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Date : 20160923


Dossier : T-227-13

Référence : 2016 CF 1079

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

JOANNE SCHNURR POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE REPRÉSENTANTE DEMANDERESSE

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PHELAN

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’un recours collectif présenté par les locataires des réserves indiennes de Sakimay et de Shesheep, au lac Crooked, en Saskatchewan, concernant une augmentation de leur loyer et demandant que le loyer soit fixé conformément à la clause 2.01 des baux des locataires – appelés les baux de 1980. Le taux de l’augmentation imposée atteignait jusqu’à 700 % pour chaque année du prochain bail d’une durée de cinq (5) ans.

[2]               Joanne Schnurr [Mme Schnurr] est la représentante demanderesse pour son propre compte et pour le compte de tous les locataires qui ont signé la forme de bail résidentiel ou récréatif qui est entré en vigueur en 1980.

[3]               Un recours frère impliquant d’autres locataires au lac Crooked visés par un bail de 1991 (le recours Piot Action; dossier de la Cour no T-2193-09) [recours Piot] a été intenté.

[4]               Même si les questions de compétence en l’espèce se distinguent de celles dans la décision Piot v Canada, 2016 FC 1077, et même si, jusqu’à un certain point, la méthode de calcul du loyer est différente, une grande partie des opinions des experts principaux concernant les montants des loyers sont identiques, à un point tel que la défenderesse a indiqué dans son exposé des arguments les montants importants figurant dans ses observations dans le recours Piot.

[5]               Par conséquent, lorsqu’il y a lieu, la Cour reproduit aux présentes les conclusions qu’elle a tirées dans le recours Piot. C’est précisément le cas en ce qui concerne le choix des opinions de Steven Thair, pour la demanderesse, et de Duncan Bell, pour le défendeur, et des motifs de la Cour qui a jugé que l’opinion de M. Thair était plus convaincante.

[6]               La clause en question se lit comme suit :

[traduction]

2.01     Le loyer annuel pour la période subséquente de cinq (5) ans commençant le premier jour de janvier 1985 sera fixé et établi par le ministre à un montant qui, de l’avis du ministre, représente la juste valeur locative du terrain aux fins permises aux présentes à la date de l’examen, mais abstraction faite de la valeur de toute amélioration de nature permanente apportée au terrain par le locataire au cours de la durée du bail. Le ministre s’efforcera de fixer ce loyer au moins quatre-vingt-dix (90) jours avant le début de la période subséquente de cinq (5) ans en question et en avisera le locataire par courrier recommandé. Le loyer annuel ainsi établi et fixé par le ministre sera acquitté à la date à laquelle l’avis est donné ou à la date du début de la période subséquente de cinq (5) ans en question, soit la date la plus tardive, et, par la suite, avant le premier jour de janvier de chaque année de la période de cinq (5) ans; POURVU TOUTEFOIS, qu’en l’absence ou à défaut d’une telle fixation du loyer, le locataire continue à payer, chaque année, le loyer au même montant et aux mêmes dates que durant la période de cinq (5) ans précédente. Si l’avis en cause est transmis après le début de la période subséquente de cinq (5) ans en question, le locataire versera sans délai au ministre toute somme représentant la différence entre le loyer de l’année en cours et le loyer rajusté. Si le locataire conteste le montant du loyer fixé par le ministre et s’il a acquitté tous les loyers exigibles, y compris toute augmentation desdits loyers indiquée ci-dessus, et s’il n’a pas failli à l’une ou à l’autre de ses obligations prévues dans le bail, le locataire pourra, dans les soixante (60) jours suivant la date de l’avis de rajustement du loyer, saisir la Cour fédérale du Canada de l’affaire en vertu du paragraphe 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale [sic] qui fixera le montant du loyer pour la période de cinq (5) ans en question en s’appuyant sur ce qui précède, pourvu que toutes les sommes versées au ministre à titre de loyer avant le rajustement du loyer par la Cour soient incluses dans le paiement et que le ministre ne considère pas que ces sommes fixent ou établissent le montant du loyer pour la période subséquente de cinq (5) ans en question ni qu’elles aient une incidence quelconque sur celui-ci. POURVU ÉGALEMENT que, lorsque la Cour fédérale fixe le montant du loyer à payer par le locataire pour la période subséquente de cinq (5) ans en question, le locataire effectuera un paiement supplémentaire ou recevra un remboursement.

Le locataire paiera, « au titre d’acompte », le loyer fixé par le ministre. Lorsque la Cour aura fixé le montant du loyer, le montant payé par le locataire « au titre d’acompte » sera rajusté sous forme de paiement supplémentaire ou de remboursement.

[7]               Dans son ordonnance datée du 23 janvier 2013, madame la juge Gleason a énoncé plusieurs questions précises communes et aucune des parties n’a soulevé d’autres questions. Ces questions sont les suivantes :

                     Question 1 : La demanderesse représentante et d’autres membres du groupe pouvaient-ils intenter la présente action en vertu des baux de 1980, malgré le fait qu’ils n’avaient pas payé le loyer plus élevé avant l’introduction de l’action, dans des circonstances où l’augmentation du loyer a été énoncée dans des avis qui leur ont été envoyés par la Première Nation de Sakimay [Sakimay] à la fin novembre 2009?

                     Question 2 : Si la réponse à la question 1 est « non », la conduite de Sakimay et/ou de défenderesse – pour ce qui est de fournir aux membres du groupe (ou à leurs prédécesseurs) des documents dans lesquels il est indiqué que les paiements du loyer plus élevé pourraient commencer après le 1er janvier – donne-t-elle droit, pour les membres du groupe, à un allègement des exigences strictes imposées par les baux de 1980 grâce à la levée de la déchéance ou à l’application des doctrines de renonciation ou d’irrecevabilité?

                     Question 3 : Quelle est la méthode ou formule appropriée, aux termes des baux de 1980, pour déterminer la juste valeur locative des propriétés louées de chaque membre du groupe pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014?

II.                Faits et procédures

[8]               Dans une certaine mesure, les parties s’entendent sur les faits déjà établis et sur les autres qui l’ont été dans les éléments de preuve; ceux-ci sont résumés ci-après.

[9]               Les propriétés louées par les locataires consistent en des terrains individuels situés sur les rives du lac Crooked, en Saskatchewan. Le lac Crooked est situé dans le sud-est de la Saskatchewan, dans la vallée de la Qu’Appelle.

Les terrains loués en question se trouvent du côté nord-ouest dans la réserve indienne de Shesheep no 74A et du côté sud-ouest dans la réserve indienne Sakimay no 74. Pratiquement tous les terrains sur la rive nord du lac Crooked sont des propriétés privées. Par contre, à l’exception du lotissement de Grenfell Beach, aucun des lots situés sur la rive sud du lac Crooked n’est habité.

[10]           Sur la rive sud du lac Crooked, 285 terrains sont offerts en location, dont 129 sont loués par la défenderesse à des locataires depuis 65 ans. Cinq (5) de ces terrains sont loués aux termes de la forme de bail de 1980. Ces terrains sont situés dans la réserve indienne de Shesheep no 74A et sont parfois appelés « Grenfell Beach ». Les locataires ayant des chalets sur les terrains situés sur la rive sud sont représentés depuis environ 29 ans par une association sans personnalité morale connue sous la dénomination de « Grenfell Beach Association » [GBA] ou « Grenfell Beach Cottage Owners Association » [GBCA]. Aucun des locataires visés par le bail de 1980 n’a choisi de se retirer de ce recours collectif.

[11]           Peu de terrains privés sur la rive nord du lac Crooked n’ont pas été aménagés. La défenderesse, et par conséquent, la Première Nation de Sakimay [Sakimay], possède 265 terrains à louer sur la rive nord, dont 194 terrains sont loués depuis 1951.

[12]           Sur le nombre de terrains loués, 29 sont visés par le bail de 1980 et sont situés sur la réserve indienne de Shesheep no 74A, parfois appelée « Indian Point ». Ces 29 terrains s’ajoutent aux 5 terrains situés sur la rive sud qui sont mentionnés au paragraphe 10.

Depuis environ 37 ans, les propriétaires de chalet sont représentés par une association sans personnalité morale connue sous la dénomination de « Shesheep Cottage Owners Association » [SCOA].

[13]           Sur ces 34 baux de 1980, 30 expireront le 31 décembre 2018, deux le 31 décembre 2019 et deux autres le 31 décembre 2020.

[14]           La défenderesse est la locatrice dans les baux conclus par écrit découlant de diverses cessions et désignations depuis 1951 environ – lesquels arriveront à terme vers 2024.

[15]           Même si les baux de 1980 ont été conclus avec la défenderesse, en 1995 celle-ci a délégué, en vertu des articles 53 et 60 de la Loi sur les Indiens L.R.C. (1985), ch. I-5 et par l’intermédiaire de sa Sakimay Land Authority, diverses responsabilités administratives concernant les baux et les terrains loués. Ces responsabilités administratives consistaient entre autres à fixer le montant des loyers que Sakimay souhaitait exiger, à percevoir lesdits loyers, ainsi qu’à accepter les cessions, les sous-locations ou les hypothèques.

Pour ainsi dire et du point de vue de la demanderesse, Sakimay est la « locatrice » et fait l’objet de très peu de supervision, voire aucune, de la part du Canada.

[16]           Les baux de 1980 sont une forme de bail standard qui n’a pas été négociée avec les locataires (ou avec leur prédécesseur); ils ont été rédigés par la défenderesse et présentés aux locataires pour qu’ils les signent. Ces baux ont été présentés aux locataires en tant que bail « à prendre ou à laisser ». De nombreux demandeurs au sein du groupe ont acquis leur bail lors d’une cession.

[17]           Les baux de 1980 visent les terres de réserve et ne comportent aucune obligation de payer des taxes et de fournir des services. Les éléments de preuve établissent qu’aucun service, de quelque forme que ce soit, n’est fourni pour l’infrastructure et la propriété de Sakimay. Les locataires actuels assurent tout l’entretien de leur propriété (ainsi que celui des terrains vagues), des routes et d’autres infrastructures.

[18]           Les baux de 1980 prévoient un ajustement du loyer tous les cinq (5) ans. Un tel ajustement des loyers a eu lieu à la fin de 2009 et devait s’appliquer à la période subséquente de cinq ans à compter de 2010.

[19]           La défenderesse a augmenté le loyer pour la période de 2010-2015 d’environ 700 %, par rapport au loyer exigé à la période précédente de 2005-2009.

La question centrale en l’espèce porte sur le caractère approprié du loyer pour la période s’étendant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014.

[20]           En vertu de la clause 2.01 du bail de 1980, le ministre doit fixer le loyer pour chaque période de cinq ans [traduction] « selon un montant qui, de l’avis du ministre, représente la juste valeur locative des terres... » (non souligné dans l’original). Le ministre ne doit pas tenir compte de la valeur des améliorations permanentes apportées par les locataires lorsqu’il détermine [traduction] « la juste valeur locative ».

[21]           Le ministre doit s’efforcer de fixer le loyer quatre-vingt-dix (90) jours avant le début de la période de cinq ans subséquente – en l’espèce, quatre-vingt-dix (90) jours avant le 1er janvier 2010.

Le ministre doit aussi informer, par courrier recommandé, les locataires du montant du loyer qu’ils devront payer. Le bail de 1980 prévoyait (sous réserve d’une exception non pertinente aux présentes) que le loyer soit acquitté le 1er janvier de la nouvelle période de location et de chaque année par la suite.

[22]           Les éléments de preuve établissent que Sakimay avait comme pratique de transmettre aux locataires un avis de loyer et/ou une lettre accompagnant l’avis de loyer indiquant que le loyer devait être payé à la fin de janvier ou vers la fin de janvier de l’année suivante.

[23]           Cette pratique a été suivie dans le cas de l’ajustement des loyers de 2010 et chacun des signataires d’un bail de 1980 a reçu trois documents distincts. Le premier document était l’avis de loyer pour 2010 et mentionnait que la date de paiement était le 30 janvier 2010. Le deuxième était une lettre d’accompagnement de l’avis de loyer indiquant que la date de versement du loyer était fixée au 1er janvier 2010. Le troisième était une lettre précisant que le 31 janvier 2010 était la date à laquelle le loyer était exigible.

[24]           Conformément à la pratique établie au fil des ans, les locataires devaient payer le loyer avant le 31 janvier de l’année subséquente. Mme Schnurr a défini cette situation comme un [traduction] « délai de grâce » jusqu’au 31 janvier.

Nul n’a véritablement contesté les éléments de preuve montrant que les parties avaient admis cette pratique au lieu des modalités rigoureuses du bail.

[25]           Le bail de 1980 prévoyait que, tout locataire qui – s’il souhaitait contester le montant du loyer qui avait été fixé – disposait de soixante (60) jours à compter de la date de l’avis de l’ajustement pour demander le renvoi de l’affaire à la Cour fédérale.

[26]           Dans le cas présent, l’avis n’était pas daté, mais l’une des lettres d’accompagnement était datée du 9 novembre 2009. Toutefois, cette lettre n’a été envoyée aux locataires que le dernier jour de novembre ou au début de décembre 2009.

[27]           Le fait, admis par la défenderesse et établi dans la preuve offerte, que tous les locataires visés par le bail de 1980 avaient acquitté leur loyer pour l’année civile allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009, avant d’avoir reçu l’avis de loyer pour l’année civile allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 est important en l’espèce.

Comme on le verra ci-après, le litige portant sur la clause 2.01 a débuté le 29 décembre 2009 à une date où tous les locataires visés par le bail de 1980 s’étaient acquittés de toutes leurs obligations quant au loyer.

[28]           L’incertitude entourant la date de l’avis a suscité l’inquiétude des locataires (ou plus précisément de leur avocat) quant à l’expiration de la période limite de 60 jours pour renvoyer l’affaire à la Cour fédérale.

[29]           La pratique de la défenderesse ou de Sakimay de ne pas remettre aux locataires qui avaient cédé leur bail une copie de leur bail vient compliquer les choses. Cette pratique a une incidence négative sur les locataires qui tentent de déterminer s’ils ont signé un bail de 1991 (l’objet de la procédure contentieuse Piot) ou un bail de 1980.

[30]           La décision Piot expose en détail les tentatives déployées pour [traduction] « négocier » le loyer. Les questions entourant le [traduction] « droit de négocier » qui est revendiqué ne constituent pas un facteur en l’espèce.

[31]           Toutefois, une procédure judiciaire a été intentée le 29 décembre 2009 sous le numéro de dossier de la Cour T-2193-09. Cette procédure a été intentée au nom de tous les différents locataires de la défenderesse / Sakimay, qu’ils soient visés par le bail de 1991 ou par celui de 1980. D’autres locataires ont demandé à être ajoutés à la procédure, de telle sorte que David Piot a soumis, en tant que demandeur représentant, une question aux fins de certification.

[32]           Le juge Near (tel était alors son titre) a décidé que M. Piot devrait être le demandeur représentant pour les locataires visés par le bail de 1991, mais qu’il fallait un demandeur représentant différent pour les locataires visés par le bail de 1980. Par voie d’ordonnance datée du 8 août 2011, Mme Schnurr a été désignée demanderesse représentante pour les locataires visés par le bail de 1980.

La Cour d’appel fédérale a annulé cette ordonnance et l’a finalement remplacée par l’ordonnance de certification de la juge Gleason (tel était alors son titre).

[33]           En l’espèce, la demanderesse souhaite que la Cour se prononce sur le montant du loyer que doivent payer les locataires visés par le bail de 1980 pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014. Dans son ordonnance concernant les questions communes, la juge Gleason n’a pas indiqué le montant que doit payer chaque locataire individuel visé par le bail de 1980; elle a plutôt confié à la Cour la tâche de déterminer la méthodologie ou la formule applicable. Il s’agit essentiellement de choisir entre les opinions des experts.

[34]           Notre Cour conserve sa compétence pour traiter toute question qui pourrait être soulevée après le jugement, y compris sans s’y limiter les questions des locataires individuels visés par le bail de 1980 portant sur le calcul du loyer.

[35]           Comme il est indiqué dans les questions communes, la défenderesse a contesté le droit des locataires visés par le bail de 1980 de demander à la Cour de fixer leur loyer sous prétexte que ceux-ci (ou certains d’entre eux) n’avaient pas payé leur loyer pour 2010 avant le début de la poursuite intentée le 29 décembre 2009.

La demanderesse conteste le fait que les modalités du bail de 1980 exigent un tel paiement en 2010 avant le début de la poursuite intentée en 2009.

[36]           La demanderesse mentionne également, à titre subsidiaire, que la défenderesse a renoncé à cette exigence, ou que la défenderesse ne peut pas soulever cette exigence vu la conduite passée ou, finalement, que la demanderesse a droit à la levée équitable de la déchéance découlant d’une telle obligation de paiement.

La juge Gleason a réglé cette question commune à titre subsidiaire advenant que la demanderesse soit tenue d’effectuer le paiement pour 2010 avant le début de la présente action.

III.             Questions en litige

[37]           Les questions en litige à la présente étape sont énoncées au paragraphe 7 des présents motifs.

IV.             Analyse

A.                Compétence

[38]           La première question commune porte sur la compétence de notre Cour à fixer le nouveau loyer en dépit du fait que certains membres ou la totalité des parties au recours collectif n’avaient pas payé le loyer rajusté lorsque la présente procédure légale a débuté, le 29 décembre 2009.

La question précise est la suivante :

Est-ce que la demanderesse représentante et d’autres membres du groupe pouvaient intenter la présente action en vertu des baux de 1980, malgré le fait qu’ils n’avaient pas payé le loyer rajusté avant l’introduction de l’action, dans des circonstances où ils ont été informés de l’augmentation du loyer en cause au moyen d’un avis qui leur a été envoyé par la Première Nation de Sakimay [Sakimay] à la fin novembre 2009?

[39]           La partie pertinente de la clause 2.01 se lit comme suit :

[traduction]
Le loyer annuel ainsi établi et fixé par le ministre sera acquitté à la date à laquelle l’avis est donné ou à la date du début de la période subséquente de cinq (5) ans en question, soit la date la plus tardive, et, par la suite, avant le premier jour de janvier de chaque année de la période de cinq (5) ans; POURVU TOUTEFOIS, qu’en l’absence ou à défaut d’un tel ajustement du loyer, le locataire continue à payer, chaque année, le loyer au même montant et aux mêmes dates que durant la période de cinq (5) ans précédente. Si l’avis en cause est transmis après le début de la période subséquente de cinq (5) ans en question, le locataire versera sans délai au ministre toute somme représentant la différence entre le loyer de l’année en cours et le loyer rajusté. Si le locataire conteste le montant du loyer fixé par le ministre et s’il a acquitté tous les loyers exigibles, y compris toute augmentation desdits loyers indiquée ci-dessus, et s’il n’a pas failli à l’une ou à l’autre de ses obligations prévues dans le bail, le locataire pourra, dans les soixante (60) jours suivant la date de l’avis de rajustement du loyer, saisir la Cour fédérale du Canada de l’affaire en vertu du paragraphe 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale [sic] qui fixera le montant du loyer pour la période de cinq (5) ans en question en s’appuyant sur ce qui précède, pourvu que toutes les sommes versées au ministre à titre de loyer avant le rajustement du loyer par la Cour soient incluses dans le paiement et que le ministre ne considère pas que ces sommes fixent ou établissent le montant du loyer pour la période subséquente de cinq (5) ans en question ni qu’elles aient une incidence quelconque sur celui-ci. POURVU ÉGALEMENT que, lorsque la Cour fédérale fixe le montant du loyer à payer par le locataire pour la période subséquente de cinq (5) ans en question, le locataire effectuera un paiement supplémentaire ou recevra un remboursement.

[40]           En fait, les locataires visés par le bail de 1980 avaient acquitté tous les loyers exigibles avant le début du présent recours collectif et rien ne prouve qu’ils n’aient pas par ailleurs failli à toute autre clause du bail.

La défenderesse le reconnaît au paragraphe 14 de son mémoire confidentiel des faits et du droit.

[41]           La défenderesse est d’avis que, même si l’augmentation récente n’était pas due au moment où l’action a commencé, celle-ci était due et exigible (c’est-à-dire une anticipation du loyer), avant que la demanderesse n’ait été autorisée à intenter la présente action. Elle s’appuie sur l’expression [traduction] « y compris toute augmentation desdits loyers indiquée ci‑dessus ».

La défenderesse soutient que le fait d’autoriser la demanderesse à intenter une action alors qu’elle n’a aucun loyer échu et ensuite de lui permettre d’avoir des arriérés de loyer pendant la durée de la procédure contentieuse constitue une interprétation déraisonnable.

[42]           En toute déférence, la question des arriérés de loyer ou du non-respect des modalités du bail pendant la durée de la procédure contentieuse est indépendante de la question de savoir si la demanderesse peut contester l’augmentation du loyer imposée par la défenderesse. Rien dans le bail n’indique que le non-respect de ses modalités (y compris le paiement du loyer) pendant la durée du bail en cause ne vicie le droit d’intenter une procédure devant notre Cour. La locatrice a prévu des recours dans le bail pour composer avec les instances de non-conformité, y compris vraisemblablement la résiliation du bail.

[43]           Selon la défenderesse, les sommes qui ne sont pas encore exigibles doivent être acquittées avant que le locataire ne soit autorisé à demander un redressement judiciaire. La défenderesse interprétait la locution comme anticipant comme dû le loyer qui est contesté.

[44]           La structure de la clause 2.01 n’aide pas l’interprétation de la défenderesse.

[45]           Date à laquelle le paiement du loyer est exigible :

a)                  Le loyer de la première année du bail est exigible au moment de la signature du bail.

b)                  Le loyer pour les années 2 à 5 du bail est exigible le 1er janvier de chaque année.

c)                  À partir de la deuxième année de la période de cinq ans et pour les années subséquentes de ladite période, le loyer est exigible le 1er janvier de chaque année si le ministre rajuste le loyer et remet un avis de loyer au locataire avant le 1er janvier de la période subséquente de cinq ans. Le ministre doit veiller à ce que ledit avis soit bel et bien transmis.

d)                 Si le ministre ne rajuste pas le loyer avant le 1er janvier de la période subséquente de cinq ans, alors le paiement du loyer prévu dans le statu quo est exigible le 1er janvier de la période subséquente de cinq ans.

e)                  Si le loyer rajusté après le 1er janvier est plus élevé que le loyer en vigueur, alors la différence entre le loyer en vigueur et le nouveau loyer fixé (un [traduction] « montant de remplacement ») est exigible dès réception de l’avis du nouveau montant du loyer pour la première année de la période couverte par le bail. Au cours des quatre années subséquentes de cette période de cinq ans, le montant du nouveau loyer est exigible le 1er janvier de chaque année.

[46]           En l’espèce, avant le dépôt du présent recours auprès de la Cour fédérale, tous les locataires visés par un bail de 1980 avaient effectué leur paiement du loyer pour 2009 et pour toutes les années précédentes. Comme le ministre a fixé le loyer avant le 1er janvier 2010, selon le libellé du bail, le paiement du loyer de 2010 n’était pas exigible. Ce paiement est devenu exigible uniquement le 1er janvier 2010 – et peut-être même plus tard, compte tenu des éléments de correspondance qui indique que le loyer n’était exigible que le 30 ou le 31 janvier 2010.

[47]           La clause 2.01 du bail prévoit seulement deux circonstances où les paiements du loyer sont exigibles à une date autre que le 1er janvier d’une année donnée, l’une se situe au moment de la signature du bail et l’autre lorsque le ministre ne rajuste pas le loyer avant le 1er janvier de l’année subséquente du bail de cinq ans.

[48]           La défenderesse souhaite imposer une troisième date de versement du loyer autre que le 1er janvier – une date qui précède immédiatement l’action en justice.

Le problème concernant l’interprétation de la défenderesse réside dans l’existence de dates exigibles contradictoires dans le libellé du bail – le 1er janvier de chaque année et le jour précédent le dépôt d’une demande de recours si celui-ci est déposé avant le 1er janvier.

[49]           Comme l’a soutenu la Cour dans l’arrêt Ironside v Smith, 1998 ABCA 366, aux paragraphes 65 et 66, [1999] 6 WWR 256, lorsqu’une disposition contractuelle se prête à plus d’une interprétation, ladite disposition sera interprétée au détriment de la partie qui l’a rédigé.

Le principe contra proferentem [traduction] « est invoquée de préférence dans une situation où une personne dicte les modalités d’un contrat à une autre ».

[50]           Il convient d’appliquer ce principe dans les contrats d’adhésion – tels que le bail de 1980. (Voir Zurich du Canada Compagnie d’assurance-vie c. Davies, [1981] 2 RCS 670.)

[51]           Le passage [traduction] « [...] y compris toute augmentation fixée susmentionnée » s’appliquerait au début de l’action relativement à la nouvelle modalité visant des loyers exigibles après le 1er janvier, afin d’éviter la question de savoir si ces loyers sont « exigibles » dans les cas où le véritable litige porte sur le fait que le loyer ne peut pas être exigible parce qu’il ne reflète pas la « juste valeur locative ». Cela couvre toute période de remplacement, tel que cela est décrit. Cela ne permet pas d’anticiper, par ailleurs, une échéance, de manière à empêcher tout recours à notre Cour lorsque les paiements du loyer et d’autres modalités du bail sont à jour.

[52]           Comme ils avaient acquitté tous les loyers dus au moment où notre Cour a été saisie du cas en l’espèce, les locataires visés par un bail de 1980 ont le droit de demander à notre cour de fixer le montant du loyer pour la prochaine période de cinq ans.

[53]           La réponse à la question 1 est « oui ».

B.                 Question 2

[54]           La question est la suivante :

Si la réponse à la Question 1 est « non », la conduite de Sakimay et/ou de la défenderesse – pour ce qui est de fournir aux membres du groupe (ou à leurs prédécesseurs) des documents dans lesquels il est indiqué que les paiements du loyer plus élevé pourraient commencer après le 1er janvier – donne-t-elle droit aux les membres du groupe à un allègement des exigences strictes imposées par les baux de 1980 grâce à la levée de la déchéance ou à l’application des principes de renonciation ou d’irrecevabilité?

[55]           Cette question est pertinente uniquement si la réponse à la question 1 est négative. Ayant répondu à la question 1 par l’affirmative, notre Cour n’avait pas à s’occuper d’une question commune dans le but d’en venir à d’autres conclusions, lesquelles seraient incidentes.

[56]           La Cour s’est penchée sur la question, mais il n’est pas nécessaire d’y répondre; y répondre pourrait même être inutile dans les présentes circonstances.

C.                 Question 3

[57]           Pour le moment, cette question commune n’oblige pas la Cour à fixer le loyer, globalement ou individuellement. Tout comme dans le recours Piot, la Cour conserve sa compétence pour traiter les questions postérieures à sa décision qui pourraient découler de ses motifs et de son jugement.

[58]           Comme dans le recours Piot, les principales opinions contradictoires en matière d’évaluation émanent de M. Thair, pour la demanderesse, et de M. Bell, pour la défenderesse. Comme il est mentionné précédemment et essentiellement pour les mêmes motifs que dans le recours Piot, la Cour a admis la méthode et l’opinion de M. Thair – les aspects particuliers des deux opinions seront abordés ci-après.

[59]           En plus de M. Thair, la demanderesse a sollicité l’opinion de Ben Lansink [M. Lansink], un évaluateur de biens immobiliers de London, en Ontario. M. Lansink possède une solide expérience acquise dans d’autres endroits qu’à London et il avait déjà évalué des terres des Premières Nations; cependant, jusqu’à la présente instance, il n’avait pas travaillé en Saskatchewan. Il était évident que ce manque de connaissances des lieux a constitué, pour lui comme pour M. Bell, un désavantage.

[60]           Son opinion s’est avérée utile en raison de son approche de [traduction] « haut niveau » à l’évaluation. Il a fait ressortir un aspect clé du cas en l’espèce qui la distingue du recours Piot.

Le terrain a été évalué en fonction de sa [traduction] « juste valeur locative », ce qui n’est pas la même chose que de calculer le loyer en s’appuyant sur un hypothétique intérêt de propriété en fief simple.

[61]           À son avis – que partageait M. Thair – la méthode de la comparaison directe, laquelle consiste à comparer deux terrains semblables, était la méthode appropriée.

[62]           Pendant deux jours en novembre, il a examiné les terrains situés au lac Crooked sans communiquer avec M. Thair et, en sa qualité d’agent immobilier accrédité, il avait accès à l’information sur les biens immobiliers. Il s’est également appuyé sur l’information concernant les parcs provinciaux.

[63]           M. Lansink était d’avis que la méthode de la comparaison directe était la seule qui puisse être utilisée conformément à une jurisprudence importante.

L’Institut canadien des évaluateurs recommande le recours à de multiples méthodes – solution qui a été adoptée par M. Thair.

[64]           M. Bell a, pour sa part, utilisé sa propre méthode qui consiste à comparer les ventes de terrains détenus en fief simple hors réserve, puis à apporter divers ajustements non étayés par des facteurs applicables à une réserve. Même si dans son rapport M. Bell a indiqué qu’il avait effectué une analyse des données de location de propriétés comparables, il a admis dans son témoignage qu’il n’avait pas mené de recherches sur les propriétés locatives en Saskatchewan avant de produire son rapport.

[65]           M. Thair a commencé son analyse en partant du concept selon lequel le terrain visé par un bail de 1980 était essentiellement occupé par une habitation unifamiliale.

[66]           Il a eu recours à quatre méthodes (trois méthodes correspondant à une comparaison directe) pour en arriver à son évaluation :

1)                  La méthode de comparaison directe consiste à comparer directement les loyers exigés par d’autres centres de villégiature dans des réserves en Saskatchewan et à apporter les ajustements nécessaires;

2)                  Une autre méthode de comparaison directe consiste à comparer directement les loyers exigés dans les parcs provinciaux et à apporter les ajustements nécessaires, y compris un ajustement des facteurs applicables à une réserve;

3)                  Enfin, une autre méthode de comparaison directe consiste à comparer directement les loyers exigés par des centres de villégiature appartenant à des intérêts privés et à apporter les ajustements nécessaires, y compris un ajustement des facteurs applicables à une réserve;

4)                  Une méthode en trois étapes fondée sur le revenu est utilisée :

a)                  rechercher et vérifier les ventes de terrains détenus en fief simple hors réserve;

b)                  estimer et appliquer un taux de capitalisation / taux de rendement pour convertir les valeurs globales des estimations des loyers annuels des ventes de terrains détenus en fief simple aux estimations des loyers annuels;

c)                  apporter tous les ajustements nécessaires, y compris les ajustements applicables à des réserves indiennes.

[67]           En outre, M. Thair a fourni une analyse extrêmement détaillée de chaque catégorie de propriétés et des différents éléments comparables observés entre ces propriétés. Il a utilisé des éléments comparables :

                     les ventes de propriétés riveraines sur des terrains vacants hors réserve au lac Crooked et au lac Qu’Appelle;

                     les ventes de terrains riverains détenus en fief simple au lac Crooked et au lac Qu’Appelle;

                     les ventes de terrains vacants détenus en fief simple hors réserve – propriétés non riveraines au lac Crooked et au lac Qu’Appelle;

                     les montants des loyers des terrains vacants hors réserve (parcs provinciaux et propriétés privées) :

                     les montants des loyers des terrains vacants sur les réserves.

[68]           À la suite de cette analyse, M. Thair a apporté une série d’ajustements d’ordre général à l’ajustement applicable à des réserves.

[69]           Ces ajustements comprennent notamment :

                     la prise en compte et le refus d’un ajustement temporel, à savoir le même sujet que celui abordé dans le recours Piot;

                     le rapport entre les propriétés riveraines et les propriétés non riveraines s’établit à 2.5-2.8 pour 1.0;

                     l’absence d’ajustement applicable aux services;

                     la nécessité d’apporter un ajustement négatif lorsque les terrains ont moins de 80 pi de profondeur;

                     la nécessité d’apporter des ajustements reflétant le piètre accès à certains terrains, que ce soit en véhicule ou à pied.

[70]           L’ajustement des facteurs applicables à une réserve est le même que dans le recours Piot, auquel il n’est pas surprenant que l’on attribue le même emplacement général et le même locateur délégué. Ayant employé deux méthodes pour obtenir le facteur applicable à des réserves, lequel donne des taux de 25 % et de 43 %, M. Thair a conclu que le taux approprié devait être 34 %.

[71]           Après avoir pris tous ces facteurs en considération, M. Thair a conclu que les justes valeurs locatives étaient les suivantes :

                     terrains riverains : 17,60 $ le pied de façade;

                     terrains riverains (piètre accès) : 1,16 $ le pied de façade;

                     terrains non riverains : 6,24 $ le pied-façade.

Ces valeurs reflètent le facteur applicable à des réserves indiennes.

[72]           M. Bell a entamé son témoignage en présentant un ajustement en fonction de l’utilisation résidentielle saisonnière parce que les routes ne sont pas entretenues à longueur d’année. Le bail de 1980 ne fait aucune référence à une évaluation du terrain en tant que propriété saisonnière.

[73]           M. Bell répète essentiellement l’analyse qu’il avait produite pour l’affaire Piot, y compris son approche concernant l’arrêt Bande indienne de Musqueam c. Glass, 2000 CSC 52, [2000] 2 RCS 633, et la décision Morin c. Canada, 2002 CFPI 1312, 226 FTR 188, confirmant 2005 CAF 52, l’application d’un « taux d’intérêt » (de façon plus appropriée un « taux de rendement »), l’ajustement du facteur applicable à une réserve et les mêmes considérations, dans une réserve ou hors réserve.

[74]           M. Bell a reconnu deux méthodes générales de calcul de la juste valeur locative, à savoir 1) une comparaison des montants des loyers actuels et 2) l’application d’un taux d’intérêt à la juste valeur marchande d’un terrain loué. C’est avec cette méthode que l’évaluateur était le plus expérimenté.

[75]           Même si M. Bell a utilisé une forme donnée de la méthode de comparaison directe (méthode qu’il a reconnue comme étant la plus fiable et la plus utile), celle-ci impliquait la vente de 13 terrains riverains et de 5 terrains non riverains, plutôt qu’une comparaison des baux. Il a effectué les mêmes ajustements que ceux qu’il avait effectués pour le bail de 1991.

[76]           Au moment de déterminer les loyers, il a répété ses observations concernant le bail de 1991, mais il a inclus certains commentaires de l’Institut canadien des évaluateurs au sujet des jugements à porter sur les investissements. Il a conclu que le taux d’intérêt applicable (taux de rendement) était le taux de 4,5 % qu’il avait indiqué dans son opinion concernant le bail de 1991. Par conséquent, son opinion concernant le bail de 1980 présente la même faiblesse que dans le recours Piot, en ce qui concerne l’analyse du taux de rendement de la défenderesse.

[77]           En l’espèce, la défenderesse a demandé à un courtier immobilier et à un évaluateur de biens immobiliers (et non à un expert) de présenter des témoignages concernant la valeur des biens immobiliers en Saskatchewan.

[78]           Le manque de connaissances, voire leur absence totale, sur les valeurs des propriétés sur le lac Crooked s’est avéré un handicap pour le courtier immobilier; en effet, il œuvrait davantage à Regina. Sa meilleure « estimation » était que la valeur des propriétés dans la vallée de la Qu’Appelle avait augmenté d’environ 200 % entre 2006 et 2009.

L’évaluateur n’avait pas encore toutes les compétences d’un évaluateur. Il n’a pas été en mesure de quantifier de manière utile les hausses de la valeur des biens immobiliers, mais il a mentionné que celles-ci avaient ralenti à la fin de 2008.

[79]           J’estime que ces éléments de preuve, en grande partie anecdotiques, étaient très intéressants, mais ils n’étaient pas convaincants. Ceux-ci ne comportaient pas les détails et l’analyse nécessaires pour aider la Cour ou pour saper les conclusions de M. Thair.

[80]           La défenderesse a également appelé à témoigner un représentant officiel de Saskatchewan Parks. Son témoignage avait pour objet de montrer que l’utilisation des montants des loyers des terrains des parcs ne permettait pas une comparaison utile, parce que les hausses des loyers étaient assujetties à des considérations d’ordre politique et particulièrement par une politique de recouvrement des coûts.

Son témoignage a également montré que le niveau de services et des installations dans les parcs provinciaux était de loin supérieur à ceux des terrains visés par le bail de 1980.

[81]           Ce témoignage s’est avéré un contraste utile, mais n’a pas sapé les conclusions de M. Thair concernant ces propriétés à la suite de son analyse des terrains loués comparables (et concurrents). Comme cela est indiqué dans le recours Piot, M. Thair était au courant des différences et des similitudes entre les terrains loués dans les parcs et les terrains loués au lac Crooked, y compris du fait que les gouvernements sont aux prises avec des enjeux politiques qui vont au-delà des intérêts commerciaux purs, et il en a tenu compte.

[82]           Cependant, rien ne prouve que les montants des loyers provinciaux soient une forme déguisée de subvention qui est accordée aux locataires, comparativement aux terrains n’appartenant pas à la province, et rien n’indique que toute concession accordée à l’association de propriétaires de chalet avait pour objet [traduction] « d’offrir un faible loyer en échange de voix ».

[83]           Au moment d’établir le montant d’un loyer fondé sur la [traduction] « juste valeur locative du terrain », il faut tenir compte du marché locatif des baux comparables pour des propriétés comparables. (Voir l’arrêt Pacific West Systems Supply Ltd v BC Rail Partnership, 2004 BCCA 247, 238 DLR (4th) 724.)

[84]           Je ne peux faire mieux que d’adopter la conclusion de la regrettée juge Layden-Stevenson qui a siégé à la Cour lorsqu’elle a conclu dans la décision Aird c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd., 2004 CF 551, 251 FTR no 161, que le meilleur moyen d’établir le montant d’un loyer pour un terrain fondé sur une juste valeur locative est de s’appuyer sur la technique de la parité du montant du loyer de propriétés semblables.

[85]           Au moment d’évaluer et de sélectionner la méthode d’évaluation (et donc le rapport d’évaluation qui englobe le mieux la méthodologie), la Cour est influencée par les connaissances supérieures (théoriques et pratiques) de M. Thair, comme il en a été question dans le recours Piot. Il ne s’agit pas simplement de ses connaissances supérieures des propriétés en question, mais également de sa connaissance du marché en Saskatchewan et des terrains à vocation récréative dans la province.

[86]           Il est important de noter que non seulement M. Thair connaissait mieux les terrains loués du lac Crooked, mais il l’était également avec les 26 propriétés comparables de la vallée de la Qu’Appelle. M. Thair était au courant des caractéristiques physiques des propriétés en question, notamment les niveaux d’eau, l’éclairage, l’accès à des installations sanitaires et autres attributs semblables. M. Bell ne l’était pas.

[87]           Outre cette approche relativement à la crédibilité et à sa force de persuasion en général et, comme il est mentionné dans le recours Piot, en ce qui concerne les détails de l’analyse du bail de 1980, il convient de privilégier l’approche de M. Thair. Il s’agit d’une approche plus approfondie impliquant un grand nombre d’éléments comparables, à partir des données il a adopté quatre points de vue différents – trois comparatifs, un revenu. Il a résumé les résultats, puis il a appliqué ses connaissances d’expert pour apporter des ajustements à partir desquels il a tiré ses conclusions concernant la valeur.

[88]           En toute déférence à M. Bell, qui faisait apparemment face à des contraintes temporelles, son approche a consisté à prendre les données de Blaise Clements et à effectuer une forme quelconque d’analyse. Son analyse et ses recherches de données présentaient les caractéristiques d’une approche unique prédéterminée.

[89]           Je préfère l’approche plus complète et plus équilibrée de M. Thair et j’appliquerais sa méthodologie.

[90]           En conséquence, la réponse à la question 3 serait la suivante : la méthodologie ou formule appropriée pour déterminer, aux fins des baux de 1980, la juste valeur locative des propriétés louées de chacun des membres du recours collectif entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014 est la méthodologie de M. Thair telle qu’elle est exposée dans le rapport d’expert daté du 28 octobre 2015.

V.                Conclusion

[91]           Pour ces motifs, la Cour répond aux questions comme suit :

a)                  Question 1 : La demanderesse représentante et d’autres membres du groupe pouvaient-ils intenter la présente action en vertu des baux de 1980, malgré le fait qu’ils n’avaient pas payé le loyer plus élevé avant l’introduction de l’action, dans des circonstances où l’augmentation du loyer a été énoncée dans des avis qui leur ont été envoyés par la Première Nation de Sakimay [Sakimay] à la fin novembre 2009?

Réponse : Oui.

b)                  Question 2 : Si la réponse à la question 1 est « non », la conduite de Sakimay et/ou de défenderesse – pour ce qui est de fournir aux membres du groupe (ou à leurs prédécesseurs) des documents dans lesquels il est indiqué que les paiements du loyer plus élevé pourraient commencer après le 1er janvier – donne-t-elle droit, pour les membres du groupe, à un allègement des exigences strictes imposées par les baux de 1980 grâce à la levée de la déchéance ou à l’application des doctrines de renonciation ou d’irrecevabilité?

Réponse : Ne s’applique pas.

c)                  Question 3 : Quelle est la méthode ou formule appropriée, aux termes des baux de 1980, pour déterminer la juste valeur locative des propriétés louées de chaque membre du groupe pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014?

Réponse : La méthode adoptée par l’évaluateur de la demanderesse.

[92]           Comme pour la décision dans la décision Piot, aucuns dépens ne sont adjugés.

[93]           La Cour conserve sa compétence pour résoudre toute question qui pourrait être soulevée après le jugement.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 septembre 2016

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-227-13

 

INTITULÉ :

JOANNE SCHNURR POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE REPRÉSENTANTE DEMANDERESSE c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 23 au 26 novembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Kevin Bell

 

Pour la demanderesse

 

David Smith

David Culleton

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bell, Kreklewich & Chambers

Avocats

Melville (Saskatchewan)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour la défenderesse

 

 

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