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Date : 20160829


Dossier : IMM-485-16

Référence : 2016 CF 979

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

HARIKARAN SELVARATNAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demande de M. Selvaratnam pour parrainer son père, sa mère, son frère et ses sœurs vivant au Sri Lanka en vue de l’obtention de la résidence permanente au Canada a été refusée parce qu’il n’a pas réussi à convaincre l’agent des visas de l’admissibilité du père au Canada. L’appel de cette décision et de l’issue d’une demande de mesure spéciale interjeté devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) a été rejeté.

[2]               Des déclarations contradictoires du demandeur et de son père concernant leurs antécédents familiaux ont instillé des doutes chez l’agent des visas quant à l’admissibilité du père. Comme la famille vivait dans une zone du pays qui avait déjà été contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), et malgré ces incohérences, l’agent a conclu que le père n’était pas interdit de territoire au Canada.

[3]               Le demandeur vit au Canada depuis 2003, soit l’année de son obtention du statut de réfugié au sens de la Convention. Son frère vit également au Canada, et ils habitent ensemble.

[4]               Lorsqu’il a examiné la demande, l’agent des visas a remarqué que dans sa demande d’asile, le demandeur avait déclaré que son père avait été enlevé et battu par les forces de sécurité srilankaises à plusieurs reprises. Aucune mention de tels événements ne figure dans la demande du père. La SAI observe [traduction] « qu’il avait répondu par la négative à une question précise lui demandant si lui ou des membres de sa famille nommés dans la demande avaient déjà été détenus, incarcérés ou emprisonnés ».

[5]               Constatant cette incohérence, mais également les renseignements contradictoires concernant la résidence et l’entreprise du père, l’agent lui a demandé des précisions :

[traduction] Dans cette demande, vous avez déclaré que vous n’aviez jamais été détenu. Pourtant, votre fils nous a indiqué que vous l’aviez été. Vous êtes tenu de fournir des renseignements détaillés sur toutes les périodes de détention (quand, par qui, pendant combien de temps et pourquoi vous avez été détenu), même si elles ont été très courtes. Par ailleurs, on vous a déjà demandé de fournir des renseignements détaillés sur vos activités. La réponse que vous nous avez donnée est irrecevable. Vous avez affirmé que vous achetiez et vendiez des marchandises, et que vous exploitiez une petite boutique. Vous avez déclaré que c’était la seule activité que vous avez exercée de 1976 à aujourd’hui. D’après les antécédents domiciliaires que vous et votre fils avez fournis, c’est impossible. Vous devez fournir un historique complet et précis de vos activités, y inclut une description détaillée de chacune, les dates de début et de fin, ainsi que le lieu où elle s’est déroulée.

[6]               La réponse du père est très succincte :

[traduction] C’est vrai que je n’ai jamais été détenu, mais les forces de sécurité sont venues me chercher à quelques reprises pour m’interroger. J’ai toujours été relâché après l’interrogatoire.

C’est vrai également que de 1976 à aujourd’hui, j’ai fait le commerce de produits locaux et de légumes dans une petite boutique.

[7]               La SAI a tenu une audience de novo. Le demandeur a comparu en personne et son père a comparu par téléconférence. La SAI souligne que le demandeur a déclaré que son père avait été enlevé et battu par les forces de sécurité à deux ou trois reprises, et qu’il a fourni un compte rendu détaillé des activités de son père depuis 1976. Elle ajoute dans sa décision que le père a affirmé que les autorités srilankaises l’avaient fait venir pour l’interroger à une reprise, mais qu’il ne mentionne jamais avoir été séquestré ou battu. Il a cependant raconté, pour la première fois, que les TLET l’avaient enlevé à trois ou quatre reprises, et qu’il avait été séquestré pendant deux jours environ. Il a aussi indiqué qu’il avait vécu à Colombo à diverses périodes, ce qui contredit les déclarations du fils et d’autres éléments de preuve au dossier.

[8]               La SAI observe qu’à [traduction] « la fin de l’audience, l’exposé des antécédents personnels du père par l’appelant semblait encore plus confus qu’au début ».

[9]               Le demandeur allègue que la SAI a commis au moins deux erreurs.

[10]           Premièrement, la conclusion d’interdiction de territoire reposerait sur le fait que, dans leurs formulaires de renseignements personnels respectifs, lui et son frère auraient donné des versions divergentes de celle de leur père relativement à ses détentions et aux responsables de celles-ci. La confusion, selon le demandeur, est imputable au consultant engagé par son père à l’étranger.

[11]           Je suis d’accord avec le ministre quand il affirme que [traduction] « les demandeurs sont responsables des renseignements qu’ils fournissent aux autorités de l’immigration et ils doivent veiller à ce qu’ils soient complets et exacts ». C’est exactement pour cette raison que les demandeurs doivent attester que les renseignements fournis sont complets et exacts.

[12]           Quoi qu’il en soit, outre les incohérences constatées entre la demande écrite du père et ses réponses à l’agent, il a fait de nouvelles déclarations lors de sa comparution par téléconférence devant la SAI. Notamment, il a déclaré pour la première fois qu’il avait été détenu par les TLET, ce qu’aucun des deux fils n’a mentionné. De plus, d’importantes incohérences se dégagent des déclarations du fils et du père concernant sa prétendue détention par les autorités. Le fils déclare avoir vu des membres des services de sécurité emmener son père à deux ou trois occasions, alors que le père raconte qu’il a été détenu une seule fois et qu’il a réussi à se cacher ensuite.

[13]           Le lieu de vie du père donne aussi lieu à des déclarations contradictoires. Le demandeur affirme que son père n’a jamais vécu à Colombo, alors que le père indique qu’il y a vécu de 2007 jusqu’à la fin du conflit, en 2009. Par ailleurs, le père donne des versions contradictoires sur la question de savoir si ses enfants ont vécu avec lui à Colombo.

[14]           À mon avis, en raison de ces discordances et de ces incohérences, la SAI avait tout à fait raison de conclure, à l’instar de l’agent des visas, qu’il était impossible de retracer avec certitude les antécédents personnels du père au Sri Lanka.

[15]           Le demandeur soutient que [traduction] « dans les circonstances, une entrevue en personne avec l’agent aurait été nécessaire », mais cette entrevue n’a jamais eu lieu. Selon lui, la SAI aurait dû constater une violation d’un principe de justice naturelle. Même si j’étais d’accord avec le demandeur, je me devrais de souligner que la SAI a tenu une audience de novo et qu’elle a bel et bien examiné ses déclarations et celles de son père. Loin d’apporter les éclairages attendus, l’examen a révélé encore plus d’incohérences. Rien dans la démarche de la SAI ne justifierait de modifier sa décision.

[16]           Deuxièmement, le demandeur estime que l’analyse que fait la SAI des motifs d’ordre humanitaire est déficiente. Notamment, il s’inscrit en faux contre la conclusion selon laquelle « [traduction] « les demandeurs ne semblent pas manquer de quoi que ce soit au Sri Lanka. Ils vivent ensemble dans leur pays, où les hostilités ont pour ainsi dire cessé ».

[17]           Le demandeur souligne que sa demande initiale de parrainage de membres de sa famille avait été refusée parce qu’il ne remplissait pas l’exigence du revenu vital minimum. Cependant, il avait alors été établi que les motifs d’ordre humanitaire l’emportaient sur le critère d’interdiction de territoire pour motifs financiers.

[18]           À l’instar du défendeur, j’observe que la dispense de l’exigence du revenu vital minimum pour des motifs d’ordre humanitaire a été accordée avant la mise en doute de l’admissibilité du père, et que l’évaluation et l’appréciation de ces motifs ne peuvent se faire hors contexte. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, des doutes subsistent quant à l’admissibilité d’une personne au Canada, soit le père en l’occurrence, des éléments de preuve robustes sont requis pour démontrer que des considérations humanitaires justifient son admission.

[19]           Le troisième et dernier argument du demandeur a trait au défaut de l’agent de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants [traduction] « et au manque de clarté de la conclusion de la SAI à cet égard ».

[20]           La conclusion de la SAI est la suivante : [traduction] « Rien ne prouve qu’une mesure spéciale servirait l’intérêt supérieur d’aucun des enfants. »

[21]           Selon le demandeur, si la demande motivée par des considérations humanitaires est refusée, la famille serait séparée définitivement et, pire encore, deux des trois enfants seront éventuellement trop vieux pour être parrainés.

[22]           L’observation relative à l’intérêt supérieur des enfants est brève et la décision sur ce point le sera tout autant : voir Persaud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1133, 13 Imm LR (4th) 76. Le demandeur doit fournir les justifications nécessaires pour que l’argument de l’intérêt supérieur des enfants obtienne gain de cause mais, en l’espèce, l’argument principal ne se rapporte pas expressément aux enfants touchés. Il s’agit au contraire d’un argument général, qui s’applique à la grande majorité des cas de regroupement familial. Pour cette raison, je ne puis qualifier de déraisonnable la décision de la SAI sur la question de l’intérêt supérieur des enfants.

[23]           Par conséquent et pour les motifs exposés précédemment, la décision de la SAI concernant l’octroi d’une mesure spéciale compte tenu de circonstances particulières ne m’apparaît pas déraisonnable.

[24]           Pour ces motifs, la demande est rejetée. Il n’y avait aucune question proposée à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-485-16

 

INTITULÉ :

HARIKARAN SELVARATNAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 août 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 août 2016

 

COMPARUTIONS :

John O. Grant

 

Pour le demandeur

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John O. Grant

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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