la SAR.

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[31]           Le procédé utilisé par la SAR, bien qu’il soit antérieur à l’arrêt Huruglica CAF de plus de six mois, est conforme à l’orientation donnée par la Cour d’appel. Tout au long de la décision, la SAR a montré qu’elle a réexaminé le dossier, y compris les motifs invoqués par la SPR, et déterminé dans chaque cas si la SPR avait commis une erreur.

[32]           La loi, comme l’a confirmé l’arrêt Huruglica CAF, énonce que la SAR doit, après avoir examiné l’appel, soit : a) confirmer la décision de la SPR; b) la casser et y substituer la décision qui, selon la SAR, aurait dû être rendue; c) renvoyer la question à la SPR pour qu’elle la réexamine conformément aux instructions que la SAR estime appropriées : LIPR, article 111.

[33]           En confirmant les conclusions de la SPR, la SAR s’est conformée à l’exigence législative. Cela ne signifie pas qu’elle n’a pas instruit l’appel comme il se doit.

B.                 Crédibilité

[34]           L’avocat du demandeur a soutenu que la commissaire de la SPR n’a pas formulé ses conclusions de crédibilité en termes clairs et non ambigus et qu’elle n’a pas effectué d’analyse indépendante étant donné qu’aucune mention n’a été faite de la transcription de l’audience de la SPR ni du cousin qui était dans la même situation et a obtenu le statut de réfugié aux États-Unis en 2005. Il soutient que ces évaluations non précisées quant à la crainte subjective du demandeur d’être persécuté entachent l’évaluation objective d’une protection adéquate de l’État. Il dit également que la SAR s’est contentée d’analyser l’évaluation faite par la SPR de chaque élément de preuve au lieu de procéder à une évaluation indépendante.

[35]           Mon interprétation de la décision n’est pas aussi restreinte. D’abord, les renseignements qui, selon le demandeur, n’ont pas été pris en considération figurent dans la décision de la SPR. Ensuite, le fait de ne pas mentionner la preuve ne signifie pas qu’elle n’a pas été prise en considération. La SAR a mis l’accent sur le fait que la protection de l’État, et non la crédibilité, était la question déterminante. Par conséquent, le tribunal a uniquement examiné les éléments de preuve saillants.

[36]           S’appuyant sur la décision Mendoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 251 [Mendoza], le demandeur déclare que les allégations défavorables touchant la crédibilité doivent être énoncées en termes clairs et explicites et que c’est une erreur de ne pas préciser quels éléments de preuve le décideur juge crédibles et non crédibles. Dans la décision Mendoza, le juge Zinn a conclu que des déclarations avaient été faites selon lesquelles le demandeur n’était pas crédible, mais que rien ne renvoyait à un élément de preuve en particulier rejeté en raison de cette conclusion quant à la crédibilité. La Cour n’a alors pas pu déterminer l’incidence des conclusions relative à la crédibilité sur la conclusion liée à la protection de l’État. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[37]           Contrairement aux allégations du demandeur, j’estime que la SPR et la SAR ont tiré des conclusions claires quant à la crédibilité. La SPR et la SAR ont toutes les deux admis que les assassinats avaient eu lieu en 1999 et 2001. Elles ont toutes les deux admis le fait qu’il y a une vendetta. Elles ont toutes les deux admis que les lettres de la police étaient crédibles et que la police avait offert une protection, mais n’avait procédé à aucune arrestation. Elles ont toutes les deux clairement expliqué pourquoi elles concluaient que cela ne révélait pas une incapacité à assurer la protection de l’État. Si peu de conclusions ont été tirées quant à crédibilité, c’est parce que les faits, notamment les déplacements du demandeur entre l’Italie et l’Albanie pour le travail, sont simples et non contestés. Je reconnais que le demandeur s’oppose à l’interprétation des faits et aux conclusions qu’en ont tirées les deux tribunaux. Toutefois, cela ne signifie pas que le décideur n’a pas exprimé ses conclusions relatives à la crédibilité. Cela signifie simplement que le demandeur n’est pas d’accord avec le résultat.

[38]           Le demandeur invoque également la décision Farkas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 210 [Farkas], pour faire valoir la proposition selon laquelle l’omission d’énoncer les conclusions de crédibilité constitue une erreur lorsque la SPR n’énonce pas de conclusion sur la crainte subjective avant d’analyser la protection de l’État, laquelle analyse permet de déterminer si la crainte du demandeur est raisonnable. La décision Farkas s’appuie à son tour sur la décision Cobian Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503 [Flores], selon laquelle la SPR doit se prononcer sur la crainte subjective de persécution avant de se demander si une protection est offerte par l’État.

[39]           J’estime que la présente affaire se distingue des affaires Farkas et Flores. La décision Flores ne plaide pas pour la proposition selon laquelle une décision sur la protection de l’État en l’absence d’une conclusion sur la peur subjective est toujours déraisonnable. Elle faisait valoir qu’il y avait un vide factuel qui empêchait la SPR d’évaluer la pertinence de la protection de l’État en fonction des menaces particulières que le demandeur fuyait. La Cour a souligné, au paragraphe 32, que dans le cadre d’une analyse de la protection de l’État, un petit revendeur de drogue ne présentait pas les mêmes menaces qu’un puissant cartel de la drogue.

[40]           Dans la décision Farkas, la question en litige était que la SPR avait implicitement conclu que le demandeur n’était pas crédible en rejetant sa crainte subjective de persécution alors qu’elle s’était par la suite appuyée sur son témoignage pour conclure que la protection de l’État était adéquate. La décision de la SPR a été infirmée étant donné qu’une même preuve ne peut raisonnablement être vraie pour une fin et fausse pour une autre.

[41]           En l’espèce, la SPR et la SAR ont conclu que les déplacements fréquents du demandeur entre l’Italie et l’Albanie et le fait qu’il n’avait pas déposé de demande d’asile en Italie ou en France prouvaient que le demandeur n’estimait pas que la protection de l’État en Albanie était inadéquate. Elles ont conclu que ces éléments de preuve mettaient à mal l’allégation du demandeur selon laquelle la protection de l’État albanais était objectivement inadéquate. Il était raisonnablement loisible aux décideurs de suivre cette logique dans l’analyse. Le fait que la SAR et la SPR ne se sont pas non plus appuyées sur les antécédents de voyage du demandeur pour rejeter sa demande au motif qu’il n’avait aucune crainte subjective de persécution ne rend pas déraisonnables leurs conclusions en matière de protection de l’État. Si un élément de preuve peut entraîner le rejet d’une demande d’asile pour deux motifs, le décideur ne commet pas d’erreur en se fondant uniquement sur l’un des deux motifs.

C.                 Analyse de la protection de l’État

[42]           Le demandeur a fait part de son inquiétude quant au fait que la SPR n’avait pas tenu compte de la nature de la vendetta lorsqu’elle a examiné la protection de l’État. La SAR a conclu que la SPR était convaincue qu’il y avait une vendetta. La SAR a souligné que les documents sur la situation dans le pays qui ont été examinés par la SPR faisaient état de vendettas et qu’une analyse individualisée et contextualisée des allégations du demandeur était nécessaire pour déterminer la protection de l’État.

[43]           La SAR a examiné les conclusions tirées par la SPR en matière de protection de l’État. Elle a analysé la pertinence de ces conclusions et a examiné les documents applicables sur la situation dans le pays qui avaient été invoqués. La SAR a fait remarquer qu’il n’est pas nécessaire que la protection de l’État soit parfaite. Elle a conclu que les documents, y compris un rapport de la Commission européenne publié en 2014, indiquaient que les autorités réduisaient la criminalité découlant des vendettas. Il semble que le désaccord du demandeur avec les conclusions tirées s’apparente à une divergence d’opinions sur le poids relatif à attribuer aux éléments de preuve contenus dans les documents. Je conclus que la SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve, comme en témoignent les motifs, et que la conclusion sur la disponibilité de la protection de l’État était raisonnable étant donné la preuve documentaire versée au dossier.

[44]           La SAR a pris en considération les éléments de preuve que le demandeur a produits devant la SPR, à savoir la lettre de la police et celle du maire, ainsi que les nouveaux éléments de preuve fournis à la SAR. Elle a conclu que les éléments de preuve de la police dans les deux cas confirmaient que les autorités prenaient les vendettas au sérieux et qu’elles étaient disposées à offrir une protection. Cela concorde avec la déclaration contenue dans les lettres et il était raisonnablement loisible à la SAR de tirer une telle conclusion.

[45]           Dans le cadre de l’analyse individualisée, la SAR s’est penchée sur le fait que le demandeur s’était réclamé à plusieurs reprises de la protection de l’État et sur son travail en Albanie, où il devait en partie travailler dehors. La SAR a également examiné le contexte des actions du demandeur, à savoir le fait qu’il n’avait pas déposé de demande d’asile durant les nombreuses années où il a vécu en Italie ou durant les deux semaines qu’il a passées en France avant son arrivée au Canada. Il était raisonnable pour la SAR de conclure que ces faits minaient la prétendue crainte du demandeur que sa vie soit gravement menacée s’il était renvoyé en Albanie.

[46]           Je conclus que l’analyse de la protection de l’État par la SAR ne crée pas de confusion et n’empêche pas le demandeur de comprendre pourquoi la SAR est parvenue à de telles conclusions. La SAR a conclu que les éléments de preuve fournis par le demandeur étayaient la disponibilité de la protection de l’État. Elle a raisonnablement conclu que les actions antérieures du demandeur montraient qu’il n’avait aucune crainte de subir un préjudice s’il devait être renvoyé en Albanie et que la famille Arifi n’était pas si puissante que la police ne pourrait pas l’aider.

[47]           Le demandeur a présenté peu d’éléments de preuve pour réfuter la présomption de protection de l’État et il a été établi que ces éléments de preuve étayaient la présomption au lieu de la réfuter. Il était raisonnablement loisible à la SAR d’avoir ce point de vue sur les éléments de preuve. Même si les motifs auraient pu contenir davantage de détails, ils sont suffisants pour permettre au demandeur de comprendre pourquoi la SAR est parvenue à ces conclusions et les éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée pour tirer de telles conclusions. À cet égard, les critères de l’arrêt Dunsmuir ont été respectés.

D.                Possibilité de refuge intérieur

[48]           La SAR a déterminé qu’étant donné que la protection de l’État était un facteur déterminant et que la SPR n’avait pas commis d’erreurs dans son analyse, il n’était pas nécessaire d’examiner la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une possibilité de refuge intérieur viable.

VI.             Conclusion

[49]           La SAR a fait son propre examen indépendant et a tiré sa propre conclusion au sujet de la question de savoir si la SPR avait commis une erreur ou non. Dans chaque cas, comme il est nécessaire de le faire, elle n’a trouvé aucune erreur.

[50]           Le processus décisionnel était transparent et intelligible. Il était étayé par les éléments de preuve soumis à la SAR. La SAR a convenu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Je ne vois rien de déraisonnable dans les motifs fournis ou dans l’issue de l’affaire. Le demandeur sait pourquoi ces conclusions ont été tirées et quels éléments de preuve ont été retenus pour arriver à ces conclusions. La décision appartient aux issues possibles acceptables. Elle peut se justifier au regard des faits et du droit.

[51]           Le demandeur aimerait que j’examine les éléments de preuve et que je parvienne à une conclusion différente de celle de la SAR et de la SPR, mais ce n’est pas mon rôle ou ma fonction.

[52]           La demande est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée à partir des faits en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4836-15

 

INTITULÉ :

NDUE KROJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

 

Pour le demandeur

 

Galina M. Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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