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Date : 20161004


Dossier : IMM-729-16

Référence : 2016 CF 1101

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 4 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

NADER HUSSEIN K KADDOURA

HEBA A ZAIDAYH

LARINE KADDOURA

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Les demandeurs contestent la décision du 26 janvier 2016 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié décrète qu’ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]               Les demandeurs sont des Palestiniens apatrides qui sont nés et ont grandi en Arabie saoudite. Le demandeur, M. Kaddoura, ainsi que sa fille, Larine Kaddoura, détiennent des titres de voyage libanais. La demanderesse, Mme Heba A Zaidayh, détient un titre de voyage égyptien. La famille n’a jamais résidé au Liban ou en Égypte. Les demandeurs adultes ont fait des études en Jordanie, mais ils n’y ont pas de statut. Le permis de résidence de M. Kaddoura en Arabie saoudite est arrivé à échéance en octobre 2015.

[3]               En février 2013, il s’est rendu aux États-Unis muni d’un visa de visiteur. Il y est resté pendant quelques semaines, au cours desquelles il habitait chez des parents. Pendant ce séjour, il n’a pas demandé l’asile ni aux États-Unis ni au Canada. M. Kaddoura est retourné en Arabie saoudite et il y a épousé Mme Zaidayh en juillet 2013. Leur fille est née en février 2015. M. Kaddoura a déclaré qu’après s’être entretenu avec des membres de sa famille au Canada et aux États-Unis, il a obtenu des visas pour les États-Unis en août 2015, avec l’intention de venir au Canada pour y demander l’asile. Apparemment, on lui aurait dit que le processus d’asile aux États-Unis coûtait cher, qu’il était long et que les chances de succès étaient très minimes. Bien qu’il n’ait pas fait de démarches pour obtenir un visa en vue d’entrer directement au Canada, M. Kaddoura affirme qu’il avait discuté et échangé des messages avec un consultant en immigration au Canada.

[4]               Le 3 novembre 2015, tous les membres de la famille se sont rendus aux États-Unis avec des visas de visiteur valables pour six mois. Ils y sont restés trois semaines et ont visité la tante du demandeur et d’autres membres de la famille à Détroit, au Michigan. Le 24 novembre 2015, les demandeurs ont présenté une demande d’asile au point d’entrée de Windsor, en Ontario, au motif qu’ils seraient victimes de discrimination pouvant aller jusqu’à la persécution s’ils retournaient en Arabie saoudite. D’après les documents de fondement de la demande d’asile et les éléments de preuve, M. Kaddoura n’aurait pas demandé l’asile aux États-Unis en raison des difficultés susmentionnées et parce qu’il souhaitait aller retrouver son oncle paternel à Edmonton, en Alberta.

II.                DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tranché que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’article 96, ni des personnes à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR. Sur la foi du témoignage de M. Kaddoura et des copies des titres de voyage produites en preuve, la Commission a conclu que le dernier pays dans lequel les demandeurs avaient eu leur résidence habituelle était l’Arabie saoudite. Elle a jugé également qu’ils ne pouvaient avoir leur résidence habituelle dans aucun autre pays.

[6]               La Commission a constaté au surplus que les demandeurs n’avaient jamais entrepris de démarches sérieuses pour obtenir l’asile aux États-Unis. Cette conclusion et le fait que les demandeurs ont retardé à soumettre leur demande ne sont pas déterminants, certes, mais la Commission a jugé qu’ils pouvaient fortement ébranler les fondements subjectifs des prétentions des demandeurs en l’espèce. La Commission ne s’est pas laissée persuader par les justifications données par les demandeurs pour ne pas demander l’asile aux États-Unis. Plus particulièrement, elle souligne que les demandeurs ont omis d’étayer leurs prétentions concernant les difficultés qu’il leur faudrait franchir pour obtenir l’asile aux États-Unis.

[7]               De l’avis de la Commission, l’objectif de la réunification des familles de la LIPR n’est pas pertinent en ce qui concerne la demande, et elle n’a pas admis l’explication du demandeur selon laquelle la demande d’asile était motivée par la présence de membres de la famille au Canada (en l’occurrence, l’oncle paternel en Alberta). Au moment de l’audience devant la Commission, les demandeurs n’avaient pas encore visité l’oncle paternel et sa famille, et ceux-ci n’étaient pas encore venus à la rencontre des demandeurs dans l’est du pays. À ce propos, M. Kaddoura a déclaré qu’il voulait [traduction] « devenir autonome. Je veux m’en sortir seul et je veux que nous, ma femme et moi, terminions ou commencions une formation. Quand nous serons bien établis, je pourrai aller visiter mon oncle ». Les demandeurs ont aussi de la famille aux États-Unis, dont ils sont restés proches. Notamment, leur tante de Détroit est venue à Toronto pour s’occuper du bébé pendant la tenue de l’audience.

[8]               Finalement, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à justifier leurs craintes de persécution pour un motif prévu à la Convention. Estimant qu’il s’agissait de l’aspect déterminant, la Commission n’a pas jugé nécessaire d’examiner les autres éléments de la demande.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Ayant pris en considération les arguments des deux parties, je formulerais les questions en litige comme suit :

A.   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective de persécution puisqu’ils n’avaient pas revendiqué l’asile aux États-Unis?

B.    La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs a-t-elle été tirée de manière arbitraire, sans égard aux éléments de preuve à sa disposition?

C.    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l’Arabie saoudite était le seul pays où les demandeurs ont déjà eu leur résidence habituelle?

IV.             ANALYSE

[10]           Les parties s’entendent pour dire que toutes les questions en litige sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La SPR est un tribunal spécialisé dont les décisions commandent la retenue. L’intervention de la Cour n’est pas indiquée si la décision de la Commission appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[11]           La détermination du dernier pays dans lequel une personne apatride a eu sa résidence habituelle est une question de nature factuelle donnant lieu à l’application de la norme de la décision raisonnable : Marchoud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1471, au paragraphe 10. Il est bien reconnu que les commissions et les tribunaux administratifs sont les mieux placés pour déterminer la crédibilité d’un demandeur d’asile : Iqbal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 415, au paragraphe 15; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4.

[12]           Une conclusion d’absence de l’élément subjectif du critère en deux volets de la crainte de persécution suffit pour rejeter une demande d’asile : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 46; Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CAF). Le fait de retarder la soumission d’une demande d’asile constitue une considération pertinente aux fins de l’évaluation de la crainte subjective du demandeur : Ortiz Garzon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 299, au paragraphe 30.

[13]           Dans la décision Osorio Mejia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 851, je me prononce comme suit aux paragraphes 14 et 15 :

[14] Un retard révèle une absence de crainte subjective de persécution ou de crainte fondée de persécution car une personne ayant une crainte véritable demanderait l’asile à la première occasion : Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 16.

[15] La Cour a récemment conclu, dans Jeune c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, au paragraphe 15, que le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile à la première occasion avait miné davantage sa crédibilité.

[14]           Dans la décision Garavito Olaya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 913, citée par la Commission en l’espèce, le juge O’Keefe conclut que l’incapacité d’une personne à expliquer de manière satisfaisante sa lenteur à présenter une demande d’asile peut entraîner une déclaration d’irrecevabilité. Voici l’explication du juge, au paragraphe 54 :

Il est à remarquer en l’espèce que les demandeurs sont demeurés aux États-Unis moins d’une semaine. Ils étaient pourtant en possession de visas de visiteur autorisant un séjour de six mois. Aucun obstacle juridique ne s’opposait à un plus long séjour ou ne les empêchait d’y présenter une demande d’asile. Par ailleurs, le simple fait que les demandeurs aient un parent installé au Canada ne permet pas de passer sur le fait qu’ils n’ont pas, aux États-Unis, demandé l’asile « dans les plus brefs délais ».

[15]           Au paragraphe 30, le juge O’Keefe soutient en outre que la Commission a conclu à raison que la prétention selon laquelle l’asile serait plus facile et plus rapide à obtenir au Canada et justifiait donc de ne pas le demander aux États-Unis ne suffisait pas pour infirmer la conclusion défavorable quant à la crainte subjective du demandeur.

[16]           Dans la présente affaire, il était aussi raisonnablement loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité. Elle a invité les demandeurs à expliciter les raisons de leur lenteur à soumettre une demande d’asile et elle a exposé clairement ses réserves à l’égard des questions sous-jacentes de la crainte subjective et de la crédibilité. Compte tenu de la preuve à sa disposition, la Commission pouvait à bon droit tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[17]           Elle a tenu compte des deux raisons invoquées par le demandeur pour ne pas revendiquer l’asile aux États-Unis, savoir les prétendues difficultés inhérentes au processus américain et son projet de retrouver son oncle à Edmonton. En l’absence de preuve, il était raisonnable pour la Commission d’écarter la première raison. Elle pouvait à juste titre conclure que les demandeurs n’avaient pas fait de démarches sérieuses pour se renseigner au sujet du processus d’asile aux États-Unis ou pour le revendiquer à la première occasion. Il lui était tout à fait loisible également de juger que le projet de réunification familiale ne constituait pas un motif réel pour demander l’asile au Canada.

[18]           La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que l’Arabie saoudite était le seul pays où les demandeurs ont déjà eu leur résidence habituelle. Selon les demandeurs, la Commission aurait dû considérer le Liban et l’Égypte comme des lieux potentiels de résidence habituelle puisqu’ils étaient porteurs de titres de voyage de ces pays.

[19]           Dans la décision Kadoura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1057, qui met également en cause un demandeur palestinien apatride, le juge Martineau soutient que les documents de voyage ou autres délivrés au demandeur par les autorités libanaises ne constituaient pas des éléments de preuve concluants pour établir sa résidence habituelle au Liban.

[20]           À l’audience, le demandeur a déclaré que ni lui ni sa femme n’avaient jamais résidé dans un autre pays que l’Arabie saoudite, abstraction faite de leur séjour en Jordanie pour y faire leurs études. Les timbres d’entrée et de sortie apposés par le Liban dans le titre de voyage du demandeur indiquent qu’il a transité par ce pays, sans plus. Dans ses observations lors de l’audience, l’avocat des demandeurs a seulement indiqué l’Arabie saoudite comme pays possible de résidence habituelle. J’estime que la Commission a conclu à juste titre que les demandeurs avaient des motifs raisonnables de craindre d’être persécutés en Arabie saoudite seulement.

[21]           Étant donné sa constatation défavorable concernant la crédibilité du fondement subjectif de la demande en vertu de l’article 96, la Commission n’a pas commis d’erreur en s’abstenant de faire une analyse distincte fondée sur l’article 97.

[22]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-729-16

INTITULÉ :

NADER HUSSEIN K KADDOURA ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 4 octobre 2016

COMPARUTIONS :

John Rokakis

Pour les demandeurs

David Joseph

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Rokakis

Avocat

Windsor (Ontario)

 

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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