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Date : 20160824


Dossier : IMM-4828-15

Référence : 2016 CF 958

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DWAYNE BROWN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dwayne Brown est un ressortissant jamaïcain. Sa demande d’asile au motif de sa bisexualité a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR), qui a toutefois reconnu que M. Brown est bisexuel. Notre Cour a accueilli sa demande de contrôle judiciaire, mais avant que sa revendication soit réexaminée, M. Brown a été déclaré coupable d’une infraction criminelle qui lui a fait perdre son droit à la protection du statut de réfugié.

[2]               Il a par la suite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Sa première demande d’ERAR a été rejetée au motif que la preuve ne parvenait pas à démontrer qu’il était bisexuel. La Cour a révisé cette décision et rejeté la demande de contrôle judiciaire dans une ordonnance verbale prononcée le 7 octobre 2014.

[3]               En janvier 2015, M. Brown a déposé une seconde demande d’ERAR et la Cour a accordé un sursis au renvoi. Une décision d’ERAR défavorable a été rendue le 25 octobre 2015 et fait l’objet du présent contrôle.

[4]               Je suis d’avis que la décision faisant l’objet du contrôle devrait être annulée. Le décideur fait complètement fi de la question fondamentale de la bisexualité de M. Brown, la seule qui soit déterminante pour cerner le risque véritable auquel il est exposé. La Cour reconnaît que cette question fondamentale concernant M. Brown a donné lieu à des conclusions divergentes. Apparemment, la SPR et la Cour ont admis la bisexualité du demandeur, mais d’autres intervenants semblent en douter. Il est difficile de déterminer l’orientation sexuelle d’une personne. En l’espèce, l’agent aurait peut-être dû accéder à la demande de M. Brown de le rencontrer afin qu’il puisse le convaincre de sa bisexualité.

[5]               L’analyse de l’agent n’est pas intelligible : si dans certains passages il semble admettre la bisexualité de M. Brown, il laisse entendre dans d’autres que la preuve est insuffisante.

[6]               Quoi qu’il en soit, l’agent n’a pas appliqué le bon critère. Voici ce qu’il a écrit :

[traduction] Le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs à l’appui de sa prétention selon laquelle son orientation sexuelle est bien connue en Jamaïque ou au Canada [...]  Je ne suis pas convaincu, à la lumière des renseignements dont je dispose, que le demandeur serait perçu comme bisexuel à son retour en Jamaïque. En effet, l’information dont je dispose est beaucoup trop incomplète pour prouver que l’orientation sexuelle du demandeur est de notoriété publique en Jamaïque. Aussi, je ne suis pas convaincu que quiconque aurait un intérêt direct à nuire au demandeur en raison de son orientation sexuelle. [Non souligné dans l’original.]

[7]               Si M. Brown est effectivement bisexuel, il n’y a pas lieu de se demander s’il serait perçu comme tel. Cette analyse serait justifiée dans le cas d’une personne qui n’est pas bisexuelle, puisque le seul fait de percevoir quelqu’un comme l’étant l’exposerait à un risque de préjudice dans certaines sociétés.

[8]               Qui plus est, que M. Brown soit bisexuel ou non, la question de savoir si son orientation sexuelle est de notoriété publique au Canada ou en Jamaïque n’est d’aucun intérêt dans le cadre d’un examen effectué de manière légitime par un agent d’ERAR.

[9]               L’agent a omis d’examiner certaines questions importantes :

1.                  Compte tenu de la preuve et de la prépondérance des probabilités, M. Brown est-il bisexuel?

2.                  S’il n’est pas bisexuel, des éléments de preuve indiquent-ils que son retour en Jamaïque l’exposerait à des risques?

3.                  S’il est bisexuel, des éléments de preuve au dossier permettent-ils de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, il ferait face à des menaces pour sa vie ou à des traitements et châtiments cruels et inusités tels qu’ils sont décrits à l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[10]           L’agent conclut que [traduction] « les violations des droits de la personne sont constantes depuis longtemps en Jamaïque, et la communauté LGBT reste vulnérable ». L’agent ne pouvait pas évaluer le risque véritable que courait M. Brown avant d’avoir établi une fois pour toutes s’il faisait partie de la communauté LGBT.

[11]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Brown est accueillie et sa demande d’ERAR est renvoyée à un autre agent afin qu’il rende une décision qui tiendra compte des motifs exposés précédemment. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la demande d’ERAR soumise par le demandeur soit renvoyée à un autre agent qui n’a jamais rendu de décision d’ERAR à son égard, et qu’aucune question ne soit certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-4828-15

 

INTITULÉ :

DWAYNE BROWN c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell

Pour le demandeur

Laoura Christodoulides

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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