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Date : 20160930


Dossier : IMM-570-16

Référence : 2016 CF 1094

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ASIF RAZA
SONIA SAJJAD
NAJAF ALI
ZENA RAZA
LUJAIN RAZA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi ») d’une décision datée du 15 janvier 2016 de la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») rejetant la demande d’asile des demandeurs.

[2]               Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle et en confirmant l’analyse de crédibilité de la SPR.

[3]               Un examen de la décision de la SAR n’a fait ressortir aucune erreur et, pour cette raison, la demande est rejetée.

I.                   Contexte factuel

[4]               M. Asif Raza (le demandeur principal) ainsi que son épouse, Mme Sonia Sajjad et leurs trois enfants mineurs, Najaf Ali, Zena Raza et Lujain Raza (les autres demandeurs) sont des citoyens du Pakistan. Le 15 janvier 2015, le demandeur principal a perdu son emploi au Koweït, où la famille résidait depuis un certain nombre d’années. Puisque M. Raza avait perdu son permis de travail, la famille est revenue au Pakistan, où elle est restée du 23 janvier 2015 au 11 février 2015.

[5]               Les demandeurs allèguent qu’au cours de cette période, ils ont été menacés par un groupe terroriste appelé Lahsher-e-Jhangvi. Ce groupe terroriste aurait menacé de faire exploser la maison du demandeur principal et de le tuer. Étant donné ces menaces, les demandeurs allèguent que leur famille au grand complet court un risque. Le demandeur principal serait ciblé par ce groupe terroriste en raison du fait qu’il est un organisateur, un donateur et un membre éminent de la communauté chiite de Mian Channu, dans la province du Punjab, au Pakistan.

[6]               En février 2015, les demandeurs sont venus au Canada avec des visas de visiteurs; ils ont demandé asile en mars 2015.

[7]               Les demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées par la SPR le 16 juin 2015. L’appel auprès de la SAR a été rejeté le 6 janvier 2016. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été soumise à la Cour fédérale le 8 février 2016.

[8]               Dans les arguments qu’ils ont présentés à la SAR, les demandeurs ont soulevé la question de la compétence de leur représentant devant la SPR. Étant donné ces allégations, le représentant a obtenu une ordonnance lui permettant d’intervenir dans la demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, sans modification de l’intitulé de la cause, mais incluant le dépôt d’affidavits et un exposé des arguments. Le 26 août 2016, l’intervenant a été contre-interrogé au sujet de son affidavit fait sous serment le 2 août 2016.

II.                Décision de la SPR

[9]               La seule question pertinente dans la décision de la SPR est son rejet de la demande des demandeurs pour manque de crédibilité, que la SPR considère déterminante en l’espèce. La principale préoccupation de la SPR portait sur les principaux éléments du témoignage du demandeur principal qui ont été omis dans le fondement de la demande d’asile (FDA). Le demandeur principal a affirmé avoir omis ces déclarations dans le FDA en pensant « qu’il aurait l’occasion de raconter le reste au tribunal », mais la SPR n’a pas jugé cette explication raisonnable et conclu que la crédibilité du demandeur principal était minée. En outre, la SPR a conclu qu’il n’était pas plausible que les demandeurs n’aient été ciblés qu’en janvier 2015, alors que le demandeur principal et son beau-père sont actifs dans la communauté religieuse depuis 1992 et 1972, respectivement.

III.             Décision de la SAR

[10]           La SAR a rejeté l’appel et confirmé la conclusion de la SPR. Les seules questions prises en compte par la SAR portaient sur 1) un nouvel argument selon lequel il y a violation des principales de justice naturelle en raison de la représentation incompétente alléguée par le représentant des demandeurs devant la SPR; et 2) le soi-disant examen déficient de la crédibilité par la SPR.

[11]           Conformément aux décisions rendues dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica] et Njeukam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 859, la SAR a déclaré qu’elle montrerait une certaine déférence par rapport aux conclusions de la SPR sur le plan de la crédibilité, tout en fournissant sa propre évaluation des éléments de preuve pour en venir à ses propres conclusions en appel.

[12]           Les demandeurs ont fait valoir que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité étaient un sous-produit de la représentation négligente assurée par le conseiller en immigration des demandeurs. Les demandeurs ont prétendu qu’ils ont relaté certains incidents de persécution précis vécus au Pakistan au représentant de l’immigration; toutefois, le FDA préparé par le représentant de l’immigration décrivait leurs problèmes en des termes généraux, ce qui est contraire à la norme de pratique des représentants de l’immigration compétents. Étant donné l’importance accordée par la SPR à l’absence de détails dans leur FDA, les demandeurs prétendent que l’incompétence du consultant a été un facteur décisif dans la conclusion négative de la SPR concernant leur crédibilité et dans la décision finale.

[13]           La SAR a rejeté cet argument, jugeant que les demandeurs ne se sont pas acquittés du lourd fardeau de démontrer l’incompétence. Elle a conclu que l’observation des demandeurs selon laquelle le représentant était responsable de l’absence de détails du FDA n’était pas crédible, laissant entendre que les détails de la déclaration ont été élaborés après la soumission du FDA. La SAR a également rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la SPR a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité, en se fondant sur des conclusions d’invraisemblance similaires à celles de la SPR et sur son analyse de la preuve documentaire du pays.

IV.             Questions en litige

[14]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

1.      La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence de violation des principes de justice naturelle attribuable à l’incompétence du représentant des demandeurs?

2.      La SAR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité?

V.                Norme de contrôle

[15]           La question à savoir s’il y a eu violation de la justice naturelle est une question d’équité procédurale, qui devrait être examinée selon la norme de la décision correcte (Mission Institution c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

[16]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à l’analyse de crédibilité de la SAR est la norme de la décision raisonnable. Cette analyse s’étend à la question de la crédibilité de l’affirmation des demandeurs selon laquelle le représentant était incompétent. Ce critère a été réaffirmé dans Huruglica, au paragraphe 35. La Cour interviendra seulement si l’analyse quant à la crédibilité n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.             Analyse

A.                Violation des principes de justice naturelle en raison de la prétendue incompétence de l’avocat

[17]           Le caractère raisonnable de la décision de la SAR, par laquelle cette dernière rejetait la déclaration des demandeurs selon laquelle le représentant de l’immigration était incompétent, porte sur sa propre analyse de versions mutuellement exclusives et contradictoires des éléments de preuve se rapportant à des discussions entre les demandeurs et le représentant. Comme il a été mentionné, les demandeurs allèguent qu’ils ont avisé leur représentant des détails de leur demande, renseignements qu’il a décidé de ne pas inclure dans le FDA. À l’inverse, le représentant a déclaré dans son témoignage que le demandeur principal ne pouvait ou ne voulait fournir les détails de l’allégation de persécution, malgré qu’il en ait fait la demande et qu’il ait été avisé que l’absence de détails nuirait à la demande de la famille.

[18]           Dans cet affidavit et au cours du contre-interrogatoire, le représentant a indiqué précisément qu’il a demandé à obtenir d’autres détails pour étayer le FDA des demandeurs lors de quatre ou cinq visites. Il allègue que le demandeur principal était réticent à le faire et a fourni différentes réponses lorsqu’il a été interrogé à différentes occasions. Initialement, il a indiqué qu’il fournirait l’information uniquement au cours de l’audience de demande d’asile. Plus tard, il a expliqué qu’il s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses idées, ce qu’il a attribué à son état psychologique dépressif. Le représentant affirme que le demandeur principal a refusé à deux occasions d’obtenir de l’aide, dont une évaluation psychologique. Le représentait croyait qu’il aurait éventuellement à modifier le FDA, mais les renseignements supplémentaires ne lui ont jamais été fournis. Il a également indiqué que des préoccupations d’ordre éthique le limitaient quelque peu dans son insistance auprès du demandeur principal pour obtenir des renseignements supplémentaires puisqu’il était évident qu’il n’était pas en mesure de le faire.

[19]           Par contre, des préoccupations véritables sont soulevées concernant le refus apparent du représentant de fournir le contenu du dossier préparé. Pendant la plaidoirie, son avocat a tenté d’expliquer pourquoi le dossier ne contenait pas de documents pertinents sur les consultations. La Cour a refusé d’examiner cet élément de preuve. La Cour est tout aussi préoccupée par le fait que le représentant n’a pas fourni aux demandeurs des conseils écrits sur les conséquences possibles pour leur demande de présenter un FDA fondé sur de simples allégations, sans fournir de détails.

[20]           Toutefois, la Cour juge plus convaincants les éléments de preuve fournis lors du témoignage du demandeur principal devant la SPR. En réponse à des questions posées à quatre occasions différentes afin de déterminer pourquoi le FDA ne comportait pas les renseignements précis fournis lors de son témoignage à l’audience, aucune de ses réponses n’indiquait qu’il avait fourni les renseignements à son représentant ou expliqué pourquoi les renseignements ne figuraient pas dans le document. Il a plutôt répondu qu’il croyait qu’il aurait l’occasion de fournir ces renseignements au tribunal lors de l’audience. Je reconnais que la présence du représentant comme avocat lors de l’audience pourrait avoir quelque peu compromis la réponse du demandeur. Quoi qu’il en soit, étant donné les nombreuses occasions où il a été interrogé, on pourrait raisonnablement penser qu’il aurait mentionné en avoir parlé à son représentant, ce qu’il a apparemment fortement soutenu, une fois qu’un nouvel avocat aurait été retenu. Étant donné que les autres membres de la famille étaient apparemment présents lors de certaines consultations avec le représentant, ils auraient également pu insister auprès du demandeur principal pour qu’il le souligne à la Commission.

[21]           De même, la Cour accepte difficilement le concept qu’un représentant de l’immigration expérimenté, exerçant depuis environ 13 ans et appelé à intervenir fréquemment dans des affaires de cette nature, omettrait des détails fournis par le client dans le FDA alors que les conséquences négatives pour le client sont bien connues dans la jurisprudence en matière d’immigration. Si telle était sa pratique, je ne peux imaginer que ce problème n’aurait pas été soulevé beaucoup plus tôt au cours de sa carrière.

[22]           Gardant à l’esprit le lourd fardeau qui incombe au demandeur et l’obligation que les renseignements soutiennent clairement une allégation d’incompétence à l’égard d’un ancien avocat (Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36), j’estime que la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y a pas eu violation des principes de justice naturelle dans le cadre de la représentation des demandeurs devant la SPR était raisonnable.

B.                 Analyse de la crédibilité

[23]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité. Les questions soulevées par la SAR, à savoir si des attaques avaient été menées récemment par le groupe terroriste concerné dans la ville des demandeurs, ne doivent en aucun cas être interprétées comme une obligation de la part des demandeurs de démontrer que le groupe attaquera des membres de la communauté chiite dans cette ville. Rien dans la preuve ne soutient l’argument que la SAR a perdu de vue la norme de contrôle appropriée en vertu de l’article 96 de la LIPR. Les demandeurs ont également mal interprété l’analyse de la SAR en faisant valoir qu’elle spécule de ce qui peut se produire dans l’esprit de l’agresseur lorsqu’elle se questionne sur les motifs qui l’amènerait à cibler deux personnes ayant passé si peu de temps dans la région. C’est à la SAR qu’il incombe de déterminer si une allégation est plausible et crédible à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés. À la lumière de ces éléments de preuve, la SAR a conclu qu’il n’était pas plausible que la famille soit ciblée par le groupe terroriste concerné. Cette conclusion était raisonnable. La conclusion négative de la SAR sur la crédibilité était fondée sur de nombreuses omissions, incohérences et invraisemblances. En outre, la SAR a déterminé que le demandeur principal n’était pas crédible lorsqu’il a affirmé dans ton témoignage avoir avisé son avocat des détails de sa demande.

[24]           De plus, les éléments de preuve invoqués par les demandeurs pour établir les conditions dans le pays relativement au groupe Lahsher-Jhangvi remontent à 1995 et ne semblent pas pertinentes à la zone géographique où habitent les demandeurs. Les éléments de preuve ne soutiennent pas le profil du demandeur principal comme cible de persécution. En outre, aucune explication logique n’a été fournie concernant la persécution alléguée après tant d’années à organiser et à collecter des fonds au profit de la communauté chiite.

VII.          Conclusion

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-570-16

 

INTITULÉ :

ASIF RAZA ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DES AUDIENCES :

Le 19 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Max Berger

Pour les demandeurs

 

Suran Bhattacharyya

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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