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Date : 20161005


Dossier : IMM-956-16

Référence : 2016 CF 1108

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

SAVITA RAMRATTAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 14 septembre 2016)

I.                   Aperçu

[1]               Savita Ramrattan (Mme Ramrattan) a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 9 février 2016 (dossier no TB5-11232). Dans sa décision, la SAR a conclu que Mme Ramrattan n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               Pour les motifs exposés dans les présentes, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II.                Faits

[3]               Mme Ramrattan est une citoyenne de Trinité-et-Tobago, née le 28 août 1965. En décembre 2007, elle a entamé une union de fait avec le chef d’un gang s’adonnant apparemment au commerce de la drogue. Au cours de leur relation, qui a duré un an, son conjoint l’a agressée à quatre reprises. Mme Ramrattan a affirmé, à l’audience de la SPR, que son état n’a pas nécessité de soins médicaux après les agressions. En outre, elle a affirmé qu’elle n’avait pas signalé les incidents à la police en raison des menaces formulées par son conjoint et du fait qu’elle l’avait vu boire en compagnie de policiers et échanger de la drogue avec ceux-ci. Dans son formulaire de fondement de la demande, contrairement à son témoignage, Mme Ramrattan a indiqué qu’elle avait signalé les agressions à la police.

[4]               Après sa séparation de son conjoint de fait, en décembre 2008, Mme Ramrattan est retournée vivre avec ses parents. Elle affirme que pendant les deux mois qui ont suivi, son ex-conjoint et les autres membres de son gang ont rôdé autour de la maison de ses parents en voiture et lui ont crié des injures dans le but de la persuader de retourner auprès de lui. En février 2009, son ex-conjoint a été assassiné par un autre membre de son gang. Après le décès de son ex-conjoint, Mme Ramrattan a demandé et obtenu un visa de visiteur d’une durée de six mois pour entrer au Canada.

[5]               En mai 2009, deux mois après avoir obtenu son visa de visiteur, Mme Ramrattan est arrivée au Canada. Elle demeure illégalement au pays depuis l’expiration de son visa. Mme Ramrattan a expliqué qu’elle n’était pas au fait du processus de demande d’asile et n’a soumis sa demande que le 27 juillet 2015, alors qu’elle encourait un risque d’expulsion. Ce risque d’expulsion était consécutif à son appréhension par la Commission de transport de Toronto et l’enquête policière subséquente, qui a révélé son statut illégal au Canada.

III.             Décisions contestées

[6]               La SPR a conclu que le témoignage de Mme Ramrattan manquait de crédibilité et n’était pas digne de confiance. Elle n’a pas reconnu son allégation selon laquelle les membres du gang auquel appartenait son ex-conjoint de fait auraient encore le désir de la persécuter six ans après le décès de celui-ci et son départ de Trinité-et-Tobago. En outre, la SPR considère comme pertinent le fait que Mme Ramrattan n’a pas soumis de demande d’asile à l’expiration de son visa et qu’elle a attendu deux mois après l’obtention de son visa pour quitter son pays. Ces facteurs militent contre sa crainte subjective. En ce qui concerne son statut à titre de réfugiée victime de violence conjugale, la SPR l’a expressément énoncé à la lumière des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives]. En outre, en raison de la nervosité apparente de Mme Ramrattan et de son incapacité à répondre aux questions initiales de la SPR, la SPR a autorisé un changement dans l’ordre de l’interrogatoire en permettant à son avocat de poser ses questions en premier.

[7]               Mme Ramrattan en a appelé de la décision SPR devant la SAR, où elle a essentiellement soulevé deux questions. Premièrement, elle a allégué que la SPR n’avait pas suivi les Directives concernant les femmes ayant été victimes de violence conjugale. La SAR a déterminé que la SPR s’était conformée aux Directives. Deuxièmement, elle a allégué que la SPR, en rejetant sa demande, a accordé trop de poids au délai écoulé avant qu’elle soumette une demande d’asile. La SAR a déterminé que le délai de six ans écoulé avant la soumission d’une demande d’asile a milité contre la crainte subjective de persécution et de préjudice de Mme Ramrattan si elle retournait à Trinité-et-Tobago.

IV.             Norme de la décision, questions en litige et analyse

[8]               Les deux parties ont convenu que la norme de décision consistait à déterminer si la décision de la SAR était raisonnable ou non. La Cour ne peut intervenir que si la décision ne démontre pas la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Pendant les plaidoiries orales, Mme Ramrattan a soutenu que son incapacité à appliquer dûment les Directives a mené à des conclusions erronées concernant la crédibilité, la protection de l’État et les conséquences de son retard à demander le statut de réfugiée.

A.                Crédibilité et protection de l’État

[9]               Mme Ramrattan prétend que la SAR n’a pas tenu compte des Directives au moment d’évaluer si elle a omis ou non de demander la protection de l’État et, de façon générale, dans son évaluation de sa crédibilité.

[10]           Mme Ramrattan a d’abord soutenu que la SAR n’a pas tenu compte des « autres formes de preuve », comme le recommandent les Directives, ce qui, selon elle, aurait dû comprendre son propre témoignage oral. Je ne suis pas d’accord. Elle a été représentée par un avocat tout au long de la procédure et n’a pas demandé d’audience de vive voix.

[11]           La SAR a constaté des incohérences dans son témoignage, notamment des divergences entre son témoignage et le fondement de la demande relativement à son signalement des agressions à la police. En outre, la SAR a noté qu’elle a tenté de modifier son témoignage relativement à la durée de son union de fait à Trinité-et-Tobago. Mme Ramrattan soutient que les incohérences relevées dans son témoignage résultent du traumatisme associé à la violence conjugale dont elle a été victime

[12]           La SAR a conclu que Mme Ramrattan a répondu aux questions concernant les agressions de manière directe et a noté que le traumatisme s’était produit plus de six ans avant l’audience. En outre, elle a tenu compte du fait que Mme Ramrattan a entamé une union de fait avec un citoyen canadien en 2013. Bien qu’il soit évidemment possible que le traumatisme soit toujours présent après une longue période (plus de six ans, dans le cas présent), ce n’est pas le rôle de notre Cour, dans le cadre de ce contrôle judiciaire, de soupeser l’évaluation de la preuve effectuée par la SAR à cet égard.

[13]           Bien que ces Directives puissent constituer un outil utile pour aider un tribunal (qu’il s’agisse de la SPR ou la SAR) à évaluer une demande d’asile en appliquant le degré de sensibilité requis, elles n’ont toutefois pas force exécutoire : Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1494, au paragraphe 34, [2012] ACF no 1598. Ceci dit, je suis d’avis que les tribunaux doivent se montrer sensibles à l’égard des traumatismes subis par les victimes de violence conjugale et évaluer leurs témoignages dans ce contexte. Il est évident qu’il s’agit de l’approche adoptée par la SPR et la SAR dans le cas présent.

[14]           La SAR a pris en compte les Directives, les incohérences dans le témoignage de Mme Ramrattan et d’autres facteurs pour conclure qu’elle n’a pas signalé les agressions présumées à la police, omettant ainsi de vérifier la disponibilité de la protection de l’État (Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 42, [2013] ACF no 1099; Canada (AG) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACF no 74).

B.                 Caractère suffisant des motifs

[15]           Lorsque je tiens compte de l’ensemble des arguments de Mme Ramrattan et de son affirmation selon laquelle la SAR n’a pas appliqué les Directives « de manière significative », je conclus qu’elle allègue essentiellement que les raisons de la SAR étaient insuffisantes en ce qui concerne sa crédibilité.

[16]           Mme Ramrattan invoque la décision dans Keleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56 au paragraphe 17, [2005] ACF no 54, dans laquelle la juge Tremblay-Lamer exprimait l’avis qu’un tribunal doit fournir des motifs s’il doute de la crédibilité d’un demandeur qui allègue avoir subi de la violence conjugale. En l’espèce, je conclus que la SAR a fourni des motifs exhaustifs dans ses conclusions concernant sa crédibilité. Je suis convaincu que la SAR « avait bien saisi la question en litige et qu’[elle] est parvenu[e] à un résultat faisant sans aucun doute partie des issues possibles raisonnables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 26, [2011] ACF no 62.

C.                 Lenteur à soumettre une demande d’asile

[17]           Mme Ramrattan allègue également que la SAR n’a pas bien pris en compte les Directives lorsqu’elle a conclu que le délai de six ans écoulé avant la soumission d’une demande d’asile était déraisonnable dans les circonstances. Elle soutient que si la SAR avait appliqué adéquatement les Directives, elle n’aurait pas rejeté sa prétention que ce retard était attribuable à son ignorance de la loi. Comme il a déjà été énoncé, ce n’est pas le rôle de notre Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de réévaluer ces conclusions. J’aurais peut-être été d’un autre avis si la SAR avait entièrement fait fi des Directives. Dans le cas présent, loin de les ignorer, la SAR les a appliquées avec sensibilité.

[18]           Bien qu’un délai avant la soumission d’une demande d’asile ne soit pas nécessairement une question déterminante, c’est la SPR qui détermine l’importance qui doit être accordée à ce facteur. Effectivement, c’est la SPR qui a eu la possibilité d’entendre le témoin, d’observer les expressions et le comportement de Mme Ramrattan à la barre des témoins et de tirer des conclusions concernant sa crédibilité. Voilà pourquoi la SAR et notre Cour sont appelées à faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité du témoin.

[19]           Je conclus que la décision de la SAR de ne pas croire à l’explication de Mme Ramrattan, à savoir son ignorance de la loi, est raisonnable, étant donné qu’elle vit au Canada depuis six ans, qu’elle occupait un emploi et qu’elle vivait en union de fait avec un citoyen canadien. La conclusion de la SAR, à savoir que le délai avant de chercher à obtenir une protection porte atteinte à la crainte alléguée de Mme Ramrattan de persécution, de menace pour sa vie ou d’un risque de peines cruelles et inusitées si elle retourne à Trinité-et-Tobago, est raisonnable dans les circonstances.

[20]           En conclusion, je suis d’avis que la décision de la SAR était justifiée, transparente et intelligible, et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[21]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens. Aucune question n’est certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ :

SAVITA RAMRATTAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Matthiew S. Malaga Reano

 

Pour la demanderesse

 

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthiew S. Malaga Reano

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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