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Date : 20160812


Dossier : T-1499-15

Référence : 2016 CF 918

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2016

En présence de madame la protonotaire Mandy Aylen

ENTRE :

CHARLES NORMAN HOLMES

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le 12 février 2016, le procureur général du Canada a demandé par voie de requête présentée au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada [la « Couronne »], conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, qu’une ordonnance soit délivrée en application du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales afin que le demandeur soit déclaré plaideur quérulent et qu’il lui soit interdit d’engager d’autres instances devant notre Cour sans l’autorisation préalable de notre Cour, et qu’il paie des dépens d’un montant forfaitaire de 3 000 $.

[2]               Cette requête fait suite à une action engagée par le demandeur le 4 septembre 2015 dans laquelle il demandait, entre autres mesures de redressement, que soient rendues une ordonnance exigeant que la Couronne verse au demandeur un montant d’environ 25 000 000 $ représentant [traduction] « le principal du compte du Régime de pensions du Canada » du demandeur et de son épouse, Gail Arlene Walrath, que la Couronne paie annuellement et à l’avance au demandeur une somme d’environ 240 000 $ représentant [traduction] « un patrimoine pour frais de subsistance d’un montant équivalant au coût d’hébergement d’un détenu dans un pénitencier fédéral », qu’elle rende au demandeur, par voie de billet(s) à ordre, [traduction] « la garde et la surveillance des titres de CHARLES NORMAN HOLMES et l’accès direct et sans entraves à ces titres » et qu’elle produise une déclaration dans laquelle la Couronne reconnaissait avoir manqué à ses obligations en vertu de divers pactes internationaux et violé les droits reconnus au demandeur par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[3]               En vertu d’une ordonnance du protonotaire Roger Lafrenière en date du 22 octobre 2015, la déclaration du demandeur a été radiée, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable, qu’elle était frivole et vexatoire et qu’elle constituait un abus du processus judiciaire. Des dépens de 4 000 $ ont été accordés à la Couronne et celle-ci a été autorisée à introduire à une date ultérieure, dans la présente instance, une requête en application du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales visant à interdire au demandeur d’introduire d’autres instances contre la Couronne devant notre Cour, sauf avec son autorisation.

[4]               Le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière, mais cet appel a été rejeté en vertu d’une ordonnance rendue par le juge Henry Brown, le 1er décembre 2015. Le 7 décembre 2015, le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance du juge Brown auprès de la Cour d’appel fédérale (A-524-15).

[5]               La présente requête, qui a été présentée au départ par la Couronne le 12 février 2016, a été suspendue pour permettre au demandeur de poursuivre son appel devant la Cour d’appel fédérale. Le 19 juillet 2016, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel du demandeur concernant l’examen de l’état de l’instance, car le demandeur n’avait pas déposé le dossier d’appel, qu’il n’avait formulé aucune observation satisfaisante quant aux raisons pour lesquelles l’appel ne devrait pas être rejeté pour cause de retard et qu’il avait omis de proposer un échéancier pour la réalisation des différentes étapes nécessaires à l’avancement de l’appel.

[6]               Par conséquent, la seule question en litige en ce qui a trait à la présente requête est de déterminer si le demandeur, dans les circonstances de la présente affaire et à la lumière de sa conduite dans d’autres instances judiciaires, devrait être désigné plaideur quérulent conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[7]               Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales s’appliquent à la présente requête :

Poursuites vexatoires

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

Vexatious proceedings

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

Procureur général du Canada

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

Attorney General of Canada

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

Requête en levée de l’interdiction ou en autorisation

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

Application for rescission or leave to proceed

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

Pouvoirs du tribunal

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

Court may grant leave

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

Décision définitive et sans appel

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

No appeal

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

[8]               La condition préalable prévue au paragraphe 40(2) de la Loi sur les Cours fédérales est satisfaite en l’espèce, car la présente requête est présentée par le procureur général du Canada et que la Couronne a inclus dans son dossier de requête un consentement souscrit par le sous‑procureur général adjoint en date du 24 décembre 2015.

[9]               Le demandeur n’a pas répondu à la requête, bien que le dossier de requête de la Couronne et le recueil de jurisprudence lui aient été dûment signifiés. Le défaut du demandeur de s’opposer à la réparation demandée par la Couronne est toutefois sans importance, car il incombe toujours à la Couronne de convaincre le tribunal, selon une norme objective, que le demandeur a de façon persistante introduit des instances vexatoires ou a agi de façon vexatoire au cours d’une instance. Compte tenu de la nature exceptionnelle des pouvoirs conférés par l’article 40, la Cour n’accorde pas pareille réparation à la légère.

[10]           De fait, la Cour doit prendre en compte de nombreux facteurs avant de décider si une personne doit être déclarée plaideur quérulent. Dans la décision Tonner c. Lowry, 2016 CF 230, le juge Michael Phelan a, au paragraphe 20, résumé comme suit les principaux indicateurs d’un comportement vexatoire :

[20]      [...]

•    une tendance à porter à nouveau devant les tribunaux des questions pour lesquelles une décision a déjà été rendue;

•    l’entreprise d’actions ou de requêtes futiles;

•    le fait de soutenir des allégations d’actes irréguliers sans fondement

•    contre une partie opposée, des avocats ou la cour;

•    le refus de se plier aux règles et aux ordonnances de la cour;

•    le fait de tenir des propos scandaleux pendant les actes de procédure ou devant la cour;

•    l’incapacité ou le refus de régler les dépens des actes de procédure antérieurs et l’incapacité de poursuivre le litige dans les délais prescrits.

[11]           Dans la décision Lawyers’ Professional Indemnity Company c. Coote, 2013 CF 643, au paragraphe 25 (CanLII), conf. par 2014 CAF 98 (CanLII), le juge Roger Hughes cite avec approbation les principes suivants concernant les instances vexatoires, qui ont été décrits en détail par la juge Carolyn Layden-Stevenson dans la décision R. c. Mennes, 2004 CF 1731, au paragraphe 77 :

[77]      [...]

a) constitue une procédure vexatoire le fait d’intenter une ou plusieurs actions pour décider d’une question qui a déjà été tranchée par un tribunal compétent;

b) l’action est vexatoire s’il est évident qu’une action ne peut aboutir, ou bien si celle-ci ne peut absolument rien donner de bon, ou bien si aucune personne raisonnable ne peut raisonnablement s’attendre à obtenir un moyen de redressement;

c) l’action est vexatoire notamment si elle a un but inopportun, notamment le harcèlement et l’oppression d’autres parties par une multitude d’instance [sic] qui n’ont pas pour objet de revendiquer des droits légitimes;

d) les instances vexatoires présentent cette caractéristique générale que les motifs et questions soulevés tendent à être repris dans d’autres actions subséquentes, où ils sont répétés et apprêtés de rajouts, souvent de pair avec des poursuites contre les avocats qui ont représenté la partie ou la partie adverse par le passé;

e) en décidant si une instance est vexatoire, la Cour doit tenir compte de toute l’historique de l’affaire et non seulement de savoir si, à l’origine, il s’agissait d’une bonne cause d’action;

f) le fait que la personne qui institue la procédure ne paie pas les dépens lorsqu’elle n’a pas gain de cause est un des facteurs dont il faut tenir compte pour décider si l’instance est vexatoire;

g) la conduite du défendeur qui persiste à interjeter appel de décisions judiciaires tout en n’ayant jamais gain de cause peut constituer une conduite vexatoire.

[12]           Il n’est pas nécessaire que tous les critères précités soient présents pour qu’une personne soit déclarée plaideur quérulent. Pour qu’un demandeur soit déclaré plaideur quérulent, la Cour doit être convaincue, sur la base d’une norme objective, que le demandeur a de façon persistante introduit des instances vexatoires ou qu’il a agi de façon vexatoire durant une instance.

[13]           À la lumière des éléments de preuve manifestes et incontestables qui m’ont été présentés, je conclus que la Couronne s’est acquittée de son lourd fardeau. Les éléments de preuve montrent en effet, de façon indéniable, que le demandeur a de façon persistante introduit des instances vexatoires et qu’il a agi de façon vexatoire au cours d’une instance. Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte des antécédents du demandeur comme plaideur, ainsi que de sa conduite non seulement devant notre Cour, mais aussi devant la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême de la Colombie-Britannique (Mazhero c. Fox, 2011 CF 392).

[14]           À cet égard, depuis janvier 2013, le demandeur a introduit sept actions devant notre Cour, pour son propre compte ou au nom de son épouse ou de ses sociétés, Conscious Planet Enterprise Solutions Ltd. [« Conscious Planet »] et Dharma Distributors Ltd. d.b.a Hempco Canada [« Dharma Distributors »]; toutes ces actions ont été radiées au motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable ou qu’elles étaient frivoles, vexatoires et abusives.

[15]           Le 4 janvier 2013, le demandeur a introduit les quatre actions suivantes contre la Couronne : a) T-33-13 pour son propre compte; b) T-31-13 au nom de sa femme; c) T-32-13 au nom de Dharma Distributors; et d) T-34-13 au nom de Conscious Planet.

[16]           Les allégations dans ces quatre instances étaient essentiellement les mêmes, sauf en ce qui a trait au redressement demandé, et elles concernaient l’endettement fiscal du demandeur envers la Couronne. Les quatre actions ont été radiées, sans autorisation de les modifier, sur l’ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 21 février 2013, au motif que les déclarations ne révélaient aucune cause d’action raisonnable et qu’elles constituaient une contestation incidente inadmissible quant à l’exactitude des cotisations fiscales. Il a été ordonné que des dépens de 500 $ par action soient payés à la Couronne. Ni le demandeur ni son épouse ou ses sociétés n’ont donné suite aux ordonnances de dépens, et aucun appel n’a été introduit.

[17]           Le 25 janvier 2013, le demandeur a introduit une action (T-178-13) contre la Couronne et l’honorable Jim Rondeau, ministre de la Vie saine, des Aînés et de la Consommation du Manitoba, dans laquelle il réclamait des dommages-intérêts de 89 000 000 $, apparemment pour le motif que son certificat de naissance constitue un [traduction] « cautionnement » pour lequel il n’a reçu aucun paiement de la Couronne. En vertu d’une ordonnance rendue le 5 avril 2013, madame la juge Judith Snider a radié la déclaration, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable et, dans la mesure où l’on pouvait en tirer quelque sens, qu’elle semblait constituer une contestation incidente inadmissible quant à l’exactitude des cotisations fiscales. Il a été ordonné au demandeur de payer des dépens de 500 $ en faveur de la Couronne et de 500 $ en faveur du ministre Rondeau. Le demandeur n’a pas respecté cette ordonnance de dépens et n’a pas interjeté appel de l’ordonnance de la juge Snider.

[18]           Le 8 avril 2013, le demandeur a introduit une autre action (T-584-13) contre la Couronne, dans laquelle il demandait qu’il soit ordonné à l’Agence du revenu du Canada [l’« ARC »] de lui présenter une lettre d’excuses reconnaissant que certaines demandes de paiement [traduction] « avaient été incorrectement inscrites » et qu’elles étaient de ce fait nulles, et indiquant que les comptes fiscaux du demandeur ainsi que ceux de son épouse et de ses deux sociétés étaient annulés. Le demandeur demandait également le remboursement de toutes les sommes recueillies par l’ARC et le versement de dommages-intérêts de 50 000 000 $.

[19]           En vertu d’une ordonnance datée du 30 mai 2013, le protonotaire Lafrenière a radié la déclaration, sans autorisation de la modifier. Dans cette ordonnance, le protonotaire Lafrenière a déclaré ce qui suit :

[traduction

La déclaration doit être lue de manière libérale et permettre les vices de forme imputables à une carence rédactionnelle. Cependant, la Cour n’est pas tenue d’accepter d’emblée de simples allégations factuelles qui peuvent être jugées comme scandaleuses, frivoles ou vexatoires, ou des arguments juridiques déguisés en allégations factuelles. De prime abord, il est évident et manifeste que la déclaration n’énonce aucun fait substantiel révélant quelque cause d’action valable. De fait, les allégations ne sont pas intelligibles, de sorte qu’il est impossible pour le défendeur de faire valoir ses arguments et pour la Cour de gérer l’instance. À lui seul, ce motif justifierait la radiation de la déclaration.

Afin de ne rien omettre, je conclus également que l’action constitue un recours abusif. Il s’agit de la sixième action introduite par le demandeur en son nom personnel, ou au nom de sa femme ou de ses sociétés, relativement aux activités de perception de l’ARC [les « autres instances »]. Les cinq procédures précédentes ont été radiées au motif qu’elles constituaient une contestation incidente inadmissible quant à l’exactitude des cotisations fiscales – des questions qui relèvent entièrement de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt. La présente action est manifestement répétitive et abusive.

Je suis fondamentalement d’accord avec les paragraphes 16 à 61 et 77 des observations écrites déposées au nom du défendeur, que j’adopte et auxquelles je me rallie, et je conclus que la déclaration doit être radiée, sans autorisation de la modifier.

Quant à la requête du défendeur visant à interdire au demandeur d’engager devant cette Cour d’autres instances contre la Couronne, sauf avec l’autorisation de notre Cour, tant que le demandeur n’aura pas payé les dépens adjugés dans d’autres instances, je conclus que l’article 416 des Règles ne s’applique pas. Premièrement, aucune ordonnance de cautionnement pour dépens n’a été délivrée en l’espèce ni dans d’autres instances. Deuxièmement, en vertu du paragraphe 416(3) des Règles, une partie ne peut prendre d’autres mesures « dans l’instance » avant d’avoir fourni le cautionnement exigé aux termes d’une ordonnance. Compte tenu de la nature exceptionnelle de la réparation demandée, le défendeur devrait être tenu de présenter une demande d’ordonnance conformément à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. J’ajouterais qu’un énoncé déclarant que le demandeur est un plaideur quérulent semble justifié à la lumière de la documentation qui m’a été présentée.

[20]           Le protonotaire Lafrenière a ordonné au demandeur de payer à la Couronne des dépens d’un montant forfaitaire de 3 000 $, ordonnance à laquelle le demandeur n’a pas donné suite. Le demandeur n’a pas interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière.

[21]           Dans l’action sous-jacente (T-1499-15), introduite par le demandeur le 4 septembre 2015 puis radiée sur ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 22 octobre 2015, le demandeur a formulé à l’endroit de la Couronne diverses allégations inintelligibles qui semblaient encore une fois être fondées sur le postulat selon lequel le certificat de naissance du demandeur constitue une forme de cautionnement dont il peut [traduction] « tirer profit » pour se soustraire à son endettement fiscal auprès de la Couronne.

[22]           En radiant la déclaration de l’action sous-jacente et en autorisant la Couronne à présenter la présente requête, le protonotaire Lafrenière a déclaré ce qui suit :

[traduction

Je me contenterai de dire que le demandeur soutient que les droits qui lui sont reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés et divers traités et conventions internationaux ont été de quelque manière violés. Le demandeur allègue qu’il n’est ni une [traduction] « image gravée », ni un membre, un citoyen ou un fonctionnaire de la Couronne. Aux paragraphes 3 et 4 de sa déclaration, le demandeur allègue qu’il n’est pas un plaideur de l’argument commercial pseudojuridique organisé au sens de Meads c Meads, 2012 ABQB 571 [Meads], mais qu’il est plutôt le [traduction] « titulaire du CERTIFICAT DE NAISSANCE DE CHARLES NORMAN HOLMES servant de cautionnement ».

Même si le demandeur prétend le contraire, il ne fait aucun doute qu’il appartient à la catégorie des plaideurs de l’argument commercial pseudojuridique organisé. La déclaration renferme en effet des formalités inhabituelles souvent utilisées par cette catégorie de plaideurs, comme l’usage d’une empreinte du pouce de couleur rouge. De plus, le demandeur cherche à imposer à la Couronne des accords, obligations fiduciaires ou jugements unilatéraux fondés sur des arguments absurdes.

Au cours des derniers mois, la Cour a été inondée de requêtes de la part de la Couronne visant à radier des déclarations introduites par des demandeurs qui formulaient des allégations comparables. Il a été établi que tous ces demandeurs appartenaient à un groupe d’individus désignés comme des « plaideurs de l’argument commercial pseudojuridique organisé » au sens de la décision Meads, c’est-à-dire des plaideurs ayant recours à une méthode maintenant bien connue consistant en des diatribes illogiques, présomptueuses et pseudojuridiques.

Dans la décision Bursey c. Canada, 2015 CF 1126, le protonotaire Kevin Aalto a radié cinq déclarations présentées par des demandeurs qu’il a qualifiés de « quintessence même des plaideurs de l’argument commercial pseudojuridique organisé ». Le protonotaire Aalto a conclu que les causes d’action étaient fondées sur de « brefs passages et de fragments » de traités internationaux, de la Charte canadienne des droits et libertés, de divers arrêts de la Cour suprême du Canada et de lois disparates, tant fédérales que provinciales, le tout lié par un verbiage pseudojuridique. Il a aussi énoncé ce qui suit au paragraphe 7 :

[7]        Les demandeurs avancent également que Sa Majesté la Reine a manqué à ses obligations envers eux prévues dans divers traités internationaux et la Charte, et que ces droits ont été violés.  Ils ne disposent pas d’une liberté illimitée (c’est-à-dire qu’ils doivent obtenir un emploi pour payer des permis, des impôts, des taxes foncières, etc.) ou ils sont tenus de contribuer au développement économique, social et culturel de la défenderesse (c’est-à-dire payer des impôts et des taxes).  Ils soutiennent qu’ils ont envoyé des avis de demande et des avis de retrait de ces exigences législatives (dans la décision Meads, cet argument est appelé argument du [traduction] « chapeau magique »).  Ils se « retirent » des exigences de la législation, mais ils utilisent le système judiciaire pour essayer de faire reconnaître leurs droits imaginaires. Il s’agit d’exemples des inepties pseudojuridiques qui sous‑tendent une bonne partie du contenu des déclarations.

Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Les allégations dans la déclaration du demandeur sont de pures inepties dépourvues de tout fondement. D’une part, le demandeur allègue, pour l’essentiel, que les exigences de la loi ne s’appliquent pas à lui mais, d’autre part, il réclame des dommages-intérêts en invoquant une violation de ses « droits ». Madame la juge Elizabeth Heneghan a récemment radié une déclaration (dossier de la Cour no T-388-15) qui contenait des allégations comparables à celles formulées par le demandeur en l’espèce. Sur ordonnance datée du 4 septembre 2015, la juge Heneghan a conclu que la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable, que les allégations étaient vexatoires et que les réparations demandées par les demandeurs outrepassaient la compétence de notre Cour.

Des allégations semblables ont récemment été examinées et rejetées par le juge George Locke dans Michael Douglas Stegemann and Dianne Charlene Armitage v Her Majesty the Queen (1er septembre 2015, dossier la Cour no T-877-15) et le juge Russel Zinn dans Caitlin Doell v Her Majesty the Queen et al (19 octobre 2015, dossier de la Cour no T-1338-15), pour ne nommer que ces décisions.

En raison de l’absurdité de leurs arguments, les plaideurs de l’argument commercial pseudojuridique organisé sont invariablement infructueux et leurs positions sont rejetées, habituellement sans justification écrite. Malgré cela, les abus de procédures continuent. Je suis d’accord avec le juge Rooke, qui affirme que le volume croissant de ce type d’instances vexatoires exige une réponse ferme pour mettre un frein à cette inconduite : voir Meads, au paragraphe 71.

Étant fondamentalement en accord avec les observations écrites déposées au nom de la Couronne, je conclus que la déclaration doit être radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier. Compte tenu du nombre d’actions que le demandeur a introduites sans succès devant notre Cour en son nom personnel ou à titre de représentant et du fait qu’il s’agit selon moi d’un abus persistant de procédures devant notre Cour, j’estime juste et approprié de sanctionner la conduite du demandeur par l’adjudication de dépens substantiels.

[23]           Je suis d’accord avec la conclusion du protonotaire Lafrenière qui a déclaré que le demandeur est manifestement un plaideur de l’argument commercial pseudojuridique organisé au sens précité. Les éléments de preuve qui ont été présentés par la Couronne à l’appui de la présente requête montrent que le demandeur a utilisé diverses formules pour se désigner lui‑même, modifiant son nom par l’ajout de traits d’union et de deux points ou prétendant être constitué en fiducie ou être son propre créancier garanti. Les déclarations présentées par le demandeur, et la documentation qui y est jointe, sont marquées d’empreintes digitales rouges, de timbres-poste et de ce qui semble être le propre sang du demandeur. Le demandeur a inclus dans ses actes de procédure des documents qui, allègue-t-il, constituent des effets payables à la Couronne en règlement des ordonnances de dépens, alors que ces documents ne constituent en fait que des photocopies d’ordonnances de la Cour sur lesquelles le demandeur a noté des inscriptions écrites à la main. Dans d’autres documents à l’appui, le demandeur prétend être un créancier garanti et le titulaire de la sûreté conférée par son certificat de naissance et son numéro d’assurance sociale.

[24]           En plus des actions susmentionnées introduites devant la Cour et de l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du juge Brown auprès de la Cour d’appel fédérale, le demandeur a également engagé des instances en Colombie-Britannique.

[25]           Ainsi, le 17 mai 2013, le demandeur a introduit une action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (dossier de la cour n151549) contre l’honorable Robert Douglas Nicholson, ministre de la Défense nationale [l’« instance de la C.‑B. »]. Même s’il ne l’a pas désignée comme défenderesse dans l’instance, le demandeur a également signifié l’avis de poursuite civile à l’honorable Shirley Bond, procureure générale de la Colombie-Britannique, qui est par la suite devenue partie à l’instance. Dans cette instance introduite en Colombie-Britannique, le demandeur sollicitait la réparation suivante :

[traduction]

1.   Que toute inférence au défendeur comme étant la personnalité juridique ou morale CHARLES NORMAN HOLMES et al. soit retirée et que le demandeur soit reconnu par tous les organismes du gouvernement du Canada, sauf indication contraire, en vertu de la common law comme étant : charles‑norman holmes, un être humain possédant des droits intrinsèques et une excuse légitime, conformément au document ci-joint intitulé « Notice of Understanding and Intent and Claim of Rights » (avis de reconnaissance et préavis de réclamation de droits), qui est dispensé de cotisations et qui utilise les documents d’identité délivrés par le gouvernement pour de simples raisons de commodité, et cet usage ne l’assujettit pas aux lois promulguées ni ne crée une adhésion à la citoyenneté;

2. Que la fiducie CHARLES N HOLMES TRUST T-30-7543-18 soit reconnue comme le créancier garanti de CHARLES NORMAN HOLMES ESTATE et al. et des comptes y afférents et que les agents du gouvernement du Canada reconnaissent que le compte est maintenant sous la responsabilité de nouveaux gestionnaires, qu’ils cessent d’accéder, et qu’ils renoncent à autoriser l’accès, au solde créditeur/patrimoine (Résolution 1803 (XVII) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1962 intitulée « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles ») du ou des comptes sans l’autorisation expresse écrite de CHARLES N HOLMES TTEE et qu’ils effectuent un paiement sur le Trésor (en vertu des paragraphes 33(1) et (2) de la Loi sur la gestion des finances publiques), d’un montant de 10 000 000 $ CAD (dont les droits et défenses sont subrogés en vertu d’une obligation privée no BNDS-28031963840CNH-7, règlement no RW 652 445 205 CA), payable par chèque à l’ordre de : CHARLES N HOLMES TRUST;

3. L’Agence du revenu du Canada (ARC) :

a.     Qu’il soit reconnu que l’ARC est la propriétaire, la fiduciaire et la partie responsable du compte du numéro d’assurance sociale qui a été créé pour notre avantage mutuel, et que le défendeur n’en est PAS le fiduciaire et qu’il n’est pas non plus un fonctionnaire ou un employé du gouvernement ayant reçu une indemnisation pour la perception des impôts et donc qu’il n’est PAS assujetti aux lois promulguées et n’est PAS obligé de produire une déclaration de revenus à ce titre. Que l’ARC reconnaisse que le compte relève maintenant de la responsabilité de nouveaux gestionnaires et que la valeur nette représente un revenu revenant à la source qui n’est pas imposable comme revenu. Que l’ARC accepte d’honorer les droits du défendeur d’être acquitté de sa dette, qu’elle soit obligée d’inscrire les paiements de quittance qu’il a faits ou envoyés au receveur général ou qu’il a reçus du receveur général et qu’elle rembourse toute saisie-arrêt erronée et illégale sur les comptes CHARLES NORMAN HOLMES, GAIL ARLENE WALRATH, CONSCIOUS PLANET ENT. SOL. LTD. et DHARMA DIST. LTD., le montant total des dommages-intérêts pour toutes lesdites saisies-arrêts s’élevant à 500 000 $ CAD, payable par chèque à l’ordre de : 7778775 CANADA INC.;

b.     Que les déclarations T2 pour 7778775 CANADA INC. et T3 pour CHARLES N HOLMES TRUST soient traitées pour les années 2012 en remontant jusqu’à 2005 et qu’un remboursement soit accordé, incluant les impôts payés, les dépôts bancaires et les paiements de quittance, d’un montant total de 33 000 000 $ CAD payable par chèque à l’ordre de : 7778775 CANADA INC.

[26]           Le 28 novembre 2013, au terme de deux jours d’audience, le juge G.P. Weatherill a radié l’instance de la Colombie-Britannique et adjugé des dépens de 2 346,27 $ au procureur général de la Colombie-Britannique et à la Couronne, respectivement; le demandeur ne s’est pas conformé à ces ordonnances de dépens.

[27]           Dans ses motifs de jugement exposés oralement (paragraphe 30), le juge Weatherill a conclu que l’action :

[traduction]

... est sans fondement et ne révèle aucune revendication valable. De plus, elle fait perdre du temps à notre Cour, elle est sans fondement, scandaleuse, frivole et vexatoire et elle constitue un recours abusif à notre Cour. Elle doit être radiée dans son intégralité.

[28]           En passant en revue les motifs de jugement exposés oralement par le juge Weatherill, je note que le demandeur a agi de manière irrespectueuse et perturbatrice devant la Cour et qu’il a formulé des allégations d’irrégularité non fondées à l’endroit du tribunal. En effet, le juge Weatherill a dû réprimander le demandeur et lui demander de [traduction] « s’asseoir et d’écouter », sans quoi il serait expulsé de la salle d’audience (paragraphe 69). De plus, le demandeur a sans cesse demandé au juge Weatherill de lui présenter son serment professionnel et son certificat d’agrément, et il a accusé le juge Weatherill d’« abus de confiance criminel » au sens de l’article 337 du Code criminel (paragraphes 60 à 68).

[29]           Je conclus que le demandeur a également formulé des allégations d’irrégularité non fondées à l’endroit de l’avocate de la Couronne, Mme Nicole Johnston, alléguant notamment qu’elle ne s’était pas conformée aux Règles des Cours fédérales, soi-disant en modifiant l’intitulé de la cause, l’autorité compétente ainsi que le statut du demandeur de personne privée à curateur public.

[30]           Dans les circonstances, je conclus que de nombreux indices témoignent d’un comportement vexatoire, notamment les suivants :

a)      Le demandeur a introduit de multiples instances devant la Cour ainsi qu’une instance devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui n’ont révélé aucune cause d’action valable, constituaient une contestation incidente inadmissible quant à l’exactitude des cotisations fiscales, représentaient un abus de procédures et/ou étaient scandaleuses, frivoles et vexatoires.

b)      Le demandeur a à maintes reprises réintroduit des motifs d’action et des questions litigieuses qu’il avait soulevés lors d’instances précédentes qui ont été rejetées pour le motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable, qu’elles constituaient une contestation incidente inadmissible ou qu’elles étaient scandaleuses, frivoles et vexatoires. Dans sa plus récente instance introduite devant la Cour (T-1499-15), le demandeur a tenté de corroborer ses revendications par de nouvelles allégations inintelligibles, mais une lecture objective de sa déclaration révèle que ses plus récentes revendications ne sont en fait qu’une répétition abusive de revendications ayant précédemment été radiées par la Cour et par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.

c)      Le demandeur a refusé d’obtempérer à de multiples ordonnances de notre Cour ainsi qu’à une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, lesquelles exigeaient toutes le paiement de dépens à la Couronne.

d)     Le demandeur a agi de manière irrespectueuse et perturbatrice devant le juge Weatherill de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

e)      Le demandeur a formulé des allégations non fondées d’irrégularité à l’endroit de l’avocate de la Couronne et du juge Weatherill.

f)       Le demandeur n’a pas interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale dans l’affaire A-524-15, que ce soit avec diligence ou de quelque autre manière.

[31]           Pour les motifs précités, je conclus que le demandeur a de façon persistante introduit des instances vexatoires et a agi de façon vexatoire dans l’instance sous-jacente, au sens du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Pour ces motifs, j’accueille la requête de la Couronne et j’ordonne qu’aucune autre instance ne soit introduite par le demandeur devant notre Cour, sauf avec son autorisation, et que toute instance déjà engagée par le demandeur devant notre Cour soit par les présentes suspendue dans l’attente de l’autorisation de notre Cour de continuer.

[32]           Je note que la Couronne n’a pas demandé de mesure interdisant expressément au demandeur d’introduire d’autres instances à titre de représentant de son épouse ou de personnes morales, comme il l’a fait par le passé. À mon avis, pareille réparation n’est pas requise. Comme le demandeur n’est pas un avocat, il ne peut engager d’instances au nom de son épouse; il lui est en outre interdit, en vertu des Règles des Cours fédérales, d’introduire des instances au nom de personnes morales, à moins d’avoir obtenu l’autorisation expresse de la Cour en vertu de l’article 120 des Règles.

[33]           La Couronne a demandé que des dépens d’un montant forfaitaire de 3 000 $ lui soient attribués. Dans les circonstances, je suis d’avis que l’adjudication de dépens est justifiée et, par conséquent, des dépens de 3 000 $ sont payables immédiatement à la Couronne.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  Le demandeur, Charles Norman Holmes, est désigné plaideur quérulent conformément à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales.

2.                  Il est par les présentes interdit au demandeur d’engager d’autres instances devant la Cour fédérale, sauf avec son autorisation.

3.                  Toute instance introduite par le demandeur devant la Cour fédérale, ou actuellement en cours, est par les présentes suspendue dans l’attente de l’autorisation de la Cour.

4.                  Le demandeur versera à la Couronne les dépens de la requête, fixés à un montant forfaitaire de 3 000 $ payable immédiatement.

« Mandy Aylen »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1499-15

 

INTITULÉ :

CHARLES NORMAN HOLMES c. SA MAJESTÉ

LA REINE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

Ordonnance et motifs :

LA PROTONOTAIRE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 août 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

CHARLES NORMAN HOLMES

 

Le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

NICOLE S. JOHNSTON

LORETTA CHUN

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Charles Norman Holmes

Burnaby (Colombie-Britannique)

Le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les défendeurs

 

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